tre §1 (de l'expérience au désir de la joie)

Lecture pas à pas du Traité de la Réforme de l'Entendement. Utilisez s.v.p. la numérotation caillois pour indiquer le paragraphe que vous souhaitez discuter.
Enegoid
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Messagepar Enegoid » 29 mars 2007, 13:54

Ce débat date de 4 ans. Mais, après tout, il y a de l'éternité dans les débats d'idées ! Alors si le sujet intéresse encore voici quelques commentaires assez béotiens (je ne suis ni prof ni étudiant en philosophie) sur le début du TRE

« Les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles ».
Les circonstances les plus fréquentes de la vie sont telles que Dieu l’a voulu de toute éternité. Ce sentiment de vanité/futilité est une affection. Ce n’est pas une idée adéquate.
Mais ce sentiment de futilité existe aussi comme voulu par Dieu. Il est, me semble-t-il, assez partagé, sinon connu de tous si l’on en croit la sagesse populaire, vue à travers ses proverbes : « l’argent ne fait pas le bonheur », « post coïtum omne animal triste », « pour vivre heureux vivons cachés ».
Spinoza reconnaît que les biens généralement poursuivis par les hommes, la volupté, la gloire et la richesse procurent de la joie (« plus on possède soit de l’un soit de l’autre, plus la joie qu’on éprouve est accrue… »). Il reproche seulement à ces joies d’être incertaines et de se payer cher parfois. Et son pari appelle une question : vaut-il mieux des joies intenses mais incertaines, ou une joie certaine dont je ne connais pas l’intensité (ni même l'existence)? Sa réponse n’a rien d’une conclusion de pensée, sa réponse est une réponse de nécessité « je me voyais en effet dans un extrême péril et contraint de chercher de toutes mes forces… ». Spi nous émeut en se présentant comme un naufragé qui s’accroche à tout ce qui flotte.

« Il (l’homme) conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure en force à la sienne... »
Cette conception est-elle une idée adéquate, n’est-elle pas plutôt une imagination, un « idéal du moi » avant la lettre psychanalytique ?
Le but de Spinoza : « acquérir une nature supérieure » n’est-il pas fondé sur une erreur de jugement ? Puis-je être autrement que conforme à ma nature ? Cette nature que je poursuis, si je suis différent d’elle, c’est que ce n’est pas ma nature.

« Faire de mon mieux pour que beaucoup l’acquièrent avec moi » : Spinoza ne tombe-t-il pas dans le travers commun qu’il dénoncera dans l’Ethique, de vouloir que chacun se conforme à sa façon de voir ?

Merci de tout commentaire sincère

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Messagepar Faun » 29 mars 2007, 16:26


« Les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles ».


Il me semble qu'il n'a pas été assez souligné dans tout ce qui précède que Spinoza ne parle pas sans avoir fait l'expérience de ce dont il parle, et qu'il a donc gouté, comme tout le monde, aux plaisirs sensuels (il était beau), à la richesse (sa famille était riche) et aux honneurs (son père tenait une place importante dans la synagogue, place qui incluait naturellement sur Spinoza lui-même).

Il a du reste sans aucun doute fait aussi l'expérience non seulement des passions joyeuses dont il cite les plus importantes et reconnues socialement, mais aussi de toutes les passions tristes qui agitent tous les hommes.

Et donc Spinoza s'engage dans une véritable lutte, dans un effort intense pour se détacher de ces passions joyeuses, qui encombrent son esprit, et les détruire :

"Mais ce n'est pas sans raison que je me suis servi de ces paroles : à considérer les choses sérieusement ; car bien que j'eusse une idée claire de tout ce que je viens de dire, je ne pouvais cependant bannir complètement de mon cœur l'amour de l'or, des plaisirs et de la gloire."

L'Ethique confirmera ce point de vue avec force et humour :

"l'avarice, l'ambition, la lubricité, sont au fond des espèces de délires, quoiqu'on ne les compte pas au nombre des maladies." (proposition 44 partie 4, scolie)

« Il (l’homme) conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure en force à la sienne... »

Cette conception est-elle une idée adéquate, n’est-elle pas plutôt une imagination, un « idéal du moi » avant la lettre psychanalytique ?
Le but de Spinoza : « acquérir une nature supérieure » n’est-il pas fondé sur une erreur de jugement ? Puis-je être autrement que conforme à ma nature ? Cette nature que je poursuis, si je suis différent d’elle, c’est que ce n’est pas ma nature.


Se conformer à un modèle implique effectivment un effort constant et durable, afin de nous dégager des préjugés accumulés par des générations d'hommes avant nous, comme on dégage le diamant de sa gangue, et pour comprendre que cette prétendue nature que nous aurions n'est en réalité que le résultat d'une combinaison de pulsions animales qui ont les corps et l'imagination pour causes, et d'habitudes sociales qui sont transmises aux enfants par les parents, avec tout ce que cela comporte d'affects liés artificiellement à des idées, c'est à dire ce qu'on nomme habituellement l'éducation, et qui n'est au fond qu'un dressage de l'animal humain :

"On voit donc que les hommes sont naturellement enclins à la haine et à l'envie ; et l'éducation fortifie encore ce penchant, car c'est l'habitude des parents d'exciter les enfants à la vertu par le seul aiguillon de l'honneur et de l'envie. "(proposition 40 partie 3, scolie)

"Les parents, en blâmant certaines actions et réprimandant souvent leurs enfants pour les avoir commises, et au contraire en louant et en conseillant d'autres actions, ont si bien fait que la tristesse accompagne toujours celles-là et la joie toujours celles-ci." (définition 27 partie 3)

La véritable nature de l'homme pour Spinoza réside dans le seul intellect, qui seul fait agir l'homme sage, fort et libre, libre de tout préjugé et de toute passion inutile.

« Faire de mon mieux pour que beaucoup l’acquièrent avec moi » : Spinoza ne tombe-t-il pas dans le travers commun qu’il dénoncera dans l’Ethique, de vouloir que chacun se conforme à sa façon de voir ?


"Par exemple, la nature humaine est ainsi faite que tout homme désire que les autres vivent suivant son tempérament (par le Schol. de la Propos. 31, part. 3). Or, cet appétit, quand il n'est pas conduit par la raison, est une passion, qui s'appelle ambition, et qui ne diffère pas beaucoup de l'orgueil, tandis qu'au contraire cet appétit est une action dans un homme que la raison conduit, et une vertu, qui est la piété (voyez le Schol. 1 de la Propos. 37, part. 4, et la 2e Démonstr. de cette même Propos.)."
(proposition 4 partie 5)

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Messagepar Enegoid » 30 mars 2007, 23:48

Vain et futile
La question de savoir si Spinoza a, suffisamment pour les connaître, goûté aux choses qu’il veut quitter n’est peut-être pas fondamentale, mais elle a effectivement son intérêt. C’est un peu l’histoire de ce philosophe grec (Thales ?) qui vivait, par choix, dans la pauvreté et qui s’est cru obligé de montrer qu’il était capable de faire fortune dans le commerce d’olives pour convaincre de la valeur des raisons de son choix. C’est aussi l’histoire du renard et des raisins.
Je ne trouve pas que Spinoza soit totalement exempt de tout soupçon. Evidemment, je ne connais pas la vérité, mais j’ai cru comprendre, quant à la richesse, qu’il eut avec sa famille des démêlés d’héritage. Quant à la volupté, il n’a pas, loin de là, laissé l’image d’un séducteur comblé.
Quant à la gloire, il l’a eu.
Mais pourquoi, au fond, parler de cela, qui ne touche pas à la beauté de la cathédrale conceptuelle qu’il a construite ?
Parce que la motivation qui l’a amené à cette construction importe (connaissance de l’effet par connaissance de la cause). Et il est vrai que j’aimerais bien savoir ce qu’il a voulu dire en parlant de cet « extrême péril qui l’a contraint à chercher de toutes ses forces ».

Nature humaine
Les hommes sont « naturellement enclins » à la haine et à l’envie, à désirer richesse et honneurs etc. C’est donc naturellement (du fait de leur nature) qu’ils sont conduits à se tromper sur ce qui constituerait leur bien véritable.

Pour qu’un homme (Spinoza par exemple) puisse concevoir une sortie d’erreur, il faut d’abord qu’il ait identifié l’erreur, c’est-à-dire qu’il ait considéré comme des maux les comportements concernés, c’est-à-dire qu’il ait ressenti de la tristesse à leur idée. Puis qu’il ait imaginé une voie différente, qu’il ait éprouvé de la joie à l’idée du but atteint donc qu’il ait eu l’appétit de cette voie. Il aboutit alors à un modèle qu’il nous propose comme il nous proposerait un modèle de maison idéal pour l’homme (analogie inspirée par la préface à E4). Chaque homme étant convié à construire sa maison suivant les plans de cette maison idéale. Et la maison de chaque homme étant considéré comme plus ou moins parfaite par comparaison avec le modèle de maison idéale.
Rien à dire. A chacun de nous de voir si cette maison parfaite lui plait. Mais est-elle absolument parfaite ? Avec la conséquence : il y a des hommes plus ou moins parfaits absolument que d’autres…

L’objection qui me vient à l’esprit est : est-ce que les hommes ne subsistent pas globalement grâce à ces comportements mauvais ? Par exemple, y aurait-il encore des marchands si le désir de faire fortune disparaissait ? Y aurait-il encore des hommes politiques si l’ambition disparaissait ? Et pour finir, y aurait-il encore des enfants si le goût de la volupté disparaissait ? (un peu tiré par les cheveux, mais quand même…).

Pardon pour ce texte un peu confus mais les idées y sont, je crois.

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Messagepar Faun » 31 mars 2007, 12:25

Enegoid a écrit :Vain et futile
Je ne trouve pas que Spinoza soit totalement exempt de tout soupçon. Evidemment, je ne connais pas la vérité, mais j’ai cru comprendre, quant à la richesse, qu’il eut avec sa famille des démêlés d’héritage. Quant à la volupté, il n’a pas, loin de là, laissé l’image d’un séducteur comblé.
Quant à la gloire, il l’a eu.


Il a hérité avec son frère, à la mort de son père, de l'entreprise et de la fortune familiale, c'est cela qui lui conférait, pour les habitants d'Amsterdam, richesse et honneurs. Or il y a renoncé volontairement.
Pour ce qui est des expériences sentimentales (comme on dit) ou sexuelles de Spinoza, les témoignages manquent, si ce n'est qu'il fut amoureux d'une jeune fille et qu'il a renoncé à se marier avec elle.
Enfin la gloire dont vous parlez il ne l'a pas eu, loin de là, de son vivant, et il a plutôt récolté la haine de ses contemporains, à cause de ses opinions sur la religion, que la gloire.

Et il est vrai que j’aimerais bien savoir ce qu’il a voulu dire en parlant de cet « extrême péril qui l’a contraint à chercher de toutes ses forces ».


Le péril, il me semble, est celui de ne s'attacher et de ne désirer que des biens "vains et futiles", c'est à dire temporaires et périssables, et de construire son bonheur sur des objets dont la possession est incertaine.
Et si les fondements du bonheurs sont incertains, le bonheur qui en découle l'est aussi, car le désir de ces biens n'est pas dénué de crainte, c'est à dire de tristesse. Car il précise bien que tout notre bonheur dépend de l'objet que nous aimons, et dans l'Ethique il affirme que nous désirons nécessairement posséder ce qui nous affecte de joie, c'est à dire ce que nous aimons.
Par suite Spinoza se met à rechercher une joie et un amour qui ne soient pas partiels et temporaires, mais absolus et éternels. Et cet amour là est le salut lui-même, tandis que les autres amours sont la perdition elle-même.

L’objection qui me vient à l’esprit est : est-ce que les hommes ne subsistent pas globalement grâce à ces comportements mauvais ? Par exemple, y aurait-il encore des marchands si le désir de faire fortune disparaissait ? Y aurait-il encore des hommes politiques si l’ambition disparaissait ? Et pour finir, y aurait-il encore des enfants si le goût de la volupté disparaissait ? (un peu tiré par les cheveux, mais quand même…).



Ainsi vous considérez que les marchands et les hommes politiques sont utiles, c'est à dire bons pour l'ensemble de l'humanité ?
Ces comportements engendrés par les passions d'avarice et d'ambition ne nuisent ils pas, au contraire, à la plupart des hommes ? Ne voyez-vous pas que la poursuite des richesses excite les hommes à la malhonêteté et à la violence, et engendre l'inégalité, l'injustice et la corruption ? Sans parler de l'exploitation démente des ressources produites naturellement par la Terre, avec la conséquence de transformer cette ile d'abondance au milieu des étoiles en désert ? Les passions déréglées dérèglent les climats !
Et pour ce qui est des ambitions politiques, ne voyez-vous pas qu'elles entraînent elles aussi la violence et l'inégalité, que la recherche du pouvoir force les hommes à l'hypocrisie et au mensonge, et que la soumission ne peut s'obtenir que par la crainte, la peur, voire la terreur ?
Les Religions et les Etats tyranniques ne se maintiennent que grâce à ces passions tristes, comme Spinoza l'affirme dans l'introduction du traité théologico politique. Et donc l'amibiton nuit gravement à tous les hommes, puisqu'elle force les ambitieux à affecter tous les hommes de tristesse, et empèche la constitution de démocraties véritables, dans lesquelles le gouvernement naît non pas d'une passion comme l'ambition, mais d'un désir rationnel.
Mais le pire est que les avares et les ambitieux, autrement dit les riches et les puissants, vivent eux-mêmes dans la crainte constante et la peur, et pour finir sont forcés de se cacher dans des forteresses et des zones sécurisées, et ils créent eux-même leur propre malheur.
Pour ce qui est de votre troisème objection, il me semble que le désir de faire des enfants et de les éduquer ne naît pas de la lubricité, car les plaisirs de la lubricité sont à eux même leur propre fin. Et pour ce qui est du désir de concevoir et d'éduquer des enfants, il peut évidemment naître de la raison, et à la limite n'a rien à a voir avec la sexualité et ses plaisirs.

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Messagepar Enegoid » 31 mars 2007, 18:59

L’icône Spinoza ?
J’ai l’impression que la positivité, qui est une des valeurs caractéristiques de l’œuvre de Spinoza, conduit trop facilement à interpréter les actes de sa vie comme si Spinoza se comportait toujours en Spinoziste parfait.
Ainsi on dit qu’il a quitté volontairement les richesses comme si le fait que l’entreprise Spinoza ait été dirigée par sa demi-sœur et son beau-frère n’ait pas pu induire une dose possible de conflit de pouvoirs. On dit également qu’il a renoncé volontairement au mariage, comme si le fait que son rival en amour ait poussé les feux (cadeaux, conversion) pour convaincre leur élue commune de se marier avec lui n’y était pour rien. On dit qu’il n’a pas connu la gloire parce qu’il a été combattu, alors qu’on lui propose un poste universitaire à Heidelberg et que sa biographie (Colerus) commence par la phrase « Spinoza, ce philosophe dont le nom fait tant de bruit dans le monde… »).
J’aime bien l’homme Spinoza, ou plutôt l’image que je me fais de lui (une imagination par ou¨-dire, forcément) mais ce n’est pas une icône !

L’extrême péril…
Je propose d’abandonner la discussion sur les périls. Dans mon esprit je reliais la phrase à des événements dramatiques de sa vie (suicide d’ Uriel da Costa, excommunications de Spinoza, menaces diverses etc.). Mais je ne pense pas que l’on puisse véritablement savoir.

Les marchands

Vous dites :
"Ainsi vous considérez que les marchands et les hommes politiques sont utiles, c'est à dire bons pour l'ensemble de l'humanité ?"

Ma réponse est oui, positivement. Les fonctions de marchands, les fonctions politiques, et bien d'autres doivent être remplies : ce sont des fonctions utiles (notons, en passant, que Spinoza lui-même a existé comme fils de marchand, dans un pays dominé par les marchands, qui était à l’époque un des refuges de la liberté). En tous cas, aucun groupe humain n’a pu s’en passer jusqu’à maintenant.
Et c’est bien la que le problème que je pose. Croyez-moi, je suis d’accord avec tout ce que vous dites par la suite !
Ma question, précisée en langage spinoziste est : est-ce que l’humanité, pour persévérer dans son être, peut faire autrement que de demander à certains (sinon la plupart) de ses membres de remplir des rôles non compatibles ou difficilement compatibles avec la recherche de la béatitude suprême ?

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Messagepar Amstel » 31 mars 2007, 20:19

Dans son Abécédaire Deleuze mentionne l'importance d'une double lecture de l'Ethique, l'une philosophique, l'autre non-philosophique. Il donne l'exemple d'un marchand qui pourrait lire l'Ethique en livre de poche et s'émouvoir comme s'il s'agissait d'une oeuvre musicale.

Dans le TRE, Spinoza insiste bien sur la différence qui existe entre biens recherchés comme fin et biens recherchés comme moyen. L'acquisition de l'argent est un vice pour ceux qui en font une fin en soi et s'en montrent fiers. Par contre, c'est un bien s'il se pose comme moyen d'atteindre le souverain bien. Par exemple, le désir d'acquérir de l'argent en vue de poursuivre des recherches intellectuelles, d'acquérir des connaissances et de les partager, est un bien aux yeux de Spinoza.

Je pense qu'un marchand, qu'un boulanger ou qu'un cordonnier, peut se retrouver dans la philosophie de Spinoza avec la même intensité qu'un professeur de philosophie. Voir la vidéo du cours de Pierre-Francois Moreau sur le début du TRE et le premier chapitre de son ouvrage sur l'expérience et l'éternité. Dans le cas contraire le spinozisme ne serait qu'un élitisme assez insupportable.

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Messagepar Faun » 31 mars 2007, 20:46

Enegoid a écrit :L’icône Spinoza ?

Ainsi on dit qu’il a quitté volontairement les richesses comme si le fait que l’entreprise Spinoza ait été dirigée par sa demi-sœur et son beau-frère n’ait pas pu induire une dose possible de conflit de pouvoirs.
On dit également qu’il a renoncé volontairement au mariage, comme si le fait que son rival en amour ait poussé les feux (cadeaux, conversion) pour convaincre leur élue commune de se marier avec lui n’y était pour rien. On dit qu’il n’a pas connu la gloire parce qu’il a été combattu, alors qu’on lui propose un poste universitaire à Heidelberg et que sa biographie (Colerus) commence par la phrase « Spinoza, ce philosophe dont le nom fait tant de bruit dans le monde… »).


Si la recherche de la richesse et de l'amour sensuel a entrainé pour Spinoza des luttes et des conflits avec sa famille et ses contemporains, je n'y vois qu'une raison de plus pour lui de se méfier de ces biens, et de les abandonner. Si pour obtenir un bien on récolte la haine, est-ce encore un bien ?
Quant au poste de professeur d'université, cela ne constitue pas une gloire, juste un emploi ordinaire et banal.

L’extrême péril…
Je propose d’abandonner la discussion sur les périls. Dans mon esprit je reliais la phrase à des événements dramatiques de sa vie (suicide d’ Uriel da Costa, excommunications de Spinoza, menaces diverses etc.). Mais je ne pense pas que l’on puisse véritablement savoir.


Si la crainte de penser avait affecté Spinoza, aurait-il écrit l'Ethique, et aurait-il publié le traité théologico-politique ? On peut au moins lui reconnaître ce courage là, non ? Or Spinoza affirme que le bien suprême se trouve dans la capacité de penser et de comprendre, et il en fait la joie suprême à laquelle les hommes puissent prétendre. C'est cette certitude qui lui fit considérer tout le reste comme néfaste, même si tout le monde reste persuadé, aujourd'hui comme hier, que c'est dans l'amour, la célébrité et le luxe que réside le bonheur.

Les marchands

Vous dites :
"Ainsi vous considérez que les marchands et les hommes politiques sont utiles, c'est à dire bons pour l'ensemble de l'humanité ?"

Ma réponse est oui, positivement. Les fonctions de marchands, les fonctions politiques, et bien d'autres doivent être remplies : ce sont des fonctions utiles (notons, en passant, que Spinoza lui-même a existé comme fils de marchand, dans un pays dominé par les marchands, qui était à l’époque un des refuges de la liberté).



Une liberté tellement grande qu'il n'a même pas pu publier sa philosophie, marrons nous ! Il faut arrêter avec la légende dorée des Pays-bas, ce n'était pas les Pays-bas d'aujourd'hui, loin de là.

La production et la distribution des biens matériels n'ont pas besoin d'être marchands pour exister, que je sache. Les hommes ont vécu pendant des milliers de siècles sans avoir la moindre idée des monnaies, et pourtant ils vivaient, fabriquaient, récoltaient, chassaient, tissaient, construisaient, etc. etc. Idem pour la politique, qui n'a pas besoin d'engendrer une profession à part pour exister et fonctionner. C'est du reste la vision de Spinoza qui a toujours proné les mandats très courts et non renouvelables, afin précisément d'éviter la constitution d'une caste aristocratique, d'où découle la monarchie, c'est à dire la tyrannie et la perte de la liberté de tous. Relisez le traité politique.

Ma question, précisée en langage spinoziste est : est-ce que l’humanité, pour persévérer dans son être, peut faire autrement que de demander à certains (sinon la plupart) de ses membres de remplir des rôles non compatibles ou difficilement compatibles avec la recherche de la béatitude suprême ?


Oui. Avec des machines par exemple.

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Messagepar Faun » 01 avr. 2007, 10:36

Tiens je n'avais pas vu ça :

Les circonstances les plus fréquentes de la vie sont telles que Dieu l’a voulu de toute éternité. Ce sentiment de vanité/futilité est une affection. Ce n’est pas une idée adéquate.


La volonté de Dieu ? Cela n'existe pas pour Spinoza. C'est l'asile de l'ignorance. voir l'appendice de la première partie.
Les sentiments de vanité et de futilité sont des affections ? Ce serait plutôt à rapprocher du concept d'inutile, c'est à dire nuisible, autrement dit mauvais. voir la définition 2 partie 4
Ce n'est pas une idée adéquate ? "Il n'est pas d'affection du corps dont l'esprit ne puisse former une idée adéquate." proposition 4 partie 5.

Prétendre qu'un sentiment n'est pas une idée adéquate précisément parce que c'est un affect, c'est aller à l'encontre de toute la pensée de Spinoza, qui au contraire s'attache à comprendre clairement et distinctement toute chose, et surtout nos affects, bons ou mauvais. C'est ce qu'affirme l'introduction de la partie 3 de l'Ethique. D'autre part dire que Dieu a voulu de toute éternité que certaines choses soient futiles, c'est parler comme un croyant, comme un prêtre, mais pas comme un philosophe. Cela sous entend en effet que Dieu a fait le monde pour les hommes, et a tout prévu pour eux, ce que Spinoza réfute dans l'appendice de la partie 1.

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Messagepar Enegoid » 01 avr. 2007, 13:04

Je pense qu'un marchand, qu'un boulanger ou qu'un cordonnier, peut se retrouver dans la philosophie de Spinoza avec la même intensité qu'un professeur de philosophie. Voir la vidéo du cours de Pierre-Francois Moreau sur le début du TRE et le premier chapitre de son ouvrage sur l'expérience et l'éternité. Dans le cas contraire le spinozisme ne serait qu'un élitisme assez insupportable.


Effectivement, c’est bien la question. Pour la rendre un peu plus actuelle, je prendrais aussi les exemples d’ouvrières de poissonneries, de cadres stressés, de téléphonistes de call centers, etc.

Si pour obtenir un bien on récolte la haine, est-ce encore un bien ?


Je ne crois pas qu’il y ait une réponse absolue à cette question. Il s’agit plus d’une question de circonstances. Pensez au radeau de la méduse (pour prendre un exemple extrême).

On peut au moins lui reconnaître ce courage là, non ?

Ce n’est pas la question. Bien sûr que Spinoza est un exemple de courage de penser.

Il faut arrêter avec la légende dorée des Pays-bas, ce n'était pas les Pays-bas d'aujourd'hui, loin de là.


Cette légende n’est pourtant pas tout à fait inventée. Lisez le début de la biographie de Spinoza par R. Caillois. Et je n’ai pas dit que les Pays Bas étaient « parfaits ».

Vous avez une idée de cette « chose » du monde qu’on appelle les marchands. J’en forme une autre qui semble différente. Mais parlons nous de cette chose ou bien des affections que nous avons l’un et l’autre à l’idée de cette chose ? S’il est utile que je mange, il est utile que quelqu’un me vende de quoi manger. Si vous souhaitez associer à cette « chose » le concept de monnaie, nous entrons dans une discussion qui déborde largement le cadre de ce forum.

La volonté de Dieu ? Cela n'existe pas pour Spinoza. C'est l'asile de l'ignorance. voir l'appendice de la première partie.

Voir aussi la proposition 29 de ET1 : …tout y est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister ».
Je veux bien sans aucun problème remplacer « volonté de Dieu » par « nécessité de la nature divine ».

Je dis que nous pouvons nous former une idée adéquate d’un sentiment (affection) mais que le sentiment lui-même n’est pas une idée. Mais il est vrai que j’ai un peu de mal avec ET5, p4. (à cause de ET2 p28).

(Pouvez-vous me dire comment on fait pour personnaliser les citations?)

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Amstel
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Messagepar Amstel » 01 avr. 2007, 20:55

Citation:
Je pense qu'un marchand, qu'un boulanger ou qu'un cordonnier, peut se retrouver dans la philosophie de Spinoza avec la même intensité qu'un professeur de philosophie. Voir la vidéo du cours de Pierre-Francois Moreau sur le début du TRE et le premier chapitre de son ouvrage sur l'expérience et l'éternité. Dans le cas contraire le spinozisme ne serait qu'un élitisme assez insupportable.



Effectivement, c’est bien la question. Pour la rendre un peu plus actuelle, je prendrais aussi les exemples d’ouvrières de poissonneries, de cadres stressés, de téléphonistes de call centers, etc.


Il s'agit avant toutes choses d'arriver à une idée adéquate de soi-même, de vivre dans la cause adéquate de ses désirs et de se comprendre par là-même comme mode déterminé d'une substance libre.

Il ne s'agit nullement de vivre comme Spinoza ou d'enseigner la philosophie spinoziste. Il y a actuellement en première page de ce site un article sur le désir mimétique de Girard. Il s'agit d'être soi-même le plus totalement et le plus radicalement possible et de se comprendre et de s'accepter comme tel.

Si j'étais ouvrier dans une poissonnerie je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour m'élever chaque jour d'un degré vers moins de servitude et davantage de liberté. L'affirmation de sa puissance est déjà une joie.


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