Bonjour Henrique,
Henrique a écrit :C'est constitutionnalisé ici, ce qui signifie que même si une majorité d'Etats souhaitent mettre en oeuvre une harmonisation fiscale, cela ne suffira pas à établir des lois communes allant dans ce sens.
(...)
Tu dis que ce traité n'est pas une constitution véritable. Mais nous y trouvons pourtant tout ce qui fait une constitution : l'article premier, une haute cours de justice pour le faire respecter, tous les attributs institutionnels qui fondent un Etat (établissement de pouvoirs législatifs, exécutifs et judicaires). Et cet avatar d'Etat est d'essence fédérale en raison de l'article 1-6 : « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres. »
je commnence par ce point : ce texte est-il une vraie constitution.
Je reprendrais donc comme toi la tripartition de Montesquieu en disant qu'il s'agit de l'organisation des
pouvoirs exécutif, législatif et judiciaires.
L'exécutifSes pouvoirs sont limités à l'émission de textes dans le cadre de ses attributions et à la gestion du budget que les Etats ont bien voulu lui allouer.
Pas de force publique, pas de ressources propres et comme seul moyen de coercition le fait de dire aux Etats : "Vous avez une amende !" (cf III, sous-section 5, sur la Cour de Justice).
L'application effective des lois et règlements est laissée aux Etats.
Ce que je vois là, c'est tout au plus un équivalent de l'ONU. C'est très joli mais quand un Etat veut faire ce qu'il veut, il fait ce qu'il veut et les USA attaquent l'Irak et la France ou l'Allemagne violent le pacte de stabilité. Ensuite, on discute.
Le législatifLe Parlement a un droit de regard sur la Commission mais ne propose pas de lois. Il ne s'agit pas d'une organisation démocratique directe.
Comme la Commission est une émanation des Etats, là encore, le pouvoir est aux Etats.
Pour un véritable parlement européen, il faudrait l'abandon de la représentativité des élus nationaux au moins sur les compétences de l'Union : nos députés nationaux devraient ne pas traiter des problèmes européens.
Le judiciaireLa Cour de Justice n'est pas faite pour traiter du pénal. En dehors des quelques plaintes sur les atteintes aux droits de l'homme, elle traitera essentiellement de l'application des engagements de ce texte et de la légalité des actes des institutions européennes.
Et même pour ça, il y a des précautions, art. III-361 : "Avant qu'un Etat membre n'introduise, contre un autre Etat membre, un recours fondé sur une prétendue violation des obligations qui lui incombent en vertu de la Constitution, il doit en saisir la Commission".
A nouveau, il s'agit de règler les choses par un accord entre Etats, par la Commission.
Donc, pour moi ce texte ne fonde pas un pouvoir
effectif supra-national, il ne soumet pas la partie au tout, mais il tente d'établir une organisation entre parties.
Les votes à l'unanimité ou la possibilité de quitter l'Union à tout moment, sont les garants qu'aucun Etat n'aura à se soumettre à une volonté réellement étrangère à la sienne.
Reste à voir qu'elle est cette volonté que les Etats entendent partager.
Henrique a écrit :La partie III, on nous le répète assez, est certes une synthèse de ce qui s'est fait jusqu'à maintenant, y compris les articles 147 et 148. Mais justement, y a-t-il lieu de se satisfaire des politiques sociales et économiques de l'Europe jusqu'à présent ? Des salaires en berne, un pouvoir d'achat à la ramasse pour les salariés, un chomage structurel (voulu d'ailleurs comme tel comme principe de stabilité des prix par la BCE), le communautarisme comme seule réponse à la violence et l'insécurité sociales générées par le marché de concurrence "libre et non faussée" ?
(...)
Qu'appelles tu une concurrence déloyale et la guerre économique ?
(...)Mettre les salariés de différents pays en concurrence de la sorte, c'est la voie grande ouverte à l'harmonisation fiscale et sociale par le bas, comme cela commence à se voir, par ex. en Allemagne avec des chantages aux délocalisations pour obtenir de plus bas salaires et un temps de travail allongé.(...)
Mais ces compétences exclusives pèsent suffisamment pour que la politique, qu'elle soit nationale (en raison des faiblesses locales) ou européenne (en raison de la constitution même), se soumette pour ne pas dire s'applatisse devant la sphère économique,
(...) Des règles de concurrence qui de fait permettent au pouvoir économique d'imposer les conditions fiscales et sociales(...)
d'une véritable protection de tous contre le pouvoir économique auveugle
(...)Ce qu'il aurait fallu, c'est effectivement que l'Europe puisse jouer un rôle politique en faveur du social et du travail, ce qui n'est nullement le cas.
La partie III me semble le corps de ce que les Etats veulent mettre en place par ce texte : établir le même mode de vie socio-économique de Dublin à Vilnius, comme c'est le cas de New-York à Los Angeles.
Chapitres principaux : marché intérieur (2 sections "libre circulation"), monnaie, emploi, cohésion sociale, "espace de liberté, de sécurité et de justice".
Il s'agit d'une libéralisation interne, de la constitution d'un espace lisse à partir d'un espace strié, pour parler un peu deleuzien. Je ne suis pas contre. Une uniformisation socio-économique conduira à une Union "charnelle", à des pratiques communes qui fondent plus sûrement une unité que des principes abstraits.
Ce que j'appelle concurrence déloyale, c'est au niveau étatique, ce que font les Américains et les Européens lorsqu'ils cassent des marchés agricoles à coup de subvention malgré ce que cela en coûte aux Africains, ou quand les Chinois organisent une sur-production pour casser l'industrie textile européenne.
Au niveau des luttes intra-européenne, ce pourrait être les batailles sur le diamètre standard des tomates qui fera privilégier la production de telle ou telle région, ou bien les stratégies de notre brillante EDF (
http://www.latribune.fr/Dossiers/edf.ns ... enDocument ) si tout cela n'était pas régulé.
Si les peuples s'engagent dans une réelle volonté de coopération européenne, EDF ne sera pas perçu par les italiens comme un envahisseur mais comme une entreprise européenne de pointe dans laquelle il est bon de travailler.
Tu parles de "sphère économique" et de "pouvoir économique aveugle" comme s'il s'agissait de domaines auxquels nous ne participions pas.
Pourtant, n'est-on acteurs de la sphère économique et n'est-on pas complice de ce pouvoir en tant qu'on veut, par exemple, du "pouvoir d'achat" etc. ?
En tant qu'entrepreneur, certes modeste, j'ai une vision assez peu idéologique du monde économique.
Dans une gestion industrielle, l'objectif est de développer le produit adéquat au désir du consommateur. L'attitude du dirigeant est, là, décidée par l'attitude du client et ne préjuge pas des conditions de production puisque parfois il faut artificiellement augmenter le prix pour satisfaire le client, qui demande à ce que ce soit cher (effet marque).
Dans une gestion financière, l'objectif est l'obtention du bénéfice maximal en un temps donné (court à long terme) ce qui n'implique pas forcément la pérennité de l'entreprise et peut amener toutes les dérives sur la recherche de rentabilité. A l'époque où le capital était très concentré, il était facile de cibler les profiteurs financiers et les producteurs exploités, mais aujourd'hui, en France, il y a plus de 7 millions d'actionnaires (
http://www.lesechos.fr/patrimoine/actualite/01248.htm ), les actifs sont dispersés (cf Vivendi :
http://www.zdnet.fr/actualites/informat ... 773,00.htm ) et les plus grosses puissances financières sont les fonds de pension américains, c'est-à-dire des salariés moyens se payant une retraite.
En France, le taux d'épargne est de 15% ce qui signifie que les français mettent 15% de leur richesse en sommeil, qu'ils laissent dormir des centaines de milliards d'euro tandis que des gens dorment dans la rue.
Pour moi, le "coupable", c'est un peu Monsieur Tout-le-monde, c'est entre l'appat du gain généralisé, la peur permanente du lendemain et l'auto-satisfaction du "je l'ai bien mérité".
"L'horreur économique" attribuée à un mystérieux pouvoir dont nous ne serions pas responsable, ce n'est pas une idée que je partage.
Dans tous les cas, je place derrière une causalité générale qui dépasse les cas particuliers :
vu les déséquilibres de richesse, vu dans quelles mesures nos pays se sont engraissés dans l'oubli du monde, vu combien s'étend la propagande de l'occidentale "way of life", les pauvres (3/4 des humains) vont nécessairement bousculer les riches. Alors que le développement des pays émergeant aurait tendance à provoquer une croissance mondiale, les riches cherchent à préserver leurs acquis (sociaux, financiers, pétroliers). Et à moins de contraindre la puissance des pauvres et de leur imposer un développement à la vitesse qui nous convient, à moins d'oublier les bons sentiments et de les faire patauger encore quelques décennies dans leur misère, nous avons toutes les chances de devoir faire des efforts pour un ré-équilibrage correct.
La Constitution me semble un effort vers ce ré-équilibrage à l'échelle européenne. Je suis d'un naturel ascétique et j'aurais tendance à vouloir même quelque chose de plus dur pour nos pays. Je ne serais pas contre une véritable libéralisation brutale qui nous mettrait face à nos véritables désirs : prêts à surmonter les épreuves avec les polonais ? prêts à descendre nos salaires de 20% pour que les leurs soient multipliés par 2, et qu'on remonte ensuite ensemble ?
Mais je sens bien que la tendance est plutôt à "On touche à rien de notre côté et eux ils montent, c'est à eux de faire l'effort... et pas trop vite, si possible".
En tout cas, au niveau de la Constitution, il ne tient qu'aux acteurs socio-économiques de s'entendre sur les modalités de développement (cf Articles III-211, III-212).
D'autre part, tu dis que tu ne vois pas d'objectifs sociaux, pourtant les engagements de la partie III, chapitre 3 ne traitent que de ça : Emploi, politique sociale, cohésion économique, sociale et territoriale, ce sont clairement des engagements "en faveur du social et du travail".
L'article III-210 me semble assez clair sur ces objectifs qui sont aussi ambitieux que ceux de tout parti de gauche classique.
En fait, je ne vois pas de libéralisme sauvage dans le texte mais plutôt l'organisation raisonnée d'un espace socio-économique, mais d'un espace unique avec ce que cela implique comme "violence" pour une mise à égalité.
Henrique a écrit :A 25 et très bientôt 27, de telles mesures sont autrement plus difficiles à obtenir à l'unanimité.
L'alternative me semble un abandon plus important des souverainetés nationales, une orientation profonde vers le fédéralisme et donc une véritable constitution où le gouvernement européen supplanterait le national.
Comme tu dis : "Mais alors il faut passer à une véritable démocratie européenne permettant les politiques qui seront voulues par une majorité d'entre eux. "
Il faudrait donc l'acceptation par les européens d'être véritablement un seul pays, l'acceptation que la majorité européenne prime sur les majorités nationales. Est-ce que c'est réaliste aujourd'hui ?
L'étape d'uniformisation socio-économique ne me semble pas idiote avant de proposer de s'abandonner aux pouvoirs de ceux qu'on appelle encore des étrangers.
Ca me fait penser qu'en France, nous avons encore le 11 novembre et le 8 mai pour que perdure l'association allemand-méchant. Il faudrait peut-être arrêter de fêter leur destruction avant de penser à les reconnaître comme pouvant légitimement décider pour nous..
Henrique a écrit :(...)
Je pense que tu te trompes en ne voyant pas la révolte qui gronde auprès des peuples qui se rendent compte de plus en plus clairement que la démocratie leur est confisquée dans les faits.
Comme j'ai le sentiment que les protestataires sont eux-mêmes acteurs du système qu'ils dénoncent, j'ai du mal à y croire. Les choses tendent à perséver dans leur être...
La plus grande colère, je l'ai vu chez ces gars qui ont tabassé les lycéens manifestant contre la loi Fillon. Mais on leur a tellement dit qu'ils n'étaient pas tout à fait français, qu'ils étaient encore et toujours en voie d'intégration, qu'aujourd'hui la démocratie ne semble pas les intéresser.
Henrique a écrit :Or encore une fois avec le pacte de stabilité, c'est interdit de fait. Avec la politique monétariste de la BCE, nous avons une organisation de fait de la concurrence déloyale : ou vous acceptez la régression sociale (cf. la politique du moins disant fiscal et social de l'Irlande par exemple) ou c'est le chômage de masse.
Le pacte de stabilité est simplement l'engagement à une gestion saine des comptes pour éviter un dangereux déficit à l'américaine.
En 2005, les intérêts sur la dette en France étaient de 40 milliards d'euro, quasiment autant que les dépenses d'aide sociale et d'aide à l'emploi (50 milliards).
En fait, si on remplaçait tous les chômeurs par un emploi public au SMIC, ça nous ferait dans les 50 milliards par an. Faudrait peut-être fermer l'ANPE et faire comme ça, on serait encore dans le pacte de stabilité...
Henrique a écrit :D'autre part, la directive Bolkenstein, tu trouves que c'est de la concurrence loyale ? Elle trouve ses bases juridiques dans les articles I-4, III-137 et III-147.
Euh... elle n'est pas passé la directive Bolkenstein...
Il me semble d'ailleurs qu'elle allait dans le sens inverse de III-137 : dans III-137, tout ressortissant d'un Etat membre A peut exercer dans un autre Etat membre B, mais dans les conditions prévues par la législation de l'Etat B alors que c'est l'inverse chez Bolkenstein.
Henrique a écrit :Tout reprendre à zéro ? De fait la constitution européenne donne une personnalité juridique et politique à l'Europe. Dès lors, ou on est pour la technocratie (comme Ullis apparemment) ou on est pour la démocratie. Si on est pour la démocratie, on accepte que l'Europe, qui n'est plus qu'un vaste marché mais une entité politique, puisse se donner les moyens d'un contrôle démocratique de ce marché. Dans ce cas il est absurde de constitutionnaliser une politique économique et sociale qui est néolibérale càd se contraint politiquement à l'impuissance du politique sur l'économique et qui interdit de façon soviétique toute alternance en matière de politique
(...)
Mais aucune de ces trois options ne serait constitutionnalisée, chacune devrait être avalisée démocratiquement pour pouvoir accéder au pouvoir et le conserver, ce qui amènerait les unes comme les autres à devoir se confronter aux réalités aussi bien économiques que sociales pour prétendre durer au pouvoir.
Comme je l'ai dit, en dépit des mots, je ne vois pas à ce texte de valeur constitutionnelle au sens de constitution d'Etat.
Je suis d'accord qu'il n'est pas particulièrement à visée démocratique ou du moins démocratique directe, puisque les pouvoirs restent aux Etats qui sont eux, en principe, démocratiques.
Mais ce texte est pour moi une honnête avancée dans la voie de création d'une communauté sur les bases qui semblent celles de la majorité des européens : confort, travail pour tous et week-end à la plage.
C'est assez "animal" comme base, mais quand on passe à l'idéologique on va des souverainistes au fédéralisme communiste et l'accord ne me semble pas aujourd'hui possible.
Ensuite, il y a peut-être des risques pour les pays riches. C'est sûr que les 35h à 900 euros pour un smic, ça doit faire rêver le hongrois et son salaire moyen à 330 euros. Pour moi, il faut prendre le risque et peu importe que ça nous coûte un peu si ça leur rapporte beaucoup.
En gros, ça ne me dérange pas qu'il y ait une politique volontariste d'unification socio-économique. Libéralisons, libéralisons, recevons les polonais, les slovènes, les hongrois, les lettons, etc., acceptons le risque qu'ils veuillent nous manger tout cru.
Davaï, tavarich ! davaï !