tre §1 (de l'expérience au désir de la joie)

Lecture pas à pas du Traité de la Réforme de l'Entendement. Utilisez s.v.p. la numérotation caillois pour indiquer le paragraphe que vous souhaitez discuter.
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guidel76
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Messagepar guidel76 » 10 avr. 2007, 23:59

Enegoid a écrit :Je vais faire gros.

On perçoit dans vos textes de la haine (contre les marchands, la monnaie, etc.), de la tristesse (devant le triomphe de la bêtise), des affects, donc, à contenir en bon spinozistes, et à remplacer par des affections de joie nées de la connaissance des choses qui vous affectent, cad provenant d'idées adéquates de la monnaie, des marchands, du travail etc.


Ouh là !!

Non, pas vraiment.

Je crois que faire le constat que l'aliénation se renforce par le fait même de l'organisation sociale qui est la notre ne vaut pas acte de haine.
Comme je l'indiquais, je ne crois pas que le marchand soit un voleur, ni même un méchant homme, ni que la monnaie soit problématique en tant que telle. Je crois cependant que cette fameuse société de consommation qui est au coeur de ce débat encourage grandement le triomphe de valeurs passionnelles, qu'elle tend à imposer de l"en soi" non questionné (la pub joue précisément sur la psychologie telle que Spinoza l'analyse en E3, pour laisser au désir et à l'imagination le soin de construire l'échelle des valeurs - on se retrouve alors avec de l'écran plat bien en soi, etc.).

Si vous notez avec justesse qu'on a tendance à avoir une moins bonne opinion qu'il n'est juste de la chose qu'on a en haine, souvenez-vous également qu'on a également une meilleure opinion qu'il n'est juste de celle qu'on aime (même référence :wink: ). Je pourrais aussi bien vous retourner le compliment...
La première étape vers la connaissance et une joie active (car méfiez-vous, la joie est le plus souvent passive : spontanément, elle est sous le même régime que la tristesse....), c'est de considérer froidement ce que nous avons à considérer.

Ni tristesse, ni haine, mais ni joie, ni amour. Sans quoi nous risquons de leur attribuer une valeur que cela n'a pas.

Alors simplement... regardez la télé ce soir, jetez un oeil à la pub, et dites-moi ce à quoi elles nous invite. Que délivre-t-elle comme "connaissance" ? 1er genre ? 2ème ? 3ème ?
Sollicite-t-elle plus votre raison ou votre imagination ?

Ce point mis à part, je ne vois pas en quoi exprimer une réserve quant à l'enthousiasme général pour la dite consommation peut témoigner de la haine pour qui que ce soit. Et au passage, Spinoza lui-même se serait, dit-on, fendu d'un panneau pour indiquer à ses contemporains qu'ils se conduisaient comme des barbares à l'occasion de l'assassinat des frères De Witt. Etait-ce de la haine de l'humanité ?

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Amstel
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Messagepar Amstel » 11 avr. 2007, 06:11

Il n'y avait pas de haine, seulement le désir d'être lucide et de faire connaître certains rouages de notre société marchande.

La télévision m'affecte de tristesse, je ne la regarde plus depuis longtemps. Ecoutons plutôt l'Abécédaire de Gilles Deleuze: "La multiplicité des chaînes c'est la même nullité présentée une infinité de fois".

Pourquoi les informations télévisuelles sont-elles si souvent négatives et tristes? N'exagérons rien, il n'y a pas que des mauvaises nouvelles. N'est-ce donc pas pour mettre en valeur l'aspect positif et joyeux des messages publicitaires qui les encadrent? L'objet de la télévision n'est pas d'informer objectivement le spectateur mais de l'attrister afin de l'assujettir en consommateur, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes marchands possibles.

Voici un extrait d'un cours de Deleuze sur Spinoza. Ce qu'il dit du tyran et du prêtre il pourrait aussi le dire du marchand:

"Qu'est-ce que, pour Spinoza, il y a de commun entre un tyran qui a le pouvoir politique, un esclave et un prêtre qui exerce un pouvoir spirituel ? Est ce quelque chose de commun qui va faire dire à Spinoza : "Mais ce sont des impuissants" ? C'est que d'une certaine manière voilà, ils ont besoin d'attrister la vie. C'est une vieille idée. Nietzsche aussi dira tout à fait des trucs comme ça. Ils ont besoin de faire régner la tristesse. Spinoza pense comme ça, il le sent. Il le sent très profondément. Ils ont besoin de faire régner la tristesse parce que le pouvoir qu'ils ont, ne peut être fondé que sur la tristesse."

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Faun
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Messagepar Faun » 12 avr. 2007, 09:25

Enegoid a écrit :"La haine n'est rien d'autre que la tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure"

ET3 p13 scolie

"Ainsi voyons-nous qu'il arrive facilement qu'un homme ait... de la chose qu'il hait une opinion moins bonne qu'il n'est juste"
ET3 p26 scolie


Donc j'ai des marchands, de l'argent, de l'avarice et de la richesse une opinion moins bonne qu'il n'est juste. Que voulez-vous démontrer exactement ? Est-ce donc que les marchands sont les vrais sages, que l'argent est l'utile qui est commun à tous, que la cupidité est la vertu suprême, et que la richesse est le souverain bien ? C'est cela que vous déduisez de votre lecture de Spinoza ? Croyez-vous vraiment que la philosophie de Spinoza approuve le capitalisme naissant aux pays-bas au XVIIe siècle ?

Pensez-vous sincèrement qu'il ne peut pas exister de meilleur système d'échange et de distribution des biens matériels sur cette planète ?

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Messagepar Enegoid » 12 avr. 2007, 13:35

A Amstel :
« La télévision m'affecte de tristesse, je ne la regarde plus depuis longtemps »

Vous avez ainsi raté une belle émission sur France 2 le mardi 10 avril, sur les débuts de la civilisation. Emission « d’esprit spinoziste » selon moi, cad cherchant à comprendre les causes d’apparition des choses telles que l’argent, les marchands, le partage du travail, le pouvoir, la propriété etc.

A Guidel76
Je suis d’accord avec ce que vous dites. Sauf que je ne suis pas du tout un « défenseur » de la société de consommation. Elle est là, c’est tout, et comme tout le monde j’essaye de vivre au mieux en en faisant partie. Bien sur que la pub fait appel à notre imagination !
Nous pouvons tous être indignés par certaines choses, et agir en fonction. Mais agir en fonction, c’est toujours « pâtir ».

A Faun :
« Pensez-vous sincèrement qu'il ne peut pas exister de meilleur système d'échange et de distribution des biens matériels sur cette planète ? »
Aucune idée. Mais je pense qu’il n’est pas vraiment possible d’organiser un système exempt des tensions fortes nées de l’avidité, de l’exploitation etc.


Fin de l’Ethique :
« Et certes, cela doit être ardu qui se trouve si rarement. Car comment serait-il possible,si le salut était là, à notre portée et qu’on pût le trouver sans grande peine, qu’il fut négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est très précieux est aussi difficile que rare. »
Mon interprétation est que Spinoza nous dit quelque chose du genre : « Montez sur l’Everest vous aurez une vue splendide. Mais c’est difficile. Ne comptez pas que beaucoup d’autres le fassent (et si d’aventure, beaucoup le faisaient ce serait autre chose).
Conséquence : ceux qui veulent faire comme moi seront toujours un petit nombre.
Et faire comme moi, cela veut dire aussi, il faut bien le reconnaître, tirer son épingle du jeu du travail, si on le peut.
Cette formule « tirer son épingle du jeu du travail » se trouve quelque part dans une autre Ethique, celle des séminaires de Lacan. Et c’est elle qui me pose problème chez Spinoza (bien qu’il ait poli des lentilles).

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Amstel
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Messagepar Amstel » 13 avr. 2007, 05:43

Enegoide a écrit :Mon interprétation est que Spinoza nous dit quelque chose du genre : « Montez sur l’Everest vous aurez une vue splendide. Mais c’est difficile. Ne comptez pas que beaucoup d’autres le fassent (et si d’aventure, beaucoup le faisaient ce serait autre chose).


Pardonnez-moi, mais je ne pense pas qu'il faille pour Spinoza "monter sur l'Everest" car il me semble que nous y sommes déjà, dès l'instant ou nous percevons les choses, toutes les choses, dont les hommes, sub specie aeternitatis. Dieu n'est pas seulement au sommet.

Il n'y a pas non plus d'un côté les purs et de l'autre les impurs. Les acteurs de la société de consommation: marchands, consommateurs, travailleurs, épargnants sont tous des éléments de Dieu et doivent être perçus comme tels, un peu comme un entomologiste qui observe des fourmis, ou mieux, et non sans humour, comme Spinoza observant des mouches prises au piège par une araignée et sa toile.

Enegoide a écrit :Cette formule « tirer son épingle du jeu du travail » se trouve quelque part dans une autre Ethique, celle des séminaires de Lacan. Et c’est elle qui me pose problème chez Spinoza (bien qu’il ait poli des lentilles).


Ce que je comprends de Spinoza c'est qu'il faut travailler et participer à la vie sociale mais tout en faisant de la connaissance l'affect principal: "...je résolus enfin de rechercher s'il y aurait quelque chose qui fût un bien vrai, et qui pût se partager, et qui, une fois rejeté tout le reste, affectât l'âme tout seul;..." (TRE1. traduction Pautrat)

« Tirer son épingle du jeu du travail », c'est très bien dit. Pourquoi est-ce que cette formule vous pose un problème?

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Faun
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Messagepar Faun » 13 avr. 2007, 10:21

Enegoid a écrit :Aucune idée. Mais je pense qu’il n’est pas vraiment possible d’organiser un système exempt des tensions fortes nées de l’avidité, de l’exploitation etc.


Vous êtes étonnant. En effet, quoi de plus naturel que la la haine, la colère, le désir de vengeance, et les tensions fortes que ces affects engendrent ? Est-il donc impossible d'imaginer un système qui soit exempt de ces vices ? A quoi peut donc bien servir la justice, la police, la prison, si ces affects sont insurmontables ? Il en va de même de l'amour-passion et de son inévitable désir de possession, de la cupidité et de l'avarice. Seulement, notre socièté fait de ces vices des vertus. Tout le problème est là.

Sauf que je ne suis pas du tout un « défenseur » de la société de consommation. Elle est là, c’est tout, et comme tout le monde j’essaye de vivre au mieux en en faisant partie. Bien sur que la pub fait appel à notre imagination !


Non la société capitaliste n'est pas chose naturelle comme la Terre ou le Ciel, elle est une construction humaine, elle peut être modifiée voire détruite si elle ne nous convient pas. Et ce système convient à dix pour cent de la population du monde tout au plus, et force le reste à vivre des déchets des autres.

Nous pouvons tous être indignés par certaines choses, et agir en fonction. Mais agir en fonction, c’est toujours « pâtir ».


Si j'agis en fonction de l'indignation que me fait éprouver quelque chose, je pâtis certainement. Mais si je comprend la cause de la tristesse, qui engendra l'indignation, et si j'en forme une idée claire, adéquate, comme par exemple l'idée adéquate d'avarice tel que cet affect est défini par Spinoza, et si je rattache cette idée à la société capitaliste, et si je dis que ce système tout entier repose repose sur ce seul affect, alors je ne pâtis plus. Et mieux, je peux me révolter, et dénoncer la démence et le délire de ce système, c'est à dire agir vraiment.
Je peux ne plus pâtir, comme un faible, qui croit que le capitalisme est aussi invincible que la lumière du soleil, mais agir comme un homme libre qui veut choisir son destin et sa vie.

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Messagepar Enegoid » 13 avr. 2007, 15:00

Je m'absente quelques jours et reprendrait cette conversation à mon retour si vous êtes toujours là et encore intéressés.
Cordialement

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Messagepar Enegoid » 25 avr. 2007, 12:02

Bonjour

A Amstel

Pardonnez-moi, mais je ne pense pas qu'il faille pour Spinoza "monter sur l'Everest"


Relisez bien la phrase de la fin de l'Ethique citée. Spinoza parle de choses "ardues", "difficiles". L'image de l'Everest est simplement une traduction de ces adjectifs.

« Tirer son épingle du jeu du travail », c'est très bien dit. Pourquoi est-ce que cette formule vous pose un problème?

Parceque si tout le monde tire son épingle du jeu nous ne mangerons plus (image).

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Messagepar Enegoid » 25 avr. 2007, 12:26

Bonjour

A Faun

Est-il donc impossible d'imaginer un système qui soit exempt de ces vices ?


On peut toujours imaginer. La question est de ne pas imaginer des arbres qui parlent (par exemple).

Les vices existaient avant le système capitaliste. Ce n'est donc pas lui qui est la cause, il me semble que c'est plutôt l'inverse, cad que l'avidité a servi de moteur à la construction progressive de ce système.

A quoi peut donc bien servir la justice, la police, la prison, si ces affects sont insurmontables ?

Ils servent à contenir les effets négatifs des affects et permettent aux hommes de continuer à vivre ensemble.

Non la société capitaliste n'est pas chose naturelle comme la Terre ou le Ciel, elle est une construction humaine,

L'homme fait partie de la nature et tout ce que fait l'homme fait partie de la nature.

Et ce système convient à dix pour cent de la population du monde tout au plus, et force le reste à vivre des déchets des autres.


Cela fait beaucoup réfléchir, effectivement.


je peux me révolter

Contre quoi peut-on se "révolter" ? Toute la question est là. N'oubliez pas que "système capitaliste" est un "être de raison" qui n'existe pas.

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Messagepar Enegoid » 25 avr. 2007, 12:28

Bonjour

A Faun

Est-il donc impossible d'imaginer un système qui soit exempt de ces vices ?


On peut toujours imaginer. La question est de ne pas imaginer des arbres qui parlent (par exemple).

Les vices existaient avant le système capitaliste. Ce n'est donc pas lui qui est la cause, il me semble que c'est plutôt l'inverse, cad que l'avidité a servi de moteur à la construction progressive de ce système.

A quoi peut donc bien servir la justice, la police, la prison, si ces affects sont insurmontables ?

Ils servent à contenir les effets négatifs des affects et permettent aux hommes de continuer à vivre ensemble.

Non la société capitaliste n'est pas chose naturelle comme la Terre ou le Ciel, elle est une construction humaine,

L'homme fait partie de la nature et tout ce que fait l'homme fait partie de la nature.

Et ce système convient à dix pour cent de la population du monde tout au plus, et force le reste à vivre des déchets des autres.


Cela fait beaucoup réfléchir, effectivement.


je peux me révolter

Contre quoi peut-on se "révolter" ? Toute la question est là. N'oubliez pas que "système capitaliste" est un "être de raison" qui n'existe pas.


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