YvesMichaud a écrit :S'il ne manque rien à l'idée pour que ce qu'elle affirme puisse être affirmé, si elle est complètement déterminée, la distinction avec ce qui est affirmé, l'idéat, l'objet réel, n'est qu'une distinction abstraite.
Je ne comprends pas ça. J'ai été élevé dans la culture thomiste qui dit clairement que l'idée, contrairement au jugement, ne nie pas et n'affirme pas, mais représente seulement. L'affirmation ou la négation de l'existence est dans le jugement. Pour cette raison, la vérité ou la fausseté est propre au jugement.
Il y a d'abord une question de vocabulaire : une idée est une façon de penser mais on peut penser à des objets complexes. J'ai l'idée que Paul entre dans la pièce, tu me diras, cela fait trois idées mais en fait c'est bien plus que cela, il y a toutes les idées councourant à me faire reconnaître Paul d'un autre, celles qui me permettent de faire la différence entre sortir et entrer etc. Mais tout cela n'est au final qu'une seule idée renvoyant à un seul vécu : Paul en train d'entrer ici. Si je dis alors "Paul entre dans la pièce", ce sera un jugement seulement parce que j'aurais exprimé verbalement mon idée tandis que si j'avais seulement dit "Paul..." je n'aurais jugé de rien, mais je n'aurais en fait exprimé aucune idée non plus, si ce n'est à la limite que j'avais l'idée de ce nom dans mon esprit.
En fait si j'ai l'idée que Paul entre, je pense nécessairement "que" Paul entre ici, ce qui fait un jugement au sens classique. Si je me concentre seulement sur Paul lui-même, je penserai Paul est ceci ou cela et plus simplement encore je penserai que Paul existe au moins dans mon esprit. Sinon, Paul n'est pas pensable, autrement dit il n'y a pas d'idée de Paul sans qu'il y ait aussitôt affirmation de l'existence du contenu de cette idée dans mon esprit. Les idées ne sont pas des gravures muettes, elles contiennent leur propre puissance d'affirmation comme nous en faisons l'expérience tous les jours quand une idée persiste dans notre esprit alors que nous désirerions penser à autre chose.
En conséquence, supposons l'objet A contenant a et b ; par ailleurs, sans recourir à une expérience sensible forcément partielle, je parviens comme on l'a vu l'autre fois à comprendre que l'idée de A ne peut contenir ni plus ni moins que a et b, j'aurais donc une idée adéquate - non à l'objet mais à elle-même : il ne lui manque rien pour être affirmée (tandis que l'idée A=(?+b) ne peut que partiellement être affirmée, elle est donc douteuse). Donc, la distinction entre l'objet réel A et l'idée de A ne correspond plus dans ce cas à une différence concrète entre A et l'idée de A : penser, c'est être.
Pour répondre à l'objection de Hokousai : la fiction de doute consistant à affirmer incertaine une idée qu'on connaît adéquatement ne prouve rien mais alors qu'est-ce qui prouve que dans l'idée certaine, on ne feint pas d'affirmer certain ce qui ne l'est pas... Par exemple, celui qui se dit certain que la vie de l'âme continue après la fin du corps. Je répondrai d'abord que si cette affirmation est l'effet d'un désir, on ne feint pas de croire certain ce que l'on veut croire, ce n'est pas de fiction qu'il s'agit mais seulement de croyance autrement dit d'affirmation sans nécessité intrinsèque, c'est-à-dire partielle (CN1) : il y a nécessité cependant comme en tout, mais extrinsèque à l'idée, son désir l'y pousse. Il dit "je suis certain que mon âme continuera d'exister encore après ma mort" mais ce faisant, il ne fait qu'employer le mot de certitude pour celui de croyance. Et il emploie ce mot parce qu'il sent une certaine nécessité dans l'idée de son immortalité, seulement il confond la nécessité intrinsèque de ce que serait cette idée si elle était entièrement déterminée avec la nécessité extrinsèque issue du désir.
Et pourquoi cette idée n'a pas de nécessité intrinsèque ? Parce que l'inverse est parfaitement pensable. Comme il n'a pas fait attention au fait que l'âme n'est rien d'autre que l'idée du corps, il ne peut voir que sans corps, il n'y a pas d'âme, l'idée de l'immortalité de l'âme est donc pensable pour lui mais quoiqu'il en soit, il oublie surtout de voir qu'une mort de l'âme avec celle du corps est tout aussi concevable à son stade qu'une survie de l'âme au corps. Celui qui croit en prétendant savoir ne fait donc rien d'autre que confondre (par une autre nécessité qui le spécifie) la simple absence de doute avec l'impossibilité effective de douter.
Note que nous n'avons que peu d'idées adéquates, il ne s'agit pas de prétendre tout connaître. Mais ces idées étant bien comprises, par la puissance propre de l'intellect, il n'y a pas besoin de connaître tout le reste pour être absolument sûr de leur valeur. Je n'ai pas besoin de connaître toute la géométrie pour ne pas pouvoir douter du fait que sur une surface plane, la somme des angles d'un triangle fait deux droits, une fois que j'en ai saisi la démonstration. Avec ces quelques idées adéquates, on peut cependant enrichir le savoir en les combinant pour en tirer toutes les conséquences.
Henrique
PS : dans mon article sur l'amour intellectuel, j'évoque la parenté entre Spinoza et l'advaïta vedanta.