Conscience et conscience de soi

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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sescho
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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar sescho » 19 janv. 2015, 20:48

A Hokousai,

Mes propres messages précédents (en particulier suscités par les vôtres) m'obligent à chercher une clarification : Si la Conscience est Dieu, peut-elle aussi constituer un "moi". Il semble qu'il faut choisir...

Je dis : Dieu, sujet et objet sont indissociables dans la perception : c'est parce qu'il s'auto-distingue de l'objet que le sujet s'apparaît (presque une lapalissade...), et que par là-même il comprend la communauté d'être entre lui-même et l'objet, et donc Dieu.

On peut ajouter à cela des réflexions telles que :

- Le couple sujet-objet est déjà un paradigme, qui apparaît issu d'une vision théorique prétendûment "de l'extérieur" : un pseudo-observateur extérieur juge qu'il y a une relation entre parties d'un tout, celle d'un spectateur qui "ressent l'autre partie intérieurement" (pas facile à exprimer...), appelé "sujet", et cette "autre", appelée "objet."

- Comment le sujet, qui conçoit tout sans exception (donc rien ne lui est extérieur), peut-il concevoir plus grand que lui ? (Cela rejoint le début du CT, par exemple : comment le fini peut-il avoir conscience de l'infini ?)

- Ce qui est Un n'est ni deux, ni trois...

- A quel titre la perception "il-y-a" devrait-elle être doublée d'un percevant ?

- Si on admet qu'ultimement "il n'y a plus de spectateur, il n'y a plus que le spectacle", qu'est-ce qui justifie de parler de "moi."

- Etc.

Il n'y a apparemment qu'une solution possible :

- Ultimement, "je" suis Dieu, mais "je" n'a alors absolument rien de personnel : je = "il y a" = Conscience pure.
Il faut donc impérativement admettre l'identité du sujet et de Dieu (atman = brahman.) Mais cela impose par conséquent aussi l'identité de l'objet - qui sinon n'aurait plus aucune place, ce qui n'est pas acceptable - et de Dieu. Ce n'est rien de dire que Spinoza avait les meilleures raisons de postuler le parallélisme (même s'il ne tient pas l'examen...) Déisme = idéalisme = matérialisme... Impressionnant !

- Secondairement (à tous les titres, mais l'existence particulière l'exige quand-même) : il y a des choses et moi... Modes de Dieu, modes de je = Conscience = Pensée, modes de Étendue...

Je crois, mon bon Hokousai, que je vous concède là (volontiers, mais peut-être me raviserai-je ensuite... :-)) une différence entre "Conscience / sujet / objet" et "moi" (Jourdain ne serait sans doute pas d'accord, et c'est à voir avec Lavelle, mais bon...) :-)
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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar aldo » 19 janv. 2015, 21:28

Sescho a écrit :Qu'appelez-vous "singularités" et comment justifiez-vous l'emploi de ce terme précis ?

- Une singularité, c'est quelque chose qui est distingué à parti du divers, de la multiplicité du divers, par différenciation (elle se singularise). Le terme (deleuzien) s'oppose donc à l'identité ou aux essences qu'il est question de reconnaître. Quand je dis que les lois que vous envisagez comme éternelles devraient s'appliquer aux singularités, ça veut dire qu'elles devraient comprendre, inclure le mouvement des choses, y compris la création de nouveauté, pour être crédibles.

Sescho a écrit :Chez Spinoza, les choses singulières sont les choses particulières (essence de mode) existant en acte (existence, modale.) L'existence est donc sans rapport avec les modes en tant que pris "en eux-mêmes", autrement dit il n'appartient pas à leur nature d'exister : exister n'appartient qu'à la nature de Dieu.

- Jusque là, je crois comprendre. Il me semble à peu près concevoir l'existence de "modes" et leur place vis-à-vis de la Substance, sans que rien ne me choque dans cette façon de présenter les choses. Pas grand chose à dire donc, si ce n'est que je profite de cet espace pour vous demander pourquoi ne pas rendre Spinoza accessible en disant "la Vie" plutôt que Dieu ou la Nature ? (et continuer de la même façon à "remettre à jour" ses concepts : "modes de vie" au lieu de modes etc)

Sescho a écrit :Les choses particulières ne sont PAS concevables en elles-mêmes, elles ne le sont qu'en Dieu, qui apparaît donc nécessairement avant (ou contenant) ontologiquement (c'est juste dire la même chose.) Ceci implique beaucoup plus d'empêchement à poser les choses de certaines manières qu'on ne semble le comprendre très généralement. Par exemple, dire qu' "une chose change" est déjà largement invalidé...

- J'entends bien ce que vous dites mais je vous réponds en dehors de l'aspect conceptuel. Et donc que la perception première des choses est faites d'éléments qui nous entourent (c'est là que j'ai mis "d'abord" en lieu et place de "avant") ; et donc que la relation directe qu'on en a à travers l'expérience empirique se fait (d'abord) à partir de cette perception. Il y a donc un double processus, le premier empirique, expérimental ; le second pensé, où il est effectivement difficile d'avoir beaucoup à dire quant à la supposée identité de chaque éventuelle chose (choses sur lesquelles il est déjà impossible de s'entendre quant à une définition : on ne parle jamais de la même chose).

Sescho a écrit :Les choses singulières ne sont pas connaissables adéquatement en tant que singulières (c'est-à-dire non pas en généralité, mais telles qu'elles sont de fait, en acte, présentement.) En fait, comme elles changent en permanence, elles n'existent même pas (en tant que "choses") : il y a juste : cela, maintenant. Ce n'est qu'en passant à l'essence de genre qu'on peut raisonner dessus, mais nous sommes alors passés aussi aux notions générales et autres concepts, et la "singularité"(mais pas l'individualité en général) a alors déjà disparu...

- Chez Deleuze, les choses sont envisagées par différentiation (à travers donc les singularités distinguées) et non recognition. Deleuze n'est pas phénoménologue, il n'envisage pas de concepts dans un système sujet/objets. Il y a d'un côté le rapport direct, empirique, à base d'un sujet et de son "extérieur" ; de l'autre la pensée qui conceptualise ces expériences à partir "d'événements" (et non depuis un sujet toujours problématique). L'événement est ce qui fait sens, ses manifestations sont ce que nous expérimentons. Sujets et objets sont deux inconnus qui ne se croisent que sur le plan de l'expérience. Il n'y a pas d'essence chez Deleuze, ni dans l'identité ni dans le mouvement (pas de cause première, pas de finalité). Les concepts deleuziens ne sont pas identitaires, mais issus de la différence.

Sescho a écrit :Dans l’Étendue, le Mouvement - dont ses lois éternelles - est la cause (englobante) de toutes les choses particulières (corps) ; autrement dit, il n'y a pas de différence de nature entre le Mouvement dans l’Étendue et l'infinité des corps et mouvements de corps "effectivement possibles" (inclus dans la nature de la Nature.) Dans la Pensée, la structure est différente (malgré le parallélisme) : l'Entendement infini est statique et comprend en une unique idée simple la nature même de Dieu (ce qui englobe évidemment - en un Tout unique simple, toujours - toutes les idées des corps et mouvements de corps, en interaction globale.)

- Oui le mouvement comme cause première, pourquoi pas pour le coup. Le mouvement, la vie... Mais quand vous dites que "l'entendement infini est statique", je m'interroge : comment l'entendement pourrait-il être statique si les choses changent, si on prend en compte l'idée de nouveauté ? (la nouveauté étant ce à quoi que vous ne répondez pas vraiment malgré tout : y a-t-il oui ou non création de nouveauté pour vous ?).

Sescho a écrit :Le problème est celui qu'on se pose effectivement ; sinon, il n'y a tout simplement pas de problème.

- oui enfin bon, c'est vite dit 8-)

Sescho a écrit :Sur le "en réalité (sic)" : je parle de la réalité de l'état de connaissance (adéquate ou non) d'un individu, rien de plus. (Et je vous conseille aimablement en passant de faire un usage modéré des "(sic)".)

- Désolé pour le sic. Il n'était pas ironique mais se voulait simplement marquer la reprise de votre en réalité dans les mêmes termes (je m'explique plus bas sur le reste).

Sescho a écrit :La contemplation - qui est en fait la conscience se voyant elle-même - est certainement un
état supérieur de conscience, et même ce n'est pas un état : c'est la conscience même. Louis Lavelle, qui se situe par rapport à Spinoza - sans forcément le contredire absolument - dans une position plus centrée sur le sujet en direct "live" : "acte", "création de soi-même dans le présent", etc. (mais tout cela inscrit dans une participation au Tout), dirait je pense que la contemplation ne recouvre pas tout : il semble (effectivement) manquer quelque part la volonté, l'action motrice, etc.

- Ça se discute. C'est effectivement une tradition courante en Orient que de dire que la contemplation serait conscience, conscience pure. Ça ne me satisfait pas. De deux choses l'une ; ou bien la contemplation est conscience et alors rien n'interdit de définir ce qu'est la conscience ; ou bien elle est une forme particulière de conscience (un état de conscience) et alors on peut la définir sans tant recourir que ça à ce terme de conscience, trop ambigu à mon goût (la meilleure preuve étant que vous n'arrivez pas vous accorder avec hks dessus). Je ne m'attarde pas à développer ici sur la contemplation, on pourra en reparler... on est en tous cas d'accord pour dire qu'elle ne semble pas recouvrir une totalité de la pensée.

Sescho a écrit :Il n'y a pas de différence entre Dieu et la Conscience pure (éternelle, infinie, et bien sûr impersonnelle) mais tout en même temps, en second niveau (ontologique ou non), vient la conscience réflexive du sujet (c'est a priori celle que retient hokousai), celle de l'objet comme "séparé" (distinct), et donc d'un Dieu plus grand que moi. Pour moi, la Conscience pure ne peut s'identifier chez Spinoza qu'à l'attribut Pensée (vu par lui-même en tant que pensée directe, intuitive - non théorique donc), ce qui correspond parfaitement à ce qui précède.

- A mon tour de répondre qu'une Conscience pure ne me parle pas. Sinon je peux envisager (je crois) la pensée et l'étendue en tant qu'attributs d'une Substance (la Vie). De là à parler d'une Conscience Pure qui serait la Pensée, sans vous manquer de respect, ça ne fait pas du tout sens pour moi. Quelle pensée impersonnelle serait "conscience pure" ? Sur la base de la contemplation ? Mais peut-être pouvez-vous développer ?

Sescho a écrit :"Futur précédant le passé" ne "tenant pas" : je ne comprends pas vos arguments. Par ailleurs, comme Lavelle, qui dit cela, outre d'être un grand esprit en général de mon point de vue, tend plus que Spinoza à mettre en avant la "nouveauté" (sorte de "création continuée", dans le cadre de la participation au Tout), peut-être faudrait-il regarder d'abord ses arguments.

- J'ignore le processus de pensée qui amène Lavelle à mettre le futur avant le passé. Ce que je dis est plutôt simple : la contingence fait partie du futur, or dans le futur, il y a de la contingence (en tous cas en l'état actuel de nos connaissances). Par conséquent aucun possible d'ordre humain n'est susceptible d'envisager sérieusement le futur : quelque chose intervient toujours (et déjà l'évolution du contexte) qui fait que le futur n'est jamais ou presque tel qu'imaginé (ou alors, c'est que les causes sont mécaniques) ; même si, après coup, on pourra peut-être définir les causes qui ont modifié les états des choses.
Et pour aller un peu plus loin : ce qui n'apparaît pas, jamais dans les possibles, c'est justement la nouveauté, ce qui fait que de deux éléments en présence surgisse un troisième, qui n'est ni contenu dans le premier ni dans le second. C'est l'événement de la rencontre en tant que création... soit le fer de lance de l'interrogation deleuzienne.

PS : j'ai modifié ce texte plusieurs fois après l'avoir trouvé souvent confus... désolé - c'est fait !

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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar hokousai » 20 janv. 2015, 10:10

Sescho a écrit :Si la Conscience est Dieu, peut-elle aussi constituer un "moi". Il semble qu'il faut choisir...

Justement non. Je ne pense pas que Dieu puisse avoir conscience de soi. Je pense que "conscience de soi" pour Dieu introduit une dualité en Dieu (il se verrait). C'est sur cette considération) que je dis que je ne peux pas comprendre clairement ce que peut être la conscience de Dieu .

Parce que conscience ( au maximum ) pour moi même c'est conscience de moi. Je ne peux donc extrapoler sur Dieu . Alors que pour un homme je comprends encore que l'organisme se voit ( en tant qu'individué ) je ne comprends pas la nécessité pour la Nature toute entière de se voir comme sujet (comme MOI)
.
SI on me parle d'un champ de conscience , je demande :mais de quelle degré de conscience parle- t -on ? Est- ce que l'amibe à conscience ? Et une pierre ? Le mot conscience ne correspond plus à rien de clair pour moi.( il faut donc introduire la notion de degrés de conscience ... voir de degré de perfection comme le fait Spinoza )
................................
- Ultimement, "je" suis Dieu,
Oui peut être mais je n'en ai pas la conscience claire . J' ai la conscience claire de MOi comme : Cogito et/ou je vois, je sens des douleurs etc ...mais moins claire autrement.
Je n'ai pas de mon vivant la vision béatifique ( promise aux croyants après la mort par la théologie catholique).

Je ne peux tenir un discours sincère en faisant comme si je l'avais . J'ai certaines intuitions ( celle de l'infinité et celle de l'éternité ...ie qu'une partie de mon esprit est éternelle, certes ... amis ce n'est pas la vision béatifique ( me semble- t -il ) ni de mon point de vue la conscience de Dieu ( sur laquelle je ne m'avance pas ).

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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar aldo » 20 janv. 2015, 13:33

hokousai a écrit : Le mot conscience ne correspond plus à rien de clair pour moi.


Grrr... retenez-moi ! :woh:

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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar hokousai » 20 janv. 2015, 14:32

à aldo
J' ai écrit
SI on me parle d'un champ de conscience , le mot conscience ne correspond plus à rien de clair pour moi.


Quand Deleuze ( dans un texte que je t'ai maintes fois cité " une vie "), parle d' un pur courant de conscience je ne sais pas de quoi il parle... et le sait -il ?


L’IMMANENCE:UNE VIE. . . Gilles Deleuze Qu’est-ce qu’un champ transcendantal ?

Il se distingue de l’expérience, en tant qu’il ne renvoie pas à un objet ni n’appartient à un sujet (représentation empirique). Aussi se présente-t-il comme pur courant de conscience asubjectif, conscience préréflexive impersonnelle, durée qualitative de la conscience sans moi. Il peut paraître curieux que le transcendantal se définisse par de telles données immédiates : on parlera d’empirisme transcendantal, par opposition à tout ce qui fait le monde du sujet et de l’objet. Il y a quelque chose de sauvage et de puissant dans un tel empirisme transcendantal. Ce n’est certes pas l’élément de la sensation (empirisme simple), puisque la sensation n’est qu’une coupe dans le courant de conscience absolue. C’est plutôt, si proches que soient deux sensations, le passage de l’une à l’autre comme devenir, comme augmentation ou diminution de puissance (quantité virtuelle). Dès lors, faut- il définir le champ transcendantal par la pure conscience immédiate sans objet ni moi, en tant que mouvement qui ne commence ni ne finit ? (Même la conception spinoziste du passage ou de la quantité fait appel à la conscience). Mais le rapport du champ transcendantal, avec la conscience est seulement de droit. La conscience ne devient un fait que si un sujet est produit en même temps que son objet, tous hors champ et apparaissant comme des « transcendants ». Au contraire, tant que la conscience traverse le champ transcendantal à une vitesse infinie partout 1 diffuse, il n’y a rien qui puisse la révéler . Elle ne s’exprime en fait qu’en se réfléchissant sur un sujet qui la renvoie à des objets. C’est pourquoi le champ transcendantal ne peut pas se définir par sa conscience pourtant coextensive, mais soustraite à toute révélation.

http://lucdall.free.fr/workshops/IAV07/documents/actuel_virtuel_deleuze.pdf
Si je dis que ce n'est pas clair ...je passe pour un idiot . :)

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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar sescho » 20 janv. 2015, 17:52

hokousai a écrit :Ce n'est même pas par humilité que je "relativise" l'idée de conscience, c' est par nécessité . Je ne peux aller au delà de la conscience (du genre de conscience ) que j' ai.
Comme je ne suis pas Dieu, j 'estime que de la conscience de Dieu je ne peux rien en dire.

Je crois qu'il y a là un contresens mutuel à la base : si je dis "conscience de Dieu", je fais référence à la conscience que VOUS avez de Dieu, pas à une conscience que Dieu aurait...

Cela renvoie quand-même vers un problème plus général, dont j'ai déjà parlé précédemment : la distinction entre le théorique et le vécu intuitif. Je conçois assez aisément qu'on les invoque alternativement, pour mieux voir in fine, mais il m'apparaît terriblement pénalisant de les mélanger. Par ailleurs, le vécu intuitif est toujours bien supérieur au théorique en termes existentiels (ce que l'on peut rapprocher de : connaissance du 3ème vs 2ème genre), outre que le théorique lui-même est nécessairement basé sur des prémisses premières qui sont de toute façon des vécus intuitifs si l'on veut atteindre la vie même (évidemment non démontrés par nature.)

Lorsque vous dites que vous ne pouvez concevoir la conscience qu'aurait Dieu, pour moi il y a là directement un problème : c'est que pour dire cela il faut de pas avoir soi-même conscience de Dieu, mais juste une représentation imaginaire (comme par exemple "un Tout qui rassemble les étants dans un même ensemble "unifié" ".) Car sinon on doit savoir immédiatement ce qu'est Dieu... Or Dieu est la grande prémisse de l’Éthique, et doit à ce titre être une évidence intuitive première. C'est ce qu'explicite E2P47 (que je considère comme une proposition majeure de toute l’Éthique pour cette raison - Dieu étant en général son alpha et son oméga. Bien sûr, c'est E1D6 qui le pose, et il apparaît dans les démonstrations de E2P45-46 comme antérieurement défini, mais seules ces propositions m'apparaissent renvoyer expressément à la vision intuitive - dans le concret - de Dieu.)

hokousai a écrit :Je conçois Dieu tel que Spinoza le conçoit (et ce n'est pas une profession de foi )
Spinoza a écrit :J'entends par Dieu un être absolument infini, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.

Il faut déjà avoir accepté la notion d'attribut pour cela, ce qui ne tombe pas immédiatement sous le sens... Et dans ces attributs il y a la Pensée...

Ce que j'ai dit à propos de Dieu vaut forcément là-aussi : la Pensée ce n'est pas un sur-ensemble théorique, c'est une vision directe, intuitive. Or qu'est-ce qu'une pensée intuitive de la Pensée ? La Pensée même bien sûr, abstraction faite de ses modes (quand bien même ils sont forcément présents) !

(Cela ne tient que parce que la Conscience montre une continuité totale - univocité et permanence - alors même que la conscience-de-quelque-chose qui est son mode change en permanence.)

Sinon, à partir du moment où Spinoza pose les attributs, il pose autant de modes infinis, savoir le Mouvement dans l’Étendue, et l'Entendement infini (ou Idée de Dieu) dans la Pensée. L'Entendement infini est aussi immuable que le Mouvement : Dieu est immuable, et l'Entendement infini est l'Idée (immuable) de Dieu (immuable) : une unique et simple idée "égalant Dieu en nature" (modes compris, bien sûr : E2P8.) E2P8C indique cependant que les idées se manifestent (existent modalement, selon la durée) lorsque les corps desquels elles sont parallèles existent eux-mêmes (E2P9 indiquant ensuite que l'interdépendance des corps dans l'infinité de l’Étendue fait que les idées en question ne sont pas circonscrites à des corps individuels, mais incluses les unes dans les autres à l'infini.)

Je considère évident que l'Entendement infini n'a dans ces conditions vraiment que très peu à voir avec l'entendement humain (Dieu en particulier ne conçoit rien par raisonnement, n'a pas d'idées inadéquates, etc., etc.), lequel n'en est pas moins inclus dedans.

(Je poursuivrai dans un autre message...)
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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar sescho » 20 janv. 2015, 21:40

hokousai a écrit :Mon problème et le seul à sur le sujet de ma conscience c'est la graduation. Or vous ne la graduez plus si vous la posez comme absolue.
Elle ne m'apparait pas comme absolue. Elle m'apparait comme maximale ce qui n'est pas tout à fait la même chose . Car maximale pour moi.

Je vois plusieurs problèmes là.

- Un maximum implique toujours une limite. Qu'est-ce qui peut bien limiter la Conscience, alors qu'elle est infinie en droit ? Ce devrait être quelque chose dont on n'a pas conscience, non ? Ou alors en fait, à nouveau, vous ne reconnaissez pas la Conscience comme réelle, mais juste comme une notion générale (même pas un concept) ; seule la conscience de quelque chose est pour vous réelle, en fait. Ceci rejoint évidemment la question de Dieu (naturant) et en particulier de l'attribut Pensée : vous n'admettez en fait rien de tout cela comme réel...

- Vous posez là le moi avant la Conscience. Mais n'y a-t-il pas conscience de soi dans le moi ?

- Un terme premier (s'il n'y en a pas : autant aller aux fraises...) se définit par lui-même (circularité à son endroit) : il est en soi et se conçoit par soi. Qu'est-ce qui peut être par soi à part "être" ? Qu'est-ce qui peut se concevoir par soi à part "concevoir" ?

- J'ajoute en passant que les autres en première approche sont des objets (après, bien sûr, par la communication, ceci est profondément relativisé.) Ceci pour dire qu'en aucune façon la présence d'autres ne limite en quoi que ce soit votre conscience. Il n'y a de sujet que soi, point.

hokousai a écrit :Il y a une ambiguité chez Spinoza. Car le pensant ( l' homme pense ) semble impliquer que l' intellection de la pensée est celle de la pensée absolue ( ou absolument pensée ). La pensée est pensée en soi.L'étendue est pensée en soi. L'ambiguité est plus apparente pour l'Etendue qui, manifestement, étant pensée, n 'est plus en soi .

Je suis tout-à-fait d'accord avec vous. Déjà, de toute façon, il y a un problème avec le parallélisme (tous les grands auteurs qui s'appuient sur Spinoza même le disent d'ailleurs ; le gros "scoop" de l'Ethique était faux,... et pourtant l'auteur tient toujours à juste titre le rang de première référence...), et d'abord avec l'attribut (comme vous le dites plus bas.) En particulier, l’Étendue ne devrait pas pouvoir être pensée dans le parallélisme, puisque les attributs n'ont aucun rapport entre eux, ce qui pose tout de suite un gros problème... Quand Spinoza dit que l’Étendue indivisible (alors que tout corps apparaît pouvoir être coupé ; seul le refus du vide - et donc de l'espace géométrique comme réalité distincte de la matière - permet de l'admettre) n'est accessible qu'à l'intellect, il signifie que c'est l'infinité de la Conscience per se qui tire des corps l’Étendue.
Connais-toi toi-même.

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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar aldo » 21 janv. 2015, 02:13

à Hokousai,

Le problème, c'est que sous les mêmes mots, toi et moi on met des choses très différentes. J'ai par exemple donné une définition de la conscience de soi en disant que ce qui était stable, c'était le mouvement de retour de la conscience vers soi. Du coup, quand tu dis que la conscience de soi est pour toi la conscience maximale, je dois réellement m'adapter ; déjà pour te répondre, mais surtout, si je reparle de conscience de soi, comment vas-tu l'entendre, sous ton acception ou sous la mienne ?
Bon j'essaie encore de répondre à ce texte. Ma quinzième réponse, un jour, sera éclatante de limpidité ! :D

le rapport du champ transcendantal, avec la conscience est seulement de droit. La conscience ne devient un fait que si un sujet est produit en même temps que son objet, tous hors champ et apparaissant comme des « transcendants ». Au contraire, tant que la conscience traverse le champ transcendantal à une vitesse infinie partout diffuse, il n’y a rien qui puisse la révéler . Elle ne s’exprime en fait qu’en se réfléchissant sur un sujet qui la renvoie à des objets. C’est pourquoi le champ transcendantal ne peut pas se définir par sa conscience pourtant coextensive, mais soustraite à toute révélation.


Donc là je vois deux types de consciences : une quand on est immergé dans quelque chose (musique, pensée etc), et où "rien ne peut révéler" l'autre conscience, celle de soi (qu'en se soustrayant justement au flux qui nous occupait, soit en faisant ce retour sur soi dont je parlais), celle qui réintroduit le sujet face aux objets.
Ainsi la conscience de soi n'est que "de droit" dans un champ-flux de conscience immergée.

Le champ transcendantal se distingue de l’expérience, en tant qu’il ne renvoie pas à un objet ni n’appartient à un sujet (représentation empirique). Aussi se présente-t-il comme pur courant de conscience asubjectif, conscience préréflexive impersonnelle, durée qualitative de la conscience sans moi. Il peut paraître curieux que le transcendantal se définisse par de telles données immédiates : on parlera d’empirisme transcendantal, par opposition à tout ce qui fait le monde du sujet et de l’objet.


Là on rentre dans la logique deleuzienne : plus question d'un sujet qui devrait soit découvrir le sens des choses (ou de la conscience qu'il en a) ; soit donner du sens à une chose qui autrement n'en aurait pas. Il s'agit d'extraire le sens des événements et des singularités qu'on en tire.
(il semble donc qu'on soit dans une explication de l'empirisme transcendantal)
Deleuze part donc de l'empirisme de l'expérience pour en détacher le transcendantal. L'empirisme fonctionne depuis le sujet et les objets (tout en les considérant tous deux comme des inconnues du problème). Le champ transcendantal deleuzien est, selon la logique de sa recherche, destiné à être non peuplé de sujets et d'objets, mais d'événements, de singularités, de forces etc.

Donc ce n'est pas une conscience subjective qui pourra en détenir les clefs (le sujet transcenderait alors le contenu du champ). C'est là qu'intervient une conscience a-subjective qu'il me semble qu'on peut rapprocher de la conscience immergée dans le champ-flux dont j'ai parlé plus haut. Il y a bien une conscience (sinon que pourrait-on dire de quoi que ce soit). Or toute conscience est subjective, m'objecteras-tu. Oui, sauf que le champ transcendantal se distingue du plan d'immanence par le fait qu'il est absolu (c'est ce que je comprends). Là où le plan d'immanence est un territoire où le philosophe posera ses concepts, à partir de sa conscience des choses, des problèmes spécifiques qu'il se pose, de son vécu, sa pensée etc ; le champ transcendantal est censé recouvrir la totalité de la pensée possible. La conscience qui s'y rapporte ne peut donc qu'être impersonnelle (et pré-réflexive parce qu'intuitive, sans passer par l'explication sujet/objet).

En ce sens il me semble qu'on peut dire que le champ transcendantal est le champ de la pensée elle-même : c'est qu'on pense, qu'on pense de façon "pure", philosophique, qu'on pense le sens.
C'est (au jour d'aujourd'hui), ce que je comprends de ce champ.
... alors que le plan d'immanence, lui, s'il est quelque part du même tonneau que le champ transcendantal (événements etc), est la création propre du philosophe, la perspective qu'il pose sur les choses, destinée donc à faire que ces choses prennent sens par rapport à sa perspective à lui.

Deleuze le confirme à un moment : "les indéfinis d'une vie perdent toute indétermination dans la mesure où ils remplissent un plan d'immanence ou, ce qui revient strictement au même, constituent les éléments du champ transcendantal".
"Remplir le plan d'immanence" revient au même que de "constituer les éléments du champ transcendantal" : le champ transcendantal est donc une structure là où le plan d'immanence est un contenant.

CQFD (euh, pour le moment hein). :unsure:

PS : j'ai remplacé "événements" par "choses" à la deuxième réponse au texte, c'était pas du tout clair. Désolé.
Modifié en dernier par aldo le 21 janv. 2015, 22:02, modifié 4 fois.

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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar sescho » 21 janv. 2015, 10:44

aldo a écrit :Une singularité, c'est quelque chose qui est distingué à parti du divers, de la multiplicité du divers, par différenciation (elle se singularise). Le terme (deleuzien) s'oppose donc à l'identité ou aux essences qu'il est question de reconnaître. Quand je dis que les lois que vous envisagez comme éternelles devraient s'appliquer aux singularités, ça veut dire qu'elles devraient comprendre, inclure le mouvement des choses, y compris la création de nouveauté, pour être crédibles.

Hum... J'ai peur qu'on n'ait déjà tout perdu si jamais on part de là. Je comprends la "singularité" comme un isolement plus ou moins artificiel créé par le mental dans le monde (canevas) de la forme. Les lois sont l'expression de la nature éternelle du Mouvement, et le mouvement est mouvement. Parler de "nouveauté" est un ajout à cela, qui n'est éventuellement justifiable qu'au niveau du sujet, mais pas au niveau de Dieu-Nature, qui est immuable.

aldo a écrit : ... pourquoi ne pas rendre Spinoza accessible en disant "la Vie" plutôt que Dieu ou la Nature ? (et continuer de la même façon à "remettre à jour" ses concepts : "modes de vie" au lieu de modes etc)

Déjà pour s'en tenir aux mots de l'auteur (enfin : en général traduits par d'autres...), qui est la référence. Cela évite en outre d'avoir à convoquer un "concile" pour fixer les nouveaux termes... :) Mais même Stephen Jourdain, issu d'un milieu athée et anticlérical, dit que "Dieu" est le seul mot - malgré toutes les acceptions vulgaires qui circulent partout - qui approche au mieux la hauteur de la "chose" (ressenti intuitif pur et premier, mais de réalisation pure rarissime.) "Vie" serait certainement pas trop mal, cela dit, mais avec plus de risque de manquer la hauteur en question, et aussi plus versé dans l'acte que la façon dont Spinoza expose les choses, savoir plutôt par le donné, et l'analyse scientifique qui va avec. "Modes de vie" est en revanche plus que critiquable, à plusieurs points de vue : déjà utilisé pour tout autre chose, et ne rendant que très peu le sens originel : "mode" serait mieux exprimé selon moi par "manière d'être" (mais comme "être" est l'attribut chez Spinoza, "manière" tout court peut être considéré plus juste de ce point de vue, comme le veut Pautrat.) Ou "forme d'être". Le terme "manifestation" pose le problème d'être plutôt lié à l'existence en acte, et alors il deviendrait difficile de parler "chose particulière" (existe ou non) comme Spinoza. Mais cela peut se discuter. Si on l'accepte alors on aurait des "manifestations étendues" ("manières d'être étendu") et des "manifestations pensées" ("manières d'être pensé"), unies comme "manifestations divines" (manières d'être, sans attribut.) ...

aldo a écrit : ... la perception première des choses est faites d'éléments qui nous entourent (c'est là que j'ai mis "d'abord" en lieu et place de "avant") ; et donc que la relation directe qu'on en a à travers l'expérience empirique se fait (d'abord) à partir de cette perception. Il y a donc un double processus, le premier empirique, expérimental ; le second pensé, où il est effectivement difficile d'avoir beaucoup à dire quant à la supposée identité de chaque éventuelle chose (choses sur lesquelles il est déjà impossible de s'entendre quant à une définition : on ne parle jamais de la même chose).

Le hiatus se situe bien là...

Mais la "perception première" est la sensation pure, qui n'isole rien du tout. Même l'épaisseur (troisième dimension) des volumes est une invention (et c'est pourquoi les trompe-l’œil bien faits "marchent" si bien) : on ne peut pas la voir (et on ne peut voir que deux dimensions dans un espace à trois dimensions, puisque la troisième dimension est "utilisée" pour voir même). Donc il y a très en amont (perceptions) des traitements mentaux ... La question de savoir quels sont ceux qui sont plus généraux que les autres se pose donc toujours, au-delà de la sensation pure qui n'isole rien.

Il apparaît alors une trinité ; disons ici :

1) Suis ! (sujet)
2) Il-y-a ! (forme objet)
3) Dieu est (suis ! et il-y-a ! SONT, univoquement ; par ailleurs, comme Dieu = EST, on peut écrire aussi : Dieu !)

Soi, les choses et Dieu.

(Soi-et-les choses-en-Dieu)

(la suite dans un autre message...)
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Re: Conscience et conscience de soi

Messagepar aldo » 21 janv. 2015, 13:38

Sescho a écrit :
aldo a écrit :Une singularité, c'est quelque chose qui est distingué à parti du divers, de la multiplicité du divers, par différenciation (elle se singularise). Le terme (deleuzien) s'oppose donc à l'identité ou aux essences qu'il est question de reconnaître. Quand je dis que les lois que vous envisagez comme éternelles devraient s'appliquer aux singularités, ça veut dire qu'elles devraient comprendre, inclure le mouvement des choses, y compris la création de nouveauté, pour être crédibles.


Hum... J'ai peur qu'on n'ait déjà tout perdu si jamais on part de là.
Je comprends la "singularité" comme un isolement plus ou moins artificiel créé par le mental.


Mais moi je ne vois pas comment la pensée peut "partir" d'ailleurs... vous dites :

Sescho a écrit :Les lois sont l'expression de la nature éternelle du Mouvement, et le mouvement est mouvement. Parler de "nouveauté" est un ajout à cela, qui n'est éventuellement justifiable qu'au niveau du sujet, mais pas au niveau de Dieu-Nature, qui est immuable.


Ça peut se concevoir. Ça revient à dire qu'une (la) Nature produirait du divers, des singularités, soit.
Mais c'est une explication mais pas une compréhension (sur le plan de la pensée).
Je veux dire qu'à notre humble niveau, comment comprendre la création de nouveau ?
Comment comprendre par exemple que des événements aient modifié jusqu'à la façon dont les hommes voient les femmes (et vice-versa), et donc la relation hommes/femmes ? Parce que c'est bien à partir de ce genre de réalité très concrète que les problèmes nous sont posé. Il faut bien tenir compte du monde tel qu'il est pour arriver à comprendre les choses et agir sur elles.

Pour ce qui est de la singularité, il faudrait voir ce que vous entendez par "artificiel". J'ai tenté une définition globale où, effectivement, chacun mettra des singularités là où il en verra (donc qui se discute). On peut aussi envisager les singularités des formes qui elles en tous cas, n'ont rien d'artificiel.

...

Merci pour la réponse sur les mots pour rendre accessible Spinoza. Déjà ça me conforte que je ne suis pas complètement largué quant à sa philosophie (même si...). N'empêche que c'est un drôle de problème, d'ailleurs valable avec tous les philosophes. Certes ils ont chacun leurs concepts propres qu'on ne peut éviter, mais il me semble que ce serait bien de rendre leur pensée accessible à chacun (enfin presque)... bien et possible. De tout ramener à un langage commun, sans s'illusionner que la tâche serait tout sauf simple.

...

Sescho a écrit :Mais la "perception première" est la sensation pure, qui n'isole rien du tout. Même l'épaisseur (troisième dimension) des volumes est une invention (et c'est pourquoi les trompe-l’œil bien faits "marchent" si bien) : on ne peut pas la voir (et on ne peut voir que deux dimensions dans un espace à trois dimensions, puisque la troisième dimension est "utilisée" pour voir même). Donc il y a très en amont (perceptions) des traitements mentaux ... La question de savoir quels sont ceux qui sont plus généraux que les autres se pose donc toujours, au-delà de la sensation pure qui n'isole rien.


Sensation pure qui n'isole rien, on est d'accord.
Mais dans perception j'englobais aussi, disons, une synthèse première. Il y a donc la sensation, puis une première synthèse à partir de la sensation ET arrimée à la représentation des choses (traitement mentaux), qui elle isole (sujet et objets). Et c'est à partir de là qu'une pensée digne de ce nom se met réellement en marche, cherche à comprendre.
S'opère alors une deuxième synthèse où la pensée certes rassemble les ressemblances mais surtout tente de différencier les choses pour y voir plus clair (selon sans doute un processus originaire de la pensée). Et c'est de cette différenciation qu'elle tire des singularités (conditionnées ou pas par l'univers mental de chacun, c'est un autre problème), singularités à partir desquelles elle essaie de comprendre ce qu'il se passe.

Ces singularités (en terme de pensée donc) sont dites "virtuelles" (disons qu'elles restent a priori subjectives). Le travail du philosophe consiste à envisager comment elles s'agencent entre elles pour aboutir (et ce provisoirement, le mouvement continue sans job sans se soucier de ces détails) à ce qui est "actualisé" (pour nous)... à travers donc les manifestations des événements.

On part donc de l'événement en tant que nouveauté (toujours à notre échelle) et on cherche ce qu'il y a à en comprendre depuis les spécificités des singularités qu'on lui attribue : on remonte de l'actuel vers le virtuel, de la forme vers la création de la forme. On pourrait certes parler de causes et d'effets, mais cette formulation permet d'éviter d'affirmer les identités (des singularités comme des événements) et surtout l'idée du possible qui ne tient pas compte de la réalité de la contingence, qui fait qu'on ne sait rien du tout ou presque de ce que deux causes mises ensembles pourraient bien susciter comme effet (la Nature n'est pas une mécanique). Et si je parle d'éviter les identités, ce n'est pas pour ne rien affirmer, mais pour dire que Deleuze ne cherche pas à affirmer le réel, mais à produire un processus d'explication qui fasse que les choses ainsi tenues ensembles fassent sens.

Pour plus de clarté, je remets ici un texte essentiel (déjà envoyé ailleurs), très révélateur :
Deleuze a écrit :"Une théorie philosophique est une question développée, et rien d'autre : par elle-même, en elle-même, elle consiste non pas à résoudre un problème, mais à développer jusqu'au bout les implications nécessaires d'une question formulée. Elle nous montre ce que les choses sont, ce qu'il faut bien que les choses soient, à condition que la question soit bonne et rigoureuse (...) On voit combien sont nulles les questions posées aux grands philosophes. On leur dit : les choses ne sont pas ainsi. Mais en fait il ne s'agit pas de voir si les choses sont ainsi ou non, il s'agit de savoir si est bonne ou non, rigoureuse ou non, la question qui les rend ainsi"


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