La Méthode

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Ellie
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Messagepar Ellie » 24 janv. 2006, 19:47

Miam a écrit : Mais pourquoi absolument trois thèses et deux arguments par thèse ?


Je ne sais pas vraiment pourquoi trois thèses... Je pense que cela rentre surtout dans le raisonnement que c'est la structure la plus appropriée pour nous acheminer vers la pensée philosophique.
Le nombre d'arguments par thèse n'est pas imposé, mais il doit être au minimum de deux, ce qui est logique, étant donné qu'un seul argument dans une thèse ne constituerait plus vraiment un argument, mais une partie de la thèse.

Cela dépend du sujet et de la manière de le traiter me semble-t-il. Si, comme le suggère Henrique, vous - pardon - tu traites fort bien d'un sujet sans suivre ces règles, ton professeur t'en tiendrait-il rigueur ? D'après ce que tu réponds à Henrique, il semble que oui.


J'avoue n'avoir pas essayé et j'imagine mal un professeur de philosophie assez fermé d'esprit pour sanctionner une très bonne copie sous prétexte que la méthode n'y est pas respectée... Mais pour moi le problème ne se situe pas vraiment là: on a tendance à nous imposer cette méthode plus qu'à nous la présenter comme un guide, une possibilité, un modèle...
Mon professeur de philosophie n'a jamais parlé de ne pas respecter la méthode (comme si cette méthode était, justement, la seule initiative existante pour procéder dans ce genre de devoir), alors que je suis convaincue que laisser davantage de liberté aux élèves de ce côté là pourrait certainement les amener à développer une réflexion plus profonde et personnelle.

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Miam
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Messagepar Miam » 25 janv. 2006, 14:40

Je pense qu'il faut quand-même une structure préalable, quelle qu'elle soit. Un élève aura beau avoir une intuition puissante, s'il ne structure pas son discours, il ne pourra jamais la communiquer et il n'en restera rien.

A+
Miam

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Henrique
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Messagepar Henrique » 30 janv. 2006, 14:45

Bonjour Elie,
D'abord, petite précision, ici je considère que nous sommes tous en droit à égalité par rapport à la philosophie et dans un lieu qui se veut convivial et donc je dis tu à ceux qui me semblent aimer la philosophie en supposant que chacun fera de même à mon égard, exception faite de ceux qui semblent tenir au vouvoiement, comme Hokousai par exemple, ou encore de ceux qui ne me semblent venir que pour obtenir une aide philosophique à peu de frais ou pour troller. En classe, avec des élèves qui n'ont que rarement le sentiment d'être là de leur propre fait, ce n'est pas la même chose. Mais ici je t'invite à me tutoyer ;-)

Même si tu dis ne pas vouloir procéder de façon désordonnée, il y a des termes que tu emploies qui appellent à la vigilance : tu opposes des "contraintes imposées" à une "structure qui nous viendrait de manière spontanée (du moins après méditation)". Or les règles qu'il s'agit d'intégrer doivent en philosophie permettre à une pensée personnelle de se déployer de façon claire, distincte et rigoureuse. On ne saurait donc confondre la liberté philosophique avec la spontanéité du cours des idées telles qu'elles se présentent à l'esprit, même à la suite d'une "méditation" personnelle. La liberté en philosophie, c'est de pouvoir dire que 2 et 2 font 4 par opposition au "libre cours" des préjugés personnels ou des idéologies qui s'autorisent à affirmer que 2 et 2 font 5.

Cela dit, je pourrai t'indiquer quelques liens si tu veux, mais le programme officiel de philosophie en France n'oblige en aucun cas à présenter une dissertation selon une méthode particulière, l'essentiel étant que le problème sous-entendu dans le sujet soit repéré, analysé et qu'un essai de solution argumentée de façon claire, distincte, suffisante, informée (en tenant compte notamment des auteurs étudiés en cours), dialectique et cohérente soit proposé sur la base d'une définition et redéfinition progressive du concept central. Il serait en effet absurde de prétendre pouvoir plaquer le même type de méthode sur tous les sujets possibles et imaginables. Au contraire, la méthode philosophique bien comprise consiste à saisir le problème exact compte tenu de la spécificité de la question posée avec tous les termes du sujet. Il s'agit donc d'inventer à chaque fois le cheminement le plus pertinent pour éclaircir et tenter de résoudre ce problème.

Ainsi les sujets dits "ouverts" qui n'appellent pas une réponse du type oui/non peuvent rarement être traités selon le plan thèse/antithèse/synthèse : les questions qui commencent par "pourquoi", "en quel sens..." appellent plutôt un plan analytique commençant par la question des conditions d'une réponse possible, répondant de façon argumentée dans une deuxième partie, envisageant les conséquences et les enjeux de cette réponse dans une dernière partie. Mais comme je le disais la dernière fois, la dimension dialectique doit être intégrée à l'intérieur de ces parties en envisageant à chaque fois la contradiction possible et en essayant de la réfuter. Précisons cependant que "dialectique" ne signifie ici que le fait de ne pas se contenter d'une approche unilatérale du sujet, le fait de faire dialoguer la thèse qu'on défend avec d'autres approches ou contradictions possibles.

Et même pour les questions fermées, la conclusion à laquelle l'élève est censé aboutir doit être rigoureuse : celles qui terminent par "peut-être bien que oui, peut-être que non" ou "ça dépend des fois" n'ont pas compris le problème. Par exemple le sujet "la technique s'enracine-t-elle dans nos rêves ou nos besoins ?" indique qu'il faut chercher ce qui est premier, fondamental dans la technique : cela ne saurait donc être les deux à la fois, c'est soit les rêves, soit les besoins. S'il s'agissait uniquement de voir que les deux ont un rôle à jouer, la question ne serait pas posée car tout le monde admettra cela, mais que les deux soient complémentaires n'empêche pas que l'un soit subordonné à l'autre, qu'il y ait une hiérarchie qu'il s'agit précisément d'établir. Une synthèse authentique est néanmoins possible si l'élève a connaissance du concept spinozien de désir qui enveloppe à la fois l'imagination soit immédiate (besoin), soit médiate (rêve) de ce qui peut seconder notre effort de persévérer dans notre être - sans s'y réduire. Étant entendu cependant que sans l'imagination médiate, il n'y aurait pas eu de raison suffisante de sortir de l'état de nature dans lequel les besoins rudimentaires sont bon an mal an assurés, le rêve d'une sécurité définitive nous poussant à dépasser la précarité de notre existence actuelle.

Mais une synthèse authentique, qui use d'un concept plus enveloppant, capable de dépasser l'opposition d'une thèse et d'une antithèse, n'est pas possible pour tous les sujets et le plus souvent les élèves n'en sont pas capables. Mieux vaut alors une bonne thèse/objection/réponses ou un préjugés/réfutation/réfléxion plus faciles à mettre en oeuvre qu'une mauvaise thèse/antithèse/synthèse qui n'est en réalité que thèse/antithèse/foutaise ! Et note bien que ces deux types de plans n'impliquent pas qu'on examine successivement trois thèses : ils ne présentent véritablement qu'une seule thèse, mais une thèse qui est discutée puis affinée sans qu'il soit nécessaire de voir en détail d'autres thèses. On peut à la limite dire dans le premier sur quelle thèse d'ensemble s'appuient les objections, la troisième partie reprenant la thèse de la première en la précisant simplement (mais cela ne fait que deux thèses). Dans le second, il semble y avoir au moins deux thèses : celle du préjugé, qu'on réfute en deuxième partie et à laquelle on oppose enfin une thèse philosophique plus réfléchie conceptuellement. Mais à proprement parler, on n'examine dans la première partie que les raisons de l'opinion (empiriques, historiques, sociologiques...) qui elle même ne fait pas cet effort le plus souvent, une thèse philosophique authentique étant toujours argumentée conceptuellement.

Alors as-tu seulement demandé à ton prof s'il t'obligeait à suivre absolument les indications qu'il donne ? Dans le pire des cas, il me semble qu'il devrait répondre que c'est à tes risques et périls, mais si tu parviens à circonscrire le problème de façon conceptuelle, informée et exhaustive, je ne vois pas ce qu'il pourrait te reprocher. Au bac, en tout cas, dans le cadre de l'harmonisation des évaluations, une copie riche, pas hors sujet et authentiquement philosophique mais hors normes formelles, comme par exemple une copie sous forme de dialogue, serait dans le pire des cas signalée et la majorité des correcteurs pencheront toujours pour privilégier le fond sur la forme - sachant cependant qu'il faut bien que la copie parte d'une façon ou d'une autre d'un problème qui est examiné en profondeur dans un développement et auquel une conclusion propose une solution s'appuyant sur le développement.

Et si vraiment ton prof est arc-bouté sur la forme qu'il indique, dis toi que les contraintes qu'il t'impose sont des défis à relever. Comme l'important, c'est qu'il y ait des règles et que celles qu'il donne ne sont certainement pas absurdes, les respecter ne peut qu'être une libération à l'égard de la pensée informe du préjugé - auquel tout le monde prétend par avance ne pas être soumis, ce qui montre bien sa puissance. Pense par exemple qu'il n'y a pas de jeu, solitaire ou de société, qui ne reste intéressant plus de quelques minutes quand il n'y a pas de règles à maîtriser. Ces règles sont conventionnelles et parfois très arbitraires, mais c'est précisément ce qui crée l'intérêt du jeu : sans mise en forme, ou avec des formes vagues et confuses s'ignorant comme telles, c'est le règne de la banalité. Croire que toute règle est à l'opposé de la liberté au lieu de comprendre qu'elles ne sont inventées que pour servir d'auxiliaires à une concrétisation de celle-ci, c'est un préjugé qui fait souvent bien du mal à des élèves habitués à consommer passivement plutôt qu'à créer ou même produire personnellement quoique ce soit. Dis toi que tu es au dessus de ce préjugé.

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Messagepar Ellie » 01 févr. 2006, 18:25

Henrique >>>
Je prends en note :wink:

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Messagepar Fabou » 23 sept. 2006, 19:07

Allez, un bon filon qui m'aurait bien aidé à l'époque : les Méthodes en philosophie, J. Russ, Armand Colin.

Sinon, je crois qu'il y a plusieurs méthodes (jamais une méthode miracle qui marcherait pour tous les types de sujet). Mais surtout, une bonne dissert pose clairement un problème et donne le sentiment que le propos coule. Donc réflexion méthodique + clarté = bonne dissert

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Messagepar Loupitche » 13 janv. 2007, 15:52

Cette discussion m'intéresse beaucoup, notamment au niveau du troisième axe dans "La technique s'enracine-t-elle dans le rêve ou le besoin", mais j'ai du mal à cerner en quoi le désir au sens spinozien peut-il être à l'origine d'un besoin (nécessiteux) tel que la faim, la survie... ?
Merci de m'éclairer !

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Messagepar Loupitche » 13 janv. 2007, 16:30

Dire que le désir comprend à la fois le rêve et le besoin, n'est-ce pas absurde ? Comment Spinoza parvient à dépasser cela ?
S'il-vous-plaît !

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Messagepar Krishnamurti » 14 janv. 2007, 02:41

Henrique a écrit :une thèse philosophique authentique étant toujours argumentée conceptuellement.


Pour ma part, j'ai déjà du mal à comprendre cette phrase, ...alors !

"Conceptuellement " s'oppose à quoi ? Les discussions de comptoir ne sont pas argumentées conceptuellement ?

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Messagepar Krishnamurti » 14 janv. 2007, 13:53

Krishnamurti a écrit :Pour ma part, j'ai déjà du mal à comprendre cette phrase, ...alors !

"Conceptuellement " s'oppose à quoi ? Les discussions de comptoir ne sont pas argumentées conceptuellement ?


J'avance... :wink:
Quatrième idée, un concept est une notion rigoureusement définie. La rigueur renvoie à la précision et à la stabilité d’une définition. Une définition pose des limites au-delà desquelles un concept n’est plus opératoire. Et une fois décidée, adoptée, il n’est plus question d’en changer.

Nous pouvons évoquer, à cette occasion, un questionnement souvent réitéré face à un outil intellectuel : " S’agit-il, finalement, d’une notion ou d’un concept ? ". La réponse suggérée ici est celle-ci : une notion est peut-être une idée, une tentative de regroupement, mais une idée flottante ou fluctuante, non stabilisée, non-régulée par une définition précise. Par contre, le concept, afin de servir de fondement, de principe ou d’idée explicative, se doit d’être minutieusement établi et ne pas varier avec le temps ou l’humeur du moment.
http://www.biblioconcept.com/textes/concept.htm

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Messagepar Henrique » 14 janv. 2007, 20:15

Fabou a écrit :Sinon, je crois qu'il y a plusieurs méthodes (jamais une méthode miracle qui marcherait pour tous les types de sujet). Mais surtout, une bonne dissert pose clairement un problème et donne le sentiment que le propos coule. Donc réflexion méthodique + clarté = bonne dissert


Je dirais plutôt qu'il y a une seule méthode, celle qui consiste à se demander si ce qu'on affirme peut être pensé autrement, ce qui amène à départager les affirmations douteuses ou incomplètes des affirmations fondées et suffisantes. Et pour cela, on regarde comment fonctionne chaque affirmation possible pour un sujet posant problème (posant problème justement parce qu'il y a à première vue plusieurs affirmations possibles), en voyant sur quoi elle s'appuie, puis si ces principes sont évidents, c'est-à-dire dont le contraire est impensable. Mais pour trouver ces différentes affirmations et la meilleure manière d'en voir les limites ou les forces, il faut de l'exercice et de la culture. De sorte que d'une question à l'autre, il faudra en fonction des notions qui y interviennent à chaque fois inventer le cheminement (en grec methodos) qui permet d'en explorer tous les aspects. Ce sont les notions à conceptualiser qui commandent de quelle façon doit s'effectuer ce cheminement, c'est pourquoi il n'y a pas a priori un cheminement tout fait.

A cet égard, l'erreur est de croire que la méthode dont on attend que l'élève fasse preuve pourrait se réduire à un ensemble de recettes formelles. C'est comme principe de recherche du contenu qu'il y a unité de la méthode, sur la forme (plan thèse/antithèse/synthèse, plan thèse/objections/réponses, plan analytique intégrant la contradiction sous forme dialectique etc.), c'est à chacun de trouver ce avec quoi il peut opérer au mieux. Mais là il faut tout de même une forme et ne pas partir dans tous les sens, et un prof peut à bon droit indiquer celle qui lui semble la plus accessible à ses élèves.

Pour conduire une voiture, il n'y a pas 36 manières de procéder, on doit commencer par démarrer, appuyer sur l'accélérateur, passer les vitesses... c'est ici ce que j'appellerai le contenu de la méthode. La forme, ce serait plutôt la voiture choisie : une fois qu'on sait en conduire une, on sait toutes les conduire, mais il faut commencer par bien savoir en conduire une. Après, pour aller d'un endroit x à un autre endroit y, bien qu'il n'y ait qu'une seule façon de bien conduire, il faudra cependant cheminer différemment en fonction de l'endroit à rejoindre.

Je sais qu'on pourrait me dire que pour aller de Paris à Berlin, il y a en fait une infinité de chemins. Mais étant données ses limites, une dissertation se doit d'être le cheminement le plus direct possible : on n'attend pas à un itinéraire touristique (ce que peut se permettre un livre) mais un plan direct.

Quant à la méthodologie de J. Russ, c'est peut-être un moyen de clarifier les choses quand on est à ce sujet dans la plus grande confusion, mais il y a mieux et plus rapide d'accès, sur Internet notamment.

Loupitche a écrit :j'ai du mal à cerner en quoi le désir au sens spinozien peut-il être à l'origine d'un besoin (nécessiteux) tel que la faim, la survie... ?


Le désir au sens spinozien, c'est essentiellement l'effort conscient de persévérer dans son être. Tous les besoins comme les désirs ne sont que façons d'être de ce désir. En effet, lorsque j'ai besoin de manger, la représentation de l'objet de ce besoin, la nourriture, relève de l'effort de persévérer dans mon être. Je ne penserais pas à cette nourriture si j'étais un être inerte, sans effort de persévérer dans son être. C'est en ce sens que je parlais d'imagination immédiate : la représentation de l'objet permettant de seconder l'effort de persévérer dans l'être se fait spontanément. Mais dans le cas où je rêve d'avoir un lecteur mp3 à Noël, c'est encore une façon de m'efforcer de persévérer dans mon être : j'aime la musique et j'ai l'idée que ce lecteur me permettrait de persévérer dans mon amour de la musique bien mieux que mon vieux magnétophone, difficile à transporter et peu utile pour lire tous les fichiers musicaux qu'on peut trouver sur Internet. Seulement ici, la représentation de l'objet permettant de satisfaire ce désir est beaucoup moins spontanée que celle qui se présente pour un besoin. Cela suppose une certaine culture. De même encore pour des rêves plus grands et intéressants qu'avoir un mp3 : si je rêve d'être libre, après avoir subi l'oppression et la servitude, c'est encore une façon de m'efforcer de persévérer dans mon être : il s'agit alors de pouvoir affirmer sa nature bien mieux que dans la servitude.

Ce qui autorise à dire que le désir au sens spinozien n'est pas un simple besoin, qu'il l'englobe sans s'y réduire, c'est qu'il dépasse de loin la simple question de la survie biologique et que son objet est avant tout la vie de celui qui désire, de sorte qu'il peut s'appliquer à un nombre indéfini d'objets pour seconder ce désir.

Bien voir cependant que le sujet est "d'où vient d'abord la technique ? Du rêve ou du besoin ?" Dire avec Spinoza que la technique est un produit du désir, c'est dire au fond qu'elle ne vient ni du rêve, ni du besoin mais de ce qui explique et le rêve et le besoin. Encore que s'il n'y a avait eu que le besoin, il n'y aurait jamais eu de technique, la nature fournissant ce qui permet de satisfaire ce besoin ou ne le fournissant pas, de sorte qu'il n'y a plus personne pour l'éprouver ! C'est parce que l'imagination permet de se représenter des biens ou des maux à venir, qu'on rêve d'obtenir ou d'éviter, que la technique comme moyen d'y parvenir ou de l'éviter systématiquement est envisagée.

Krishnamurti a écrit :"Conceptuellement " s'oppose à quoi ? Les discussions de comptoir ne sont pas argumentées conceptuellement ?


Cela s'oppose à empiriquement, c'est-à-dire à partir de représentations vagues tirées de quelques expériences. Dans une discussion de comptoir où on se demande s'il faut être célibataire pour être heureux, par ex. chacun traitera de la question en fonction d'une représentation vague du célibat et du bonheur tirée de son expérience, en supposant cette représentation évidente (parce qu'on en envisage pas d'autre), de sorte que les arguments concerneront des aspects accidentels de la question et tout et son contraire pourra également être affirmé sans que cela paraisse impossible. Les arguments de comptoir du type "si t'as pas de bonne femme à la maison, t'es obligé de repasser ton linge tout seul et t'as plus de temps pour regarder le foot" ou encore "si t'as une bonne femme, t'es obligé de regarder les feux de l'amour alors que tu voudrais voir le foot à la télé" ne sont pas philosophiques parce qu'ils passent en fait à côté de la question.

Un argument philosophique s'appuie sur l'analyse d'un concept assez précisément défini pour qu'on puisse en déduire des conséquences (je dirais "précisément" plutôt que rigoureusement, la rigueur est l'idéal, mais si tout concept devait être d'une rigueur logique et ontologique indiscutable, il n'y aurait que les concepts spinoziens qui méritassent le nom de concepts ;-) et d'ailleurs, dans la référence que tu indiques, j'ai plutôt l'impression que l'auteur confond rigueur et rigidité). Si le bonheur est la satisfaction de tous les désirs et que le célibat est l'absence de conjoint et donc l'impossibilité de satisfaire tous les désirs qui se rapportent à présence de l'autre sexe ou tout simplement d'une autre personne, il n'y a pas de bonheur dans cette condition : là, on est dans la logique conceptuelle, c'est plus du tout le même genre de démarche que dans la discussion de comptoir. Il n'y a pas ici simplement une différence de degré en terme d'abstraction ou de rigueur, mais une différence dans la démarche elle-même. Et c'est ce genre de démarche qui une fois adoptée fait qu'on ne va pas forcément se contenter de la première réponse, qu'on va vouloir comprendre davantage, alors que l'argument de comptoir se satisfait de sa cécité : si le bonheur est la satisfaction de tous les désirs possibles et imaginables, le célibat semble un obstacle, mais le mariage aussi du fait que les désirs d'aventures et de diversité dans l'expérience s'y casseront les dents. Alors, ou bien on en reste à une telle définition et on peut conclure que finalement la question initiale ne se pose pas puisqu'il est en fait impossible de satisfaire tous les désirs possibles et donc souvent contraires ou bien on s'étonne de constater avoir vécu des moments heureux, dans lesquels on a le sentiment de vivre quelque chose qui dépasse le simple plaisir particulier, un sentiment de complétude, qui a donc à voir avec une satisfaction totale du désir mais en compréhension plutôt qu'en extension et ainsi on peut tirer de nouvelles conséquences, qui amèneront plus ou moins directement à se prononcer dans un sens ou dans un autre : la réflexion avance et continue de se développer sur une base conceptuelle.


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