Si l'on veut comprendre en quoi consiste la spécificité de l'échange verbal sur un forum de discussion philosophique, il faut se donner un outil conceptuel qui permette de conclure si la manière dont on "pense" sur ce forum est une manière "philosophique" de penser ou non. Or, vous conviendrez avec moi que les propositions spinoziennes selon lesquelles "cogitatio attributum Dei est, sive Deus res cogitans est"(Ethique, II, 1), "per ideam intelligo mentis conceptum quem mens format, propterea quod res est cogitans" (Ethique, II, def.3), et "homo cogitat"(Ethique, II, ax.2), ne nous sont pas d'une grande utilité. Sinon pour conclure trivialement que, dans la mesure où l'intellect humain participe de la Pensée comme attribut de la substance divine, et dans la mesure où l'homme, en tant qu'on le considère sous cet attribut, manifeste nécessairement des pensées singulières comme modes finis dudit attribut, tous les délires, tous les borborygmes, toutes les éructations, toutes les logomachies, tous les bavardages, etc. qui polluent ce site sont donc des pensées ! Auquel cas, comme vous le dites, vous possédez a priori l'argument indifférentiste imparable ("tout se vaut") pour défendre la thèse inverse de la mienne. Sauf que, dans ce cas, vous ne démontreriez rien, car vous procéderiez par pétition de principe. Cela dit, je montrerai plus loin que Spinoza, néanmoins, peut nous aider à comprendre le problème que j'essaie d'analyser.Louisa a écrit :Vous basez votre développement sur une conception de la pensée inspirée de Hegel et de Ricoeur, là où moi-même je privilégerais plutôt celle de Spinoza, ce qui à mon sens devrait me permettre d'obtenir les arguments susceptibles de défendre la thèse inverse (telle que j'ai déjà commencé à l'esquisser dans le fil de discussion consacrée à la modération, où cette discussion a pris son origine)
Par la suite, je n'ai pas d'objection à vous faire jusqu'au passage suivant :
Je ne dis pas du tout que "le fait de communiquer ses propos par l'écriture briserait d'office l'identité subjective du locuteur" mais que c'est l'Internet, et non pas l'écriture en général, qui y incite sans toutefois "la briser d'office".Louisa a écrit :1. Disons que je ne vois pas en quoi le fait de communiquer ses propos par l'écriture briserait d'office l'identité subjective du locuteur.
L'Internet encourage la perte d'identité. Faisons appel à Pascal pour illustrer le problème :
Développons. Un certain nombre de vicissitudes sociétales qui ne datent pas d'hier (bien, que, manifestement, la bien-nommée "dépression" économique les exacerbe) rendent le lien social problématique. Plus précisément, elles tendent à produire ce que Hannah Arendt appelle de la loneliness (que Ricoeur traduit par "désolation"), et qui exprime le fait paradoxal que nous nous sentons seuls, abandonnés, désemparés au milieu de la foule de nos semblables. Quoi de plus naturel alors, nous dit Pascal de nous réfugier dans le "divertissement" qui a pour fonction de substituer à l'absence de lien social satisfaisant que le Moi réel ne peut pas ou ne peut plus établir un lien social fantasmé sur la base d'un Moi imaginaire et flatteur. Or, le grand problème que pose l'imagination, et là Spinoza nous est du plus grand secours, n'est pas, en soi, le recours à l'imagination (en l'occurrence d'un Moi idéal différent du Moi réel), mais plutôt le fait que nous adhérions pleinement à l'existence de ce que nous imaginons :Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable. [...] Grande marque du néant de notre propre être, de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre, et d'échanger souvent l’un pour l'autre ! (Pascal, Pensées, B147)
Bref, si Pascal ou Spinoza nous étaient contemporains, ils prendraient acte de ce que l'évolution de nos conditions matérielles d'existence poussent le plus grand nombre à se forger, à peu de frais, un Moi imaginaire par media techniques interposés, à commencer par l'Internet. Ils constateraient même, l'un et l'autre quoique en des termes un peu différents, qu'il y a nécessité à le faire. Toutefois, l'un et l'autre seraient catégoriques pour admettre que ce phénomène, pour nécessaire qu'il soit, constitue un obstacle insurmontable s'il s'agit d'accéder à la pensée vraie. Or, si la philosophie à quoi que ce soit à voir avec la pensée vraie, il faut alors en déduire que l'imagination d'un Moi idéal est, en particulier, catastrophique lorsqu'il s'agit de philosopher.Mentis imaginationes in se spectatas, nihil erroris continere, sive Mentem ex eo, quòd imaginatur, non errare ; sed tantùm, quatenus consideratur, carere ideâ, quae existentiam illarum rerum, quas sibi praesentes imaginatur, secludat.(Spinoza, Ethique, II, 17, schol.)
L'écriture encourage la perte d'identité. Revenons à la mise en garde de Platon :
Que reproche Platon au discours écrit ? Premièrement, de donner, tout comme une peinture, l'illusion de la vie. La comparaison avec la peinture (en grec zôgraphia, littéralement, "représentation de la vie") n'est guère élogieuse : on sait en quelle piètre estime Platon la tenait. Je n'y reviens pas. Aussi craint-il, par analogie, que l'écriture (graphia) soit au discours (logos) ce que la peinture (zôgraphia) est à la vie (zôè), à savoir un ersatz, une sorte de rutabaga qui, certes, satisfasse les besoins d'une population indigente en période de disette, mais surtout, qui s'incruste, qui s'éternise dans la vie quotidienne au point d'apparaître pour ce qu'elle n'est pas, à savoir le nec plus ultra. D'où, deuxième reproche que Platon adresse à l'écriture : étant un discours mort et non pas un discours vivant, l'écriture ne peut pas se défendre. Se défendre contre quoi ? Contre la doxa, l'opinion, le sommeil de la raison. Car, comme Platon est le premier à le pressentir (23 siècles avant Hegel !), la vérité n'est jamais terminée, elle est toujours en devenir. C'est un processus infini. Donc, le plus grand ennemi de l'amour de la vérité hè philosophia, en grec), comme de tout amour d'ailleurs, c'est la routine, c'est l'assoupissement, c'est le sentiment d'en avoir fini avec la découverte de ce continent inexploré. A contrario,Socrate - C’est que l’écriture, Phèdre, a, tout comme la peinture, un grave inconvénient. Les oeuvres picturales paraissent comme vivantes ; mais, si tu les interroges, elles gardent un vénérable silence. Il en est de même des discours écrits. Tu croirais certes qu’ils parlent comme des personnes sensées ; mais, si tu veux leur demander de t’expliquer ce qu’ils disent, ils te répondent toujours la même chose. Une fois écrit, tout discours roule de tous côtés ; il tombe aussi bien chez ceux qui le comprennent que chez ceux pour lesquels il est sans intérêt ; il ne sait point à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire. S’il se voit méprisé ou injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père, car il n’est pas par lui-même capable de se défendre ni de se secourir.
Phèdre - Tu dis encore ici les choses les plus justes.
Socrate - Courage donc, et occupons-nous d’une autre espèce de discours, frère germain de celui dont nous avons parlé ; voyons comment il naît, et de combien il surpasse en excellence et en efficacité le discours écrit. Phèdre - Quel est donc ce discours et comment racontes-tu qu’il naît?
Socrate - C’est le discours qui s’écrit avec la science dans l’âme de celui qui étudie ; capable de se défendre lui-même, il sait parler et se taire devant qui il convient.
Phèdre - Tu veux parler du discours de l’homme qui sait, de ce discours vivant et animé, dont le discours écrit, à justement parler, n’est que l’image ? (Platon, Phèdre, 275e-276b)
On ne le répètera jamais assez : on ne peut faire de la philosophie que par et dans une dialectique permanente. C'est pourquoi, je préfère le terme de "dialectique", à connotation conflictuelle, à celui de "dialogue", trop consensuel, trop politically correct.la dialectique est la seule méthode qui, rejetant les suppositions, s’élève jusqu’au principe même pour établir solidement ses conclusions. (Platon, République, VII, 533d)
Voilà pourquoi je confirme ce que j'écrivais supra
Bien entendu, Platon a eu tort, objectivement, de placer ses craintes dans l'écriture. Car ce n'est pas l'écriture qui a tué la philosophie. Bien au contraire. C'est l'écriture qui a permis, d'une part, aux philosophes et aux savants de correspondre entre eux. Et ce n'est pas sans raison que les chercheurs en philosophie s'intéressent, au premier chef, à la correspondance des auteurs. Il est probable que Spinoza n'aurait pas eu l'occasion de pousser aussi loin sa réflexion sur sa distinction conceptuelle fondamentale entre une morale et une éthique s'il n'avait eu, entre le 12 décembre 1664 et le 27 mars 1665, le violent échange épistolaire que l'on sait avec celui à qui il donne du "Très savant Guillaume de Blyenbergh". Bref, comme vous le soulignez,PhiPhilo a écrit :C'est la raison pour laquelle les philosophes de l'antiquité grecque (Platon, mais surtout Socrate) se méfiaient beaucoup de la philosophie écrite qui, selon eux, avaient le tort de mutiler le discours en ce que, d'une part, elle le soustrait au dialogue, au mouvement dialectique d'universalisation donc de purification du logos, et d'autre part en ce qu'elle se désincarne, défaisant la synthèse du subjectif et de l'objectif en ne laissant subsister que celui-ci au détriment de celle-là. Bref, les Grecs ont été les premiers à poser comme une règle intangible l'exigence dialogique de la pensée philosophique et ils ont été les premiers à pressentir le danger qu'il y aurait (qu'il y aura) à dissocier la pensée du Moi qui pense.
Le problème, c'est que vous ne vous demandez pas ce que signifie "nous communiquer sa pensée par l'écriture". On ne "communique" pas une pensée comme on communique un bulletin météorologique. En philosophie, communiquer, c'est transmettre, non un contenu, mais une méthode, une série d'exigences. Communiquer la pensée de Spinoza, par exemple, n'est-ce pas faire assumer, à travers les ouvrages de Spinoza, la démarche intellectuelle de Spinoza lui-même en relation avec le contexte socio-historico-intellectuel de son temps ? N'est-ce pas lire le texte original de l'auteur, lire les interlocuteurs de l'auteur, lire les commentateurs de l'auteur, non pas pour que nous nous prosternions religieusement (la religion, ce n'est pas Spinoza qui nous démentira, n'ayant pas grand chose à voir avec la recherche de la vérité) devant un texte sacré, c'est-à-dire, étymologiquement, "détaché, séparé, inaccessible", bref, un texte mort, mais au contraire pour que nous l'enrichissions de notre propre critique, c'est-à-dire, toujours selon l'étymologie, de notre propre "jugement". Finalement, contrairement aux craintes de Platon, l'écriture, non seulement n'empêche pas, mais favorise même, l'exercice de la pensée philosophique :Louisa a écrit :tout grand philosophe nous communique sa pensée par l'écriture. Si cela briserait d'office l'identité narrative, et si cette identité est une conditio sine qua non de la pensée, il faudrait en conclure que tous ces grands philosophes ne pensent pas, ce qui serait absurde.
Comme j'essaie de l'enseigner à mes élèves et étudiants, disserter n'est rien si ce n'est dialoguer (au sens dialectique restreint) avec les philosophes.La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées. (Descartes, Discours de la Méthode, i, 7)
Mais alors, si comprendre un auteur, si auctorem intelligere, c'est assumer une pensée vivante, encore faut-il pouvoir la faire sienne, c'est-à-dire l'intégrer à sa propre identité pour la faire vivre. Et c'est là que j'ai recours à ce que Ricoeur nomme "l'identité narrative". L'identité narrative, dit-il dans la sixième étude de Soi-même comme un Autre, c'est la synthèse dialectique, donc conflictuelle, de l'identité-idem ou identité objective et de l'identité-ipse ou identité subjective. Conflictuelle parce que ce que je suis pour autrui ne correspond pas nécessairement à ce que je me sens être pour moi-même (tout le monde sait, par exemple, que les anorexiques se perçoivent subjectivement comme gros et gras alors qu'ils sont perçus objectivement comme minces et maigres). D'où le problème de l'identité narrative : lorsque je dis "Je", je suis obligé de faire la synthèse entre mon idem-tité et mon ipse-ité. Or, comment réaliser cette synthèse lorsque ces deux composantes de mon identité sont inconciliables (e.g. l'anorexique objectivement mince et subjectivement gros ne se "racontera" pas comme étant de corpulence moyenne) ? C'est impossible et on est confronté à ce que les psychanalystes appellent die Ichspaltung, littéralement "la décomposition du Moi", laquelle peut dégénérer en psychose schizophrénique. Quelle conséquence cela a-t-il sur le fait de penser philosophiquement sur un forum Internet ? Eh bien je soutiens que celui qui se sent subjectivement spécialiste de Spinoza alors que, par exemple, il n'a jamais lu l'Ethique en latin, ou qu'il ne connaît pas les grandes thèses du cartésianisme desquelles Spinoza n'a de cesse de se démarquer, ou qu'il ne connaît pas le contexte politico-religieux de la Hollande de la fin du XVII°, celui-là, n'est pas perçu objectivement comme un spécialiste de Spinoza, et, par conséquent, n'a pas d'identité narrative cohérente lorsqu'il se prétend tel. Et avec celui-là, on pourra discuter de tas de choses, mais certainement pas de la philosophie de Spinoza, puisque toute objection à l'une quelconque de ses affirmations au sujet de la philosophie de Spinoza entrera en opposition indépassable avec l'idée qu'il se fait de lui-même-comme-spécialiste-de-Spinoza. Cet individu se sentira injustement persécuté par les arguments ad hominem selon lesquels sa maîtrise de Spinoza est sujette à caution (précisons au passage que l'argument ad hominem consiste à mettre en doute la justesse de l'affirmation de l'interlocuteur en prenant argument de son identité objective, comme lorsque Spinoza traite Blyenbergh de "théologien" dans la Lettre XXI, et non pas à l'insulter !) et il réagira de telle façon qu'il ne sera plus question de la pensée de Spinoza mais de l'individu en question. Je n'ai pas besoin de montrer les dégâts que cela occasionne : il suffit pour cela de cliquer au hasard sur n'importe quel fil de discussion de ce forum, pour avoir une probabibilité significative de tomber sur un argument ab homine, si vous me permettez cette assonance tout à la fois avec ad hominem et avec "abominable" ! C'est-à-dire un argument dont la fonction est de tenter de donner à celui qui dit "Je" une identité narrative qu'il n'a pas par des contorsions diverses et variées qui n'ont que peu de rapport avec le sujet traité et qui, en tout état de cause, ne font progresser la pensée philosophique de personne. Voilà pourquoi vous faites fausse route lorsque vous dites :
Les propos insultants, délirants, schizomorphes sont désincarnés non pas dans le sens, trivial, qu'ils ne seraient prononcés par personne, mais dans le sens où ils ne contribuent pas à faire vivre une pensée philosophique en n'étant pas incarnés dans une identité narrative cohérente.Louisa a écrit :ou bien un forum de discussion n'a que des propos désincarnés, et alors on ne devrait avoir aucun propos réellement ad hominem, ou bien les propos n'y sont pas désincarnés, et alors on peut se sentir personnellement attaqué ou insulté, mais dans ce cas il faut reconnaître qu'il y a bel et bien des propos incarnés et donc de la pensée.
Et je prétends en effet que, contrairement à l'écriture physique, l'écriture sur l'Internet encourage cette Ichspaltung inconciliable avec le fait d'assumer une pensée philosophique. La raison en est fort simple : à moins de vous répandre en propos antisémites ou de promouvoir la pédophilie, l'irresponsabilité de tout intervenant sur un forum Internet est a peu près assurée. Or, comme le fait remarquer Paul Ricoeur qui reprend là une idée chère à Hannah Arendt, on ne peut pas avoir d'identité narrative sans être responsable de ses propos devant le monde commun, c'est-à-dire sans risquer de se faire sanctionner, fût-ce de manière extrêmement symbolique (par exemple par le blâme de ses pairs), pour la teneur de ses propos. Or, sur Internet, il n'y a pas de monde commun, il n'y a que du monde virtuel, donc pas de sanction, jamais de condamnation. Et quand même y en aurait-il (ce qui, comme je l'ai dit, ne serait pas commercialement très pertinent, remarque qui ne vise pas Spinozaetnous, mais les sites à visée commerciale qui sont, de facto majoritaires), il existerait toujours une échappatoire pour le Moi décomposé : le blâme viserait non pas l'être réel, mais l'être fictif désigné par le pseudo. Sur ce point, je réaffirme avec force :
Le Moi décomposé est, sur l'Internet, une tentation. Et comme we can resist anything, but temptation, comme le disait Oscar Wilde, la probabilité pour que l'on ait un véritable et durable échange philosophique entre contributeurs qui assument leur identité narrative sur l'Internet tend asymptotiquement vers zéro. Bref, on ne peut penser philosophiquement sur l'Internet. Quod erat demonstrandumPhiPhilo a écrit :Chacun est invité à prendre un "pseudo". Or faut-il rappeler, premièrement que ho pseudos, en grec, signifie, "le mensonge", et deuxièmement que le nom est une marque objective qui, dans toutes les civilisations, est attribuée à l'individu par la société pour qu'elle puisse le reconnaître. Il suit que le fait de choisir un pseudonyme, un "faux-nom", manifeste l'intention de rompre avec ce que Ricoeur appelle la mêmeté, c'est-à-dire la traçabilité sociale que mon nom m'imposait. En choisissant un pseudo, je ne suis, objectivement, plus le même : je me donne une contenance, des connotations, voire une apparence (via mon avatar) que je n'ai pas forcément dans la réalité.
Est-ce à dire que
? Evidemment non. Ne serait-ce que parce que la position de l'élève, du disciple, de l'épigone, de l'étudiant, comme on voudra est aussi envieuse à ce point de vue, à condition toutefois que les conditions tout à la fois d'une identité narrative de chacun et d'une vraie dialectique conflictuelle soient réunies, ce qui, j'en conviendrai volontiers, est loin d'être toujours le cas. D'une manière générale, la présence physique, par opposition à la présence virtuelle caractéristique de la relation sur l'Internet, n'est pas une garantie d'identité narrative de la part des participants. Et vous avez raison d'objecter queEnegoid a écrit :la conclusion de votre post est que seul peut penser le professeur devant sa classe.
Ce n'est pas une condition suffisante parce que, comme le dit encore une fois Hannah Arendt, il ne suffit pas de se montrer à autrui, voire d'échanger quelques propos, pour assumer le monde commun, ce qui est la conditio sine qua non de toute identité narrative telle que ce que je dis est en accord tout à la fois avec ma mêmeté et avec mon ipséité. Assomption du monde commun dont, précise Arendt, le statut social des intervenants, le fait que les uns assument leur position d'apprenant, les autres leur position d'enseignant, est un puissant facilitateur. Ce que l'Internet a en horreur, préférant surfer sur l'illusion désastreuse d'une indistinction virtuelle, au point que celui qui enfreint ce tabou, qui brise l'omertà en dévoilant et en assumant son statut social est immédiatement voué aux gémonies par les chiens de garde patentés de l'universelle bêtise. Mais je m'énerve. Aussi est-il temps de conclure avec ce passage où Spinoza montre que le problème de l'identité narrative est indissolublement lié à celui de la possibilité de penser philosophiquement :Enegoid a écrit :dans les cafés du commerce, de nombreuses pensées à vocation universelle s’échangent entre interlocuteurs dont l’identité narrative est parfaitement établie. Diriez-vous que ces lieux constituent votre idéal de matrice pour engendrer de la pensée ?
Ignarus enim, praeterquam quod à causis externis, multis modis agitatur, nec unquam verâ animi acquiescentiâ potitur, vivit praeterea sui, et Dei, et rerum quasi inscius, et simulac pati desinit, simul etiam esse desinit. (Spinoza, Ethique, V, 42, schol.)