Que garder du spinozisme si on est post-kantien ?

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

martinetl
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Messagepar martinetl » 25 avr. 2005, 21:58

bonjour,

vous trouverez peu de kantiens par ici. mais si par "post-kantien" on peut entendre en fait "post-spinoziste", c'est à dire se poser la question de savoir ce qui reste valable de la métaphysique spinoziste aujourd'hui, après trois cent ans de philosophie, dont kant, j'aimerais contribuer à votre débat. il me semble également que les écrits politiques de spinoza ont une espèce d'actualité plus évidente que l'Ethique, car ils ne se présentent pas sous une forme systématique, mais comme une réflexion en cours. parce qu'ils sont un travail critique. c'est le dogmatisme systématique de l'Ethique qui n'est absolument plus praticable aujourd'hui, même si une approche de la métaphysique reste possible et souhaitable.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 26 avr. 2005, 01:14

à martinetl

Alors là, pas du tout .
Si Pas l"Ethique, exit Spinoza .Pour moi il y a même pas Spinoza, il y a un texte , l’ Ethique . Il n'y a pas de spinozisme, il y a des lecteurs de l'Ethique ou pas .

Tout comme le christianisme dont la charité ne se comprend pas expressément selon la dogmatique du catholicisme , je ne comprends pas le spinozisme sans le travail de la raison philosophique, laquelle s' exerce à lecture du texte et non dans la perpétuation fidéiste de dogmes ..
Spinoza c'est l'Ethique .

Alors on me parle d exposé systématique . De quel systématicité s'agit-il ? Théoriquement les proportions s’enchaînent de telle manière que les suivantes découlent des précédentes .

Mais prenez la proposition 12 (partie 1) elle renvoie à la 8 ,puis la 6, puis la 5, à nouveau à la 6 la 2 la 10 et enfin à la 7 . .mais pas à la 11 .
On remarque très bien est qu’aucune référence n’est faites à une propositions d'un nombre supérieur , cela est une constante , ça c’est systématique .
Savoir maintenant si les propositions ultérieures ne permettent pas aussi de comprendre( mieux ,plus clairement ) les précédentes .

L’ exposé est logique et linéaire , dans un sens, mais la compréhension est en boucle , elle opère des retours nécessaires à la compréhension de ce vers quoi on renvoie .. Spinoza dit « si quelqu'un se demande … qu’il lise les propositions suivantes » »…. Sous- entendu elles expliqueront ce que je viens de dire .Le système est en feed back .Continuez puis revenez .

. Ainsi l’Ethique ne serait pas une réflexion en cours . Que la pensée n’y courrait pas . Il ne faut pas alors savoir lire tel que Spinoza le demande , c’est à dire courir , d'une proposition à une autre et cela parce , je le suppose , sa pensée n’avait rien de celle d’un automate pensant . Elle courait , revenait, s' assurait et repartait .Elle digressait aussi . Elle s’épanchait même par moment, elle s’inquiétait, morigénait , s’enthousiasmait , elle était affect .. . aussi .
Et c’est cette lecture qui devrait être absolument pratiquée aujourd’ hui .

Hokousai

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Geoffrey
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Kant et Spinoza

Messagepar Geoffrey » 26 avr. 2005, 11:45

Bonjour,

Je commence à lire Kant et je me pose justement plusieurs questions concernant la notion de Vérité chez Spinoza et le statut de la connaissance du troisième genre.
Henrique a écrit un bel article sur ce sujet sur ce site même et j'aimerais essayer de développer quelques idées à partir de là.

L’homme possède des idées certaines, des évidences, c’est-à-dire des jugements qui s’accordent avec eux-mêmes, avec notre perception sensible et avec notre manière de penser. La question posée est de relier ces idées certaines à la réalité, c’est-à-dire à l’essence des choses.

1. Pour cela, on a besoin de cette définition: L’idée vraie est l’idée s’accordant avec ce dont elle est l’idée.

Cette définition me pose plusieurs problèmes conceptuels. L’accord entre une idée et une autre idée est concevable par l’intuition, ainsi que par le raisonnement. Mais le quelque chose à connaître peut ne pas être une idée. Dans ce cas, comment définir l’accord entre l’idée et le quelque chose à connaître ? Comment comparer une chose et l'idée d'une chose ? Est-ce que cette comparaison a même un sens ?


2. Ensuite chez Spinoza, une idée adéquate est une idée qui a toutes les propriétés d'une idée vraie, c'est-à-dire, claire, distinctive, complète et nécessaire. Pour Spinoza, les idées adéquates sont les idées par lesquelles l'esprit humain peut accéder à des idées vraies (inaccessibles directement).

Pour créer le concept d'idée vraie, l’esprit humain forme tout d'abord un concept d’ « accordance » : accord entre l'objet à connaitre et la connaissance de cet objet, cfr point 1.

Pour être cohérent, il faut que ce concept corresponde à une idée adéquate. Dans une tradition Kantienne, le concept « idée adéquate » (référant aux autres idées de l’Esprit humain) semble donc devant être défini avant le concept d’ « idée vraie » (concernant les choses en soi et non les choses telles que l’on les perçoit).

3. Dès lors que le concept d'idées adéquates précède le concept d'idées vraies et que les idées vraies sont inaccessibles, les idées vraies en elles-mêmes sont une ajout inutile au concept d'idées adéquates.

Cependant, les idées adéquates en elles-mêmes me paraissent suffisantes pour élaborer une théorie riche de la connaissance, de manière immanente à l'esprit humain et à ses idées, sans le concept transcendental d'idée vraie.

Qu'en pensez-vous ?

Cordialement,
Geoffrey Compère

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Messagepar Henrique » 26 avr. 2005, 13:46

Chers amis bonjour,
Il y a déjà plusieurs débats en cours auxquels il faudrait que je revienne, c'est pourquoi j'hésitais à venir à celui-ci. Mais il concerne en partie ceux-là. Donc allons y gaiement.

Pour répondre d'abord très directement à la question de philalethe (ami de l'oubli... de la vérité ontologique ?), quand on croit à la critique kantienne de la métaphysique, il est assez difficile de conserver les parties I et V de l'Ethique. La partie II est conservable en certains passages, notamment l'unité de la pensée et de l'étendue à laquelle certains neurobiologistes font référence dans leurs travaux sans que cela suppose explicitement une connaissance de la chose en soi. La partie III sur les affects peut aussi l'être d'une façon d'ailleurs beaucoup plus moderne que le fouillis de l'anthropologie kantienne (mais à condition cependant de sacrifier un point crucial : la compréhension du désir comme jonction de l'infini et du fini (prop. 6 à 9), en en restant à une conception relativement plate du désir comme vague instinct de conservation). Et la partie IV, ainsi que les traités politiques peuvent aussi être conservés comme conceptions clairement plus pragmatiques de la morale et de la politique que celles de Kant et en même temps comme instruments critiques vis-à-vis de l'idéologie néolibérale ambiante (à partir d'un libéralisme du désir plutôt que des marchandises).

Si on se réfère au début du TIE, on trouve bien une conception thérapeutique de la philosophie comme celle que vous avez évoquée. Mais reste un point que cette préface met bien en avant : il ne faut pas seulement un bien qui apporte le réconfort et la jouissance, il faut un vrai bien. Car une illusion de bien ne peut produire qu'une déception encore plus grande que l'absence de bien durable et conséquent dans l'expérience sensible quotidienne. Comme ce vrai bien ne saurait être trouvé directement dans cette même expérience, il doit être trouvé dans la puissance propre à l'intelligence, cela même que Kant prétend disqualifier.

Un spinoziste "postkantien" pourrait peut-être répondre qu'au fond peu importe que les avancées spinoziennes en matière éthique et politique soient en partie incertaines (qu'on ne puisse pas avoir la certitude absolue qu'elles correspondent à des choses en soi) puisqu'on ne peut inversement être certain de sa fausseté. Resterait alors uniquement l'intérêt pratique d'une telle philosophie de la libération. Mais à vrai dire je vois mal comment on peut vraiment saisir l'intérêt global de cette philosophie si on ne saisit pas ce que peut être la puissance de l'intellect sur laquelle repose la joie philosophique d'exister et de comprendre.

Pour ma part, je ne crois pas du tout que la philosophie kantienne ait définitivement réfuté qu'il y avait une autonomie de l'intellect en matière d'ontologie. Geoffrey évoque un article que j'avais écrit où je montre (un peu rapidement certes) que Spinoza avait en quelque sorte répondu au criticisme kantien au travers de sa théorie des idées adéquates (à ce propos, je dirais que dans l'ordre des choses, l'idée adéquate précède effectivement l'idée vraie, mais dans l'ordre de l'exposition, Spinoza part de l'idée vraie comme problème auquel l'idée adéquate apporte une solution, pour le reste je suis d'accord). Il y a aussi le débat sur les "philosophies dépassées" avec Yves, dans lequel je reviens sur cette question.

Alors, procédons avec hardiesse, je demande à Philalethe de m'expliquer en quoi la critique kantienne démontre qu'une affirmation comme celle de l'axiome 1 de l'Ethique, qui dit "tout ce qui est, est ou bien en soi ou bien en autre chose" peut être considérée comme incertaine sur le plan ontologique.

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Messagepar philalethe » 28 avr. 2005, 20:06

Bonjour,

Je pense qu' en termes kantiens le principe que vous citez est recevable ontologiquement, mais en toute rigueur ce qui s'appelle illusoirement "ontologie" n'est qu' "une simple analytique de l'entendement pur" (cf CRP p.977 in Pléiade I). Ce principe s'appliquerait donc seulement aux phénomènes. Il est certes a priori mais il ne vaut que pour ce qui apparaît dans l'espace et dans le temps. Le principe n'apprend rien sur l'Etre mais sur l'entendement.

Patrick

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Messagepar Henrique » 29 avr. 2005, 02:57

Hello Patrick à nouveau,

Donc tu penses qu'en dehors de mon entendement, il se pourrait qu'il existe autre chose que ce qui est en soi ou en autre chose, autre chose que des substances, des attributs ou des modes. C'est bien ça ? De même, tu serais enclin à penser comme les sceptiques dont Hume fait partie que dans "l'Etre", il se pourrait par exemple que le tout soit égal ou inférieur à la partie alors qu'il n'est pour l'entendement concevable que comme supérieur ? Sérieusement ? Pourrais tu alors indiquer quel argument te convainc que ce principe ou l'autre ne vaut que pour l'entendement, non pour ce qui est ? Que dirais tu à l'homme de la rue pour le convaincre que si le cercle carré n'est pas concevable par l'entendement, "cela ne nous apprend rien sur l'être", c'est-à-dire qu'il se pourrait fort bien que "dans l'être", un cercle carré existe ?

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Messagepar philalethe » 29 avr. 2005, 07:10

Bonjour,

1) répondre dans une perspective kantienne ne signifie pas du tout qu'on est kantien jusqu'au bout des ongles.
2) ça n'a pas de sens de faire des hypothèses en dehors des limites de la connaissance. "Formuler une hypothèse" est une opération qui va avec "observer", "expérimenter", tout un jeu de langage qui est impliqué par une recherche sur quelque chose qu'il est possible de découvrir. Je ne dirais pas que le cercle carré existe peut-être hors de l'entendement, car ce serait signifier que ce en-dehors va avec le le jeu de langage de la connaissance.
3) L'Etre en tant qu'absolu n'est qu'un mot, ce qu'on peut connaître, c'est l'être objectif dans le cadre des principes de l'entendement.
4) Quand tu dis qu'il se pourrait que dans l'absolu, le tout soit égal à la partie, il me semble que c'est défendable du point de vue de l'entendement de Dieu dans le cadre d'une théorie cartésienne de création des vérités éternelles. Cela me ramène à 2): ça a un sens d'envisager la possibilité d'une réalité ontologique du cercle carré car on a démontré que l'Etre absolu existe.


Philalethe

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proposition de critique

Messagepar Geoffrey » 29 avr. 2005, 17:41

Bonjour à tous,

Tant que l’on reste enfermé dans le système des idées adéquates de Spinoza, en tant qu'idées adéquates et non-nécessairement vraies, on ne peut rien dire de l’Etre, c’est-à-dire des choses en soi. En cela, je rejoins complètement Patrick. Avoir des évidences, comme « tout ce qui est, est ou bien en soi ou bien en autre chose » ne nous apprend rien sur l’Etre car chaque concept, chaque mot de cette phrase ne renvoie seulement qu’aux autres mots et concepts de notre entendement. De plus, « ce qui en soi » est un concept que l’esprit humain forme comme l’exact complémentaire de « ce qui est en autre chose », il en résulte une tautologie mathématique, perçue par l’esprit comme une évidence.

Cependant, je crois qu’un scepticisme complet à la Hume est une position difficilement tenable. Le monde tel qu’on le conçoit est intelligible. Plus précisément, nous arrivons à prédire des phénomènes par notre raison avant qu’ils ne se produisent, telle la science moderne depuis Galilée. Même si demain le monde s’écroule, nous aurons déjà fait beaucoup de prédictions confirmées. J’en déduis que notre connaissance dépasse la seule connaissance de notre entendement. En tant que connaissance expliquant des phénomènes expérimentaux, elle contient un soupçon de réalité, d’adéquation avec la chose en soi, de vérité.

Je peux imaginer également que ce soupçon d’adéquation vient du fonctionnement de l’entendement, lui-même, partie du monde et aligné avec la nature du monde en soi. Dès lors, afin d’alimenter le débat sur la question « Est-ce que les idées adéquates peuvent correspondre à des idées vraies ? », une critique du raisonnement de Kant lui-même pourrait être faite. En particulier, sur la question suivante : « La formation et l’organisation de l’esprit humain, en tant que mode de la substance, n’induit-elle pas dans l’entendement, pour certaines choses, un accord entre l’idée adéquate de la chose et la chose en soi ? ».

Amicalement
Geoffrey

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Messagepar Miam » 30 avr. 2005, 18:02

Bon : « tout ce qui est, est ou bien en soi ou bien en autre chose » a en effet une coloration scolastique ou scolastico-cartesienne. Mais n'oublions pas que Spinoza use de telles notions pour les subvertir peu a peu dans la mesure ou il doit tenir compte des lecteurs de son epoque. L'idee vraie est du meme acabit car l'idee n'est pas exterieure a son objet (versus Descartes). L'idee est la chose elle-meme, qu'elle soit confuse ou adequate. C'est pourquoi toutes les idees sont contenues dans l'"idee infinie de Dieu". Partant, si l'on affirme que Spinoza ne saurais atteindre que des phenomenes, je ne vois pas en quoi cela pourrait infirmer sa pensee. Apres tout, c'est vous qui voyez un etre derriere les phenomenes. Contrairement a Henrique, je crois qu'il y a en effet un pudendum, ou du moins une certaine prudence litteraire chez Spin et que celui-ci est resolument moderne, voire deja post-moderne. Dans cette mesure, il depasse Kant. Car que reste-t-il de Kant apres l'espace riemanien et la physique quantique ? Que dalle ¡ Tandis que selon la definition genetique spinozienne, un cercle meme dans un espace riemanien, demeure un cercle et que, selon les notions communes, nous n'avons plus besoin de substrat individualisant pour deduire des proprietes de meme qu'en physique quantique nous n'apprehendons meme plus des phenomenes mais seulement des effets de phenomenes : des proprietes.
N'applatissez pas Spinoza par une lecture superficielle: il est alors trop facile de le critiquer de toute l'arrogance du bon europeen moderne qui, pourtant, est en crise depuis plus d'un demi siecle.

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Messagepar philalethe » 30 avr. 2005, 21:46

à miam

a)Diantre par quel miracle la philosophie de Spinoza serait-elle à l'abri de toutes les révisions qu'appelle le progrès des sciences ?
b) Inversement jeter Kant aux ordures à cause de Riemann et de la physique quantique me paraît précipité.
Vous faites comme s'il fallait tout prendre ou jeter d'un philosophe
c) dire que Spinoza n'apporte qu'une connaissance des phénomènes, c'est comme l'a détaillé clairement Henrique le mutiler sérieusement. On aimerait alors le lire mais on ne pourrait plus se dire spinoziste (finalement cela pourrait être ma position).

philalethe


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