la QUESTION européenne

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Chapierre
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la QUESTION européenne

Messagepar Chapierre » 28 mai 2005, 18:36

Salut à tous,

Il y a dons ce forum beaucoup d'arguments. J'en ai peu, mais j'ai au moins, je crois, une facon singulière de poser la question, dans laquelle vous reconnaitrez sans doute un brin de spinozisme.
Rarement on aura vu autant d'arguments que pendant cette période pré-référendum, et rarement les esprits se seront autant définis par une position politique. Depuis longtemps, en tout cas. Ce phénomène, je crois, tient à une évolution qui est en train de se dessiner en France : la dimension européenne de la politique, depuis longtemps évidente sur le plan pratique, tend à s'installer dans l'opinion, à savoir, dans la forme la plus vulgaire la pensée, donc la plus répandue et aussi la plus efficace. La politique change, mais aussi et surtout, les sujets politiques changent.
Certains, parmi ces sujets politiques, ont l'habitude de plier leur pensée aux formes que la politique exige, d'autres sont en train de sortir de leur innocence, ou ne cessent d'en sortir : ainsi les opinions sont plus ou moins touchés par la dimension affective de la question européenne. Avant d'en revenir à l'emprise qu'ont les affects, voyons quels sont-ils.
Ja propose de désigner comme étant les affects décisifs les deux suivants : la peur (comme toujours), et le "sens de l'histoire" (ce qui est nouveau). La peur répond négativement à l'ampleur de l'enjeu européen, elle accompagne tout mouvement politique, puisque tout mouvement politique induit des modifications de notre vie directement observables par chacun, et le changement fait (légitimement) peur. A la peur répond comme son envers le soi-disant "courage" politique, celui affirmé par la bonne conscience des honnêtes citoyens. Le NON et le OUI s'accordent sur ce point, puisque ces deux camps font valoir une forme de courage contre un immobilisme. Le "sens de l'histoire", lui, répond positivement : pour la première fois de l'histoire, on a réussi à faire croire au plus grand nombre que l'histoire "est en train de se jouer", comme si elle sortait d'un long sommeil. Aussi, au nom de l'honnêteté du citoyen, ne faut-il pas rater ce sens de l'histoire, sans quoi les américains se moqueraient de nous. Le NON et le OUI s'accordent à ce sujet, puisque les deux camps invoquent l'irréversibilité de l'engagement qui est mis en question.
Plus que les arguments politiques, ce sont ces affects qui attirent mon attention lors de cette campagne, car ils recouvrent TOUS les arguments, ou plutôt, ils sont en eux. Ce sont les affects qui rendent dynamiques les arguments, c'est la dose d'espoir ou de ressentiment que contient secrètement toute prétention à la rationalité, en clair, c'est ce qui nous fait parler. En ce sens, les affects donnent sa physionomie à la politique, permettent de la comprendre, car c'est de cela qu'elle est faite, c'est sa texture même. Il m'importe guère de savoir de quel côté est le réel courage, quelle direction est en train de prendre l'histoire. Ce qui m'importe, c'est que le contenu des opinions se reconfigure au contact d'un nouvel espace politique. Les querelles internes aux partis sont la forme la plus visible de ce phénomène, dont l'importance se lit bien plus dans les multitudes.
Il est trop tard pour souhaiter ou refuser l'europe, trop tard pour se proclamer ou se refuser "européen", ou pire, "bon européen" ; mais il est encore temps pour comprendre quel type de citoyens l'europe va rassembler. Ces citoyens ne sont pas définis par le texte de la constitution, par quelconque cadre juridique proclamé. Ils doivent leur réalité à l'EFFET que produit sur eux ce texte ainsi que les institutions réelles qu'il va créer, c'est-à-dire à ce nouvel agencement de peurs et d'espoirs qui s'exprime dans cette campagne. L'issue du référendum est donc secondaire par rapport aux discours que l'on entend actuellement, qui, eux, portent la marque de la nouvelle citoyenneté en train de se former. Le politique réel, une fois encore, anticipe sa manifestation organisée par le pouvoir. Si quelque chose comme une "europe juste" a du sens, alors il ne faut pas voir dans cette formule l'espoir de voir se réaliser dans un texte juridique un idéal de justice (c'est poutant ce que tous les argumentateurs font). Si quelque chose comme une "europe juste" a du sens, c'est dans la mesure où, à l'échelle européenne, les multitudes trouveront un gouvernement qui, tout en exprimant nécessairement les affects de peur et d'histoire (on n'a pas fini de se battre pour savoir où est le courage et où l'histoire), n'exprimera pas leur aspect destructeur. Les arguments portés par le OUI et le NON ne disparaitront pas après le référendum, ils continueront à creuser l'écart entre deux types de sensibilités politiques, et ils formeront aussi le lien entre ces deux groupes, le fonds commun à partir duquel ils pourront s'opposer. Aujourd'hui prend forme le citoyen européen, autrement dit : aujourd'hui apparaissent les nouvelles formes de notre aliénation, et c'est aujourd'hui qu'il faut les penser pour les dépasser. Et au regard de cette entreprise, voter n'est pas tout, c'est même peu de chose.
Il me semble, pour conclure, que ces affects européens, sont dangereux. Surement plus dangereux que les affects "francais" de ces dernières années : dangereux parce que puissants, puissants parce que naissants. Aussi y a-t-il peu de chances pour que le gouvernement européen fasse dans la délicatesse. Les mesures prises pour faire preuve de vaillance politique, pour montrer au monde que l'histoire se joue toujours en Europe, seront sans doute brutales, destructrices, mais de manière invisible. La santé et l'éducation en particulier, et donc le corps et l'esprit, vont connaitre sous l'influence du politique des modifications profondes qui compromettront peut être la capacité du plus grand nombre à mener une réflexion suffisante pour se défendre, soi et ses intérêts. Le rapport entre la dose d'affects et la dose d'arguments est déjà en train de pencher en faveur de l'affect, le danger est grand qu'il en soit de même du côté des gouvernants. Cela est-il ma manière d'avoir peur de l'europe ? Non, encore une fois, cela est ma manière de comprendre ce que la peur et le fantasme de l'histoire vont produire.
Pour avoir une idée de ma manière de "croire" en l'europe, c'est à dire à ma manière de vivre cette "citoyenneté" européenne qu'on ne me laissera pas refuser, il faudra prendre le temps de penser au rythme de la philosophie, lentement.

Je constate que je n'ai pu participer avec le plus grand nombre au jeu du partage d'arguments. Je cultive l'immodeste prétention qui me porte à penser que la santé de l'esprit se préserve dans le recul.

A bientôt,

Pierre

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AUgustindercrois
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Messagepar AUgustindercrois » 28 mai 2005, 23:12

Cher Pierre,

Votre mémoire de maîtrise me semble très intéressant. Merci de l'avoir signalé ici.

Je crois que le recul n'empêche pas l'opinion. Et vous devez bien avoir une opinion, comme tout le monde. L'opinion est un savoir qui sait qu'il n'accède pas au statut du savoir.

Ce recul, dont vous vous prévalez, est - il si philosophique? J'observe que Spinoza avait choisi son camp en son temps.

Je crois, finalement, que la thèse d'Henrique est valable. A quoi étudier la philosophie si elle ne guide pas nos choix concrets?

Vous objecterez que votre refus du choix est en lui-même un choix.

Mais y a -t-il là la force d'âme que Spinoza recommandait lui - même?

Je l'ignore. Votre position est - elle aristocratique?

Bien à vous,

Ader


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