TRE - § 9 à 13

Lecture pas à pas du Traité de la Réforme de l'Entendement. Utilisez s.v.p. la numérotation caillois pour indiquer le paragraphe que vous souhaitez discuter.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 01 sept. 2009, 00:51

Bonjour Bardamu,

comme promis, reprenons ce que tu dis en détail.

Bardamu a écrit :Bonjour Louisa,
c'est pas pour dire mais j'ai comme une impression de déjà-vu...


certes ...

Bardamu a écrit :Je ne crois pas que Serge soit là dans des questions "techniques" sur le potentiel et l'actuel chez Spinoza et Aristote, d'autant plus qu'il s'agit de parler à quelqu'un qui débute à peine sa lecture.


En effet. Je dirais même: pour l'une ou l'autre raison (voir ci-dessous), il ne veut pas aborder ces questions, alors que pour les raisons que je viens d'expliquer dans mon dernier message, les aborder me semble être crucial, surtout lorsqu'on essaie de répondre à une question d'un débutant. C'est bien pourquoi je me suis permise d'intervenir dans la discussion.

Bardamu a écrit :On peut certes dire que Spinoza n'utilise pas les notions de "potentiel" comme Aristote, mais dans le langage commun il me semble qu'on saisit assez bien de quoi veut parler Serge.


Absolument. Etant moi-même usager quotidien du langage commun, je crois que je comprends parfaitement ce qu'on veut dire lorsqu'on utilise la notion de potentiel. Je dirais seulement "de potentiel" tout court, et non pas de "potentiel comme Aristote", puisqu'Aristote n'est que celui qui a inventé le "concept" du potentiel tel que l'utilise aujourd'hui le langage commun, c'est-à-dire qui a développé cette idée dans toutes ses conséquences logiques, et en cela, la notion du potentiel est signée "Aristote". Inversément, retourner à Aristote lorsqu'on discute du potentiel au sens commun du terme permet de mieux saisir ce que nous sommes en réalité en train de dire et de penser lorsqu'on utilise cette notion.

Pour moi, toute la question est: est-ce qu'on peut introduire cette idée de potentiel, tel que le comprend le langage commun, dans le spinozisme? Ma réponse était: pas du tout. Les deux types de pensées sont incompatibles, à ce sujet. Ceci a comme conséquence éthique importante que suivre la voie de Spinoza implique apprendre à laisser tomber tout ce que le langage commun associe à la notion du potentiel. Ce qui n'est pas une mince affaire .. .

Bardamu a écrit :Prenons E5p39 scolie :

Ethique, E5p39 Scolie a écrit :
C'est pourquoi notre principal effort dans cette vie, c'est de transformer le corps de l'enfant, autant que sa nature le comporte et y conduit, en un autre corps qui soit propre à un grand nombre de fonctions et corresponde à une âme douée à un haut degré de la conscience de soi et de Dieu et des choses ; de telle sorte qu'en elle ce qui est mémoire ou imagination n'ait, au regard de la partie intelligente, presque aucun prix, comme nous l'avons déjà dit dans le Schol. de la Propos. précédente.


Ce "autant que sa nature le comporte et y conduit" se comprend très bien dans le langage courant par "réaliser son potentiel".


Si je te comprends bien, tu donnes ici la même objection que celle déjà faite par Amstel et Durtal (ce qui n'est pas un reproche; ou bien tu n'as pas lu les messages concernés, ci-dessus, ou bien tu n'étais pas convaincu par ma réponse, ou bien ... ; tout cela me va).

Tu prends un passage de l'Ethique, et tu dis: je suis capable de donner un sens à ce que Spinoza dit ici en supposant qu'il parle d'une potentialité ("au sens du langage courant", si tu veux, mais pour moi cela revient à dire au sens d'Aristote; donc je dirais "potentialité" tout court).

Ma réponse était: on peut effectivement faire cela, rien ne nous empêche de d'abord présupposer que quelque chose comme une potentialité existe réellement, et ensuite de lire ainsi l'un ou l'autre passage chez Spinoza.

C'est que les passages principaux qui nous obligent à laisser tomber l'idée de potentialité se trouvent ailleurs. Il faut donc déjà les avoir étudier un peu sérieusement pour savoir que non, lire ce passage par les lunettes d'une quelconque potentialité ne va pas, il faut le lire autrement.

C'est pourquoi j'insiste tellement sur les arguments qui montrent que la puissance spinoziste n'est pas une potentialité (on en retrouve quelques-uns dans le dernier message à Amstel; les autres se trouvent de façon plus dispersée dans les messages à Sescho, puisqu'on y aborde simultanément un tas d'autres questions (le statut de l'être de raison, la différence entre l'essence de l'Homme et l'essence de l'homme, les notions Universelles, le souverain bien, la divinité du singulier ...). Car aussi longtemps qu'on ne les réfute pas, je ne peux que répondre à de telles objections qu'on peut tout aussi bien lire ces passages sans se référer à une quelconque potentialité.

D'ailleurs, si l'on fait vraiment attention aux mots qu'utilise Spinoza, je crois que dans une certaine mesure cela se laisse déjà déduire du passage cité ci-dessus.

Car qu'est-ce que Spinoza y dit?

Qu'on va essayer de transformer le corps de l'enfant, autant que sa nature le souffre et s'y prête, en un autre corps. C'est très différent que de dire qu'on va actualiser tout ce que peut ce corps d'enfant. On ne va pas actualiser ce que ce corps (son essence, c'est-à-dire son degré de puissance) quelque part saurait toujours déjà faire, non, on va carrément essayer de lui faire changer de corps (donc d'essence, donc de puissance). On ne va pas actualiser ce que ce corps est "en puissance", on va lui faire changer de puissance ou d'essence, on va passer d'une essence actuelle à une autre essence actuelle.

Bien sûr, pour réussir un tel changement d'essence, il faut tenir compte de la puissance du corps de l'enfant, c'est-à-dire de son aptitude à être affecter. On peut par exemple augmenter la puissance d'un corps d'enfant en lui faisant manger chaque jour d'excellentes choses. Cela (manger ces choses), son corps peut le faire. Là il s'agit d'une affection qui lui convient. Si en revanche on l'affecte chaque jour en lui donnant des pierres à manger, on agira de façon peu appropriée à l'essence même de ce corps, on se trompera d'essence, et on risque de rendre le passage à une autre essence, beaucoup plus puissante, définitivement impossible.

Ici il ne s'agit pas d'actualiser la "potentialité" qu'a le corps d'enfant de manger. Il s'agit de le faire manger, sans plus. Tout comme cela ne pas de sens de dire que lorsqu'on lui fait manger des pierres, on n'a pas actualisé sa puissance. Qu'il meure ne veut pas dire qu'il n'a pas actualisé sa puissance, cela veut dire qu'on n'a pas réussi à l'affecter d'une telle façon que d'une essence actuelle il a pu passer à une tout autre essence actuelle. Il en est resté à sa première essence actuelle, et cela sans doute parce c'était ce qui était nécessaire de toute éternité.

Inversément, comme Spinoza le dit dans le scolie de l'E4P39, ce n'est pas parce que nourrir un corps d'enfant avec des pierres le détruit, donc le fait mourir, que cela est la seule manière pour un corps de mourir. Autrement dit, dans le spinozisme "mourir" cela ne se produit pas uniquement lorsqu'un corps vivant change en cadavre. Le corps qui a une essence x n'en meurt pas moins en effectuant un beau jour une essence x + 100 que lorsqu'il change en cadavre.

C'est bien ce qui montre, encore une fois, me semble-t-il, que le passage du bébé à l'adulte n'est pas un bon exemple pour illustrer l'idée d'une actualisation ou réalisation de quelque chose que ce corps d'enfant ne contiendrait qu'en puissance. Donc même si on laisse un instant de côté les arguments qui permettent d'exclure la possibilité que chez Spinoza la puissance est une potentialité, des passages comme ceux-ci nous y mènent déjà naturellement, il me semble. A moins que tu voies une autre manière d'interpréter ce passage (c'est-à-dire, j'ai bien compris que tu crois qu'on peut y lire une potentialité, mais je suppose que tu ne fais cela que lors d'une première lecture (au sens de lecture non approfondie, où tous les éléments du passage cité sont activement pris en compte))?

Bardamu a écrit :Certes, ce potentiel est logiquement actuel, ce n'est pas un "monde possible" à la Leibniz, mais lorsqu'on n'entre pas dans un registre technique (Spinoza vs Aristote, Spinoza vs Leibniz etc.), lorsqu'on est dans le registre du langage courant ou celui d'une recherche de philosophie à vivre, je ne vois pas de problème à présenter Spinoza comme proposant une démarche de réalisation de soi, de mise en valeur de son potentiel, de libération maximale de ce qui nous coupe de ce qu'on peut comme dirait Deleuze.


comme je viens de le dire dans mon dernier message, identifier le langage courant à une "philosophie à vivre" me semble être une contradiction dans les termes. Comme si la philosophie n'a été inventée que pour satisfaire le désir "purement intellectuel" (au sens courant du mot) de quelques philosophes ... . Dès le début, Platon a dit qu'il nous faut la philosophie précisément parce que pour pouvoir vivre, le langage courant est totalement insuffisant.

Autrement dit, dissocier philosophie et recherche d'une meilleure manière de vivre pour moi revient à ôter l'âme même de la philosophie, le sens de son existence même. Simultanément, on lui enlève également toute efficacité concrète sur nos vies quotidiennes, on n'en fait qu'un "jeu intellectuel", on fait comme si ce dont il s'agit en philo ce ne sont que des "abstractions" faites pour "spécialistes", alors que si on lit un texte philosophique comme on lit un roman ou un article d'un journal, on pourrait (de façon miraculeuse) en tirer un grand profit pour la vie. Comme si ce profit pour la vie n'est qu'un "épiphénomène" de la philosophie, quelque chose qu'elle a pu produire "par surcroît", et cela uniquement lorsqu'on ne la prend surtout pas au sérieux mais qu'on la réduit le plus vite possible à ce contre quoi elle a été inventé, le langage courant (qui au niveau des idées correspond au sens commun).

Donc pour moi, c'est assez étonnant de lire qu'on pourrait trouver en philosophie d'une part des problèmes "techniques" et d'autre part des problèmes "réels" ou "de vie". C'est en réalité exactement le contraire: on n'a accès aux choses concrètes qu'elle a inventé dans le but explicite de changer nos vies quotidiennes pour de mieux que lorsqu'on s'efforce à prendre les mots au sérieux et donc à s'occuper nécessairement de problèmes "techniques".

En ce qui concerne l'actualité du potentiel: si je comprends bien ce que tu veux dire par là, à mon avis cela n'a pas beaucoup de sens, ou disons que je ne vois pas trop l'intérêt de dédoubler ainsi le sens d'actuel. Ou bien un potentiel existe, ou bien il n'existe pas. S'il n'existe pas, il n'y a tout simplement pas de potentiel. S'il existe, le potentiel c'est précisément ce qui n'existe qu'en tant que possibilité, mais qui doit encore subir pas mal d'actions avant que la possibilité (en tant que telle réelle, donc actuelle si tu veux) n'est plus possibilité mais réalité/actualité. Dire que le potentiel peut être actuel ou non, au sens qu'une potentialité peut exister ou non, cela revient à mon sens à rendre les choses compliquées, puisqu'on utilise le mot "actuel" alors dans deux sens différents (une fois au sens de "exister réellement", un autre fois au sens de "possibilité qui s'est réalisée"). Raison pour laquelle on dit d'habitude qu'une chose existe ou bien potentiellement, en puissance, ou bien réellement c'est-à-dire en acte.

Le bois est en puissance de la table. Cette possibilité de se transformer en table est toujours déjà réelle, en tant que possibilité. Mais le bois ne deviendra une table, donc n'actualisera le potentiel qu'il a d'être une table, que le jour où il a réellement la forme d'une table.

Ce n'est pas du tout d'une telle actualité que parle Spinoza lorsqu'il identifie l'essence et la puissance et lorsqu'il définit les deux sens qu'il va donner lui au mot "actuel". Si on dit que chez Spinoza toute essence est toujours déjà actuelle, cela signifie qu'aucune essence n'est là qu'en tant que possibilité, en tant que chose pas encore réalisée. Cela signifie notamment que "passer à l'existence dans un temps et un lieu précis" ne peut donc plus être interprété comme une "réalisation". L'essence qui n'existe qu'en Dieu et non pas dans un temps précis n'est pas moins réelle que lorsqu'elle existe aussi au sens d'être dit "durer".

Bardamu a écrit :Et je crois qu'aucun commentateur ne passe à côté de cet aspect essentiel de Spinoza, qu'il prenne ou pas des précautions oratoires pour distinguer le "potentiel actuel" spinozien d'un potentiel vs actuel chez Aristote.


d'abord, je ne connais aucun commentateur de Spinoza qui parle d'un "potentiel actuel". A mon avis, cela ne veut rien dire. Ou plutôt, tu veux dire par là que le potentiel est déjà existant, au sens où la possibilité existe en tant que possibilité. Mais dire que toute essence est actuelle, ce n'est pas dire que le potentiel en tant que potentiel est actuel, c'est dire qu'il n'y a pas de potentiel du tout, que tout est toujours déjà actuel.

Puis il se fait que les commentateurs contemporains que j'ai lu moi-même, rejettent tous la possibilité d'un potentiel (actuel ou non) chez Spinoza. Il se peut certes qu'ils se trompent tous, seulement, c'est précisément cela la question, donc il faudrait rentrer dans le débat de leurs arguments avant de pouvoir dire/montrer que ces arguments peuvent être réduits à des simples "précautions oratoires". Ce que pour l'instant aucun intervenant dans ce débat ne fait.

Bardamu a écrit :Pour l'exemple, dans le commentaire de l'Ethique de Misrahi :

"Cette partie V décrit minutieusement l'activité réflexive de libération (utilisant l'énergie du Désir de Joie) par laquelle l'esprit, passant de la simple conscience à la connaissance adéquate, accède à cette joie que confère la pleine réalisation de soi, pleinement comprise. Mais Spinoza va plus loin : IL DECRIT L'HOMME PARFAIT."

Est-ce que la différence est grande avec ce que dit Serge ? :
"Au plan relatif (...) il appert que chaque homme peut être considéré "avoir", avec sa nature propre, un potentiel de puissance maximale. Son histoire personnelle - idées confuses, émotions, désirs impulsifs ou compulsifs - le tient plus ou moins à distance de ce potentiel dans la réalité (...) Dans ce cadre, on peut appeler "Bien" ce qui rapproche de ce potentiel, et "Mal" ce qui en éloigne. C'est aussi ce que fait Spinoza.
Le "souverain bien" c'est le maximum de puissance précédent réalisé, c'est la connaissance de l'union de l'âme humaine avec la nature tout entière."


non non, ici Sescho dit bien la même chose que Misrahi au sujet du potentiel (c'est précisément parce qu'il a atteint un certain niveau de profondeur dans son commentaire que pour moi discuter avec lui, même si parfois c'est difficile, est toujours très utile, ce dont je ne peux que le remercier).

Et si on lit Macherey, on va également trouver des choses semblables. Même Deleuze au début des années '80 lit Spinoza ainsi.

Or pour moi cela signifie tout simplement qu'ils n'ont pas encore entièrement pris au sérieux la notion proprement spinoziste de la puissance. Encore une fois, cette découverte n'a été faite qu'assez récemment (il y a dix ans, il me semble). Non seulement ai-je l'impression que la communauté actuelle de recherches spinozistes a accepté cette découverte, mais pour moi, les arguments qu'ils proposent sont difficiles à réfuter. En tout cas, moi-même je ne vois aucune manière de les réfuter, au contraire, je les trouve très convaincants.

Tu vas peut-être objecter que Misrahi vit encore et donc peut être dit faire partie de cette "communauté actuelle de recherche". Au sens où il vit encore (si je ne m'abuse il a entre-temps plus que 80 ans), il en fait certes partie, et je ne veux absolument pas contester qu'il a été l'un des plus grands commentateurs français de Spinoza au XXe siècle. Or déjà à l'époque, son interprétation de Spinoza était fort influencée par la phénoménologie. Raison pour laquelle on ne peut pas juste lire ce qu'il dit de Spinoza comme s'il s'agit d'office de la meilleure interprétation possible (à part le fait que je crois que ce n'est pas une bonne idée en général de lire un commentateur ainsi). Puis je ne suis pas certaine dans quelle mesure il suit encore activement l'actualité en matière de recherche spinoziste. J'ai l'impression que ce n'est pas trop le cas (à vérifier). Ou disons que si c'est tout de même le cas, alors il faut dire qu'il constitue une exception qui à mes yeux confirme la règle (exception au sens où même dans son livre 100 mots sur l'Ethique de Spinoza il continue à penser le "devenir actif" comme une "actualisation" ou "réalisation" d'une puissance, et non pas comme un changement de puissance, alors que ce livre date tout de même de 2005, donc ne peut pas être dit non récent).

Bardamu a écrit :Donc, si je ne me trompe pas sur le problème, je comprends son agacement dès lors que tu critiques sa présentation en te plaçant sur un autre registre que lui. C'est un peu comme si un peintre disait que le rouge est une couleur chaude et le bleu une couleur froide, et qu'un physicien venait dire que c'est l'inverse parce qu'un photon rouge est moins énergétique qu'un photon bleu.
Il y a toutes les chances que l'artiste prenne cela comme une manoeuvre pour avoir raison.


Disons que je ne vois pas trop la pertinence de l'idée qu'illustre cet exemple. Si je l'ai bien comprise, elle implique que je serais en train de donner une critique de la forme sous laquelle il présente son interprétation de Spinoza, alors que cela fait pas mal de temps qu'il me reproche exactement cela et que je suis en train de tout faire pour l'inviter à oublier cette idée pour enfin prendre au sérieux ce que je dis littéralement, et qui est une critique sur le fond, sur le contenu même.

Si ce que je suis en train de dire n'était qu'une critique de la forme, on pourrait supposer qu'on est déjà d'accord sur le fond. Alors qu'il nous faudra précisément une discussion prolongée sur le fond même avant que nos interprétations puissent réellement s'accorder l'une à l'autre. C'est d'ailleurs l'intérêt même de mes tentatives de discuter. Seulement, pour pouvoir lire cela dans ce que j'écris, il faut vraiment faire l'effort d'essayer de comprendre ce que je dis, ce qui n'est pas facile lorsqu'on pense différemment, et donc demande réellement un engagement actif.

A mes yeux, c'est précisément le fait de supposer que malgré tout, ce que je dis "devrait" être une critique purement formelle, non "substantielle", qui rend tout effort de compréhension impossible. On ne va même pas commencer à essayer de comprendre, une fois que l'on s'est dit que cela doit être une critique de la forme et non du contenu. Si alors je continue à expliciter nos divergences, il devient facile (du moins si l'on n'est pas trop spinoziste) de se dire que "si elle persiste et signe, c'est qu'elle me vise personnellement, qu'elle a quelque chose contre moi". Non seulement il n'en est rien, mais transformer une situation où l'on ne comprend pas le comportement de l'autre en une situation où la seule chose qui peut expliquer ce comportement devrait être l'un ou l'autre vice ("vouloir avoir raison", pour nommer un autre reproche qui revient régulièrement), à mes yeux c'est faire exactement ce que Spinoza appelle une "idée inadéquate".

D'où ma référence au passage du Gorgias ci-dessus: déjà Socrate signale que la seule façon de pouvoir discuter un tant soit peu sérieusement, c'est de présupposer que l'autre dit ce qu'il pense réellement, et non pas qu'il discute pour te critiquer en tant que personne ou pour "avoir raison". Il ne s'agit pas de nier que ce genre de choses peuvent arriver, il s'agit d'un postulat "contrefactuel", comme l'appelle Habermas dans sa théorie de la discussion rationnelle: il faut s'interdire la facilité d'invoquer l'hypothèse que l'autre est de mauvaise foi lorsqu'on discute, car sinon, on ne fera aucun effort pour réellement comprendre ce qu'il dit lorsque cela a l'air d'être fort différent de ce qu'on pense soi-même, ce qui ne peut que garantir un échec assez total de la discussion en tant que dialogue entre deux pensées ayant pour but de s'approcher chacun davantage de la vérité.

Bref, pour moi nous sommes dans une impasse et y resterons aussi longtemps qu'on refuse de simplement lire et prendre au sérieux ce que j'écris. Si je dis que je pense que ma critique concerne le contenu même et non pas la forme, le seul moyen de continuer la discussion c'est d'essayer de comprendre cette critique, pour ensuite expliquer en quoi on est d'accord avec elle et en quoi non. Il se peut que ce que je pense être une critique de contenu revient finalement à une critique de forme. Mais alors il faut pouvoir le montrer, il faut pouvoir indiquer où consiste l'erreur, où je pense être dans le contenu alors que je serais de fait dans la forme. On ne peut pas juste rejeter le tout en disant que "ce n'est rien", et espérer en même temps que j'aurai compris en quoi ce que je dis peut être faux.

Enfin, je crois que c'est en quelque sorte exactement ce que tu viens de faire (tu viens d'indiquer pourquoi à tes yeux ma critique de la notion de potentialité n'est en réalité qu'une critique de forme et non pas de fond). Je t'en remercie, car je crois que c'est effectivement cela qu'il faudrait faire. En même temps, j'espère avoir pu montrer en quoi je pense qu'il s'agit d'une erreur, et que la critique concerne bel et bien le contenu lui-même.
Cordialement,
L.

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Messagepar bardamu » 01 sept. 2009, 10:19

Louisa a écrit :(...)
Absolument. Etant moi-même usager quotidien du langage commun, je crois que je comprends parfaitement ce qu'on veut dire lorsqu'on utilise la notion de potentiel. Je dirais seulement "de potentiel" tout court, et non pas de "potentiel comme Aristote", puisqu'Aristote n'est que celui qui a inventé le "concept" du potentiel tel que l'utilise aujourd'hui le langage commun, c'est-à-dire qui a développé cette idée dans toutes ses conséquences logiques, et en cela, la notion du potentiel est signée "Aristote". Inversément, retourner à Aristote lorsqu'on discute du potentiel au sens commun du terme permet de mieux saisir ce que nous sommes en réalité en train de dire et de penser lorsqu'on utilise cette notion.
L.

Bonjour Louisa,
juste un mot.
Si je dis potentiel électrique ou potentiel d'un athlète, ce n'est pas un possible c'est une puissance actuelle, ce n'est pas la potentialité aristotélicienne, il n'y a pas de forme à réaliser. C'est un usage commun aujourd'hui et c'est dans ce sens que Sescho me semble l'utiliser.
Sescho parle d'avoir un potentiel, un potentiel d'évolution vers la sagesse sans qu'une forme déterminée soit pré-définie.
Les hommes, en général, ont le potentiel de devenir sage, ils ont la puissance actuelle permettant d'aller vers la sagesse, ils ont une Raison.
Il ne me semble pas non plus parler de réaliser une forme, d'actualiser une forme mais plutôt de se réaliser, de mettre en mouvement ce que l'on peut, de se libérer de ce qui nous en empêche.

Sauf erreur, Sescho n'a pas utilisé le terme "potentialité", n'a pas évoqué Aristote et pour ma part je n'ai pas compris son propos comme se rapportant à ces concepts.
A quel moment es-tu passée de son avoir un potentiel à la potentialité aristotélicienne ?

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Messagepar Louisa » 01 sept. 2009, 11:08

bardamu a écrit :
Louisa a écrit :(...)
Absolument. Etant moi-même usager quotidien du langage commun, je crois que je comprends parfaitement ce qu'on veut dire lorsqu'on utilise la notion de potentiel. Je dirais seulement "de potentiel" tout court, et non pas de "potentiel comme Aristote", puisqu'Aristote n'est que celui qui a inventé le "concept" du potentiel tel que l'utilise aujourd'hui le langage commun, c'est-à-dire qui a développé cette idée dans toutes ses conséquences logiques, et en cela, la notion du potentiel est signée "Aristote". Inversément, retourner à Aristote lorsqu'on discute du potentiel au sens commun du terme permet de mieux saisir ce que nous sommes en réalité en train de dire et de penser lorsqu'on utilise cette notion.
L.


Bonjour Louisa,
juste un mot.
Si je dis potentiel électrique ou potentiel d'un athlète, ce n'est pas un possible c'est une puissance actuelle, ce n'est pas la potentialité aristotélicienne, il n'y a pas de forme à réaliser. C'est un usage commun aujourd'hui et c'est dans ce sens que Sescho me semble l'utiliser.
Sescho parle d'avoir un potentiel, un potentiel d'évolution vers la sagesse sans qu'une forme déterminée soit pré-définie.
Les hommes, en général, ont le potentiel de devenir sage, ils ont la puissance actuelle permettant d'aller vers la sagesse, ils ont une Raison.
Il ne me semble pas non plus parler de réaliser une forme, d'actualiser une forme mais plutôt de se réaliser, de mettre en mouvement ce que l'on peut, de se libérer de ce qui nous en empêche.

Sauf erreur, Sescho n'a pas utilisé le terme "potentialité", n'a pas évoqué Aristote et pour ma part je n'ai pas compris son propos comme se rapportant à ces concepts.
A quel moment es-tu passée de son avoir un potentiel à la potentialité aristotélicienne ?


Bonjour Bardamu,

à vrai dire, je ne vois aucune différence entre "avoir un potentiel" au sens courant, et l'existence d'une potentialité. Si j'ai le potentiel de devenir un grand musicien, on peut dire que je suis un grand musicien "en puissance", et qu'en ce sens-là il y a en moi la potentialité de devenir un grand musicien.

En tout cas, dans ce qui précède, j'ai utilisé les mots de potentiel et de potentialité tout simplement comme adjectif et substantif de la même idée. Cette idée est à mes yeux celle qui aujourd'hui fait partie du sens commun.

Une fois qu'on dit cela, on peut se demander ce que le sens commun veut dire par là, quelles sont les implications logiques d'une telle idée, implications que le sens commun ne contient qu'implicitement (raison pour laquelle on parle d'opinions, et non pas de concepts au sens proprement philosophiques, en ce qui concerne les idées appartenant au sens commun).

A mon sens, c'est Aristote qui a le mieux thématisé ces implications (de la même notion de potentiel tel que le comprend aujourd'hui le sens commun). Plus même, je crois que c'est lui qui le premier a développé une notion de potentiel qui par après a été repris par le sens commun (mais cela, je ne le dis qu'à titre hypothétique). D'où ma référence à Aristote. Je suppose que Sescho n'a jamais lu Aristote (il pourra me corriger si je me trompe), mais à mes yeux cela n'est pas très important, cela n'y change même rien, l'important c'est que l'usage qu'il fait de la notion de potentiel, et qui est effectivement celui qu'en fait le sens commun (ce qui veux dire: ce que moi aussi j'utilise couramment, bien sûr), est tout à fait cohérent avec celle d'Aristote.

Dire par exemple que le potentiel, au sens courant, est une "puissance actuelle", c'est utiliser des mots qu'Aristote n'aurait pas utilisés, mais si je te comprends bien, ce que tu veux dire par là (et c'est déjà ce que j'ai essayé d'expliquer dans mon message précédent, lorsque tu posais la même question), c'est que la puissance n'est pas une illusion, ou quelque chose qui n'existe pas. La puissance existe. Si une pierre se trouve sur le sommet d'une cathédrale et on la laisse tomber, elle aura d'abord une énergie potentielle, qui se transforme en énergie cinétique. Alors il va de soi que cette énergie potentielle, elle l'a réellement, et non pas "potentiellement", si l'on veut. Donc bon, je ne sais pas comment le dire autrement encore, je ne peux que dire que ton idée de "potentiel actuel" ou "puissance actuelle", je crois l'avoir compris, et je crois qu'effectivement c'est dans ce sens qu'on utilise couramment le mot "potentiel".

Le problème est donc uniquement le lien entre tout cela et Spinoza. Tu dis: les hommes ont le potentiel de devenir sage. Je ne vois pas comment concilier cela avec le spinozisme (tenant bien compte de ce que le langage courant veut dire par là). Tu dis: ils ont une raison. Si tu veux dire par là que tout homme est "rationnel", dispose de la raison: ok, c'est bien ce que Spinoza dit aussi. Or le spinozisme a en commun avec d'autres pensées à l'époque d'identifier raison et cause (raison ici comme ce qui permet d'expliquer quelque chose, et non pas comme faculté humaine). C'est à partir de ce moment-là qu'introduire un "potentiel" (au sens du langage courant) devient absurde (tenant compte de ce que Spinoza en dit par ailleurs). Si l'homme x à un jour y devient un sage, alors il doit y avoir été une cause de ce "devenir-sage". Si la cause est présente (s'il y a de toute éternité une essence d'une chose qui est la cause de cet événement), ou si la cause existe, alors x est devenu un sage. Si la cause n'existe pas, il ne le deviendra pas. Cette cause ne peut jamais être la raison au sens d'une faculté, chez Spinoza, puisqu'on a tous la raison, et peu d'entre nous deviennent un sage. Donc non, la sagesse n'est pas ce que l'homme est potentiellement, chez Spinoza, certains hommes à certains moments le seront, et d'autres pas. Je ne vois pas ce qui permet de dire que ceux qui ne le seront jamais auraient néanmoins eu le "potentiel" de le devenir. Ils avaient tout simplement une puissance de penser et d'agir toute petite. Avoir une toute petite puissance de penser, cela signifie, chez Spinoza, avoir très peu de pouvoir causal en soi pour causer une idée adéquate, donc pour devenir un peu plus puissant. C'est le manque de ce pouvoir causal qui fait que l'ignorant ne deviendra pas sage, et n'a même jamais eu le "potentiel" de le devenir.

Inversement, le sage a une puissance de penser et d'agir (donc une essence) beaucoup plus grande que celui qui n'est pas sage. Mais cela signifie aussi qu'il a une puissance/essence beaucoup plus grande que lui-même avant de devenir sage. C'est dire que même pour le sage lui-même, devenir sage n'est pas réaliser un potentiel ou une puissance, c'est changer carrément de puissance, pour obtenir un Corps capable d'effectuer une toute autre puissance, qu'il n'avait pas du tout déjà avant de l'être, si tu vois la différence .. ?

Si on veut le comparer à un exemple de physique: le sage spinoziste n'est pas la pierre qui a été capable de transformer son énérgie potentielle en énergie cinétique. Le sage spinoziste c'est la même pierre qui du coup d'une énergie potentielle x est passée à une énergie potentielle x + y. Seulement, il se fait que chez Spinoza, cette énergie potentielle ou puissance ne peut pas se transformer en énergie cinétique, donc ne peut pas s'actualiser, puisque chez lui, toute puissance est toujours déjà entièrement actuelle (arguments pro ceci: voir notamment mon dernier message à Amstel). Toute puissance est toujours déjà actuel, donc agit toujours déjà, donc est toujours déjà en même temps de l'énergie cinétique. C'est cela la "révolution spinoziste" à ce sujet: une chose ne doit plus choisir entre énergie potentielle et énergie cinétique, elle est toujours à la fois les deux. Ce qui nous oblige également de laisser tomber la notion de potentiel tel que l'utilise le langage courant, si on veut penser de manière spinoziste.

Sinon voir ma réponse à Durtal, qui a fait la même objection (disant qu'un potentiel n'est pas un possible).

Quant à l'usage de Sescho de la notion de forme: il me semble qu'il a une théorie assez originale à ce sujet, que je n'ai pas encore entièrement comprise. Disons déjà que je ne suis pas certaine qu'il serait d'accord avec toi (au sens où il me semble qu'il considère tout de même ce qu'il appele l'essence de l'Homme comme une forme, si je l'ai bien compris). Enfin, il vaut sans doute mieux qu'il dise lui-même ce qu'il en pense.

En attendant, voici ce qu'il avait écrit au début, et qui avait suscité mon attention:

Sescho a écrit :Au plan relatif (de l'ordre de la Raison, mais néanmoins traduction d'une réalité, savoir une loi de la Nature : celle de la puissance et de la béatitude humaine), soit dans le §13, il appert que chaque homme peut être considéré "avoir", avec sa nature propre, un potentiel de puissance maximale. Son histoire personnelle - idées confuses, émotions, désirs impulsifs ou compulsifs - le tient plus ou moins à distance de ce potentiel dans la réalité (ceci ne remet pas en cause la perfection par Dieu de cette réalité, mais traduit simplement une certaine loi dans une forme utilisable avec profit par la Raison.) Dans ce cadre, on peut appeler "Bien" ce qui rapproche de ce potentiel, et "Mal" ce qui en éloigne. C'est aussi ce que fait Spinoza.


Il parle donc d'un "potentiel de puissance maximale". Pour moi c'est encore plus confus (si on l'analyse mot à mot) que de dire comme toi qu'il y a un "potentiel actuel", mais encore une fois, j'ai pris son usage de "potentiel" jusqu'à présent exactement au sens où tu viens de le dire ci-dessus, c'est-à-dire au sens du langage courant (ce que d'ailleurs j'ai souligné dès le début, si ma mémoire est bonne). Donc c'est bien avec le fait d'importer la notion de "potentiel" au sens courant dans le spinozisme que j'ai un problème.
L.

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Messagepar bardamu » 01 sept. 2009, 23:08

Louisa a écrit :Bonjour Bardamu,

à vrai dire, je ne vois aucune différence entre "avoir un potentiel" au sens courant, et l'existence d'une potentialité. Si j'ai le potentiel de devenir un grand musicien, on peut dire que je suis un grand musicien "en puissance", et qu'en ce sens-là il y a en moi la potentialité de devenir un grand musicien.

En tout cas, dans ce qui précède, j'ai utilisé les mots de potentiel et de potentialité tout simplement comme adjectif et substantif de la même idée. Cette idée est à mes yeux celle qui aujourd'hui fait partie du sens commun.

Re-bonjour Louisa,
justement non.
Quand on dit de quelqu'un qu'il a du potentiel ou un potentiel en musique, en math, en sport etc., on veut dire qu'il a des capacités dans ce domaine.
Cela ne veut pas dire qu'il va devenir un grand musicien, cela veut dire qu'il a une bonne capacité dans un domaine, une puissance pour laquelle il est bon d'établir les conditions propres à son expression et développement. C'est une puissance avec une connotation d'évolution.
Il faudrait sans doute détailler le champ sémantique associé au mot, mais on a des expressions comme "exploiter son potentiel", "développer son potentiel", "exprimer son potentiel" etc.

Et avoir du potentiel ou un potentiel, c'est un substantif comme le potentiel électrique.

Définitions de ce dictionnaire :
> potentiel,elle (adjectif)
Qui existe en puissance, mais non en réalité ou en acte.
Possible, virtuel.

> potentiel (nom masculin)
Charge électrique, tension.
Capacité, puissance.

> potentialité (nom féminin)
Caractère de ce qui est potentiel, de ce qui existe en puissance, mais non en réalité.


La potentialité est l'adjectif "potentiel" substantifié.

Louisa a écrit :Dire par exemple que le potentiel, au sens courant, est une "puissance actuelle", c'est utiliser des mots qu'Aristote n'aurait pas utilisés, (...)Tu dis: les hommes ont le potentiel de devenir sage. Je ne vois pas comment concilier cela avec le spinozisme (tenant bien compte de ce que le langage courant veut dire par là). Tu dis: ils ont une raison. Si tu veux dire par là que tout homme est "rationnel", dispose de la raison: ok, c'est bien ce que Spinoza dit aussi. (...) Si l'homme x à un jour y devient un sage, alors il doit y avoir été une cause de ce "devenir-sage".

E4p26 dém. : Maintenant, puisque l'effort de l'âme pour conserver son être ne va, en tant qu'elle exerce sa raison, qu'à comprendre (comme on vient de le démontrer), cet effort pour comprendre est donc (par le Coroll. de la Propos. 22, part. 4) le premier et l'unique fondement de la vertu, et conséquemment ce ne sera pas en vue de quelque autre fin que nous nous efforcerons de comprendre les choses (par la Propos. 25, part. 4) ;

L'effort de la raison est le premier et l'unique fondement de la vertu.
La vertu stagne sans exercice de la raison, cet exercice est une cause essentielle de notre liberté, c'est un "devenir-sage" en acte, sans finalité autre que sa propre avancée, un peu dans le sens que Deleuze utilise dans ses "devenir-x" (le devenir-femme, devenir-révolutionnaire etc.). Plutôt que de parler d'être sage, disons "avancer vers la sagesse", ça évite d'invoquer une sorte d'archétype figé de sage, une forme finale, même si Spinoza utilise un modèle de sage.

On remplace "potentiel" par "capacité" ou "puissance actuelle", on caractérise la Raison comme une forme de puissance de penser (2e genre de connaissance), et il devient clair que tout être ayant un minimum de Raison a la capacité-potentiel d'avancer vers la sagesse : de potentia intellectus.

Et au champ sémantique de cette idée est généralement lié celui de mise en place de conditions favorables, de libération de contraintes. Permettre que quelqu'un exprime son potentiel, éduquer pour que se développe un potentiel, se réaliser etc. : de potentia intellectus seu de libertate humana.
Louisa a écrit :Il parle donc d'un "potentiel de puissance maximale".

Je crois avoir compris ce qu'il se passe.
Sescho dit en gros qu'on est "séparé de sa puissance" (comme dirait Deleuze parlant de Nietzsche), séparé d'une puissance déterminée par notre nature propre et qu'on s'en rapproche en se libérant des "idées confuses, émotions, désirs impulsifs ou compulsifs".
On a une nature propre active qui cherche à libérer ses puissances, qui lutte pour s'exprimer librement.
Là-dessus, tu plaques le schéma aristotélicien et tu comprends cela comme l'affirmation que du sans forme (matière) tend vers une forme pré-déterminée.
Mais Sescho n'a fait que parler d'une forme actuelle, une nature propre, qui une fois libre exprime pleinement sa puissance. Il n'y a pas d'informe prenant forme, la forme (nature propre) est toujours là.

Pour un exemple de physique, au lieu de l'énergie potentielle vs énergie cinétique, prenons l'énergie potentielle élastique d'un ressort.
Soit un ressort au repos de longueur 10 cm.
10 cm est sa puissance de longueur maximale lorsqu'il est libre.
On comprime le ressort et il ne mesure plus que 5 cm.
Dans cette situation, le ressort a le potentiel de 10 cm, potentiel contrarié par ce qui le comprime. Ce potentiel est actuel et physique puisqu'il s'exprime par la pression qu'exerce le ressort sur ce qui le comprime. Le ressort fait effort vers sa longueur maximale, il exerce sa puissance dans ce sens. Cet effort n'est rien de plus que l'essence actuelle de cette chose (E3p7) et il exprime ce mouvement de l'essence vers sa libération, vers sa puissance maximale, l'expression de sa nature propre.

Pour l'humain, l'entendement fait effort vers la connaissance en tendant à sa puissance maximale (puissance qui aura une valeur finie puisque nous sommes des êtres finis).
On ne sait pas ce qu'on peut mais on sait qu'il faut user de son entendement, de sa potentia, pour se libérer et laisser libre court à ce qu'on peut. On se libère des effets perturbant de l'environnement, on se libère de l'imagination comme le ressort se libèrera de la contrainte d'un mur en le faisant céder sous sa pression.

Dans cette conception du potentiel, ce qui peut éventuellement être dit "en puissance" c'est la libération, libération contingente de notre point de vue parce qu'on ne sait pas ce qu'on peut, que cela dépend de l'ordre de la nature tout entier. Avant d'être tués, avant que le ressort ne soit rongé par la rouille, certains stagneront à 5 cm, d'autres repousseront le mur d'un centimètre, et d'autres iront au bout de ce qu'ils peuvent au moins sur le plan de la longueur, ils pourront être dit libres sur ce plan.
Mais en aucun cas ce n'est la forme qui est en puissance puisqu'elle est déjà là bien que contrariée, c'est un ressort de 10 cm qui est comprimé et pas une matière informe qui attend d'être formée en un ressort de 10 cm.

Dans tous les cas, on est toujours dans l'affirmation actuelle et complète de ce potentiel-puissance, on est toujours dans l'effort pour persévérer dans son être en dépit des conditions contraires qui nous empêchent de laisser s'exprimer pleinement notre nature.

Donc, même si je prends les propos de Sescho pour les développer à ma manière, je crois que l'essentiel dans cet usage du mot "potentiel" et de le considérer comme exprimant le rapport entre une puissance contrariée et une puissance libéré, comme exprimant l'effort de libération d'un être jusqu'à son expression libre autant que sa nature le comporte et l'y conduit. En l'occurrence, cet effort de libération s'identifie pour l'homme à l'effort de l'esprit pour persévérer dans son être "raisonnant", c'est-à-dire l'effort pour comprendre (cf la démonstration citée plus haut sur ).

Il s'agit là de la voie de l'Ethique, user de la potentia de l'entendement pour se libérer autant qu'on le peut, atteindre le maximum de puissance qu'autorise une nature humaine.

Cet usage quasi-physique de l'idée de potentiel, un usage autour de la problématique de libération des puissances d'une nature, me convient assez (mais il n'est peut-être pas exactement celui de Sescho...).

Mais bon, comme dit Spinoza :
Spinoza, E2p47 scolie a écrit :Du reste, la plupart des erreurs viennent de ce que nous n'appliquons pas convenablement les noms des choses. Si quelqu'un dit, par exemple, que les lignes menées du centre d'un cercle à sa circonférence sont inégales, il est certain qu'il entend autre chose que ce que font les mathématiciens. De même, celui qui se trompe dans un calcul a dans l'esprit d'autres nombres que sur le papier. Si donc vous ne faites attention qu'à ce qui se passe dans son esprit, assurément il ne se trompe pas ; et néanmoins il semble se tromper parce que nous croyons qu'il a dans l'esprit les mêmes nombres qui sont sur le papier. Sans cela nous ne penserions pas qu'il fût dans l'erreur, comme je n'ai pas cru dans l'erreur un homme que j'ai entendu crier tout à l'heure : Ma maison s'est envolée dans la poule de mon voisin ; par la raison que sa pensée véritable me paraissait assez claire. Et de là viennent la plupart des controverses, je veux dire de ce que les hommes n'expliquent pas bien leur pensée et interprètent mal celle d'autrui au plus fort de leurs querelles ; ou bien ils ont les mêmes sentiments, ou, s'ils en ont de différents, les erreurs et les absurdités qu'ils s'imputent les uns aux autres n'existent pas.

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Messagepar hokousai » 02 sept. 2009, 01:04

""je cite ""Miguel Benasayag
Oui. Mais Spinoza dit exactement ce que tu dis. Il dit «L'homme n'est pas un empire dans l'empire». Dans son livre L'éthique, il va faire une différence entre éthique et morale. Pour lui la morale repose sur des principes généraux tandis que l'éthique doit tenir compte d'éléments différents selon les situations. Il faut traiter les choses de l'esprit de la même façon que l'on traite les choses de la nature. Il n'y a aucune raison pour que l'esprit humain ait pu prendre du recul par rapport à la nature. Spinoza va fonder toute une éthique «amorale» traitant les affaires des hommes comme les choses de la nature.
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2008/mai/chroniquebb6.html

chère Louisa

Comment pensez vous que Spinoza se serait situé par rapport à l’idée de tropisme "" À l'imitation d'un terme proposé en allemand par J. Loeb et attesté en anglais depuis 1899, est la substantivation (1887) de l'élément -tropisme que l'on rencontre dans des mots existant antérieurement (héliotropisme, phototropisme, géotropisme) et tiré du grec tropos « tour, direction » (trope). ""

tropisme, nom masculin
Sens Mouvement d'un organisme qui s'oriente par rapport à un agent extérieur [Biologie]. Ex Le tropisme des tournesols vers le soleil.

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Messagepar Louisa » 02 sept. 2009, 04:01

Bardamu a écrit :
louisa a écrit :à vrai dire, je ne vois aucune différence entre "avoir un potentiel" au sens courant, et l'existence d'une potentialité. Si j'ai le potentiel de devenir un grand musicien, on peut dire que je suis un grand musicien "en puissance", et qu'en ce sens-là il y a en moi la potentialité de devenir un grand musicien.

En tout cas, dans ce qui précède, j'ai utilisé les mots de potentiel et de potentialité tout simplement comme adjectif et substantif de la même idée. Cette idée est à mes yeux celle qui aujourd'hui fait partie du sens commun.


Re-bonjour Louisa,
justement non.
Quand on dit de quelqu'un qu'il a du potentiel ou un potentiel en musique, en math, en sport etc., on veut dire qu'il a des capacités dans ce domaine.
Cela ne veut pas dire qu'il va devenir un grand musicien, cela veut dire qu'il a une bonne capacité dans un domaine, une puissance pour laquelle il est bon d'établir les conditions propres à son expression et développement. C'est une puissance avec une connotation d'évolution.
Il faudrait sans doute détailler le champ sémantique associé au mot, mais on a des expressions comme "exploiter son potentiel", "développer son potentiel", "exprimer son potentiel" etc.

Et avoir du potentiel ou un potentiel, c'est un substantif comme le potentiel électrique.

Définitions de ce dictionnaire :
> potentiel,elle (adjectif)
Qui existe en puissance, mais non en réalité ou en acte.
Possible, virtuel.

> potentiel (nom masculin)
Charge électrique, tension.
Capacité, puissance.

> potentialité (nom féminin)
Caractère de ce qui est potentiel, de ce qui existe en puissance, mais non en réalité.

La potentialité est l'adjectif "potentiel" substantifié.


Bonjour Bardamu,
Je te dis d'abord comment je comprends ce que tu viens d'écrire, afin de vérifier dans quelle mesure c'est bien cela ce que tu voulais dire.

Donc tu dis: "potentialité" est le substantif de l'adjectif "potentiel", alors qu'il existe également un substantif "potentiel", qui exprime une autre idée que celle exprimée par le couple "potentialité"-"potentiel en tant qu'adjectif".

La différence: le couple "potentialité-potentiel" réfère à l'idée de ce qui n'existe qu'en puissance, mais pas encore en réalité/en acte. Le potentiel pris en tant que substantif, exprime l'idée de puissance en tant que capacité, capacité qui quant à elle est bel et bien déjà réelle.

Appliqué à l'exemple du bois et de la table: le bois est potentiellement une table signifie:
- le bois a la potentialité de devenir une table, et en ce sens la table existe en puissance, mais elle n'existe pas encore. La table est donc potentielle, aussi longtemps qu'elle ne s'est pas actualisée dans le bois
- le bois a aussi la capacité de devenir une table. Cette capacité ou ce potentiel est déjà là, elle existe déjà dans le bois, elle n'est pas quelque chose qui serait seulement possible mais pas encore réalisé. Le bois a du potentiel de devenir une table, et il le deviendra réellement lorsque les conditions nécessaires et suffisantes pour pouvoir se transformer en table sont réellement présentes.

Idem en ce qui concerne l'homme et le devenir musicien: l'homme a la potentialité de devenir un musicien, ce qui revient à dire que le musicien qu'il deviendra n'existe qu'en puissance aussi longtemps qu'il ne l'est pas encore. Le musicien est donc potentielle, aussi longtemps que l'homme n'est pas un musicien en acte. Mais cela n'empêche pas l'homme de déjà avoir réellement le potentiel ou la capacité de devenir un musicien. Il faut juste encore y ajouter les conditions pour qu'il le devienne réellement, mais en attendant, le potentiel est bel et bien déjà là, réellement, et non pas en tant que possible. Autrement dit: le potentiel (substantif) n'est pas lui-même potentiel (adjectif). C'est ce qu'auparavant tu voulais dire en disant qu'il y a un potentiel actuel (c'est-à-dire: un potentiel (substantif) non potentiel (adjectif).

Est-ce que tu es d'accord avec tout ça?

Si oui, j'avoue que je ne vois pas ce que cela ajoute à ce qu'on avait déjà dit, pour moi c'est juste reformuler ce sur quoi on était déjà parfaitement d'accord. Or tu sembles vouloir dire que ce n'est pas le cas, raison pour laquelle tu reviens là-dessus. Mais où se situerait alors plus précisément la différence entre ce que tu dis du potentiel au sens du langage courant, et ce que moi je dis du potentiel au sens du langage courant?

En attendant, j'essaie de reformuler mon objection à la proposition d'identifier ce potentiel (on parle bel et bien du substantif) à la potentia spinoziste, en utilisant la distinction que tu viens d'introduire, dans l'espoir qu'ainsi ce soit plus clair.

Si le (ou un des) problème était que ma façon d'utiliser la notion de "potentialité" ne correspondait pas à la définition que tu viens d'en donner ici (version dictionnaire, donc seule acceptable, bien sûr), alors on a déjà un excellent exemple du scolie que tu cites à la fin de ton message (dans ce cas-ci probablement dû au fait que cela ne fait que quelques années que j'apprends le français). Car alors cela explique pourquoi j'avais l'impression d'être parfaitement clair tandis que tu semblais sans cesse me poser la même question, à laquelle j'étais dans l'idée d'avoir néanmoins déjà répondu. Ceci étant maintenant éventuellement clarifié, reprenons.

Tu dis: l'homme a le potentiel/la puissance de devenir sage. Dire cela, c'est dire que cette puissance est déjà là, ce qu'auparavant tu exprimais en disant qu'elle est déjà actuelle (le "potentiel actuel").

Cela signifie-t-il que tu es d'accord pour dire que chez Spinoza toute puissance est toujours actuelle, mais que tu comprends par là autre chose que moi? C'est-à-dire, tu comprends par là que l'homme a réellement, toujours déjà, la capacité/possibilité de devenir un jour un sage, ou comme tu sembles le dire ci-dessous, de rentrer dans un "devenir-sage" (pas d'hylémorphisme, mais plutôt processus, transformation lente et graduelle, et non pas "plaquer" une forme de "sage" sur une matière encore indéterminée). Alors que moi je comprends par là que l'homme est toujours, ici et maintenant, tout ce qu'il "peut" être, dans tous les sens du terme, ce qui enlève l'idée que l'homme aurait ici et maintenant la capacité d'être tout autre qu'il ne l'est (un sage par exemple).

Autrement dit, chez toi la puissance en tant que potentiel est réelle, mais elle est néanmoins quelque chose qui est la première condition, nécessaire mais non suffisante, d'une autre chose qui elle n'existe pas encore (le sage), et qui est à réaliser. C'est parce que l'homme ignorant a déjà en soi, réellement, ce potentiel, que cette réalisation revient à "se" réaliser. Le "moi" n'est pas seulement ce qu'il est aujourd'hui, il est aussi déjà en germe ce qu'il sera demain mais qu'il n'est aujourd'hui que potentiellement (non encore actualisé/en acte).

Chez moi en revanche (et c'est ainsi que j'ai compris les arguments des commentateurs contre l'identification de la puissance spinoziste au mot "potentiel"), la puissance est toute aussi réelle que chez toi, mais elle n'est rien d'autre qu'un pouvoir déjà réalisé. Elle ne contient pas en germe qui je serai demain. Dire qu'il n'y a pas de potentiel chez Spinoza ne signifie pas qu'aucune capacité n'existe qu'en puissance (ce qui est ton interprétation: toute capacité de l'homme est toujours déjà réelle/actuelle, elle n'est pas potentielle), cela signifie qu'il n'y a pas de "en germe" tout court. On n'est rien en germe, on n'est toujours que ce qu'on est aujourd'hui, et rien de plus. Le "moi" est à chaque moment pleinement réalisé, et ne contient aucun élément qui est déjà en acte mais qui pourrait en même dans dans le futur actualiser quelque chose qui aujourd'hui ne l'est pas encore.

Rappelons que l'essence, dit Spinoza, n'est rien d'autre que l'ensemble de nos idées. L'essence éternelle étant cette partie de notre essence qui correspond à l'ensemble de toutes nos idées adéquates. Dire qu'il n'y a pas de potentiel au sens de "capacité" chez Spinoza, c'est dire que lorsqu'une essence qui me définit moi à un moment x contient un nombre y d'idées adéquates, c'est tout ce qu'il y a à dire de cette essence, on ne peut pas dire qu'en plus de cela, elle contient encore autre chose (en acte) qui est capable d'actualiser une troisième chose encore mais qui n'est pas encore, tout en faisant déjà partie de cette seule et même essence.

Dans cette optique, dire qu'il n'y a rien à "réaliser", c'est dire que le "devenir-sage" n'est pas une capacité de l'homme. Cela ne permet pas de définir son essence singulière. Ce qui définit son essence singulière (supposons un instant que les essences singulières sont susceptibles d'être exprimées dans une définition, ce dont je doute), ce n'est que la puissance de penser qu'il a aujourd'hui, c'est -à-dire le nombre d'idées adéquates qu'il a aujourd'hui. On n'a jamais moins d'idées adéquates, à un moment x, que ce dont on était capable. Et si par chance demain on en a plus, c'est notre essence même qui a changé, notre Corps effectuera une deuxième essence, une essence capable de plus d'ideés adéquates que la première et qui par là même a réellement déjà autant d'idées adéquates en plus que la capacité qui la définit. Autrement dit, la puissance/capacité qui définit une essence ne réfère jamais à plus d'idées adéquates que le nombre d'idées adéquates que définit une essence à un moment x. Il faut parler d'une autre essence dès que ce nombre a changé, et donc d'une autre puissance ou si l'on veut capacité. Cette capacité n'est pas seulement actuelle au sens où en tant que capacité elle existe réellement (ton "potentiel actuel"), elle est aussi actuelle en un sens beaucoup plus fort, c'est-à-dire au sens où ce dont celui qui a cette capacité est capable, est déjà pleinement actualisé/réalisé. Tu vois la différence entre les deux manières d'être actuelle pour une capacité? Toi (conforme au langage courant) tu n'admets qu'une manière pour la capacité d'être actuelle, alors que pour moi, il faut admettre les deux manières (et alors on ne peut plus comprendre le mot "capacité" (ou le mot potentiel au sens substantifié) au sens où le comprend le langage courant. D'où l'idée d'une véritable révolution conceptuelle.

Bardamu a écrit :
Louisa a écrit :Dire par exemple que le potentiel, au sens courant, est une "puissance actuelle", c'est utiliser des mots qu'Aristote n'aurait pas utilisés, (...)Tu dis: les hommes ont le potentiel de devenir sage. Je ne vois pas comment concilier cela avec le spinozisme (tenant bien compte de ce que le langage courant veut dire par là). Tu dis: ils ont une raison. Si tu veux dire par là que tout homme est "rationnel", dispose de la raison: ok, c'est bien ce que Spinoza dit aussi. (...) Si l'homme x à un jour y devient un sage, alors il doit y avoir été une cause de ce "devenir-sage".


E4p26 dém. : Maintenant, puisque l'effort de l'âme pour conserver son être ne va, en tant qu'elle exerce sa raison, qu'à comprendre (comme on vient de le démontrer), cet effort pour comprendre est donc (par le Coroll. de la Propos. 22, part. 4) le premier et l'unique fondement de la vertu, et conséquemment ce ne sera pas en vue de quelque autre fin que nous nous efforcerons de comprendre les choses (par la Propos. 25, part. 4) ;

L'effort de la raison est le premier et l'unique fondement de la vertu.
La vertu stagne sans exercice de la raison, cet exercice est une cause essentielle de notre liberté, c'est un "devenir-sage" en acte, sans finalité autre que sa propre avancée, un peu dans le sens que Deleuze utilise dans ses "devenir-x" (le devenir-femme, devenir-révolutionnaire etc.).


la vertu est l'essence, dit Spinoza, l'essence en tant qu'elle comprend. La vertu est donc à mon sens de nouveau l'ensemble des idées adéquates que j'ai ici et maintenant. C'est un constat, un bilan ce que je comprends hic et nunc. Que cette compréhension soit le résultat de la raison raisonnante n'y change rien. Notre liberté ou béatitude n'a pas de commencement, nous sommes toujours aussi libre que l'ensemble de nos idées adéquates le permettent.

Tout cela semble enlever le côté "dynamique" des essences, mais je crois qu'effectivement, en tant qu'on conçoit une essence (en tant qu'ensemble d'idées adéquates, donc en tant qu'éternelle) comme instable, on se trompe. Ce qui est éternel est par définition parfaitement stable. Le dynamisme dans l'ontologie spinoziste consiste dans le fait que toute essence "modifie", "change", "affecte" autre chose. Les corps passent sans cesse de l'effectuation d'une essence à celle d'une autre (mouvement et repos).

Pour pouvoir dire qu'une chose est plus libre qu'elle ne l'était avant, il faut considérer les essences non pas dans leur éternité, mais sous l'aspect de la durée, et donc en tant qu'elles sont actuelles dans le temps. Alors elles sont toujours un mélange d'idées adéquates et inadéquates, et on peut dire que lorsque proportionnellement les idées adéquates acquièrent une plus grande partie du tout qu'est l'essence dans la durée que l'ensemble que ce qui était le cas juste avant, que le degré de liberté de cette chose a augmenté. Sous l'aspect de l'éternité, en revanche, il faut plutôt dire qu'il ne s'agit plus de la même essence! C'est pourquoi Spinoza peut dire que la béatitude ou liberté en réalité (donc du point de vue de l'éternité) n'a pas de commencement. C'est que la béatitude consiste en la satisfaction de soi-même donc en la contemplation de sa propre éternité donc en le fait de comprendre l'essence éternelle qu'on est ici et maintenant. Qu'une essence qui a davantage d'idées adéquates encore est plus libre que celle qui en a moins, ne signifie pas que le souverain bien chez Spinoza consisterait à se dire que "je" suis à la fois l'ensemble des idées adéquates que j'ai pour l'instant et toutes celles que j'aurai dans le futur, et je n'atteindrai ce souverain bien que lorsque j'aurai "réalisé" ou actualisé aussi toutes celles que je n'aurai que dans le futur et en ce sens que je n'ai aujourd'hui que potentiellement. Lorsque j'aurai plus d'idées adéquates, j'aurai acquis une autre essence. A ce moment-là il me faudra de nouveau contempler cette essence-là telle qu'elle est alors pour ressentir la béatitude, au lieu de commencer à s'imaginer qu'on pourrait avoir une plus grande liberté encore et que ce n'est qu'een l'acquérant que j'aurai la béatitude.

Bardamu a écrit :Plutôt que de parler d'être sage, disons "avancer vers la sagesse", ça évite d'invoquer une sorte d'archétype figé de sage, une forme finale, même si Spinoza utilise un modèle de sage.

On remplace "potentiel" par "capacité" ou "puissance actuelle", on caractérise la Raison comme une forme de puissance de penser (2e genre de connaissance), et il devient clair que tout être ayant un minimum de Raison a la capacité-potentiel d'avancer vers la sagesse : de potentia intellectus.


certes on peut faire ce genre de remplacement. Mais comment la raison pourrait-elle être une "forme" de puissance de penser? Je comprends bien qu'ici par "forme" tu ne parles pas d'une cause finale ou d'une forme aristotélicienne mais juste d'une "sorte" de puissance de penser, mais cela me semble être étrange. Spinoza identifie souvent raison et entendement. Or l'entendement, c'est l'ensemble de nos idées adéquates, c'est-à-dire précisément ce qui définit notre essence éternelle même donc le degré de puissance de penser qui nous caractérise. Ce n'est pas une "sorte" de puissance de penser. C'est notre puissance de penser tout court.
Oui, tout être à un minimum de raison, mais c'est dire que tout être a un minimum de puissance de penser, autrement dit à un degré minimal de réalité. Cela est vrai au sens où rien n'existe sans avoir une quelconque puissance de penser, aussi petite soit-elle. Seulement, l'entendement d'un ignorant est tout petit, donc sa puissance de penser aussi. Donc sa capacité de produire des idées adéquates aussi. Et lorsqu'il lui arrive d'en avoir un peu plus, son essence n'est plus la même essence, il est passé à une autre essence, qui elle se caractérise par une plus grande puissance de penser. Certes, on peut appeler ce passage un "avancer vers la sagesse", mais je ne crois pas qu'on peut dire que l'essence de l'ignorant contient déjà la sagesse "en germe". L'essence de l'ignorant consiste à être ignorant. Il n'y a pas plus de sagesse en lui que ce qu'il a à tel ou tel moment, même pas en germe. Lorsqu'il sera plus sage, il sera moins ignorant, donc ce ne sera plus la même "personne".

Bardamu a écrit :Et au champ sémantique de cette idée est généralement lié celui de mise en place de conditions favorables, de libération de contraintes. Permettre que quelqu'un exprime son potentiel, éduquer pour que se développe un potentiel, se réaliser etc. : de potentia intellectus seu de libertate humana.


oui tout cela est parfait, bien sûr, mais on ne peut plus le dire lorsqu'on abolit toute possibilité de "capacité" au sens de potentiel (substantif). Il n'y a pas déjà là quelque chose en germe qui serait "contraint" de rester non réalisé aussi longtemps que certaines conditions sont absentes. La contrainte chez Spinoza signifie être "co-agi" (coacta. C'est toujours poser un acte, mais ne plus en être la seule cause. Ce n'est plus une contrainte au sens courant du terme. La contrainte n'a plus rien à voir avec ce que Isaiah Berlin a baptisé la "liberté négative" (être libre au sens de être libéré de ce qui m'empêche de faire ce que naturellement/spontanément je ferais). La liberté spinoziste n'est pas une liberté négative (libérer des contraintes), c'est une liberté qui n'est rien d'autre que l'Amour intellectuel de Dieu c'est-à-dire la compréhension d'un certain nombre de choses dans leur essence singulière en tant que celle-ci est éternelle et éternellement telle qu'elle est (et non pas telle qu'elle pourrait un jour être) en Dieu. C'est comprendre qu'une chose est déjà divine telle qu'elle est, est déjà parfait et entièrement "achevée" telle qu'elle est. C'est la comprendre dans ses déterminations, ou comprendre qu'en étant déterminé de cette manière précise, elle est parfaite, divine. En faisant cela, on "se libère" de l'idée inadéquate qu'on avait auparavant de la même chose, aussi longtemps qu'on la concevait comme imparfait, manquant certaines choses dont on trouve qu'il était en elle d'avoir. On se libère donc de ses Passions, si l'on veut. Mais non pas de "contraintes". Et cette "libération" est en réalité un passage d'une essence moins forte à une autre essence plus forte, non pas une "libération" d'une seule et même essence déjà là mais qui ne "se" réaliserait néanmoins pas encore entièrement ou "pleinement".

A bientôt pour une réponse à la suite de ton message (disons déjà que telle que je la comprends, je suis tout à fait d'accord avec la citation par laquelle tu le termines; tenter de l'appliquer à la discussion actuelle ne peut donc qu'être un exercice "fécond").
L.

PS à Hokousai: chouette de vour revoir sur ce forum! Une réponse à votre question arrive sous peu.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 02 sept. 2009, 14:04

Bonjour à tou.te.s,

mon message précédent étant assez long, voici une tentative de résumer/clarifier.

Positions de départ: "il y a un potentiel chez Spinoza" (thèse A) versus "il n'y a pas de potentiel chez Spinoza" (thèse non A).

Se sont exprimés pro la thèse A: Sescho, Durtal, Amstel, Bardamu
Pro thèse non A: louisa, Pascal Sévérac, Charles Ramond, ... .

Argument de départ pro non A: chez Spinoza toute essence est une puissance et non pas quelque chose en puissance (des arguments qui développent cela davantage se trouvent notamment dans le dernier message à Amstel, pg. 2 si ma mémoire est bonne).

Il me semble que dans son dernier message Bardamu reformule un argument qui est revenu régulièrement dans la discussion en distinguant un potentiel pris en tant que substantif, un potentiel pris en tant qu'adjectif, et la potentialité (qui quant à elle est le substantif du potentiel pris en tant qu'adjectif).

Cela permet de nuancer les deux thèses, voir de trouver un moyen qui permet de les résumer sous une nouvelle thèse A2: "toute puissance chez Spinoza est actuelle". On aurait donc peut-être trouvé une issue au problème qui opposait A et non A.

Or les pro A comprennent A2 ainsi: "la puissance spinoziste est un potentiel pris en tant que substantif, potentiel qui lui-même n'est pas en puissance, mais qui est "actuel" au sens où il s'agit d'une capacité réelle, donc actuelle. Ceci correspond à la manière usuelle dont le sens commun comprend la notion de potentiel (j'ai la capacité de devenir un musicien, mais il me faudra encore pas mal de choses avant de pouvoir réaliser cette capacité; j'ai donc en moi un musicien "en germe").

Les pro non A en revanche comprennent A2 ainsi: "la puissance spinoziste n'est ni un potentiel pris en tant que substantif, ni une potentialité ou un potentiel pris en tant qu'adjectif". Il n'y a donc pas de "germe" ou de capacité qui devrait se réaliser. Le jour où je suis musicien j'aurai non pas "réalisé" ou "actualisé" ma puissance ou essence, j'aurai bien plutôt acquis une autre puissance/essence. La puissance ici est une force, et non pas une capacité à actualiser quelque chose déjà là et déjà susceptible de définir l'essence actuelle, mais seulement là en germe donc pas encore réalisé/actualisé.

On a donc en théorie trois choses différentes dans une essence:
- la puissance qui définit l'essence X1
- une capacité contenue dans cette essence X2
- la chose que cette capacité permet de réaliser/actualiser X3.

Ceci permet de mieux exprimer la différence entre A2 du point de vue de A et A2 du point de vue de non A.

Du point de vue de A, A2 dit ceci: dès qu'on a une essence (X1), essence actuelle donc, on a une capacité (une puissance comprise comme un potentiel au sens du substantif) qui y est contenue (X2) et qui donc elle aussi est actuelle. La seule chose qui n'est pas encore actuelle, c'est ce que cette capacité (à l'aide de circonstances externes favorables) va réaliser (X3), mais X2 étant déjà là, on peut dire que X1 contient potentiellement (potentiel au sens de l'adjectif) X3. Ceci correspond parfaitement à la manière de concevoir le mot "potentiel" dans le langage courant, raison pour laquelle on peut sans problème remplacer le mot "puissance" chez Spinoza par "potentiel".

On a donc: A2 du point de vue de A: X1 actuel, X2 actuel, X3 non actuel (à actualiser/réaliser).

Du point de vue de non A, A2 dit ceci: dès qu'on parle d'un potentiel au sens du substantif, donc d'une capacité (X2), il faut effectivement dire que du point de vue du sens commun, dire que quelqu'un a la capacité de (devenir un musicien, ...), ce que le langage commun veut dire, c'est que la personne (X1) qui a cette capacité a réellement cette capacité, donc a cette capacité "en acte", la capacité est actuellement en lui, elle est actuelle. Donc le langage commun dit effectivement ce que A2 dit du point de vue de A. Mais chez Spinoza, A2 signifie qu'il n'y a pas de potentiel, et cela pour les trois sens du mot. Lorsqu'une essence/puissance existe ou est actuelle (X1), elle n'a ni capacité (X2), ni chose à actualiser (X3).

On a donc: A2 du point de vue de non A: X1 actuel, X2 inconcevable (ni actuel ni à actualiser), X3 inconcevable (ni actuel, ni à actualiser). Dire que toute puissance est actuelle revient ici à dire que tout est toujours actuel, qu'il n'y a pas de chose X3 déjà en germe en X2 et qui sera actualisé grâce à un X2 lui-même déjà actuel.

Si tout ceci est correct, le malentendu entre Bardamu et moi-même peut maintenant devenir plus explicite: il pensait que la discussion portait sur le statut de X2. Il pensait que lorsque je parlais de "potentiel", je parlais de X2 (donc d'une capacité), et qu'à mes yeux les pro A défendaient l'idée que X2 serait potentiel (au sens de l'adjectif) c'est-à-dire non actuel, encore à réaliser. Si on identifie alors capacité et puissance, je reprocherais aux pro A de suggérer que l'essence même (X1) est non actuelle, alors que la seule chose qui est potentiel (au sens de l'adjectif) pour les pro A, c'est X3, et non pas X2 ni a fortiori X1. Bref, Bardamu pensait que je pensais que pour les pro A, non seulement X3 mais aussi X2 était non actuel ou à actualiser, alors que pour les pro A seul X3 est à actualiser, X1 et X2 le sont déjà. Raison pour laquelle il essaie depuis un certain temps de me montrer que X2, aussi pour les pro A, est considéré comme étant tout à fait actuel. Que je n'avais pas compris cela était peut-être dû au fait de ne pas distinguer les trois sens différents, en français, des mots "potentiel" et potentialité.

Tout ceci aurait bien sûr pu être le cas. Mais pour moi ce n'est pas ce que j'essayais de dire. Si Bardamu avait raison, je n'aurais pas compris comment le sens commun comprend l'idée de potentiel (X1 actuel, X2 actuel, X3 à actualiser donc potentiel). C'est cela qui faisait que je ne pouvais pas identifier la puissance spinoziste au potentiel du langage courant.

Or ce que j'essaie depuis quelque temps de dire, c'est qu'il y a réellement une différence entre le potentiel du langage commun, compris exactement tel que la distinction introduite par Bardamu permet de l'expliciter, et la puissance spinoziste. C'est que chez Spinoza, il n'y a pas de X3. Il n'y a rien à actualiser. Du coup, il n'y a pas de X2 non plus. Il n'y a pas quelque chose qui est déjà là (actualité de X2) et qui contiendrait en germe X3 (potentialité de X3). Le problème n'est donc pas que moi je pensais que le sens commun disait que X2 est non actual et à actualiser alors que pour le sens commun la seule chose à actualiser est X3. Le problème c'est que je pense que le sens commun est incompatible à ce sujet avec le spinozisme au sens où la question de savoir si X3 est déjà actuel ou nous et la question de savoir si X2 sont déjà actuel ou non ne se posent pas, puisque tout est toujours actuel. Si tout est toujours actuel, il n'y a pas de choses capable de actualiser autre chose. Lorsqu'il n'y a pas de X3 (choses à actualiser), il n'y a pas de X2 non plus (ce qui contient déjà en germe la chose à actualiser, et qui va contribuer à son actualisation). La question n'est donc pas de savoir si X2 est actuel ou virtuel/potentiel (au sens de l'adjectif), le problème c'est qu'il n'y a tout simplement pas de X2, ni actuel ni potentiel (au sens de l'adjectif).

Réfuter non A signifie donc non pas montrer que tout X2 est toujours actuel et non pas potentiel (au sens de l'adjectif), ce que Bardamu était en train de dire. Réfuter non A signifie montrer qu'il est cohérent avec le reste du spinozisme de poser un X3. C'est donc sur X3 et non pas sur X2 que la discussion devrait se porter, au sens où je sais bien que pour le langage commun on a "X1 actuel - X2 actuel - X3 non actuel", me ré-expliquer cela n'était pas vraiment nécessaire. Ce qui est nécessaire pour démontrer la fausseté de non A, c'est qu'on discute de X3 et non pas de X2. Une fois qu'on n'admet plus de X3, on comprend que la notion de X2 perd son sens, et du coup aussi la question de savoir si X2 est déjà actuel et n'existe encore qu'en puissance. Pour le sens commun, X3 est en acte, cela est évident. La question est plutôt: y a-t-il un X3 chez Spinoza?

Là-dessus il me semble qu'on peut ou bien essayer de réfuter les arguments que j'ai déjà donné et qui sont censés prouver que non, un X3 est inconcevable chez Spinoza (donc: pas de potentiel tout court, dans aucun des trois sens indiqués ci-dessus par Bardamu, donc indiqué par le dictionnaire c'est-à-dire le langage courant). Ou bien on peut essayer de montrer que ce qui découle de non A est incompatible avec d'autres parties du spinozisme.

J'ai l'impression que ce n'est pas ce que les pro A pour l'instant font. Les arguments déjà donnés se résument ainsi (sous réserve que je les ai bien compris):

1. on dit que du point de vue du langage courant non A est absurde et que cela suffit pour laisser tomber non A tout court, chez Spinoza ou ailleurs.
Ma réponse à cela était: si on admettait de tels arguments, il faut rejeter 90% de l'histoire de la philosophie (ce que le courant philosophique qui prend cette position comme point de départ n'a pas hésité à faire; il s'agit bien sûr d'une grande partie de la philosophie analytique). Dès Platon en revanche, la philosophie s'est donné comme tâche de développer une alternative par rapport à l'opinion, à la doxa, donc au sens commun, au langage courant qui l'exprime, et cela en inventant de nouvelles façons de penser et donc aussi de parler (le philosophe comme onomaturge, fabricant de nouveaux mots, aussi appelés parfois "termes techniques" (ce qui peut susciter le malheureux malentendu que ce qui est technique n'a pas de sens existentiel, concret, au serait moins essentiel pour "la vie", car "artificiel"). Demander à la philosophie de respecter le langage courant c'est donc lui demander de cesser d'être.

2. on pense qu'il y a un malentendu sur ce que le langage commun dit et on le répète et ré-explique, supposant que lorsqu'on comprend bien le langage courant à ce sujet, on ne peut que dire qu'il y a un X3 chez Spinoza (donc on ne peut lire A2 que du point de vue de A).
J'espère avoir montré ici que non, on se comprend parfaitement en ce qui concerne le langage courant, pas de malentendu de ce côté-là (et donc on peut parfaitement lire A2 du point de vue de non A, c'est même la seule lecture possible lorsqu'il s'agit de Spinoza, ce qui oblige d'abandonner le langage courant). Les distinctions que Bardamu vient d'introduire ont à mes yeux le mérité (à vérifier) de pouvoir mieux faire comprendre que ce malentendu n'existe pas.

3. on prend des passages de l'Ethique et on montre comment les interpréter en partant de la thèse A, pour constater que de prime abord, cela ne rend pas ces passages incompréhensibles ou absurdes. Donc on peut injecter A dans certains passages.
Ma réponse à cela: on peut le faire, mais si cela ne choque pas c'est précisément parce que c'est propre au langage courant de ne choquer personne. Cela en tant que tel n'a rien à avoir avec être réellement compatible avec le spinozisme ou non, car pour ça il faudra vérifier la compatibilité entre A elle-même et le spinozisme dans son entier.

4. on prend la thèse A et on commence à retraduire un maximum de concepts spinozistes en se basant sur A. C'est ce que Bardamu fait dans la deuxième partie de son dernier message. Ici il s'agit d'explorer la thèse A dans toutes ses conséquences, au sein même du spinozisme, afin de voir si l'on rencontre une incompatibilité.
Ce que je lui ai répondu là-dessus pour l'instant, ce sont moins des réfutations ou des démonstrations de l'incompatibilité (même si j'en ai tout de même déjà signalé quelques-unes), je mets plutôt en parallèle exactement le même type d'exploration mais en me basant sur non A, pour montrer que cela marche tout aussi bien (sauf que le résultat est plus choquant, bien évidemment, donc plus "révolutionnaire", au sens où il faut aller à l'encontre du sens commun, où il faut penser d'une autre façon et considérer un instant faux ce que le langage courant prend pour implicitement évident). Des 4 types d'arguments déjà mentionnés, celui-ci me semble être le plus fécond car le fait même que quelqu'un essaie d'explorer les conséquences logiques de A en rendant un maximum de concepts compatibles avec A permet en même temps de préciser le même exercice pour non A. Il n'est pas exclu qu'ainsi un de nous deux, Bardamu ou moi-même, on se heurte tout à coup à des incompatibilités entre le spinozisme et la thèse que chacun défend, incompatibilités auxquelles on n'aurait pas pensé si on n'avait pas fait un tel exercice. Donc je n'exclus pas la possibilité de trouver des arguments qui réfutent non A en faisant ceci. C'est donc une tentative intéressante.

5. on réfute les arguments qu'on peut donner explicitement pro non A. De prime abord, j'aurais pensé que c'est ce qui est le plus facile et le plus rapide pour réfuter non A. Raison pour laquelle j'ai déjà donné quelques-uns de ces arguments. Or pour l'instant personne ne s'y est attaqué. A mes yeux, elles restent donc valides, ce qui fait que développer la problématique en suivant une argumentation de type 4 vaut la peine, non seulement pour A mais aussi pour non A.

Bon, ce message n'est probablement pas plus court que le précédent ... j'espère au moins qu'il soit plus clair. Si c'est le cas, merci à Bardamu d'avoir rappelé les trois sens du dictionnaire, car c'est cela qui aura alors permis d'au moins déjà dénouer unmalentendu, qui faisait que pour un instant on ne parlait pas de la même chose (moi de X3, Bardamu de X2, alors qu'on pensait qu'on parlait d'exactement la même chose).
L.

PS: puisque cela fait quelque temps que je n'ai plus relu Sévérac, il est peut-être plus prudent de dire que tout ce que j'attribue aux pro non A ici est en grande partie ce que je suis en train de développer moi-même, sur base des objections qui arrivent sur le forum et de ce que j'ai en tête de Sévérac. Par conséquent, il vaudrait mieux vérifier tout ceci point par point avec ce qu'il écrit pour pouvoir dire que partout où je dis "pro non A", aussi bien Sévérac que Ramond et d'autres sont d'accord. Si du coup on préfère restreindre le nombre des pro non A à moi seule: ok, pas de problème.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 02 sept. 2009, 17:22

PS à Bardamu

Peut-être que ceci aidera à rendre les choses plus claires encore. On pourrait dire que la thèse non A correspond en un certain sens à ce que le philosophe américain Arthur Lovejoy a appelé le "principe de plénitude". Celui-ci stipule que tout possible se réalise dans le temps.

A cela s'oppose l'idée leibnizienne qu'il y aurait du possible qui ne se réalise pas, ce qui signifie alors que dans un autre monde, où d'autres conditions sont satisfaites, ce qui dans notre monde était possible mais ne s'est pas réalisé (précisément parce que les conditions favorables manquaient (je l'avais en moi de devenir musicien, mais je n'ai jamais pu toucher à un instrument ni entendre de la musique ni suivre des cours, donc jue ne le suis pas devenu)), se réaliserait effectivement. Seulement chez Leibniz ces autres mondes en restent à un état potentiel, puisque seul le meilleur des mondes se réalise. Mais donc le meilleur monde n'est pas le seul monde possible. On aurait potentiellement pu avoir un autre monde, où j'étais réellement devenu musicienne (il aurait suffi que Dieu aurait choisi cet autre monde). Ce qui est commun aux deux mondes, c'est que j'avais le potentiel (la capacité, X2) de devenir musicien. Dans l'un monde je le réalise, dans l'autre non.

Mais ce principe s'oppose également au potentiel au sens du langage courant, puisque même jusqu'aller à la supposition explicite d'autres mondes possibles, celui-ci présume qu'il y a du possible qui peut ne pas se réaliser. Il y a donc toujours un "reste", un "arrière-monde" si l'on veut (je suis devenue scientifique, mais j'aurais pu devenir musicien). En ce sens, le langage courant a besoin d'un monde qui n'atteint jamais un état de "plénitude". Alors que le monde spinoziste est toujours déjà dans cet état. Il n'y a là aucun possible qui ne se réalise pas. Tout ce qui est logiquement possible s'y fait. Il n'y a ni mondes possibles non réalisés comme chez Leibniz, ni possible non réalisé comme dans le langage courant. C'est cela que signifie abolir toute idée d'un X3. Et c'est pourquoi abolir X3 implique nécessairement abolir X2. Autrement dit, il n'y a rien qui n'est pas parfait, il n'y a rien qui n'est pas à son état pleinement "achevé", et la béatitude consiste précisément à pouvoir comprendre cela, à pouvoir "aimer" même cela.

Donc dire que tout est parfait dans le monde, c'est dire que le monde est "plein", et donc qu'il n'y a aucun X3. S'il n'y a pas de X3, il n'y a pas de X2, ni à l'état actuel, ni à l'état potentiel. S'il n'y a pas de X2, X1 est toujours pleinement ce que la chose est (ce qui est logique, puisque X1 n'est rien d'autre que l'essence même de cette chose ...). Si aujourd'hui je en suis pas musicien mais j'aime bien la musique, je pourrai, si les circonstances sont favorables, être un excellent musicien dans vingt ans. Seulement, dans un monde "plein" il faut dire que ce musicien, c'est n'est plus le même moi. "Je" n'est pas un autre, comme le conçoit le Romantisme, "je" est devenu un autre, et n'était pas du tout cet autre avant de le devenir, même pas "potentiellement".

Le langage courant suppose que si à un moment x il y a un X3, alors il doit y avoir un moment x - 1 où une capacité X2 contient déjà la potentialité de X3 en soi (tout en étant elle-même, en tant que capacité, actuelle, bien sûr (encore une fois, c'est là qu'était le malentendu entre nous, tu supposais que je n'avais pas compris que dans le langage courant X2 est censé être actuel, alors que cela je le savais pertinemment)). Cela, c'es se laisser leurrer par ce qui n'est qu'une succession temporelle donc imaginaire. En réalité, l'essence éternelle de X3 (si on considère X3 un instant comme un état du monde, et non pas comme quelque chose d'actualisé ou à actualiser) est donnée simultanément en Dieu que l'essence éternelle de X1, si bien qu'il ne faut aucune "médiation" par X2 pour pouvoir produire X3. C'est Dieu qui en tant que cause immanente produit X3. Il n'a pas besoin de d'abord créer la possibilité de X3 pour ensuite créer X3 lui-même.

Dire qu'il n'y a pas de potentiel ne signifie donc pas que X2 est toujours actuel, comme tu sembles l'avoir compris. Dire qu'il n'y a pas de potentiel signifie qu'il n'y a et qu'il n'y aura jamais de X3 ni X2. Il faut donc penser un actuel qui n'est pas précédé par un potentiel (aux deux sens du mot, adjectif et substantif). Le monde est plein signifie tout est toujours déjà en acte, rien ne se trouve à l'état potentiel, rien n'est "en puissance" (et par conséquent rien n'est "puissance" au sens courant de "capacité"; tout est puissance au sens de force d'exister). C'est dire qu'avec Spinoza, le mot potentia a changé de sens. Que le langage courant du XXIe siècle n'a pas repris ce sens-là mais a continué à penser la potentia dans un sens fondamentalement aristotélicien (= supposer qu'il y a des X3 dans le monde) n'est pas un problème en soi. Cela signifie juste qu'il faut bien préciser de quelle puissance on parle lorsqu'on utilise ce mot, du sens proprement spinoziste, ou du sens courant, où l'on peut identifier puissance et capacité et où la puissance implique qu'il y a des choses qui aujourd'hui n'existent que "en puissance", qui ne sont que potentiellement, et pas encore en acte (et qui peuvent le cas échéant ne jamais s'actualiser, si les circonstances favorables manquent).
L.

PS: on pourrait donc résumer le malentendu ainsi: tu penses que lorsque je dis qu'il n'y a pas de potentiel chez Spinoza, je veux dire que toute puissance/capacité est toujours actuelle, autrement dit que tout X2 est actuel. Tu réponds alors - à raison - que cela c'est exactement ce que le langage courant pense aussi, et que donc dire cela ce n'est pas abolir tout potentiel, le langage courant a bien raison de continuer à maintenir l'idée de potentiel. Par conséquent, si Spinoza dit que toute puissance est toujours actuelle, cela n'enlève en rien le fait que chez Spinoza il y a du potentiel (car il y a du X3, l'actualité de X2 est même précisément ce qui rend X3 concevable). Or, ce que je dis moi-même, c'est que Spinoza abolit tout potentiel, donc aussi celui de X3, et en cela il est obligé de laisser tomber tout X2, ce qui aboutit à une pensée totalement différente de ce que pense le langage courant à ce sujet.

LORSQU'on présuppose un potentiel ou du potentiel (X3), on est obligé d'accepter l'actualité d'X2. C'est ce que fait le langage courant, comme tout le monde le sait, moi-même y compris. Spinoza en revanche abolit cette présupposition même, ce qui détruit toute X2, raison pour laquelle la question de l'actualité ou d'une éventuelle potentialité de X2 n'est plus pertinente (car dire que X2 dans le langage courant est actuel n'est en rien une preuve de l'idée que chez Spinoza il n'y a pas de X3 et donc pas de X2 non plus.


Autrement dit, dire que dans la thèse A la puissance/capacité (X2) est toujours actuelle ne réfute pas la thèse non A, qui va beaucoup plus loin et qui dit qu'il n'y a pas de choses non encore actualisées c'est-à-dire potentielles (X3). Rappeler que dans un certain sens pour le langage courant la puissance est actuelle ne sert donc à rien, puisque ce dont il s'agit c'est la possibilité même d'avoir quelque chose qui n'est pas encore actualisé, qui n'est qu'"en puissance", ce qui est tout à fait impensable dans le langage courant. Il faut donc réfuter la thèse qu'il n'y a pas de X3 chez Spinoza si on veut réfuter la thèse non A, et non pas rappeler que dans la thèse A seul X3 est potentiel, mais pas X2.

Ou encore: on peut comprendre le mot "puissance" (ou "potentiel") en trois sens différents:
- (chez Spinoza) l'essence d'une chose est puissance (X1)
- une chose peut avoir la capacité ou puissance d'actualiser quelque chose (X2)
- la chose qui sera actualisée n'existe d'abord qu'en puissance (X3)

Pour le sens commun ou le langage courant, deux de ces trois puissances doivent être en acte ou actuelles pour que la troisième ait un sens (X1 et X2 doivent être actuels, sinon il n'y a pas de chose potentielle X3, ni d'actualisation possible).

Dans le spinozisme en revanche, aucune chose ne peut être "en puissance". X3 n'existe pas. Il n'y a aucun potentiel au sens d'être "en puissance". Une fois le troisième sens aboli, le deuxième perd immédiatement lui aussi sa pertinence. On aboutit à une notion de puissance qui n'existe plus que dans son premier sens, totalement délié de toute idée de potentiel. On pourrait éventuellement dire que dans le spinozisme (tel que le défend la thèse non A) les trois types de puissance sont toujours déjà actuels, et non pas deux, mais ce serait ne pas tenir compte de l'effet logique d'abolir toute potentialité du côté de l'X3. Il vaut donc mieux dire qu'il n'y a qu'une sorte de puissance, et que celle-ci est toujours en acte, si bien que plus rien n'est potentiel. Il n'y a donc ni du potentiel (substantif), ni de la potentialité (ou du potentiel en tant qu'adjectif), là où le sens commun non seulement admet les deux mais en a besoin pour faire fonctionner correctement le langage courant.
Modifié en dernier par Louisa le 02 sept. 2009, 19:08, modifié 4 fois.

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Messagepar hokousai » 02 sept. 2009, 17:31

Chère Louisa

lorsque vous écrivez une nouvelle thèse A2: "toute puissance chez Spinoza est actuelle".
On a l’impression que vous attribuez à vos adversaires l’idée suivante « toute puissance est impuissance…inactuelle donc impuissance par rapport à l’acte » .

Ce qui n’est pourtant pas leur point de vue décrit par (vous)une capacité à actualiser quelque chose déjà là et déjà susceptible de définir l'essence actuelle, mais seulement là en germe donc pas encore réalisé/actualisé.
Il ne serait pas de l’essence de l’actuel d’ être le ferment de l’actuel ainsi de s’auto produire , c ‘est à dire d être plus que du factuel .

Comment le fait (un élément de l’état des choses ) sort il de lui même ?
Un fait (serait -il un fait d’une puissance infinie (puissance au sens de réalité d être )) n’est pas susceptible d’ engendrer un autre fait s’il est privé d’ un principe de mouvement .(extérieur ou inhérent ….enfin bref d’un principe de perturbation de la facticité )

Nous n’avons pas accès à la connaissance d’un fait de puissance infinie, les faits se présentent comme de puissance finie et aptes à engendrer d’autres faits de puissance d’exister finie.
Conclusion il faut accorder aux actes plus que du factuel , c’est à dire du désir de la tendance ,du tropisme , du projet ,de l’intention , tout ce que vous voudrez de cet ordre là que vous semblez refuser de voir .
Modifié en dernier par hokousai le 02 sept. 2009, 20:51, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 02 sept. 2009, 19:47

"LES IDEES DES CHOSES SINGULIERES AUTREMENT, DIT DES MANIERES, QUI N'EXISTENT PAS DOIVENT ETRE COMPRISES DANS L IDEE INFINIE DE DIEU DE MEME QUE LES ESSENCES FORMELLES DES CHOSES SINGULIERES, AUTREMENT DIT DES MANIERES, SONT CONTENUES DANS LES ATTRIBUTS DE DIEU".

P8 E2


L'on est prié de méditer là dessus.

D.


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