TRE §10 (l'amour de l'éternel)

Lecture pas à pas du Traité de la Réforme de l'Entendement. Utilisez s.v.p. la numérotation caillois pour indiquer le paragraphe que vous souhaitez discuter.
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Gael
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Messagepar Gael » 15 févr. 2008, 22:25

Je suis désolé d'arriver ainsi en cours de débat, j'ai faillit ouvrir un autre sujet tant votre conversation parrait intéressante, je ne voulais pas la faire dériver, mais bon.

Si je comprend bien, ici, c'est le topic pour le tout début du TRE ? Si je me suis trompé, qu'on m'en excuse.
Bon, je me suis posé quelques questions, assez superficielles, je l'admet, en lisant le tout début du Traité de la Réforme de l'Entendement.

Spinoza, dans son TRE a écrit :10. Au contraire, l'amour qui a pour objet quelque chose d'éternel et d'infini nourrit notre âme d'une joie pure et sans aucun mélange de tristesse, et c'est vers ce bien si digne d'envie que doivent tendre tous nos efforts. Mais ce n'est pas sans raison que je me suis servi de ces paroles : à considérer les choses sérieusement ; car bien que j'eusse une idée claire de tout ce que je viens de dire, je ne pouvais cependant bannir complètement de mon coeur l'amour de l'or, des plaisirs et de la gloire.


Si je saisis bien, Spinoza indique ici qu'il désire écarter or amour et gloire comme seule fin, et qu'il vise à un bonheur plus intense et véritable.
Or, assez sotement, je vous l'accorde, ce paragraphe m'a inspiré la petite réflexion suivante :
Bien que je ne sois un spécialiste en la matière, il me semblait que l'infini et l'éternité soient une seule et même chose puisqu'en somme, l'éternité est l'infini du temps. Je cherchais donc quelque chose qui soit à la fois éternel et infini, et la seule "chose" que j'ai cru trouver qui corresponde un tant soit peu à ces caractéristiques, c'est l'univers, avec les milliards de galaxies et tout et tout. Je me demandais donc si par hasard, Spinoza ne nous dirait pas d'aimer l'univers dans son ensemble, un peu comme l'extase chamanique qui consisterait à se libérer de son ego, de la conscience d'exister en tant qu'individu pour tomber en état de contemplation casi-mystique.
Et ensuite, en me renseignant un peu sur le sieur Spinoza, j'ai découvert qu'on le considérait comme une figure du panthéisme. Ce qui revient au même : aimer l'univers ou considérer le Tout comme un dieu, c'est à peu près la même chose.
Or, je ne me crois pas intelligent au point de penser sérieusement avoir si bien compris. Donc, je voulais savoir ce que vous autres, plus rompus à la philosophie de Spinoza, en pensiez.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 16 févr. 2008, 15:38

Bonjour Gael,
Comme votre question porte sur le paragraphe 10 alors que le sujet que vous aviez repris concernait le §1, j'ai créé un nouveau sujet.

Je pense que vous êtes loin d'avoir mal compris la chose. Au stade où il en est, dans ce paragraphe 10, Spinoza se contente de faire une remarque de bon sens : pour que son aspiration à une joie éternelle et suprême puisse s'accomplir, il lui faut un objet lui-même éternel et infini. Car c'est l'amour des objets périssables (car finis) qui conduit les hommes à se nuire car si les biens recherchés sont finis, on ne peut les partager. Et, quand un peu de lucidité fait place, l'impossibilité de trouver une satisfaction solide dans cet amour là les conduit aussi à s'effarer de toute cette poursuite de vent qui les occupe ordinairement. Ainsi, la vie humaine ordinaire oscille, comme le verra plus tard Schopenhauer, entre souffrance et ennui.

Au contraire, en aimant un objet infini et donc éternel, ils peuvent être utiles les uns aux autres, sans que personne ne soit réduit à un simple moyen : pas de lutte pour un objet qui ne peut être divisé mais au contraire coopération à sa connaissance et/ou à sa jouissance (connaître étant ici à prendre au sens biblique d'union intime de l'amant et de l'aimé). Et si cet objet infini n'est pas illusoire, il pourra satisfaire l'aspiration infinie qui est au cœur du désir humain.

Note au passage : on trouve aussi chez Pascal cette idée qu'il y a en l'homme une aspiration à l'infini que seul un être infini peut satisfaire, mais il le fait encore dans un cadre platonicien : l'infini est envisagé comme objet de manque, ce qui amène à envisager le désir comme sentiment d'impuissance par rapport à l'Objet absent. Chez Spinoza, le désir, tel qu'il sera théorisé dans l'Éthique, est puissance d'être affecté. Puissance car expression de la puissance infinie de produire de la Substance unique et infinie (Dieu ou nature). Le désir n'est donc pas privation de l'infini mais au contraire son expression directe. Comme cette expression concerne un mode fini de cette substance, elle ne peut produire immédiatement et absolument ses propres objets de satisfaction. Seulement, ce n'est pas comme manque d'un objet transcendant que le désir fonctionne, mais comme débordement de puissance hors des limites d'un être fini donné.

Alors quel est l'objet éternel et infini sur lequel il s'agit de se concentrer pour connaître une satisfaction véritable ? Spinoza donne des pistes au paragraphe 13 : l'homme ordinaire, soumis aux passions pour les objets périssables, est d'une nature telle qu'il ne peut connaître la plénitude. Il s'agit de parvenir à une nature différente, plus accomplie en fait, dans laquelle la vie s'épanouit davantage : cette nature consistera alors dans "la connaissance de l'union de l'âme humaine avec la nature tout entière".

Pourquoi la nature plutôt qu'un Dieu transcendant ? Parce que s'il est transcendant, il est clair qu'il ne peut être atteint pour constituer un objet de satisfaction possible. Mais plus profondément, cet Être infini ne peut être transcendant car alors on ne pourrait expliquer pourquoi et comment nous pouvons le désirer. En effet, dans l'hypothèse d'une cause transcendant ses effets (la dépassant absolument), il n'y a plus aucune possibilité pour les effets de revenir à la cause, ne serait-ce qu'à titre d'objet de désir. En revanche, si la cause est immanente, les effets n'en sont pas séparés, ils peuvent la trouver immédiatement en eux-mêmes.

Quel est donc cet substance immanente, éternelle et infinie ? L'Ethique le montrera : c'est l'extension, qu'on pourrait dire aussi expansion, cette activité d'être en 3, 4 ou n dimensions, immédiatement présente en tout corps, en dehors de laquelle rien ne peut être et que rien ne peut donc générer ou corrompre (un corps pouvant en générer/corrompre un autre, mais pas l'extension en soi) [et c'est aussi la cogitation ou pensée de cette extension, qui n'est rien d'autre que cette extension même en tant qu'elle se pense mais c'est un autre problème]

Cet être infini n'est donc pas exactement l'univers, si par là on entend la nature naturée (ensemble des corps existant à un moment m, de façon uniquement relative à l'existence d'un corps C de cet univers). Mais si on entend cette unité de toute chose, donc chaque chose est l'expression immédiate et à laquelle chaque chose tend comme à l'affirmation de sa propre nature, alors l'uni-vers (l'unité vers laquelle on va) est un nom correct.

On peut voir certains rapprochements avec ce qui est recherché dans les expériences d'extase où le sujet saisit comme sensiblement et donc obscurément l'identité à l'Objet et en tire une connaissance censée lui permettre d'aider ses proches. Mais l'approche spinozienne restera intellectuelle, non pas au sens d'une cérébralité coupée de toute affection du corps, mais d'une claire vision du rapport d'immanence entre les causes et les effets - ce qui évitera entre autres la superstition selon laquelle cette vision permettrait d'accéder à des pouvoirs surnaturels.

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lefada
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Messagepar lefada » 21 janv. 2009, 20:11

Bonsoir Henrique!
Sur la base que tu donnes dans ton dernier post, pourrais-tu m'expliquer l'origine de la jalousie et comment, en exerçant le discernement, on peut guérir de cet affect?
J'aimerais savoir précisément si c'est l'identification à l'objet aimé(sensualité) qui est source d'excès et dans quelle mesure la raison peut nous amener à faire preuve de sagesse pour atteindre la sérénité ou si c'est le manque de confiance en soi qui est, selon Spinoza, le bien suprême, qui nous empêche d'être dans la pleine puissance de notre être et donc, d'éviter cet écueil de la vie amoureuse?
Parce que, si nous sommes déterminés, je ne comprends pas en quoi la nécessité d'être reconnu(gloire) peut trouver un changement! Je m'explique : si quelqu'un a eu, depuis tout petit, l'habitude de séduire à outrance pour être vu, à cause de la négligence ou du manque de disponibilité des parents, comment réagira-t-il le jour où il tombera sur quelqu'un qui n'a pas du tout les mêmes besoins et qui s'offusque de son comportement. Dans un cas comme dans l'autre, aucun des deux personnages, s'il veut rester dans la puissance de son être, ne peut faire de concession raisonnable. Et comment comprendre quand l'un cherche à briller au détriment de l'autre(même si c'est involontaire?).
Sans chercher quelconque pouvoir surnaturel, je me demande comment, à partir de ta démonstration, on peut trouver l'infini dans une situation finie. Si l'amour est une joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure, je n'arrive pas à comprendre comment une chose finie et déterminée pourrait être perçue comme la continuité d'une substance infinie et éternelle et sous quelle forme elle peut repaître l'âme d'une joie pure, d'une joie exempte de toute tristesse; bien grandement désirable et méritant qu'on le cherche de toutes ses forces?


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