Musique

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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aldum
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Messagepar aldum » 12 oct. 2012, 20:46

à LARRY


Outre le glissement « naturel » au fil du temps du sens des mots, Spinoza y applique fréquemment, dans l'usage qu'il en fait, un sens particulier ; je ne suis pas sûr qu'on gagne beaucoup en cherchant à concilier le sens habituel avec celui qu'il adopte ; il me semble plus essentiel d'analyser la définition plutôt que le mot lui-même ; ainsi de l'admiration, qui est pour nous comme une sorte d'amour révérencieux ; l'associer à la nouveauté, puisque c'est la position de Spinoza, peut je crois se comprendre ainsi : la perception d'une chose singulière parfaitement nouvelle ne provoque pas instantanément en nous un affect d'amour  ou de haine (même si la haine semble avoir un caractère plus spontané que l'amour...) l'amour véritable implique la connaissance la plus large de la chose considérée (contrairement à la passion amoureuse, qui fonctionne à l'imagination et au délire) La découverte de la nouveauté nous laisse dans l'attente, me semble-t-il, d'un jugement sur elle ; devant une « puissance » inconnue, nous ressentons le besoin d'évaluer la possibilité et la nature de son action sur nous ; (ce que nous ne formalisons évidemment pas de manière explicite) un temps, donc, ou nous restons comme intimidé, indécis, irrésolu, en attente de jugement ; « admiratif » donc ! ce n'est qu'après ce temps, d'appropriation si l'on veut, que nous aimons cette chose, selon la résonance qu'elle provoque en nous, ou qu'elle nous apparaît indifférente ; au moins est-ce comme ça que je le comprends 

Pour ce qui concerne l'expression artistique, considérée du côté créateur, et l'étant peu, j'imagine qu'elle procède de la nécessité d'exprimer sa puissance et de la donner en partage, mais c'est un peu court ; par contre, comme amateur (consommateur?) d'oeuvre d'art sous diverses formes, je dirais avec N Grimaldi qu'elle tend à compenser l'insatisfaction foncière de l'homme, qui me semble faire partie de son essence... «  si belle que soit notre vie, elle ne nous en prive pas moins de toutes les autres vies possibles »   l'art, spécialement la littérature, la poésie, nous permet en quelque sorte de vivre ces autres vies, d'échapper à la pesanteur du quotidien en sublimant la nôtre ;
mais votre question portait essentiellement sur la musique ; or, quoiqu'on parle à son propos de langage, la musique est, strictement, idiote (elle ne « dit » rien) et ne véhiculant aucun sens, elle les autorise tous ; elle est pour moi comme un réservoir de sentiments, dans lequel on puise pour les agencer à sa guise ; l'imaginaire encore ; une dernière remarque sur notre besoin d'art : nous ne sommes vraiment heureux que lorsque nous échappons au temps, le temps qui nous limite; et aucun conatus ne se plaît à s'imaginer absent... au-delà du plaisir sensuel dû à l'harmonie, au rythme, la musique, par sa nature réitérable ad libitum permet, dans l'instant, cette échappée ; je le ressens en tout cas de la sorte...

Enfin, Spinoza est, à tout le moins, discret sur la question de l'art ; on pourrait évidemment s'interroger sur les conditions de son accès, au 17° siècle pour un individu socialement modeste ; mais si, comme je le crois, le besoin d'art est l'expression d'un manque, il reste concevable qu'un seul « plan de vie », celui de Spinoza entièrement orienté vers la recherche de la vérité (ou pour d'autres, le mysticisme, l'engagement politique ou l'érotisme) puisse suffire à combler une existence.

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LARRY
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Messagepar LARRY » 15 oct. 2012, 16:16

A aldum


J’aurais dû penser, qu’adoptant le latin, Spinoza utiliserait sans doute le mot : « admiratio » dans le sens d’étonnement qu’il a dans cette
langue…Étonnement que la nouveauté provoque tout naturellement et qui, en attente d’un jugement et d’une appropriation comme vous le dites très bien, peut alors laisser place à un affect d’amour, (sinon, bien sûr, de haine ou d’indifférence…)

Que l’on ait traduit le mot par admiration nous tire forcément vers le sens plus actuel d’une sorte de jubilation émerveillée,(certes mêlée d’étonnement ) ressentie par l’amateur d’œuvres d’art ; jubilation admirative qui le laisse bouche bée, disons, à chaque expérience mille fois répétée alors que la nouveauté s’est effacée.
C’est, en fait, cette permanence d’une œuvre à déclencher la même émotion, dont j’ai voulu faire part et que j’ai essayé de comprendre tout au long de ce fil, sachant qu’elle émane de l’œuvre elle-même, comme si elle avait un pouvoir sur nous. Une sorte de « présence » qui défie les siècles et qui ne laisse pas de m’intriguer.

C’est donc bien à tort que j’ai incriminé Spinoza sur ce mot, car, je suis bien d’accord avec vous qu’il faut avant tout chercher à comprendre le sens qu’il a donné à ses mots, (les mots ont un sens donné ou on leur ajoute un sens, c’est une autre question…)

Quant à l'expression artistique considérée du côté créateur, elle procède effectivement d’une sorte de nécessité impérieuse d'exprimer ce qu’on est capable de faire et de le donner en partage, c’est ce que je ressens moi-même dans mes modestes travaux de peinture ; donner en partage c’est chercher l’acquiescement des autres à ce qu’on est, et à nos « réponses » pourtant toute personnelles que sont nos tableaux.

Pourquoi ce besoin ? Serait-ce pour justifier notre appartenance au groupe humain et qu’il nous accepte ?…
L’expression d’un manque, dites vous, mais que manque-t-il ?

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Messagepar aldum » 16 oct. 2012, 20:40

Spinoza met en relief le décalage qui existe entre les motivations imaginaires que nous associons généralement à nos actions , et leurs motivations réelles; nous cherchons naturellement à augmenter notre être , à affirmer notre puissance ; l'artiste en devenir a choisi la voie de l'art, probablement parce que, touché un jour par la perception d'une œuvre, en a reçu cette conviction que c'était la voie qu'il devait lui-même emprunter ; et comme, au surplus, nous désirons et nous imaginons que les autres partagent nos jugements, et aiment ce que nous aimons, il s'ensuit pour lui ce « besoin » de création d'abord, et cette « offrande en partage » de son œuvre.

Si nous suivons Spinoza dans son analyse des affects, nous devons admettre avec lui le caractère à la fois fortuit (dépendant des rencontres) et nécessaire (quand elles ont eu lieu)de leur manifestation : si l'oeuvre l'a marqué, c'est, croit-il, par les qualités qu'elle possède en propre, alors que, pour Spinoza, seul le plaisir associé à la reproduction d'une expérience antérieure analogue, celle-ci accompagnée elle-même d'un sentiment de joie dont elle n'était pas la cause, autrement dit une association par accident, explique l'amour que nous croyons suscité par quelque qualité intrinsèque de la chose considérée)

Cela dit, admettre une genèse, débarrassée de toute transcendance, désillusionnée, du sentiment esthétique, ne prive, par bonheur, nullement de la jouissance qu'il provoque : le beau existe bien comme effet.

Enfin, concernant toujours le « besoin » à l'origine, tant du désir de création artistique que de l'usage de ses productions, vous vous interrogiez sur la nature du « manque » que j'ai évoqué ; je crois que le « manque » en question, qui me semble être un sentiment d'insatisfaction foncière inhérent à la nature même de l'homme , est, pour son malheur, sans objet défini ; et c'est peut-être une tentative pour le combler qui nous détermine à nous investir, avec parfois la frénésie que l'on sait, dans telle voie que nous croyons être la nôtre.

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Messagepar LARRY » 18 oct. 2012, 12:12

Le sentiment esthétique existe, plus ou moins, en nous et provoque de la jouissance, celle qui nous fait dire qu’une chose est belle, mais ce n’est qu’une façon de dire notre émotion ; " beauté" n’est pas, en effet, une qualité propre à l’objet, mais un « degré » d’émotion esthétique ressenti…
- Quid du mot esthétique ?
-Mon intuition c’est que nous donnons à cette émotion, par commodité de langage et de partage, une place à part munie de cette étiquette, alors qu’elle fait bien partie de l’émotion globale amoureuse qui nous invite à « persister dans notre être », à nous perpétuer…
De la voix qui m’émeut, du visage, de la forme que j’admire, de la démarche qui me fascine je dis (bêtement) qu’ils sont beaux ! Mais que sont-ils sinon des signes de reconnaissance de l’espèce et des signaux attractifs ?
Notre langue, comme les autres, est simplificatrice et se prête à l’illusion, elle "veut " désigner une qualité plutôt qu’un acte, car ce serait trop difficile. A nous, donc de comprendre que beauté ou laideur signifient degrés d’attraction ou de répulsion !

- Mais alors pourquoi dire un bel arbre, une belle musique, un beau paysage ?
- C’est que ma puissance d’aimer dépasse le seul objet de mon espèce, elle s’étend à tout son territoire.
Bref, la beauté en tant que qualité objective est bien une fiction, une manière de dire inévitable et universelle, car on ne fait jamais qu’habiller cette émotion du mot qu’on trouve dans sa langue, faute de mieux…

C’est assez dire que je ne crois pas à la transcendance de cette notion et pourtant j’ai dit qu’une œuvre d’art persiste à nous émouvoir comme si elle possédait une telle notion en propre…Mais c’est là une illusion.
Que comprendre, donc ? Je reconnais, j’approuve, j’admire ou non ; en un mot : j’aime ou je déteste ce que je vois ou entend, mais cet objet ne fait que " transmettre" l’émotion créatrice de l’auteur, son talent, son imagination, au degré atteint par l’œuvre, attractif, ou répulsif.

Nous reconnaissons une démarche et épousons les émotions d’un artiste en découvrant l’objet créé. C’est l’opinion que j’en ai aujourd’hui…

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Messagepar LARRY » 17 nov. 2012, 17:51

Gilles Deleuze nous dit dans son Abécédaire : "Créer, c’est avoir une idée"…
Une idée inventive aux diverses et multiples formes : de Concepts pour le philosophe, de Percepts pour l’artiste, ou d’Affects pour le musicien…
Trois formes spécifiques mais liées, et en résonance..

Le percept est « un ensemble de perceptions et de sensations qui survit à
ceux qui les éprouvent. »
N’y a-t-il pas ici confirmation de ce j’ai appelé la présence permanente d’une œuvre ? car il s’agit bien de survivance, chez le spectateur de tous les âges, d’un complexe de sensations inventées par l’auteur.

Le spectacle vivant à tôt fait de nous échapper une fois achevé, mais celui évoqué par l’œuvre : roman, peinture, film, etc…, s’ancre dans la durée à l’instant de son achèvement… Encore faut-il qu’il y ait une idée, c’est-à-dire une invention de quelque chose, ce que Deleuze appelle un Percept, et non une platitude quelconque vouée à un oubli certain…

Survivance donc qui nous dépasse, comme nous dépassent les complexes de sensations nommés Affects, créés par les musiciens, à savoir : « des devenirs qui débordent celui qui passe par eux »…

Je n’ose parler de l’idée de Concept à la place du philosophe de passage, l’étant moi-même encore trop peu pour en parler adéquatement…
Selon Deleuze le philosophe nous fait voir des choses en créant des concepts, c’est un voyant…
Spinoza est un voyant, Nietzsche est un voyant… Leurs concepts, en effet, nous éclairent.

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Messagepar LARRY » 20 nov. 2012, 11:15

Un philosophe, un homme de raison, cherchent la vérité d’une chose en éliminant ce qui lui est adventice, imbriqué, ou surajouté, bref ce qui ne lui appartient pas en propre.

Or, ce concept de vérité me paraît remarquablement lié au percept de sculpture d’Alberto Giacometti , qui cherchant la vérité d’un homme, enlève peu à peu de sa motte de terre tout ce qui n’est pas lui…A la fin, s’il enlevait encore un morceau ce ne serait plus un homme, mais n’importe quoi, et ainsi fait-il, d’ailleurs, du chat ou du chien…

Pas d’enflure ni de graisse superflues, on peut s’en passer ; mais de l’ossature et de la peau qui la couvre, on ne peut pas…
La posture est celle, naturelle, de l’homme qui marche, et non de l’homme qui pose. On ne peut pas ne pas marcher.

Recherche de la Vérité , quelle soit du philosophe ou du sculpteur, ce qui montre bien l’exactitude de l’intuition de Deleuze, que Concepts et Percepts sont liés, ainsi qu’Affects, car qui niera la liaison, la connivence de la musique et de la poésie, ou du film, et de même, la couleur ?

Je regrette de ne pouvoir montrer ici une ou des images de sculptures d’Alberto, mais elles sont tellement célèbres que ce n’est peut-être pas nécessaire…


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