Explication : De l'origine de l'inégalité ; de Rousseau

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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vv06
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Explication : De l'origine de l'inégalité ; de Rousseau

Messagepar vv06 » 22 juil. 2005, 17:55

Bonjour à tous,

Faute d'avoir trouver un site de philosophie plus "généraliste", je poste ici mon sujet...en espérant que des Spinozistes accépteront de disserter sur un autre auteur que Spinoza, ce dont je ne doute point.

Je viens de lire le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Et force est de constater que je n'ai pas tout compris !!! :oops:

C'est pourquoi je vous demanderais de m'éclaircir sur la thèse de l'auteur, sur les idées clefs, et surtoût sur son raisonnement qui l'a ammené à ses conclusions. De plus, si vous avez des réponses à faire à la thèse de Rousseau elles sont plus que les bienvenues !!!

Les points obscurs à ma pensée :

- Ses conclusions sont basées, me semble t-il, sur des hypothèses peu fiables. Il essaye d'immaginer les différentes étapes que les Hommes ont pu connaître avant d'établir une Société. C'est presque une démarche "historique" qui fait lieu de raisonnement.
- J'ai l'impression qu'il passe plus de temps à démontrer comment s'est établi la Société qu'à montrer comment la société rend l'Homme mauvais.


Il serait aisé de prouver que tout Gouvernement qui, sans se corrompre ni s'altérer, marcherait toujours exactement selon la fin de son institution, aurait été institué sans nécéssité, et qu'un Pays où personne n'éluderait les Loix et n'abuserait de la Magistrature, n'aurait besoin ni de Magistrats ni de Loix


- Rousseau est-il contre toute idée d'organisation de la Société ou d'Etat ?


Voici ce que j'ai pu comprendre :

- L'homme Sauvage est bon par nature. En effet, il est animé par la pitié qui l'empèche d'agresser autrui. De plus, il vit pour lui même et ne cherche pas la gloire ou la richesse au contraire de son "homologue policé".
- L'établissement de la propriété est la première des causes de l'origine de la Societé. C'est elle qui força les plus riches à convaincre les plus faibles d'adhérer à une organistion civile (la Societé en clair). En effet, la Société serait la gardienne de l'état des choses : ce qui m'appartient de fait m'appartient maintenant de droit. C'est il me semble la naissance de la Justice.

Si vous pouvez éclaircir mon idée et m'aider à comprendre un peu mieux ce texte, je vous remercie d'avance. Dans le cas contraire, je vous remercie d'avoir bien voulu me lire !

Merci d'avance pour vos réponses...

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sescho
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Messagepar sescho » 23 juil. 2005, 12:52

Bonjour,

J'ai lu plusieurs fois ce discours (ainsi que celui sur les sciences et les arts) mais il y a longtemps maintenant, et ce que j'en ai retenu n'a certainement pas du tout la valeur d'une exégèse par un spécialiste de Rousseau...

J'en ai gardé (ce qui correspond assez à ce que vous en avez compris vous-même) :

- Que Rousseau croit à un ancien Âge d'Or, où l'homme dans l'état de Nature vit simplement et dans un souci de partage et de compassion.

- Que l'introduction inévitable de la propriété avec la sédentarisation, l'agriculture et l'élevage, inégalité créée entre le possédant et le non possédant, sur un bien qui avant était libre à tous, est la première étape de la décomposition de cet Âge d'Or.

D'abord basée sur les qualités propres des hommes (ce que Rousseau ne conteste pas en soi mais qu'il considère quand même comme une perte de solidarité, car elle dramatise les inégalités naturelles), cette organisation a dérivé vers des formes beaucoup moins saines de domination. La possession de fait a été conjointement muée par les possédants en possession de droit, transmissible à la descendance, afin de la pérenniser par un assujetissement a priori des esprits et des corps, avec souvent peu de rapport avec le simple fruit d'un travail utile. Ceci prélude la Révolution Française (qui n'avait donc pas encore eu lieu, il faut le souligner) et le Communisme.

- Qu'au bout - comme déjà Sénèque, par exemple, et par la suite Nietzsche - la société moderne, qui se croit très supérieure au sauvage, est en fait pourrie de vices et constitue un genre de vie opposé à la vigueur, à la fermeté du corps et de l'âme (ex : décadence de Rome) et de fait à une expression libre des véritables talents.

Commentaires :

- Rousseau répond à un concours académique et donc s'en tient au sujet, qui est : "quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle". Il répond clairement à la première question. S'agissant de la seconde, il conclue que les inégalités des sociétés policées sont contraires à l'état de nature, et donc à la loi naturelle : "il est manifestement contre la loi de nature, de quelque manière qu'on la définisse, qu'un enfant commande à un vieillard, qu'un imbécile conduise un homme sage et qu'une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude manque du nécessaire". Je ne vois pas qu'il ait manqué son but.

- Il n'y a pas, me semble-t-il, de critique morale des mécanismes intervenant dans l'ontogénèse des sociétés "policées", mais seulement du résultat.

- D'un point de vue spinoziste, selon moi, rien n'est contraire à la loi naturelle ; mais que les imbéciles conduisent les sages laisse de la marge à l'augmentation de la puissance...


Amicalement


Serge
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Messagepar vv06 » 24 juil. 2005, 15:29

Bonjour,

Tout d'abord, je vous remercie d'avoir apporter votre vision sur ce texte ! :D

Une question me taraude ! Je doute à croire que Rousseau soit opposé à l'établissement de la Société et qu'il prone le retour à l'Etat de Nature. En effet, en tant que philosophe des Lumières je voit mal Rousseau se positionner contre la Société. Cependant, certains passages du Discours me font penser que c'est le cas.

Chez Rousseau, l'homme est bon dans l'Etat de Nature car la compassion "détournera tout Sauvage robuste d'enlever à un faible enfant, ou à un viellard infirme sa subsistance acquise avec peine, si lui même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs."

A ce sentiment Rousseau oppose la raison et la philosophie naissant avec la Société :

C’est la raison, qui replie l’homme sur lui-même ; c’est elle qui le sépare de tout ce qui le gêne et l’afflige (…) ; C'est la philosophie qui l'isole ; c’est par elle qu’il dit en secret, à l’aspect d’un homme souffrant, péris si tu veux, je suis en sûreté.(...)On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre ; il n'a qu'à mettre ses mains sur ses oreilles et s'argumenter un peu, pour empécher la Nature qui se révolte en lui de l'identifier avec celui qu'on assasine.


Ainsi, Rousseau pense que la raison corromp l'homme en le privant du sentiment naturel de Pitié. La raison se développant gràce à la Société, par les échanges et les sciences et la philosophie, elle donnerait à l'homme un caractère des plus mauvais. Donc, Rousseau ne serait pas favorable à la Société car elle développe la raison. La raison qui empèche la pleine expression de la Pitié.

Pensez-vous que Rousseau est opposé à la Société ? Il y a t-il des nuances dans ce texte que je n'ai pas saisi et qui vont à l'encontre de ce que j'ai pu comprendre ?


Merci d'avance pour vos réponses...

Amicalement,

VV06

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Messagepar sescho » 24 juil. 2005, 21:17

Bonjour,

Encore une fois, je ne connais pas assez bien Rousseau pour affirmer à son sujet. Peut-être quelqu'un de plus compétent voudra bien intervenir, quoique manifestement ce n'est pas - sans rapport à Spinoza - le sujet de ce site...

Mon avis :

Rousseau n'est pas opposé à la Société ; elle est en fait inévitable avec l'augmentation de la population. Ceci est évident dans son ouvrage Du Contrat social. Il n'est pas très long et disponible en version texte sur le net. Un extrait :

Rousseau, Du Contrat social, a écrit :CHAPITRE VIII
DE L’ETAT CIVIL

Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point, que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.
Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif.
On pourrait sur ce qui précède ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui : car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. Mais je n’en ai déjà que trop dit sur cet article, et le sens philosophique du mot liberté n’est pas ici de mon sujet.

Je crois que cet extrait répond à l'ensemble des questions. Rousseau pose dans cet ouvrage (un traité politique) les bases principales du gouvernement démocratique, le but étant de retrouver dans la société organisée la liberté de l'état de nature, autant que possible. Comme supposément Spinoza, il fait référence à Machiavel et son traité n'est pas sans rappeler le Traité Politique de Spinoza.

Je crois que dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau saisit l'occasion du concours académique pour dénoncer une société malsaine, qui a perdu la valeur fondamentale de bonté et d'entraide tout en s'asphyxiant d'un arsenal de superfluités. Il pousse tellement le trait que c'est presque un pamphlet. Mais, comme dit plus haut, il n'est ni le premier ni le dernier grand auteur à le faire.

J'ajoute que, selon moi, lorsqu'il parle dans ce cadre péjorativement de la raison et de la Philosophie, il entend néanmoins par là seulement les sens restreints de "raisonnement" et "spéculation métaphysique", qui sont des exercices intellectuels qui tendent à éloigner les mouvements naturels immédiats comme la compassion.

Amicalement

Serge
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Messagepar vv06 » 26 juil. 2005, 15:07

Bonjour,

Je vais donc me tourner vers ce texte Du Contrat !

Mais je vais peut-être commencer par relire le Discours car cela m'aidera à clarifier ma pensée:)

Merci,

VV06

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Fabou
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Messagepar Fabou » 30 juil. 2005, 16:12

Il est nécessaire de clarifier certaines choses :

- Rousseau ne prône pas un retour à l'état de nature mais l'état de nature est régulateur, à savoir il doit servir de fondement "pour juger de notre état présent" (état de culture), c'est-à-dire juger la société contemporaine de Rousseau qui est dénaturée, où règnent le vice et l'injustice. (ce qui peut être jugé comme encore le cas aujourd'hui). L'état de nature est une construction intellectuelle, une abstraction de ce qui en l'homme provient de l'état de culture et qui permet d'opérer une généalogie (et non une histoire) de l'origine du mal (de l'inégalité entre les hommes). La description de l'homme à l'état de nature est donc hypothético-déductive. Comme le dit Rousseau, cet état n'a surement jamais existé. L'homme est bon par nature, cela ne signifie pas l'indication d'un retour aux forêts, mais il s'agit bien d'isoler le fait que c'est l'interdépendance entre les hommes qui est à l'origine du mal.

- Il faut distinguer deux sortes de contrat social : le contrat du 2nd Discours (contrat historique) et le contrat du Contrat social qui est idéal (et encore régulateur). Rappelons que le but de Rousseau dans le Contrat Social est de donner l'équivalent, par des lois dans l' état de société, de l'état de nature en y ajoutant la vertu. La pitié à l'état de nature se situant en deça bien et mal. Le contrat historique, quant à lui, fixe l'origine du mal car il fige légalement l'état de fait donc l'inégalité qui règne entre les hommes.
La question est alors la suivante : s'il est nécessaire de les distinguer peut-on lier ces deux contrats? A première vue, ils n'ont rien en commun, le contrat social étant la correction du contrat historique. Sauf que si le contrat historique légitime l'inégalité qui règne entre les hommes (cette inégalité n'avait aucun effet à l'état de nature car les hommes vivaient isolés et étaient indépendants) au profit des riches contre les pauvres, des forts contre les faibles..., de ce contrat historique naît le droit, du moins l'idée de droit, qui certes est empiriquement mauvaise car au service des forts en les protégeant, mais qui, intelligiblement, est impartiale, qui s'élève au dessus des hommes eux-mêmes, véritable modèle de vertu. Reste alors une issue non révolutionnaire à la fin du 2nd Discours. L'égalité peut être légitement obtenue par des mesures sociales, à savoir une égalisation des conditions par le haut, cela étant rendu possible matériellement, par l'accès généralisé à la propriété pour tous. Si tout le monde possède, la loi les protégera avec égalité.

- On a donc deux idéaux antithétiques dans l'oeuvre de Rousseau : d'une part, l'homme naturel qui n'est pas le sauvage du 2nd Discours, mais l'homme indépendant dans la société qui agit de manière conséquente avec le moindre mal pour autrui, et le citoyen, patriote au sens antique, qui vit sous les Lois de son pays qu'il s'est donné lui-même en votant. Tous les citoyens, ayant aliéné leur biens et leurs privilèges, sont égaux devant la loi.
Deux modèles de liberté surgissent de ces deux idéaux qui n'ont pour moi qu'une fonction régulatrice : la liberté-indépendance (faire ce qu'on veut avec le moindre mal pour autrui), et une liberté-autonomie qui consiste à se donner sa propre loi qui est la même pour tous.
Il faut bien comprendre que ces deux idéaux auxquels Rousseau aspirent, l'homme et le citoyen, ne sont pas conciliables. Seulement, empiriquement parlant, nous sommes le mixte des deux, un peu homme, un peu citoyen. Au début de l'Emile, Rousseau dit bien que cette mixité est une déperdition. Il faut être soi homme, soit citoyen, en tout cas y tendre.

- En ce qui concerne la raison, Rousseau ne critique pas la raison au sens pratique (esquisse de la raison pratique kantienne), mais la "raison raisonnante" des arts et des sciences qui s'exerce à vide et ne présente aucune application pratique et dénature l'homme plus qu'autre chose. La raison à travers le concept de volonté générale (chacun exprime son "point de vue" sur l'intérêt général en mettant de côté sont intérêt particulier) exprime l'équivalent de l'ordre naturel (les lois de la nature), avec en plus une dimension morale qui n'existe pas à l'état de nature (la pitié est un sentiment naturel). Par la volonté générale, la raison atteint une seconde nature, qui est l'expression de la nature retrouvée, du cosmos.

Voilà des pistes pour une lecture de Rousseau dont la pensée est riche de ses ambiguités.

Amicalement


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