fragilité de l'entreprise métaphysique

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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YvesMichaud
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fragilité de l'entreprise métaphysique

Messagepar YvesMichaud » 30 mars 2006, 19:46

Chers amis,

Aujourd'hui la métaphysique est en péril! Elle est fragilisée par deux facteurs:

- D'une part, Kant prétend que la raison, appliquée à la métaphysique, peut démontrer deux thèses opposées en même temps. C'est la méthode des «antinomies».

Donc il ne suffit plus au métaphysicien de prouver ses thèses. Il faut aussi, je ne sais comment, qu'il s'arrange pour qu'on ne puisse prouver une thèse opposée à la sienne.

- Par ailleurs, la physique quantique se mêle aujourd'hui d'ontologie, menaçant la légitimité des philosophes ou cyberphilosophes qui n'ont pas la chance d'avoir un doctorat en physique quantique. La physique quantique fait toutes sortes d'affirmations bizarres du genre: «la partie est plus grande que le tout». Aussi, je viens juste de voir une revue brésilienne qui disait que la physique quantique expliquait la vie après la mort... Le métaphysicien n'est pas armé pour démasquer la fausse vulgarisation de la physique quantique. Il est obligé de recourir à des arguments d'autorité. Mais en faisant cela, il fait reposer ses convictions sur l'autorité de scientifiques qui se font les interprètes de la physique quantique.

Autrement dit, le philosophe ne dépend plus seulement de l'évidence de ses thèses. Il dépend de l'autorité des scientifiques. La philosophie devient ici subordonnée à la physique quantique...!

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Messagepar Pej » 30 mars 2006, 20:15

Malheureusement, on fait dire beaucoup de choses à la physique quantique, et le plus souvent on en tire les conclusions les plus farfelues. Car peu nombreux, même parmi les physiciens, sont ceux qui y comprennent grand chose. Je ne sais plus si c'est Niels Bohr ou Richard Feynman qui disait à ses étudiants, après avoir exposé les fondements de la physique quantique, que s'ils avaient compris quelque chose, alors c'est qu'il avait mal expliqué.
Boutade mise à part, et pour prolonger la référence à Kant, il me semble que la meilleure interprétation épistémologique de la physique quantique est celle de Michel Bitbol, lequel développe une nouvelle forme de transcendantalisme très pertinente.
Mais bon, n'étant pas expert moi-même, je réserve ce jugement peut-être par trop profane...

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Messagepar YvesMichaud » 30 mars 2006, 22:50

Pej a écrit : la meilleure interprétation


Meilleure selon quels critères? Comment un non-spécialiste peut-il s'y retrouver? :x

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Messagepar Pej » 30 mars 2006, 22:57

Disons que parmi les interprétations que j'ai pu lire (celles des différents "pères" de la physique quantique, ou celle de Bernard d'Espagnat par exemple), l'interprétation de Bitbol m'est apparue la plus convaincante (mais comme je l'ai déjà souligné, je ne suis pas qualifié pour juger dans le détail la position de Bitbol).
Mais c'est peut-être aussi parce que j'ai quelques affinités néo-kantistes. :wink:
J'ai cru voir qu'il existait aussi une interprétation spinoziste de la physique quantique. Entreprise périlleuse s'il en est, mais qui mériterait que je m'y attarde...

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Messagepar hokousai » 31 mars 2006, 20:26

cher Yves
Un aveugle (les aveugles ) sont -ils autorisées à penser (à être philosophes par exemple et même métaphysiciens )
Je vous le demande car la différence entre l’aveugle et vous qui voyez est aussi grande ( à mon avis plus grande si cela peut se comparer sans risque de délirer ) qu'entre vous et le physicien quantique .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 03 avr. 2006, 22:27

Bonjour à tous,

Yves Michaud a écrit :
Aujourd'hui la métaphysique est en péril! Elle est fragilisée par deux facteurs:

- D'une part, Kant prétend que la raison, appliquée à la métaphysique, peut démontrer deux thèses opposées en même temps. C'est la méthode des «antinomies».

Donc il ne suffit plus au métaphysicien de prouver ses thèses. Il faut aussi, je ne sais comment, qu'il s'arrange pour qu'on ne puisse prouver une thèse opposée à la sienne.


Je ne savais pas que Kant prétendait cela, mais si c'est correct, alors je suis d'accord avec vous. Dans ce cas, déjà chez Kant on trouve des éléments qui ne peuvent que mener droit à la mort de la métaphysique. Mais je ne sais pas si on serait d'accord sur les raisons. C'est que je ne vois pas comment un métaphysicien pourrait 'prouver' ses thèses. La métaphysique, n'est-ce pas le lieu de la spéculation par excellence? Donc le domaine dans lequel tout développement intéressant concerne des thèses qui sont par définition indémontrables (indémontrables scientifiquement, je veux dire)? Cela ne veut pas dire qu'un métaphysicien puisse nier allègrement les thèses qui, à son époque, son bel et bien prouvées. Mais l'essentiel de la tâche du philosophe, ne consiste-t-il pas à créer des mondes POSSIBLES, des mondes qui permettent l'invention de nouveaux modes d'existence?

Pour 'tenir debout', ces inventions doivent être 'cohérentes', certes. Mais cela n'implique pas que :

1) le 'monde possible A' inventé par le philosophe A ne peut pas être contradictoire avec le 'monde possible B' inventé par le philosophe B. Car aussi longtemps qu'il pas pas réellement démontré que le monde A est le seul possible, il n'y a aucun problème dans le fait que nous sommes capables de penser des mondes possibles qui s'excluent mutuellement, si elle se réalisaient.

2) une 'proposition x', coupée hors de son contexte, du monde possible A ne peut pas être contradictoire avec une 'proposition y' du monde possible A. Car souvent un philosophe crée de nouveaux sens, de nouvelles significations pour les mots qu'il utilise, significations différentes de celles du langage courant. Ce qui veut dire qu'une lecture proprement philosophique demande plutôt de la part du lecteur une attitude qui essaie de recréer la cohérence interne de la pensée dans sa totalité, en cherchant activement les différents sens que l'auteur aurait pu attribuer aux termes qu'il utilise.

Donc: il me semble qu'une mort éventuelle de la métaphysique ne pourrait pas provenir d'une constatation de l'indémontrabilité de ses théses. Si on attend de la métaphysique qu'elle produise des thèses démontrables, on veut en fait qu'elle soit une science expérimentale. Car ce n'est que les sciences expérimentales qui disposent des moyens nécessaires pour démontrer véritablement.
Or, la philosophie n'a jamais été une science expérimentale. Je ne vois donc pas pourquoi du coup on l'exigerait d'elle aujourd'hui. SI on commençait sérieusement à le faire, alors je crois qu'on ne pourrait que constater avec Spinoza qu'il n'y a pas de mort naturelle, et que toute mort vient du dehors. Ce n'est pas l'entreprise métaphysique elle-même qui, à un certain moment, se serait auto-détruite, ou contiendrait un 'dénouement logique et inévitable' suicidaire. Ce serait plutôt une mort accidentelle (comme le disait Deleuze) parce que, si on exige d'elle des thèses démontrables ou démontrées, on ne pourrait qu'être déçu par ses résultats, tellement déçu, peut-être, qu'on arrêterait p.e. les subsides aux philosophes, l'enseignement de la philosophie, etc. Dans ce cas, le développement de la philosophie dépendrait à nouveau d'écoles privées et de gens assez riches pour pouvoir s'occuper de la philosophie.

Yves Michaud a écrit :
- Par ailleurs, la physique quantique se mêle aujourd'hui d'ontologie, menaçant la légitimité des philosophes ou cyberphilosophes qui n'ont pas la chance d'avoir un doctorat en physique quantique. La physique quantique fait toutes sortes d'affirmations bizarres du genre: «la partie est plus grande que le tout». Aussi, je viens juste de voir une revue brésilienne qui disait que la physique quantique expliquait la vie après la mort... Le métaphysicien n'est pas armé pour démasquer la fausse vulgarisation de la physique quantique. Il est obligé de recourir à des arguments d'autorité. Mais en faisant cela, il fait reposer ses convictions sur l'autorité de scientifiques qui se font les interprètes de la physique quantique.


Ici je ne peux qu'être en total désaccord avec ce que vous écrivez. C'est précisément le métaphysicien, à mon avis, qui est bien armé pour démasquer la prétendue scientificité des conclusions métaphysiques que certains, scientifiques ou non, osent parfois tirer de données scientifiques. Car tout métaphysicien sait que dès qu'on entre dans le domaine spécifiquement métaphysique, on quitte par définition le domaine du démontrable. On fait des extrapolations non démontrées de ce qu'on sait être vrai, c'est-à-dire scientifiquement démontré aujourd'hui. Bernard d'Espagnat, que mentionne Pej, en est un bon exemple. Il s'intéresse à la notion d'être, mais pour en dire quelque chose, il s'oriente justement vers Spinoza, en disant très clairement que l'être, ce n'est pas ce à quoi la physique (quantique ou non) nous donne accès aujourd'hui. Et la physique ne pourra probablement jamais nous y donner accès, précisément parce que cette notion n'est pas d'essence scientifique, autrement dit, elle n'est pas transposable en une fonction scientifique, en une proposition qui pourrait être soumise à l'expérimentation proprement scientifique. Et aussi longtemps qu'elle ne l'est pas, la science pourra avancer énormément, elle ne démontrera jamais rien de 'l'Ëtre'. Et le jour ou elle le deviendrait, rien ne laisse présager que cette fonction scientifique qu'on appelerait 'Être' aurait encore grand-chose à voir avec ce dont parlaient les philosophes qui se sont occupés d'ontologie.

Yves Michaud a écrit :Autrement dit, le philosophe ne dépend plus seulement de l'évidence de ses thèses. Il dépend de l'autorité des scientifiques. La philosophie devient ici subordonnée à la physique quantique...!


Comme vous l'aurez compris, à mon avis il n'en est rien. Ce qu'il y a peut-être, c'est que de plus en plus on semble actuellement confondre science et philosophie. De plus en plus, quand on lit le mot de 'vérité', chez un philosophe, on y lit d'office 'vérité scientifique', même quand il s'agit de philosophes qui écrivaient longtemps avant l'ère de la science expérimentale. Mais cela ne peut que donner des malentendus.
Puis une certaine pratique de la philosophie s'amuse depuis un demi siècle à découper des phrases de leur contexte philosophique pour voir si, lisant la phrase par le biais du sens commun, elle correspond aux exigences de la 'well-formed formula' ou non, donc si on peut en faire une proposition logique sur laquelle des calculs logiques sont possibles ou non. Si ce n'est pas le cas, ce genre de 'philosophes' déclarent alors unanimement (car ici, il s'agit bel et bien de 'prouver', ne fût-ce que logiquement) que la phrase (voire la pensée entière du philosophe en question) n'a 'pas de sens' et doit donc être rejetée. Là aussi, c'est une façon très efficace de tuer la philosophie. Mais cela reste à nouveau une mort tout à fait accidentelle ... .
Bien à vous,
Louisa.

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Messagepar YvesMichaud » 06 avr. 2006, 01:42

Louisa a écrit :C'est que je ne vois pas comment un métaphysicien pourrait 'prouver' ses thèses. La métaphysique, n'est-ce pas le lieu de la spéculation par excellence? Donc le domaine dans lequel tout développement intéressant concerne des thèses qui sont par définition indémontrables (indémontrables scientifiquement, je veux dire)? Cela ne veut pas dire qu'un métaphysicien puisse nier allègrement les thèses qui, à son époque, son bel et bien prouvées. Mais l'essentiel de la tâche du philosophe, ne consiste-t-il pas à créer des mondes POSSIBLES, des mondes qui permettent l'invention de nouveaux modes d'existence?


ll me semble que c'est un affront fait au thomisme qui prétend justement démontrer des thèses à partir de quelques principes de sens commun et de faits d'expérience élémentaires.

Pour 'tenir debout', ces inventions doivent être 'cohérentes', certes. Mais cela n'implique pas que :



Donc: il me semble qu'une mort éventuelle de la métaphysique ne pourrait pas provenir d'une constatation de l'indémontrabilité de ses théses. Si on attend de la métaphysique qu'elle produise des thèses démontrables, on veut en fait qu'elle soit une science expérimentale. Car ce n'est que les sciences expérimentales qui disposent des moyens nécessaires pour démontrer véritablement.


On pourrait ouvrir un autre débat sur la possibilité de la démonstration scientifique, mais n'oubliez pas que la science suppose une certaine métaphysique, même si elle admet cette métaphysique à titre de postulat méthodologique. Quel sens cela aurait-il de parler de démonstration de l'existence des atomes, par exemple, si l'idéalisme était vrai? À moins que pour vous, l'idéalisme soit intenable au nom de la science? Mais cela équivaut à mettre la science sur le même plan que la métaphysique.


Ici je ne peux qu'être en total désaccord avec ce que vous écrivez. C'est précisément le métaphysicien, à mon avis, qui est bien armé pour démasquer la prétendue scientificité des conclusions métaphysiques que certains, scientifiques ou non, osent parfois tirer de données scientifiques. Car tout métaphysicien sait que dès qu'on entre dans le domaine spécifiquement métaphysique, on quitte par définition le domaine du démontrable. On fait des extrapolations non démontrées de ce qu'on sait être vrai, c'est-à-dire scientifiquement démontré aujourd'hui. Bernard d'Espagnat, que mentionne Pej, en est un bon exemple. Il s'intéresse à la notion d'être, mais pour en dire quelque chose, il s'oriente justement vers Spinoza, en disant très clairement que l'être, ce n'est pas ce à quoi la physique (quantique ou non) nous donne accès aujourd'hui. Et la physique ne pourra probablement jamais nous y donner accès, précisément parce que cette notion n'est pas d'essence scientifique, autrement dit, elle n'est pas transposable en une fonction scientifique, en une proposition qui pourrait être soumise à l'expérimentation proprement scientifique. Et aussi longtemps qu'elle ne l'est pas, la science pourra avancer énormément, elle ne démontrera jamais rien de 'l'Ëtre'. Et le jour ou elle le deviendrait, rien ne laisse présager que cette fonction scientifique qu'on appelerait 'Être' aurait encore grand-chose à voir avec ce dont parlaient les philosophes qui se sont occupés d'ontologie.


Et pourtant... Maritain voulait enseigner aux physiciens à croire en un univers en trois dimensions malgré la théorie de la relativité.

Comment le métaphysicien pourrait-il donner son avis sur les idées farfelues des physiciens alors qu'il en ignore le contexte?

Le métaphysicien peut-il distinguer l'accidentel dans ses thèses d'avec l'essentiel, ce dernier aspect ne pouvant pas être remis en question par la physique?

En tout cas c'est rendu grave quand Stephen Hawking déclare sérieusement que l'être peut surgir du néant sans cause. Que voulez-vous qu'on réponde à ça? Je suis un cyberphilosophe anonyme et lui un des plus grands penseurs de notre temps.

Cordialement

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Messagepar hokousai » 06 avr. 2006, 22:50

à Yves

""Stephen Hawking déclare sérieusement que l'être peut surgir du néant sans cause. """"""""
S’ il l’a dit

Il est heureux que ce physicien reconnaisse qu'il y a "être"

Il semble supposer qu’il y a surgissement . C’est une idée ontologique que celle du surgissement rapportée à l ‘Etre .
Le lion surgit on ne l’attendais pas .
Mais l’être , ne l’attendons nous pas ? Est -il surprenant que l’être soit présent chaque fois que nous en prenons conscience ? L être ne surgit pas .
Ne surgissant pas il n'est plus question de savoir s’il surgit du néant ou de l'être avec causes ou sans causes .

hokousai

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Messagepar YvesMichaud » 07 avr. 2006, 01:20

C'est moi qui ai choisi le mot «surgi». Lui je crois qu'il pensait plutôt à «venir de».

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Messagepar Louisa » 07 avr. 2006, 02:21

Louisa a écrit:
C'est que je ne vois pas comment un métaphysicien pourrait 'prouver' ses thèses. La métaphysique, n'est-ce pas le lieu de la spéculation par excellence? Donc le domaine dans lequel tout développement intéressant concerne des thèses qui sont par définition indémontrables (indémontrables scientifiquement, je veux dire)? Cela ne veut pas dire qu'un métaphysicien puisse nier allègrement les thèses qui, à son époque, son bel et bien prouvées. Mais l'essentiel de la tâche du philosophe, ne consiste-t-il pas à créer des mondes POSSIBLES, des mondes qui permettent l'invention de nouveaux modes d'existence?

Yves Michaud a écrit :ll me semble que c'est un affront fait au thomisme qui prétend justement démontrer des thèses à partir de quelques principes de sens commun et de faits d'expérience élémentaires.


Si le thomisme prétend démontrer des thèses à partir de quelques principes de sens commun et de faits d'expériences élémentaires, ce qu'il comprend, dans ce cas, par 'démontrer' ne peut qu'être très différent d'une démonstration scientifique, il me semble. Car en sciences, il faut d'abord inventer et créer un dispositif expérimental, puis modifier le phénomène naturel que vous voulez étudier de telle sorte que l'artefact ainsi produit puisse interagir avec le dispositif. Encore faut-il que cette interaction permette au chercheur de faire activement varier des variables bien précises et indépendantes l'une de l'autre, pour ensuite tenter de formuler une loi, une fonction contenant toutes ces variables, et qui correspond exactement aux données issues de cette variation (correspondance qui peut être vérifiée et confirmée par tous les collègues compétents).
On est loin, là, du sens commun ou de quelques faits d'expériences élémentaires. On est en plein dans l'artifice, utilisant un savoir tout sauf 'commun' (savoir mathématique, lois scientifiques déjà établies, ...).

Donc s'il est vrai que dans le passé, beaucoup de métaphysiciens se servaient de termes comme 'vérité', 'démonstration' etc, j'ai tout de même l'impression qu'il est très important de tenir compte de la différence énorme entre ce qui fait une démonstration pour un métaphysicien, et ce qui fait une démonstration pour un scientifique. Cela n'enlève rien à la valeur de la démonstration proprement métaphysique. Les problèmes ne commencent que quand on croît qu'il s'agit du même type de réalité, du même type de vérité.


Louisa a écrit:
Donc: il me semble qu'une mort éventuelle de la métaphysique ne pourrait pas provenir d'une constatation de l'indémontrabilité de ses théses. Si on attend de la métaphysique qu'elle produise des thèses démontrables, on veut en fait qu'elle soit une science expérimentale. Car ce n'est que les sciences expérimentales qui disposent des moyens nécessaires pour démontrer véritablement.

Yves Michaud a écrit :On pourrait ouvrir un autre débat sur la possibilité de la démonstration scientifique, mais n'oubliez pas que la science suppose une certaine métaphysique, même si elle admet cette métaphysique à titre de postulat méthodologique. Quel sens cela aurait-il de parler de démonstration de l'existence des atomes, par exemple, si l'idéalisme était vrai? À moins que pour vous, l'idéalisme soit intenable au nom de la science? Mais cela équivaut à mettre la science sur le même plan que la métaphysique.


A nouveau, il s'agit ici de deux choses différentes. Je ne vois pas comment les sciences pourraient infirmer ou confirmer la thèse de l'idéalisme, qui est une thèse métaphysique. En ce qui concerne les atomes pe, je crois avoir lu quelque part l'énoncé "if you can spray them, then they are real", si vous pouvez les asperger, ils sont bel et bien réels. Ce qui voulais dire que si on pouvait asperger une autre matière d'atomes, et les changements dans cette matière sont entièrement vérifiables, alors un scientifique peut travailler avec les entités qu'il appelle des atomes. Il n'a pas à savoir si les atomes existent 'réellement', car cela est une question philosophique qui a à voir avec les différentes possibilités de concevoir la notion d'existence réelle. Pour un chercheur, il suffit de savoir ce qu'on peut FAIRE avec ce qu'on appelle des 'atomes', pour, dans ce sens précis, supposer qu'ils existent. Mais ce n'est pas cette supposition d'existence qui est importante, en science. C'est tout ce qu'on peut faire avec ce qu'on appelle des atomes qui compte, si vous comprenez ce que je veux dire?

Louisa a écrit:
Ici je ne peux qu'être en total désaccord avec ce que vous écrivez. C'est précisément le métaphysicien, à mon avis, qui est bien armé pour démasquer la prétendue scientificité des conclusions métaphysiques que certains, scientifiques ou non, osent parfois tirer de données scientifiques. Car tout métaphysicien sait que dès qu'on entre dans le domaine spécifiquement métaphysique, on quitte par définition le domaine du démontrable. On fait des extrapolations non démontrées de ce qu'on sait être vrai, c'est-à-dire scientifiquement démontré aujourd'hui. Bernard d'Espagnat, que mentionne Pej, en est un bon exemple. Il s'intéresse à la notion d'être, mais pour en dire quelque chose, il s'oriente justement vers Spinoza, en disant très clairement que l'être, ce n'est pas ce à quoi la physique (quantique ou non) nous donne accès aujourd'hui. Et la physique ne pourra probablement jamais nous y donner accès, précisément parce que cette notion n'est pas d'essence scientifique, autrement dit, elle n'est pas transposable en une fonction scientifique, en une proposition qui pourrait être soumise à l'expérimentation proprement scientifique. Et aussi longtemps qu'elle ne l'est pas, la science pourra avancer énormément, elle ne démontrera jamais rien de 'l'Ëtre'. Et le jour ou elle le deviendrait, rien ne laisse présager que cette fonction scientifique qu'on appelerait 'Être' aurait encore grand-chose à voir avec ce dont parlaient les philosophes qui se sont occupés d'ontologie.

Yves Michaud a écrit :Et pourtant... Maritain voulait enseigner aux physiciens à croire en un univers en trois dimensions malgré la théorie de la relativité.

Comment le métaphysicien pourrait-il donner son avis sur les idées farfelues des physiciens alors qu'il en ignore le contexte?

Le métaphysicien peut-il distinguer l'accidentel dans ses thèses d'avec l'essentiel, ce dernier aspect ne pouvant pas être remis en question par la physique?

En tout cas c'est rendu grave quand Stephen Hawking déclare sérieusement que l'être peut surgir du néant sans cause. Que voulez-vous qu'on réponde à ça? Je suis un cyberphilosophe anonyme et lui un des plus grands penseurs de notre temps.


En effet, la question me semble très pertinente. Le critère le plus intéressant me semble être l'accord parmi les collègues compétent. Est-ce seulement Maritain qui veut proposer aux scientifiques un monde à 3 dimensions, ou est-ce que tous les physiciens sont d'accord avec lui? S'il n'y a pas d'unanimité, en sciences, il n'y a pas encore de vérité scientifique établie à ce sujet. Bien sûr, il faut bien suivre la littérature concernée pour SAVOIR si cet accord c'est déjà produit ou non. J'avoue que personnellement, quand un scientifique lance un énoncé très proche des grandes thèses métaphysiques (comme la création à partir du néant), je me méfie toujours déjà un peu de la 'scientificité' de tels énoncés. Et cela seulement parce que la chance qu'un scientifique REUSSIT à traduire ces thèses métaphysiques en des propositions scientifiques vérifiables et reproductibles me semble être assez minime. Pour autant que je sache, depuis que la philosophe et les sciences existent, aucun philosophe a été complètement réfuté par l'un ou l'autre résultat scientifique. L'essence de sa pensée reste toujours bien solide, et cela précisément parce qu'elle est de nature philosophique. On pourrait dire qu'entre-temps on ne suit plus la physique d'Aristote, mais cela ne rend que les thèses d'Aristote qu'on puisse actuellement parfaitement lire comme des thèses scientifiques, caduques.

Yves Michaud a écrit :Comment le métaphysicien pourrait-il donner son avis sur les idées farfelues des physiciens alors qu'il en ignore le contexte?


Il ne peut en donner un commentaire métaphysique, et rien d'autre. Il n'a pas les compétences requises pour donner un avis proprement 'scientifique' sur ce que disent les scientifiques. Mais si un scientifique commence à défendre des idées comme la création à partir de rien, le métaphysicien a ... 2500 ans de bagage derrière lui, qui peuvent le permettre d'au moins demander quelques précisions au scientifique. Car le concept de la 'création à partir de rien' a été développé de façons assez différentes, en fonction du philosophe qui voulait le penser. De quel type de création ex nihilo Hawkings parle-t-il? Souvent, j'ai l'impression que quand on essaie de poser ce genre de question, on ne peut que constater qu'en fait, la façon dont ce scientifique brandit ce concept philosophique tout de même très compliqué est tellement imprécis que jamais cela ne peut correspondre à de la 'bonne science'.
Pour donner un autre exemple, que je connais un peu mieux: Libet avait fait une expérience célèbre qui montrait que quelques millisecondes avant qu'un cobaye décide de fermer la main, 'inconsciemment' le cerveau initiait déjà l'action. Certains en ont déduit que 'Spinoza avait raison'. Que voulaient-ils dire par là? Que donc l'inconscient déterminerait l'action consciente (ce qui n'était point démontré par l'expérience en question!), et que donc l'homme est déterminé, il n'est pas libre.
Or ... il se fait que précisément Spinoza a créé un concept de détermination qui ne s'oppose pas du tout à la liberté. Si quelque scientifique avait identifié Spinoza au déterminisme, il avait compris par 'déterminisme' tout simplement ce que le sens commun occidental au XXe siècle comprend par déterminisme: absence de liberté. Qu'il comprend le déterminisme dans ce sens précis devient assez vite clair, si on lit de tels énoncés. Dès que c'est le cas, on peut en déduire sans problème, je crois, qu'ici le scientifique a quitté le domaine de ce qui est scientifiquement démontré, pour y projeter quelques notions communes appartenant au sens commun de son époque et culture (qu'il partage), notions qui du coup ont l'air de recevoir un statut scientifique ET philosophique, mais sans que cela soit fondé dans la réalité (scientifique et philosophique).

Yves Michaud a écrit :Le métaphysicien peut-il distinguer l'accidentel dans ses thèses d'avec l'essentiel, ce dernier aspect ne pouvant pas être remis en question par la physique?


Justement, je ne sais pas si l'essentiel des thèses d'un métaphysicien est à identifier avec ce qui a été établi par la physique. Que les atomes existent, scientifiquement parlant, ou non, qu'est-ce que ça change à l'essentiel de la métaphysique spinoziste pe, ou à l'essentiel de la métaphysique thomiste?

Cordialement,
Louisa


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