philosophie et sociologie

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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djhaidgh
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philosophie et sociologie

Messagepar djhaidgh » 12 sept. 2005, 22:07

Lorsque la sociologie tente de cerner ce qu'est la philosophie, celle-ci, inévitablement se braque, prétextant que personne ne peut la comprendre mieux qu'elle-même... voici un extrait de l'introduction d'un article de Soulié, Anatomie du gout philosophique, paru dans la revue de P. Bourdieu, Actes de la Recherches en sciences sociales.

Qu'en pensez-vous ?

« La philosophie se présente souvent comme une activité qui est à elle-même sa propre détermination. Ainsi quand on interroge un enseignant ou un étudiant de cette discipline sur son parcours intellectuel, il y a de fortes probabilités pour que celui-ci le décrive comme étant essentiellement déterminés par des raisons d’ordre purement intellectuel. A l’écouter, c’est son intérêt pour tel auteur, telle question ou telle problématique qui l’aura pousser à lui consacrer une ou plusieurs années de sa vie. L’enquête que nous avons mené au sujet des pratiques de recherche des étudiants en philosophie de la région parisienne permet de dépasser ce type d’explication, et nous voudrions montrer ici ce que la réflexion philosophique doit à son enracinement institutionnel, comme aux usages sociaux qui en sont faits.
Notre volonté d’étudier la discipline philosophique d’un point de vue sociologique n’a pas manqué de susciter des réactions, parfois très vives, notamment dans la population dominante de cet univers, c’est-à-dire chez les normaliens agrégés. En raison de leur appartenance disciplinaire, ces derniers ont souvent tendance à se penser comme des professionnels de la lucidité et de la réflexivité, réflexivité dont la philosophie aurait en quelque sorte le monopole, les autres disciplines étant souvent jugées incapables d’opérer un retour réflexif sur les savoirs particuliers ou régionaux qu’elles élaborent. Se posait alors la question même de la légitimité, et de l’intérêt, de la démarche sociologique. Faisant leur propre histoire, ayant leur propre pédagogie (un inspecteur général de la discipline ne cesse notamment de répéter que « la philosophie est à elle-même sa propre pédagogie »), les philosophes professionnels, comme les apprentis philosophes, manifestent fréquemment un certain scepticisme, voire une franche hostilité, vis-à-vis d’une démarche souvent perçue, a priori, comme réductrice. Ce type d’obstacle, particulièrement sensible lors des interviews, nous a notamment conduit à privilégier l’approche statistique ainsi que l’étude des pratiques. »

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hokousai
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Messagepar hokousai » 13 sept. 2005, 00:27

Mr Soulié demande(ou demandait ) l'approbation d'un discours contextuel, le sien ,celui de la sociologie de la part des discourants dans un autre contexte celui de la philosophie .Il se fâche(ou se fachait ) de ne pas l'obtenir . La réflexion sur la traductibilté des discours est d' origine philosophique(Quine par exemple ) mais à tout prendre peut être partagée par le commun des mortels toutes disciplines confondues , elle prévient du risque de réductionnisme encouru en certaines régions de la science , autant a reprocher aux actuelles neuro-sciences qu' à la sociologie bourdieusienne ,en son temps à la psychanalyse ou au marxisme de la même époque .

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Modifié en dernier par hokousai le 14 sept. 2005, 23:35, modifié 1 fois.

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Messagepar Miam » 13 sept. 2005, 14:15

Comme l'auteur le dit lui-même, il s'agit de saisir la philosophie dans son enracinement institutionnel et son usage social. La philosophie est une activité comme une autre et, comme une autre elle s'"enracine" dans des institutions et possède un usage social. Mais cette activité ne se limite pas à son enracinement institutionnel, pas plus que le travail du métal est par nature institué dans des corporations moyen-âgeuses ou au contraire dans le travail salarié moderne. La philosohie n'est pas une institution, c'est une activité institutionalisée. Rien n'empêche de la pratiquer hors institution, d'autant qu'elle nécessite peu de moyen de production, sinon justement le vocabulaire institutionnel. Mais rien n'empêche de redéfinir ce vocabulaire comme on forge de nouveaux outils. D'autre part rien n'empêche de changer son usage social. C'est du reste ce que l'on fait ici dans la mesure où personne n'est payé pour sa participation. Une sociologie de l'activité philosophique est certainement nécessaire, mais alors elle doit appréhender toute cette activité, et pas seulement celle, institutionnelle, des élèves et professeurs. C'est une naïveté sociologique que de réduire une activité à son institution et à son usage social dans cette institution. Ce serait comme étudier le travail du métal à travers les seules grandes entreprises sidérurgiques et faire fi du forgeron d'une tribu africaine matrilinéaire. Et nous sommes tous ici des forgerons africains... :mrgreen:

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Re: philosophie et sociologie

Messagepar bardamu » 14 sept. 2005, 14:55

djhaidgh a écrit :Notre volonté d’étudier la discipline philosophique d’un point de vue sociologique n’a pas manqué de susciter des réactions, parfois très vives, notamment dans la population dominante de cet univers, c’est-à-dire chez les normaliens agrégés. (...) les philosophes professionnels,

Ca me fait me demander qui sont les "philosophes professionnels".
A la question, "quelle est votre profession ?" qui répond "Philosophe" ?
"Normaliens agrégé", c'est le pedigree de profs de philo, de chercheurs en philo, d'auteurs de traités et manuels de philosophie... ?

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Messagepar Miam » 14 sept. 2005, 17:28

Ben ouais. C'est ça quoi! La sociologie n'est peut être elle-même qu'une institution et un usage social. C'est elle qui projette son origine sur toutes les activités. La sociologie n'est-elle pas une institution moderne, liée à une société moderne qui a vu naître les "sciences humaines" ? La philosophie est moins une institution qu'une activité. Mais pour la sociologie j'en suis moins sûr. D'abord par ses origines, ensuite par ses prétentions scientifiques, enfin par l'usage de méthodes datées et pratiquées dans l'administration même de la société moderne : les statistiques. La philosophie n'a pas cette prétention scientifique. Elle me paraît aussi beaucoup moins dépendantes de techniques institutionnelles.

Un philosophe ne comprendra jamais comment le sociologue peut étudier son objet comme institution alors qu'il fait partie lui-même d'une institution (il faudrait être à la fois dans son objet et au dessus de lui). Ni comment la sociologie peut se prétendre scientifique en étant la représentation humaine d'une représentation humaine. Comme si l'on pouvait être un spectateur de la société sans en être l'acteur. C'est la même naïveté de toutes les sciences humaines, quel que soit leur objet...

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Henrique
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Messagepar Henrique » 15 sept. 2005, 12:38

Un sociologue non institutionnel et donc politiquement incorrect : Alain Soral

Miam ne devrait pas détester.

Quant aux raisons d'ordre sociologiques qui font qu'on fait de la philo, si c'est bien le sujet qui a été lancé, ce n'est pas un spinoziste qui niera que des déterminations extérieures à la philosophie y conduisent. Dans l'appendice d'Ethique I, Spinoza indique que c'est presque par hasard que les hommes ont pu envisager de sortir de l'illusion finaliste et ses avatars avec la découverte de la science mathématique, (qui elle-même ne dérivait pas de pures aspirations de l'intellect humain mais de besoins tout à fait prosaïques). Dans le TRE, Spinoza part au départ de considérations subjectives qui pourraient fort bien être traduites socialement, mais pour ensuite entrer en philosophie, c'est-à-dire dans une pensée autogénérée, réflexive.

Pour ma part, j'ai une idée des raisons sociales, mais aussi affectives et psychologiques qui ont pu me conduire à m'intéresser à Spinoza en particulier, par exemple. Cela pourrait sans doute être approfondi. Mais cet intérêt lié aux aspects particuliers de mon existence n'aurait jamais pu exister si en même temps, il n'y avait pas eu aussi une motivation intellectuelle de valeur universelle et propre à s'autogénérer et/ou à s'autoentretenir. Paul a faim à 19 h parce que socialement il est habitué à manger à 19 h 15... en même temps, il n'aurait pas faim du tout s'il n'était avant tout un corps. De même, il y a des raisons sociologiques expliquant tel ou tel aspect du désir de vérité et de liberté, qui expliqueront notamment qu'on se tournera plutôt vers la philosophie que vers la religion pour satisfaire ce désir, mais ces raisons ne seraient rien si les objets d'étude en question n'étaient d'abord des Mentats conscients de leur désir d'exister.

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Messagepar bardamu » 15 sept. 2005, 13:16

Un sujet de sociologie qui m'intéresserait assez, c'est la naissance des courants et écoles en philo.
Je ne fais pas partie du milieu professionnel mais en me renseignant sur le travail de Badiou, je me suis aperçu qu'il y avait des chapelles de deleuziens et de badiouistes.
Deleuze parlait, je ne sais plus où, de la manière dont il était passé d'études sur des auteurs à une oeuvre pleinement personnelle et il serait aussi intéressant de savoir comment on en vient à oser parler pour soi. Y'a-t-il une pression du milieu universitaire pour rester modeste et faire des études surtout historiographiques ou techniques plutôt que créatives ?
Dans la somme des publications spécialisées combien sont de la création philosophique ?

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Messagepar Henrique » 15 sept. 2005, 15:22

bardamu a écrit :Deleuze parlait, je ne sais plus où, de la manière dont il était passé d'études sur des auteurs à une oeuvre pleinement personnelle et il serait aussi intéressant de savoir comment on en vient à oser parler pour soi. Y'a-t-il une pression du milieu universitaire pour rester modeste et faire des études surtout historiographiques ou techniques plutôt que créatives ?


D'après mon expérience, oui. Mais ce n'est pas interdit, on te fait seulement comprendre que tu as beaucoup plus de chances de te ramasser si tu te lances dans un sujet de philosophie générale plutôt que si tu restes dans les rails d'un auteur reconnu en histoire de la philosophie.

Enfin, je parle de diplômes comme la maîtrise, le DEA ou le doctorat. Quand tu es passé par là, les seules choses qui t'empêchent un tant soit peu de faire une recherche personnelle, c'est le manque de motivation personnelle, le poids des habitudes historicistes et la perspective qu'une recherche novatrice en philosophie risque intéresser encore moins de monde que si tu traites d'auteurs connus (tu auras au moins comme public ceux qui travaillent sur les mêmes auteurs que toi).

J'aurais donc tendance à ramener ce phénomène davantage à des causes d'ordre affectif en dernière analyse. Certes, il y aurait plus de motivation à travailler sur des sujets de philosophie générale si celle-ci était socialement privilégiée par rapport à l'histoire de la philosophie mais celle-ci l'est à mon sens davantage pour des raisons psychologiques que proprement sociales : l'étude d'un auteur dans les limites du cadre universitaire rassure davantage que se lancer à l'aventure dans une question où d'un côté les prédecesseurs peuvent être rares et où d'un autre côté, on risque de montrer son inculture ou son manque de suite dans les idées en n'ayant pas pensé à utiliser telle ou telle référence, que les lecteurs, eux, auraient utilisée.

Dans la somme des publications spécialisées combien sont de la création philosophique ?


A vue de nez, je dirais quand même dans les 30%... et encore, tout dépend ce que tu entends par "création philosophique". S'il s'agit de répondre à des questions peu ou non encore traitées mais au moyen de concepts déjà éprouvés, certains diront que ce n'est de la grande philosophie. Ceux qui créent véritablement des concepts sont bien rares. A vrai dire, cette histoire deleuzienne de création de concept me semble un peu fumeuse. Pour moi un Spinoza n'a pas créé véritablement de concepts, il a travaillé et affiné des concepts déjà existants. Je dirais même que dès lors que utilises des concepts pour traiter même très modestement une question ou une problématique inédites, il y a nécessairement une part de création avec toujours une part de récupération.

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bardamu
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Messagepar bardamu » 15 sept. 2005, 22:14

Henrique a écrit : Ceux qui créent véritablement des concepts sont bien rares. A vrai dire, cette histoire deleuzienne de création de concept me semble un peu fumeuse. Pour moi un Spinoza n'a pas créé véritablement de concepts, il a travaillé et affiné des concepts déjà existants. Je dirais même que dès lors que utilises des concepts pour traiter même très modestement une question ou une problématique inédites, il y a nécessairement une part de création avec toujours une part de récupération.

Si la question du réel est prise en charge par les physiciens, le bonheur personnel par les psy, le social par les sociologues, les média et les politiques, qu'est-ce que signifie être "philosophe" aujourd'hui ?
Qu'est-ce qui ferait la spécificité de la philosophie ?
C'est dans "Qu'est-ce que la philosophie ?" qu'ils traitent (avec Guattari) de la question et j'ai trouvé ça assez convaincant surtout dans le positionnement par rapport aux activités scientifique et artistique.

Ils y définissent un concept de "concept" qui caractérise l'activité philosophique en revendiquant de réserver le terme à la philosophie, contre les sciences, contre l'art (y compris conceptuel) et surtout contre le marketing et autres amateurs de concept publicitaire.

La création de concept comme activité proprement philosophique devient un mode particulier de pensée, une sorte d'articulation particulière des idées en un tout qui change leur sens.
Par exemple, dans le cas de Spinoza, sa création sera la manière dont il articule substance, attribut, mode et immanence. Aucune de ces notions n'est originale mais leur articulation fait que leur sens change et que la substance chez Spinoza ce n'est pas la substance des scolastiques.
Le monde de Spinoza n'est pas celui des scolastiques ou celui de Descartes même si il part de là.

Il ne s'agit donc pas de création ex-nihilo mais de nouvelles variations sur les thèmes quitte à réactualiser d'anciennes pensées, comme le problème de l'infini actuel à l'époque de Leibniz et au début du XXe siècle.

Et ils expliquent la création par un changement de problématique, par le fait que nos problèmes ne sont pas exactement ceux de nos prédecesseurs, ce qui fait qu'on se sent obligé de faire à nouveau de la philosophie, de refaire le monde, qu'on est obligé de penser.
Quand on dit : "l'idée vraie en nous est celle qui est adéquate en Dieu en tant qu'il s'explique par la nature du Mental humain", ça ne parle plus trop au gens.
Les questions de la neurobiologie et de l'esprit, le rapport à l'informatique et à l'intelligence artificielle, toutes ces choses qui font notre monde ça ne fonctionne pas tout à fait comme le problème des esprits animaux, de la glande pinéale de Descartes ou du nombre de substances.

Il est possible que pendant 40 000 ans les aborigènes d'Australie n'aient pas engendré d'autre système que celui qu'ont découvert les européens simplement parce que leur mode de vie ne changeait pas mais en attendant la fin de l'Histoire, je serais d'avis qu'il y a un travail créatif à faire.
Aujourd'hui avec la perte de la Vérité scientifique après celle de la Vérité théologique, l'évolution des spiritualités vers un supermarché de l'offre morale, l'Etat-nation qui ne semble plus intéresser grand monde, l'unification de la planète sur un consensus gentil du type "le bonheur c'est la paix, la croissance économique et une Bourse qui se porte bien", sait-on vraiment dans quel monde on vit ? Sait-on le sens que ça a, tous ces trucs qu'on fait tout le temps parce qu'il parait que c'est normal ?

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djhaidgh
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Messagepar djhaidgh » 15 sept. 2005, 22:46

bardamu a écrit : Y'a-t-il une pression du milieu universitaire pour rester modeste et faire des études surtout historiographiques ou techniques plutôt que créatives ?
Dans la somme des publications spécialisées combien sont de la création philosophique ?



C'est exactement ce qu'observe Soulié dans son article : la plupart des mémoires de maitrises sont fait (par ceux qui envisage une carrière professorale) autour des auteurs académiquement reconnus comme Platon, Descartes, Spinoza, Kant, etc.
par contre ceux qui ne comptent plus sur un avenir de prof, la plupart s'intéresse à des sujets non historiques voire à des auteurs mineurs...
Entendons-nous bien : a aucun moment il ne dit que c'est systématique, c'est une observation d'après les statistiques
si tu veux plus de précision :
http://philo-analysis.com/
vous trouverez l'article dans la section sociologie..
la philosophie est à l'étude du réel ce que l'onanisme est à l'amour sexuel. K. Marx, l'idéologie allemande.
http://Philo-analysis.com


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