Réforme de l'enseignement de la philosophie en France

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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sescho
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Messagepar sescho » 23 janv. 2008, 22:10

Il est bien ce fil ! :)

Sur le "les valeurs se perdent" qui se répète depuis les époques les plus reculées dont nous avons la trace, je l'avais aussi constaté dans mes lectures (on le trouve chez Confucius, Cicéron ou Sénèque, par exemple ; Montaigne a su relativiser cela.) Homo sapiens a bien la même intelligence et plus généralement la même nature depuis le début, pour l'essentiel...

Personnellement, je suis pour un enseignement "de type philosophique" (morale) très tôt dans la scolarité. Je ne savais pas que c'était le cas en Belgique ; c'est très bien, à mon sens, de et pour nos amis Belges.

Car qu'y a-t-il de plus important que la santé mentale ? Beaucoup du "plan de vie" est plié à 7 ans, voire 6 ou même 5 suivant les auteurs. D'où l'utilité de commencer tôt ! (même si, de toute évidence, l'école ne peut se substituer à l'entourage familial, qui entre en stimulation le plus tôt et le plus fort.) Plus tard, cela reste néanmoins utile : ceux qui ont eu une bonne graine plantée peuvent alors y trouver un terreau...

Personnellement, quand j'ai reçu des cours de Philosophie, je n'étais pas très favorablement prédisposé (plutôt "fort en Maths.") Quoique stimulé, néanmoins. Je me souviens très bien d'une seule chose : l'exposé de la théorie du (pseudo-) complexe d'Oedipe de Freud. Spontanément, sans qu'il s'agisse d'un quelconque préjugé, je me suis dit "ceci est complètement faux ; jamais une telle idée ne m'est venue" (de fait.) Eh bien, ceci semble pour le moins mal engagé. Pourtant une question m'en est restée : quelle est la motivation profonde de l'Homme ? Lorsque, beaucoup plus tard, j'ai eu la chance de bénéficier d'un très bon stage de Psychologie du travail, cette question s'est réveillée. Et c'est à la suite que je suis allé au rayon "Psychologie" de la bibliothèque municipale et suis tombé en arrêt devant un livre de sobre présentation qui m'a semblé sérieuse, et au titre ô combien ajusté : Psychologie de la motivation de Paul Diel. Combien je m'en réjouis depuis... Comme l'a dit Henrique, ce qui semble peu (ou est même invisible en l'instant) peut avoir de grandes conséquences.

Que faut-il basiquement conjointement à l'examen des questions morales, en ordre d'importance ? Distinguer fait, raison et imagination, savoir prendre du recul, avoir l'esprit critique. Savoir pêcher et pas seulement manger le poisson : savoir lire, écrire et comprendre, savoir où se trouve l'information si l'on ressent le besoin d'y puiser. Savoir regarder la Nature en vie. En dernier lieu savoir compter (arithmétique) pour assurer sa subsistance. Voilà l'essentiel : philosophie morale (et politique) et sens critique, lecture et compréhension, recherche d'information, sciences de la vie (de base), arithmétique.

Dans ces conditions, selon moi, on peut critiquer les programmes, les méthodes, tout ce que l'on veut. Mais l'importance de la Philosophie au sens large, morale tout particulièrement (et aussi politique pour la vie en société) n'en reste pas moins primordiale d'un point de vue existentiel, et donc suprême.


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Pej
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Re: les enfants s'ennuient le dimanche (Charles Trénet)

Messagepar Pej » 24 janv. 2008, 11:33

clopez a écrit :Je n’ai qu’à me souvenir de mes anciens condisciples en fac de philo. Les plus sérieux, les plus travailleurs, ceux qui ont réussi à obtenir ensuite le Capes ou l’agrég étaient aussi les plus ennuyeux, les plus verbeux et les plus vaniteux ! Ils avaient à peine 20 ans mais observaient le monde avec l’arrogance de ceux qui croient être bien nés. Ils péroraient sur tout, sans rien connaître à rien, sans être jamais sorti des bancs de leurs école ni des jupes de leurs mamans. Ils mettaient un point d’honneur à parler un verbiage alambiqué, car ils pensaient ainsi faire preuve d’intelligence. Ils ne rigolaient jamais, ou alors seulement si c’était sérieux et si cet humour avait été consacré par les sommités intellectuelles du moment. Ils trouvaient Buster Keaton suprêmement marrant, mais méprisait De Funès. Ils avaient bien d’autres particularités sur lesquels je pourrais continuer à déblatérer ! Mais vous aurez compris l’essentiel. Ces jeunes gens faisaient de la philo comme s’il s’agissait d’un pur exercice intellectuel et ils s’en servaient moins pour tenter comprendre le monde que pour s’y affirmer !
Chaque fois que je pense à eux, je me dis qu’effectivement, ils n’ont pu devenir que des prof de philo ennuyeux et rébarbatifs !


Encore une fois, je m'étonne des descriptions qui sont faites, descriptions dans lesquelles je ne me retrouve nullement. Lors de mes études de philosophie (en province il est vrai, ce qui change peut-être quelque chose), la tendance était plus souvent aux soirées bien arrosées qu'aux discussions métaphysiques pédantes (et ce, même pour les élèves "sérieux"). Certes me direz-vous, peu de mes condisciples d'alors sont aujourd'hui professeur de philosophie, mais si je prends comme autre exemple mon année d'IUFM, là encore, aucun des stagiaires n'avait l'attitude décriée plus haut. Chose amusante d'ailleurs, puisque Louis de Funès est évoqué, je me rappelle d'une soirée "Rabbi Jacob" d'anthologie.
Je ne nie pas que de telles attitudes puissent exister, mais cela montre bien qu'à juger des choses d'un point de vue particulier, on en arrive à des conclusions générales erronées.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 24 janv. 2008, 15:51

Je me joins encore une fois à Pej, de mon point de vue provincial également. Et j'aime bien De Funès, non seulement parce que j'aime bien les comiques physiques par leur sens du rythme, comme aujourd'hui Jim Carrey, mais aussi parce que De Funès est irremplaçable pour comprendre de quelle façon la figure du patron exploiteur et fourbe ou de ses contremaîtres a pu devenir, au moyen du rire, acceptable dans le pays de 1789. Sarkozy, digne successeur de l'adjudant Cruchot et plus encore du Commissaire Juve l'a bien compris.

Pour ce qui est des reçus au capes, n'y aurait-il pas un peu de ressentiment vis-à-vis de ceux qui eux, ont eu leur capes ? Des gens qui se prennent au sérieux, il y en a partout et comme ils peuvent souvent monter assez haut socialement, ils ont naturellement tendance ensuite à privilégier ceux qui leur ressemblent quand il s'agit d'en élire. Mais il y a aussi partout des gens qui savent être sérieux sans se prendre au sérieux, ce qui permet un relatif équilibre.

Et de toutes façons, là n'est pas le problème de fond.

La question de Korto n'est pas d'abord celle des causes de l'ennui en cours mais celle de l'opportunité de maintenir des cours obligatoires de philosophie si on n'y apprend rien d'utile parce que 1) les cours sont faits par des gauchistes (qu'il faudrait rendre moins nuisibles en leur faisant faire du français) ; 2) une vraie philosophie, utile et enrichissante, est trop difficile pour les élèves c'est pourquoi 3) ils ne retiennent rien de cette année et enfin 4) de toutes façons ils sont trop mauvais en orthographe, ils feraient mieux de faire plus de cours de français. Contre ce point de vue, j'apporte des réponses précises auxquelles je n'ai vu aucune suite, si ce n'est quelques larmes de crocodile du fait que j'ai employé le terme de "bouffon" pour répondre à une allusion qui portait sur une autre discussion, ce à quoi d'ailleurs, je réponds ici.

Parler de l'ennui des élèves comme d'un critère pour dévaluer un cours est tout à fait injuste pour juger de l'intérêt d'un cours. On confond ici l'intérêt pour une matière et un travail à accomplir dans l'intérêt de l'élève. Un élève peut très bien s'intéresser de façon très poussée à quelque chose qui n'est pas dans son intérêt (connaître par coeur un jeu de rôle en ligne par ex. au point d'en devenir intoxiqué) et inversement il peut très bien ne pas s'intéresser à ce qui serait dans son intérêt (la connaissance de l'orthographe par exemple). Cette confusion, qui est celle de toute une tendance pédagogisante, explique bien des faux problèmes qui occultent les vrais ou parfois en créent (par ex. que fait-on d'une génération d'élèves dont beaucoup croient que si un professeur n'est pas aussi amusant que Lagaffe, c'est qu'on ne peut rien apprendre avec lui ? ou incapables de se concentrer plus de 10 mn - ce qui engendre rêveries ou bavardages - si le prof ne s'autozappe pas lui-même en permanence ?)

Combien de fois me suis-je moi-même ennuyé à des cours de russe par exemple parce qu'ayant pris l'année de seconde en cours, je n'ai jamais pris le temps de me remettre à niveau ? A l'évidence, si chacun veut bien revenir avec honnêteté sur ses années d'études, la première cause de l'ennui d'un élève, ce n'est pas le cours mais l'élève lui-même. En effet, dans un cours où une majorité d'élèves s'ennuient, il y en a toujours quelques uns qui trouvent de l'intérêt et en font une occasion d'épanouissement intellectuel, ce qui prouve bien que l'ennui éprouvé en situation d'apprentissage relève de causes subjectives bien plus qu'objectives. Et de fait, quand vous venez à un cours sans avoir rien préparé parce que vous êtes surtout intéressé par la façon dont vous pensez incarner les modèles valorisés à la télévision, ou bien en vous contentant au mieux de survoler vaguement le dernier cours, sans lire, prendre le temps d'une réflexion écrite, sérieuse et personnelle sur une question propre à ce cours, vous pouvez être certain que vous allez vous y ennuyer, quel que soit le talent pédagogique et le charisme du professeur ou l'intérêt général de la matière.

Certes un professeur qui parle de façon monotone, reste rivé sur ses notes, ou encore un professeur qui ne se soucie pas du tout de la compréhensibilité de son cours par ses élèves sera objectivement beaucoup moins intéressant. Nous parlons ici d'une relation intersubjective qui se joue bien sûr dans tous les sens. Mais qui s'ennuie en cours ? L'élève. Quelle est la cause principale de l'ennui comme de tout sentiment en général ? Celui qui s'ennuit car de fait, même en face d'un prof monotone parlant un langage difficilement accessible, il pourra y avoir des élèves qui en tirent quelque chose, par leur détermination à apprendre quelque chose. Et inversement, vous aurez beau être un professeur dynamique, clair et ayant su créer un lien affectif de sécurité et de complicité avec vos élèves, vous aurez toujours des élèves qui ne feront aucun des efforts requis pour apprendre quoique ce soit.

Il est vrai que la philosophie ennuie en général plus facilement et plus que d'autres matières. Mais ce n'est pas parce qu'une chose est mauvaise que nous ne la désirons pas, c'est parce que nous ne la désirons pas ou bien peu que nous la jugeons mauvaise. Pourquoi les élèves ont ils donc moins de désir encore pour ce qui est de comprendre quelque chose à cette discipline ? Comme je l'ai dit, parce qu'elle est resté une discipline où on ne se contente pas d'élaborer des savoirs tout faits bien rassurants, bien concrets, contrairement à ce qui est devenu le cas quasiment dans toutes les autres disciplines, sous prétexte de rendre le lycée plus "démocratique" (vous connaissez le coup du 80% d'une classe d'âge...), c'est resté une discipline abstraite où l'intelligence de l'élève est suscitée de façon approfondie et systématique.

Comment voulez vous qu'étudier un texte comme les premières lignes du Discours de la Méthode de Descartes puisse exciter beaucoup les élèves quand il faut une concentration sur des idées abstraites pendant au moins 3/4 d'heures ? Et cela pour arriver à expliquer les tenants et aboutissants d'une démarche qui affirme que "ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, le principal est de l'appliquer bien". Sans parler de la violence qui est alors exercée à l'encontre des préjugés qu'une certaine démagogie ambiante leur a inculqué (l'élève qui sait déjà naturellement bien se servir de son intellect et qui n'a qu'à apprendre en s'amusant...).

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Messagepar elfiremi » 24 janv. 2008, 17:45

Henrique, je ne te suis pas entièrement en ce qui concerne l'endroit où est susceptible de s'originer l'ennui. Je ne suis pas persuadé qu'il y ait un pôle objectif ou subjectif, initiateur initié. Je pencherai plutôt du côté de hegel en ce sens, pour trouver le lieu de l'ennui quelque part dans cette dialectique professeur-éléve. L'éléve s'ennui parce qu'on lui a appri à s'ennuyer: la démarche sociétale lui a appri à réagir à un contenu à travers une surenchère de la forme. Et dans ce chemin, tracé par les explosions holywoodiennes, le sang des consoles, et l'excitation des pulsions scopiques à travers les émissions télévisées qui générent aujourd'hui une morale, celle d'un individualisme de masse, l'éléve rencontre le prof de philo. Aussi ne suis-je pas surpris de les voir bayer à s'en décrocher la machoire durant le cours: où est passée d'un coup cette vigueur de la forme cultivé par ces appareils qui de plus en plus rythme leur vie? Internet, la télé, le ciné... Sans compter, puisqu'on parle de rythme, qu'ils ont grandi dans une société qui les a rendu maître du rythme: ils choisissent par quelques clics de voir l'essentiel d'un contenu; ils choisissent de ne pas attendre quelque chose; à un tel point d'ailleurs qu'ils ne choisissent plus, il "font" simplement. Ils raccourcissent cette ligne entre désir et accomplissment à grands coups de ciseaux.
Cette temporalité dans laquelle ON les installe, ce n'est pas celle d'un cours de philo. Il s'agit donc je crois de reconstruire une temporalité, de les réinsérer progressivement dans la posture d'attente, qui,si elle n'est pas maîtrisée, génére l'ennui. Il ne s'agit donc pas d'oeuvrer pour une démagogie, une caricature professorale, mais plutôt un contre-courant progressif et modéré.
Je déverse mes belles certitudes, qui, d'un point de vue inductif et restreint, ont fonctionné. Mais peut-être trouveras-tu à redire en ce point. Je laisse donc le dialogue entrebaillé...

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Louisa
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Messagepar Louisa » 24 janv. 2008, 19:04

Henrique a écrit :Pour ce qui est des reçus au capes, n'y aurait-il pas un peu de ressentiment vis-à-vis de ceux qui eux, ont eu leur capes ? Des gens qui se prennent au sérieux, il y en a partout et comme ils peuvent souvent monter assez haut socialement, ils ont naturellement tendance ensuite à privilégier ceux qui leur ressemblent quand il s'agit d'en élire. Mais il y a aussi partout des gens qui savent être sérieux sans se prendre au sérieux, ce qui permet un relatif équilibre.


oui, tout à fait d'accord. Néanmoins, ce que dit ici Clopez me semble tout de même toucher à quelque chose de réel, que Spinoza nous permet peut-être quelque part de mieux comprendre. Car que reproche-t-il à Descartes? De ne jamais avoir douté "réellement", d'avoir pratiqué le doute qu'"une seule fois", et cela de surcroît en le confondant avec la suspension d'un jugement (suspensio JUDICII), qui n'est qu'un doute purement "verbal". Il met ce genre d'expériences en contraste avec la crise existentielle qu'il a lui-même traversée, et qu'il raconte au début du TIE. Là, il s'agit d'une véritable suspensio ANIMI, une Tristesse qui ne peut être causée par soi-même mais qui te "tombe sur la tête" et que ton conatus ne peut qu'essayer de transformer en une plus grande puissance de penser.

Ainsi, dans le premier cas il n'y aurait aucune "nécessité" ou besoin de penser. La pratique de la philosophie est conçue comme un agréable exercice intellectuel, qui jamais ne t'engage "en chair et en os". On peut être tout à fait brillant en s'adonnant à ce genre de jeu, et peut-être est-ce même, du point de vue "carrière", plus "facile" d'avancer d'une telle façon qu'en passant d'abord par une "crise existentielle" (Spinoza reprochant souvent à Descartes d'avoir opté pour des solutions trop "faciles"). C'est pourquoi je peux bien m'imaginer que cela peut être assez agaçant, si l'on cherche soi-même des réponses ou des "chemins de pensée" par rapport à des questions qui te touchent profondément, de tomber sur des philosophes "ratiocinant" sans jamais admettre (ou plutôt être obligé) d'en passer par une suspensio animi.

Si en plus c'est ainsi que se fait le premier contact avec la philosophie, et si par ailleurs (à la maison, ...) on ne rencontre jamais quelque chose qui s'approche d'un apprentissage philosophique, cela me semble être assez logique que l'on commence à avoir une certaine "Haine" de la philosophie ou des profs en philosophie, surtout si la vie ne t'a pas permis le "luxe" de passer à côté des questions existentielles.

D'autre part ... toute Haine étant une idée inadéquate, je ne crois pas que c'est en se limitant à ce genre d'affects que l'on va pouvoir s'en sortir (ce qui ne veut pas dire que ce ne soit pas important de dire que ces situations existent). Tandis que bien sûr, il y a également d'excellents profs de philosophie, comme le rappellent Henrique et Pej (y en a-t-il peu ou beaucoup ... comment le savoir? Aussi longtemps que l'on ne dispose que de son expérience subjective, le mieux est peut-être effectivement ce que propose Pej: être prudent quand on veut extrapoler ...).

Henrique a écrit :Parler de l'ennui des élèves comme d'un critère pour dévaluer un cours est tout à fait injuste pour juger de l'intérêt d'un cours. On confond ici l'intérêt pour une matière et un travail à accomplir dans l'intérêt de l'élève. Un élève peut très bien s'intéresser de façon très poussée à quelque chose qui n'est pas dans son intérêt (connaître par coeur un jeu de rôle en ligne par ex. au point d'en devenir intoxiqué) et inversement il peut très bien ne pas s'intéresser à ce qui serait dans son intérêt (la connaissance de l'orthographe par exemple). Cette confusion, qui est celle de toute une tendance pédagogisante, explique bien des faux problèmes qui occultent les vrais ou parfois en créent (par ex. que fait-on d'une génération d'élèves dont beaucoup croient que si un professeur n'est pas aussi amusant que Lagaffe, c'est qu'on ne peut rien apprendre avec lui ? ou incapables de se concentrer plus de 10 mn - ce qui engendre rêveries ou bavardages - si le prof ne s'autozappe pas lui-même en permanence ?)


oui, tout à fait d'accord. Pour autant que je sache, c'est également ce qu'on a pu reprocher à la "pédagogie institutionnelle", qui prône notamment que les règles de la vie commune en classe soient instituées de façon "démocratique" par les élèves eux-mêmes, tout comme les règles concernant l'organisation des apprentissages, voire leur contenu etc.

Comme l'a pu remarquer Marcel Gauchet (dans Blais, Gauchet et Ottavi, Pour une philosophie politique de l'éducation), on ne peut attendre des élèves qu'ils décident eux-mêmes de façon "démocratique" de ce qui se passe en classe, puisque justement, la scolarité obligatoire a été imposé explicitement POUR donner à tous une éducation apte à APPRENDRE comment se comporter de façon démocratique. Mettre l'élève au centre des apprentissages (et non pas la matière) ne signifie pas du tout qu'il faut commencer, en tant que prof, à satisfaire leurs désirs spontanés ("non éduqués"), ainsi que certains ont pu l'interpréter. Cela signifie plutôt que simplement débiter une matière (comme on a pu le faire jadis) ne suffit pas pour que les élèves se la sont réellement appropriés. Si les élèves ne peuvent apprendre qu'à condition que le prof se soucie réellement de leurs progrès et cherche activement des solutions didactiques aux difficultés qu'ils rencontrent concrètement, ils ne peuvent pas pour autant déjà prendre des décisions en tant que "citoyen démocratique" avant d'avoir appris ce que c'est et comment le devenir. C'est pourquoi l'école doit CREER des désirs, de l'intérêt pour les matières qu'on y enseigne, au lieu de se contenter de satisfaire des désirs "incultes" (d'ailleurs, beaucoup n'ont pas de problème avec l'idée que les publicités créent des désirs d'achat ... alors pourquoi ne pas investir des moyens publics pour créer à l'école des désirs d'apprendre, puisqu'ici aussi, il s'agit avant tout de la CREATION d'un désir?).

Henrique a écrit :Combien de fois me suis-je moi-même ennuyé à des cours de russe par exemple parce qu'ayant pris l'année de seconde en cours, je n'ai jamais pris le temps de me remettre à niveau ? A l'évidence, si chacun veut bien revenir avec honnêteté sur ses années d'études, la première cause de l'ennui d'un élève, ce n'est pas le cours mais l'élève lui-même. En effet, dans un cours où une majorité d'élèves s'ennuient, il y en a toujours quelques uns qui trouvent de l'intérêt et en font une occasion d'épanouissement intellectuel, ce qui prouve bien que l'ennui éprouvé en situation d'apprentissage relève de causes subjectives bien plus qu'objectives. Et de fait, quand vous venez à un cours sans avoir rien préparé parce que vous êtes surtout intéressé par la façon dont vous pensez incarner les modèles valorisés à la télévision, ou bien en vous contentant au mieux de survoler vaguement le dernier cours, sans lire, prendre le temps d'une réflexion écrite, sérieuse et personnelle sur une question propre à ce cours, vous pouvez être certain que vous allez vous y ennuyer, quel que soit le talent pédagogique et le charisme du professeur ou l'intérêt général de la matière.


l'ennui ne serait-il pas un affect-passion, chez Spinoza? Ne diminue-t-il pas notre puissance? Ne rend-il pas Triste?

Si oui: si par "causes subjectives et objectives" tu comprends "causes internes et externes", il me semble que l'on peut difficilement dire que l'ennui relève de causes "internes" (car alors cela devrait être une Joie, même une Joie active, puisque nous en sommes nous-mêmes la cause). Autrement dit: on ne peut être la cause adéquate que d'une Joie chez Spinoza, il me semble. Du coup, des élèves qui s'ennuient POURRAIENT (conditionnel) peut-être en théorie se comporter autrement (arrêter de regarder des émissions stupides le soir, par exemple), mais comme la possibilité est toujours plutôt liée à une incertitude dans notre connaissance que dans une absence de détermination dans le monde, je crains qu'expliquer l'ennui par le comportement même d'un élève est difficile, du point de vue spinoziste. En réalité, beaucoup d'élèves ne se comportent pas de façon idéale, et ils sont bien "déterminés" à se comporter ainsi.

Dès lors, ne faudrait-il pas plutôt prendre en compte les facteurs externes, qui déterminent largement la vie de tout élève (car en effet, comme tu le dis, il s'agit de toute une génération, voire de quelques générations successives déjà)?

C'est ainsi que certains sociologues soulignent le fait que beaucoup d'élèves - surtout ceux qui viennent d'un milieu familial/social "culturellement peu instruit" - ne peuvent tout simplement pas adhérer à ce qui leur est proposé à l'école du fait même que les apprentissages y présupposent un tas de savoirs et de savoirs-faire implicites, que l'on n'apprend hélas PAS à l'école, mais ailleurs, c'est-à-dire chez soi.

On a pu démontrer, par exemple, que parmi les enfants dont les parents lisent et écrivent peu (et surtout des choses potentiellement ennuyantes comme des factures à payer, des courriels judiciaires etc), il y en a beaucoup moins qui développent un goût et un désir pour la lecture, l'écriture, les livres etc. que parmi ceux qui à la maison cotoient sans cesse ce type d'objets, et voient avec leurs propres yeux, dès leurs petite enfance, combien leurs parents valorisent ce genre d'activités et combien cela leur fait plaisir, combien ces activités peuvent avoir du sens.

Inversement, on constate que dans les mêmes milieux culturellement défavorisés, le type de discours auquel est confronté l'élève est tout à fait différent de celui qu'entend quotidiennement un enfant né dans une famille culturellement "active", et qui se rapproche fortement du discours propre au milieu scolaire. Dans le premier cas, le discours tourne autour de choses tout à fait concrètes, présentes dans la vie quotidienne des interlocuteurs. Dans le deuxième cas, l'enfant s'habitue très tôt à un discours dont les mots ne réfèrent pas sans cesse à des objets concrets mais surtout aussi à d'autres mots - ce que l'on appelle souvent le discours scientifique voire "abstrait" (pour comprendre en science physique la notion de "force", il faut comprendre celle de "masse" et ainsi de suite).

Or, sans être immergé dans un discours "abstrait" en dehors de l'école, ce qui se passe à l'école risque d'être fort étrange, d'avoir peu de choses à voir avec "la vie réelle" c'est-à-dire celle que l'on vit chaque jour hors de l'école, et qui "fait sens". On risque même de ne pas avoir acquis - toujours en dehors de l'école - les capacités permettant de pouvoir entrer dans ce type de discours "savants".

Et alors le risque existe qu'un cercle vicieux s'installe: l'école étant basée depuis pas mal de décennies sur le principe "méritocratique" qui dit que qui travaille bien et fait un effort "mérite" de réussir (à l'école et dans la vie sociale), ces enfants issus de milieux culturellement défavorisés constatent très tôt que leurs efforts ne donnent PAS le même résultat que ceux de certains autres enfants. Dans un système méritocratique, ils n'ont alors qu'un seul choix: se dire qu'il n'ont pas le "don" de l'étude. Mais à partir de ce moment-là, ils sont "perdus" pour l'école, ils n'essaient même plus, convaincus qu'ils sont de l'impossibilité de leur réussite. Ils peuvent même aller jusqu'à développer un rejet de l'école (résignation, violence, ...).

A tout cela s'ajoute encore le fait que parfois pour ces enfants adhérer aux valeurs de l'école implique renoncer aux valeurs propres à leur milieu social, ce qui les met devant un dilemme peut-être non pas irrésoluble mais en tout cas PAS abordé ou résolu par l'école: ou bien rester fidèle à leur milieu d'origine et donc renoncer à croire en une possibilité de "devenir autre" par le biais de ce qu'on lui propose à l'école, ou bien tout de même s'engager réellement à l'école, mais alors subir inévitablement le sentiment de "trahir" son milieu d'origine (voir certains romans d'Annie Ernaux, qui décrivent ce phénomène assez bien).

Bref, tout cela pour dire qu'à mes yeux, les choses sont fort compliquées, et "arrêter" l'explication d'un non intérêt de la part d'un élève par rapport à la matière que l'école lui propose à des "causes subjectives" me semble être impossible. Ce qui n'est bien sûr pas une raison pour commencer à abolir les cours les plus difficiles, au contraire même: il s'agit de commencer à développer des didactiques nouvelles capables de faire entrer également ce genre de l'élèves dans les savoirs (chose d'autant plus urgente s'il s'agit de toute une génération).

Henrique a écrit :Certes un professeur qui parle de façon monotone, reste rivé sur ses notes, ou encore un professeur qui ne se soucie pas du tout de la compréhensibilité de son cours par ses élèves sera objectivement beaucoup moins intéressant. Nous parlons ici d'une relation intersubjective qui se joue bien sûr dans tous les sens. Mais qui s'ennuie en cours ? L'élève. Quelle est la cause principale de l'ennui comme de tout sentiment en général ? Celui qui s'ennuit car de fait, même en face d'un prof monotone parlant un langage difficilement accessible, il pourra y avoir des élèves qui en tirent quelque chose, par leur détermination à apprendre quelque chose.


il me semble donc que tu t'arrêtes un peu trop vite dans le fait de remonter la chaîne causale. On ne peut pas tenir l'élève responsable pour les passions qu'il subit, puisque par définition (dans le spinozisme), celles-ci relèvent de causes extérieures.

Henrique a écrit :Et inversement, vous aurez beau être un professeur dynamique, clair et ayant su créer un lien affectif de sécurité et de complicité avec vos élèves, vous aurez toujours des élèves qui ne feront aucun des efforts requis pour apprendre quoique ce soit.


en effet, c'est ainsi que depuis des siècles on essaie d'expliquer l'échec scolaire: manque d'effort (ou de talent) de la part de l'individu "absolu" qu'est censé être l'élève.

Ceux qui critiquent cette conception "méritocratique" de l'école soulignent que celle-ci ne se base que sur une "égalité de réussite", et non pas sur une "égalité de chances". On ne se soucie guère de ce qui se passe hors de l'école pour expliquer le comportement de l'élève, on retraduit tout en des termes d'effort personnel, de persévérance. Comme si l'effort et la persévérance dans l'apprentissage ne sont pas précisément ce que l'école est censée APPRENDRE aux enfants, et cela même indépendamment du milieu social d'où ils viennent et de ce qu'ils peuvent recevoir comme apprentissage là-bas (ou plutôt surtout là où le milieu d'origine est peu susceptible de pouvoir les apprendre).

Or que voit-on en réalité: comme l'a remarqué Bourdieu, malgré les réformes "méritocratiques" de l'école (qui visaient un accès égal aux études secondaires pour tous, indépendamment du milieu socio-économique des parents) pour l'instant l'école n'est principalement qu'une "reproduction" de la société (tout comme avant, où les enfants d'ouvriers suivaient d'office le cursus court et ceux de la bourgeoisie le cursus long): les enfants de milieux culturellement peu instruit ont aujourd'hui toujours rarement accès aux études les plus longues et les plus valorisantes, socialement et intellectuellement parlant. Le chiffre de réussite à l'université y est BEAUCOUP plus bas que le nombre d'enfants issus de ces classes sociales.

Alors ou bien il faut croire que, de façon "innée", tous les enfants de ces classes plutôt populaires ont une "tare héréditaire" qui fait qu'ils sont peu puissants, qu'il ne savent pas faire beaucoup d'efforts intellectuels, ou bien on remet en question l'idée d'une école méritocratique, pour essayer de vraiment travaille maximalement, en tant qu'école, sur TOUS les acquis nécessaires pour pouvoir réussir à l'école (de l'apprentissage d'une bonne méthode de travail à l'apprentissage d'habitudes de travail régulier, de discipline etc).

Bref, ou bien on considère que le travail scolaire s'apprend, mais alors il faut étudier COMMENT l'apprendre à des enfants qui n'apprennent pas déjà l'essentiel de l'ATTITUDE scolaire à la maison, ou bien on considère que cela ne s'apprend pas mais que c'est inné ... or comment concilier cette idée avec le principe éducatif en tant que tel, qui veut faire devenir les enfants AUTRES que ce qu'ils sont - ou comme le dit Spinoza: la puissance d'un adulte est tellement plus grande que celle d'un nourrisson que l'on peut se demander à raison dans quelle mesure il s'agit encore de la même essence.

Ne faudrait-il pas inscrire l'école dans l'ensemble des institutions sociales destinées à faire changer les enfants d'essence, à les rendre plus puissants que ce qu'ils sont "de naissance"?

Henrique a écrit :Il est vrai que la philosophie ennuie en général plus facilement et plus que d'autres matières. Mais ce n'est pas parce qu'une chose est mauvaise que nous ne la désirons pas, c'est parce que nous ne la désirons pas ou bien peu que nous la jugeons mauvaise. Pourquoi les élèves ont ils donc moins de désir encore pour ce qui est de comprendre quelque chose à cette discipline ? Comme je l'ai dit, parce qu'elle est resté une discipline où on ne se contente pas d'élaborer des savoirs tout faits bien rassurants, bien concrets, contrairement à ce qui est devenu le cas quasiment dans toutes les autres disciplines, sous prétexte de rendre le lycée plus "démocratique" (vous connaissez le coup du 80% d'une classe d'âge...), c'est resté une discipline abstraite où l'intelligence de l'élève est suscitée de façon approfondie et systématique.


la philosophie est en effet telle que tu le décris ... là où tout va bien. Et alors je suis tout à fait d'accord: SI les autres profs "démissionnent" de leur vocation pédagogique à tel point qu'ils réduisent le savoir à quelque chose de rassurant, et non plus à quelque chose qui ne peut que mettre en question les préconceptions des élèves, on reproche à tort au prof de philo d'être "trop abstrait", ce sont les autres profs qui ne s'acquittent plus de leur tâche, ce qui fait que le prof de philo se voit confronté à des classes qui dans un seul cours de philosophie doivent TOUT apprendre, ce qui est impossible.

N'empêche que hélas je crains qu'il y ait également pas mal de profs de philosophie qui s'engagent peu dans la pratique philosophique (les "dogmatiques" - pour Korto ils étaient surtout de gauche, dans mon cas ils étaient surtout de droite, dans les deux cas c'est révoltant). Et alors je crains que c'est bel et bien le prof lui-même qui malheureusement est l'une des "causes externes" majeures de l'ennui chez les élèves ... .

Henrique a écrit :Comment voulez vous qu'étudier un texte comme les premières lignes du Discours de la Méthode de Descartes puisse exciter beaucoup les élèves quand il faut une concentration sur des idées abstraites pendant au moins 3/4 d'heures ?


en effet ... je peux bien m'imaginer qu'aujourd'hui il faut beaucoup de courage, d'inventivité, de patience etc. quand on veut réellement s'investir dans son métier en tant que professeur de philosophie. C'est précisément pourquoi - et là je suis donc de l'avis inverse de celui de Korto - les cours de philosophie sont absolument indispensables, et qu'il faudrait d'urgence qu'on commence à les donner dès le début du secondaire, et non pas juste en dernière année, quand éventuellement beaucoup de "dégâts" sont déjà faits, dégâts qu'un seul prof "engagé" ne peut plus jamais à lui seul réussir à effacer (même si je ne sous-estime pas l'effet fondamental et positif qu'il peut, même dans ces circonstances, avoir sur certains élèves).

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Messagepar hokousai » 24 janv. 2008, 21:57

je peux bien m'imaginer qu'aujourd'hui il faut beaucoup de courage, d'inventivité, de patience etc. quand on veut réellement s'investir dans son métier en tant que professeur de philosophie.


En tant que professeur tout court !

Non je pense que vous ne pouvez pas vous imaginer .

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Messagepar Pej » 29 janv. 2008, 10:30

clopez a écrit :Ce message éta&it destiné à alimenter le débat sur l'enseignement bde la philo. Comme je ne retrouve pas ce forum, j'ai choisi celui-ci qui avait été égakement initié par Khorto

Avant tout, je tiens à remercier ceux qui ont réagi à ma contribution au forum sur l’enseignement de la philosophie. Mes propos étaient volontairement provocateurs. Mais, en aucun cas, ils n’étaient dictés par un quelconque ressentiment à l’égard de mes anciens camarades de la fac de philo. Ils étaient plus sérieux et plus travailleurs que moi. Ils ont réussi à décrocher le CAPES ou l’Agreg. Ce qui est à la fois juste et logique. Moi, à 20 ans, je n’avais nulle envie de devenir enseignant et j’étais bien trop « agité » pour me plier la discipline rigoureuse et spartiate qu’exige la préparation des concours. Je n’en ai as moins eu un parcours professionnel, certes chaotique, mais cependant riche et, ma foi, assez gratifiant. Donc, je ne regrette rien ! Par contre, il est vrai que je suis quelque peu agacé quand les philosophes patentés, ceux qui ont reçu « l’imprématur » de l’université, s’arrogent le monopole de la pensée et de la réflexion ! Je prends donc un malin plaisir à les provoquer !

Je voudrais maintenant revenir à cette fâcheuse tendance au « pédagogisme » que certains ont cru déceler dans mes propos et poser la question suivante : peut-on s’interroger et émettre la moindre allusion critique sur le contenu des cours, sur les méthodes d’apprentissage et sur le comportement des enseignants, sans se faire immédiatement taxer de démagogue ? Il semble en tout cas que ça soit difficile et que, dés lors qu’on soulève la question de l’intérêt d’un cours, on se retrouve vite diabolisé. Je suis moi même enseignant. Ce n’est pas mon activité principale et je n’enseigne pas la philo, mais j’ose espérer que ça me confère quand même un minimum de légitimité pour participer au débat.

J’enseigne à l’université et quand je suis devant mes étudiants, je ne joue pas à l’animateur du club Med, ni au prof copain ! Par contre, je m’attache toujours à jeter un pont entre les notions abstraites à partir desquelles peut s’ordonner un raisonnement logique et le quotidien le plus trivial auquel peuvent être confrontées les jeunes générations. J’espère ainsi seulement leur montrer que l’on ne peut pas prendre pour argent comptant des connaissances seulement fondées sur l’opinion et sur l’expérience immédiate. Bien qu’elles soient fausses, parcellaires ou dictées par un ordre économique qui nous dépasse, autrement dit qu’elles ne soient que des « idées inadéquates », elles n’en sont pas moins des connaissances. Ce n’est pas en les rejetant d’un simple revers de main, au nom d’un savoir immaculé, accessible au prix d’un effort méritoire aux seuls membres de l’Académie, qu’on suscitera l’intérêt des élèves ! Alors oui, dans mes cours, je tiens compte de ce que savent ou ne savent pas mes étudiants, de leurs opinions et de leurs représentations. Pas pour me faire aimer, ni pour les amuser. Mais pour mieux leur savonner les neurones ! Bref, tout le contraire du démagogue !
Bien sur, j’ai quelque peu forcé le trait en parlant de mes anciens condisciples devenus aujourd’hui prof de philo. Mais sur le fond, je persiste et je signe. Les enseignants de philo ne font que reproduire ce que leur a enseigné l’université. Comme elle, ils sont fascinés par l’abstraction et les édifices intellectuels alambiqués, au point parfois d’en oublier le réel. Ce réel si vulgaire, si « contingent » et si dérangeant que la parole vous donne néanmoins l’illusion de dominer et de comprendre. Mais trop souvent la parole s’égare. On peut à peu près tout dire, tout démontrer avec des mots. Même les élucubrations les plus improbables peuvent donner lieu à un raisonnement logique et sans faille. Malheureusement, les philosophes ne sont pas à l’abri de cette dérive d’un langage qui tourne le dos au réel et bascule dans une certaine forme de « sophisme »! Je crains que cette assertion ne soulève à nouveau quelques protestations indignées. Mais peut-être est-ce l’occasion d’ouvrir un nouveau débat sur ce piège du sophisme auquel les philosophes succombent bien souvent, sans même y prendre garde ? Encore que ce débat n’ait rien de nouveau et qu’il soit aussi ancien que la philosophie !

Mais comment peut-on accuser les enseignants de philo de sophistes ! S’ils l’étaient, les élèves seraient séduits et ne s’ennuieraient pas. Et c’est bien parce qu’ils se refusent à la facilité et la démagogie que se pose sans doute cette question de l’ennui pendant les cours de philo. J’entends bien l’objection et sans doute le terme de « sophisme » n’est-il pas le plus pertinent. Mais il n’empêche. Il y a bien un risque « d’abus de langage » et, si j’osais, je dirais même de « déni de réalité », dans lequel tombe trop souvent le discours philosophique. Et pas que lui d’ailleurs ! Il n’est qu’a rappeler quelques belles impostures intellectuelles pour s’en convaincre : L’atome n’existe pas ; un corps plus lourd que l’air ne peut pas voler ; les enfants autistes ne doivent leur maladie qu’à la maladresse de leurs parents ; le « grand soir » est inéluctable et libèrera enfin l’homme de ses chaines ; les « racailles des banlieues » sont porteuses d’un nouveau message révolutionnaire ! La liste, qui est loin d’être exhaustive, reste alimentée en permanence par les illusions d’une pensée qui se prend elle même pour fin. Mais justement, la philosophie ne devrait-elle pas nous aider à les repérer et à s’en méfier, ces impostures intellectuelles qui encombrent l’histoire de la pensée ! En tout cas, c’est ce que j’ai retenu de mes lectures buissonnières de Spinoza.


En réponse au message de Clopez, dans le topic "Impasses du spinozisme", je voudrais simplement revenir sur l'idée que les professeurs de philosophie sont trop éloignés du "réel".
Le problème essentiel à mon sens, c'est que ce qui constitue le "réel" est très variable selon les élèves. Outre, les importantes disparités qui existent quant à la motivation des élèves (qui font qu'un même cours sera un succès avec une classe et un échec complet avec une autre), il est parfois extrêmement difficile de partir des "représentations" de ces mêmes élèves.
Exemple : nous avons au programme de philosophie de terminale un chapitre consacré à la Politique, décliné en une réflexion sur L'Etat et la société et sur Le droit et la justice. Que les élèves ne s'intéressent pas aux questions politiques, c'est une chose, et on peut voir cet état de fait comme une justification suffisante du cours de philosophie, mais comment faire quand moins d'un élève sur deux est capable, ne serait-ce qu'approximativement, de dire ce qui différencie la droite de la gauche, quand à la question : "Jacques Chirac est-il de droite ou de gauche ?", un tiers des élèves répond qu'il ne sait pas, et un autre tiers qu'il est de gauche ; quand à la question "Qui est l'actuel premier ministre français ?", à peine plus de 10 élèves ont su répondre (sur une classe de 28 élèves) ?
Il faut se rendre à l'évidence. Pour un grand nombre d'élèves de terminale, les prérequis indispensables à un questionnement philosophique minimal ne sont même pas assurés...

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Messagepar elfiremi » 31 janv. 2008, 15:19

pej,
je me pose tout de même une question sur ce désintérêt massif pour la politique chez les jeunes gens. Une partie de ma génération (1982) et celles qui suivent ont été élevés par des parents qui ont, pour certains, vécus très mal le mittérandisme. De gauche par héritage, ou par espoir, ils ont cru en un changement, qui a surement été moins frappant que prévu. Tant et si bien qu'ils ont éduqué une génération avec un "tous pourris" dans la bouche pour toute réflexion politique. Ce n'est qu'une hypothèse, et peut être que je péche par induction personnelle; mais je ne peux en vouloir à mes éléves de ne point s'y intéresser, quand ils sont nés avec ce discours-là...
Je me répète mais je reste persuadé que c'est le rapport au temps qui a progressivement généré un écart entre les éléves et la culture (j'en ai parlé un peu un peu plus haut).
J'aime beaucoup Spinoza, mais je n'en ferai pas mon évangile (il n'aurait pas aimé d'ailleurs je crois): les instruments qu'il nous a légué ont leur limite, et je crois qu'ils sont difficilement appliquables à l'enseignement... Peut-être sur quelques points, mais on ne peut juger les éléves à partir d'un patron, d'un modèle plus global, même spinoza. Car, en pratique, c'est tout de même pas si simple!
La contraction du temps, ainsi que la perte de structures narcissiques primordiales restent pour moi le souci majeur des éléves, un problème auquel il faut tenter de remédier par l'estime, et l'apprentissage de la patiente... Bien évidemment, cette expression "structure narcissique primordiale" semble un peu barbare: il ne vient pas moi mais de Lacan. Ce que j'entends par là, c'est que dans une société de synchronisation des masses, il y a quelque chose de l'identité individuelle qui périt, qui n'est pas construit. Puisqu'on tend à tous nous faire nous ressembler: et là il y a peut-être quelque chose que spinoza avait dénoncé: le contrôle du temps par les pouvoirs tyranniques. Notre passé devient progressivement commun (hier soir, nous avons tous regardé la même chose à la télé), notre futur également (nous voulons tous devenir zidane, Lorie.... j'exagère mais c'est pour le bienfait de l'illustration): mais cette question de l'identité reste présente comme une question lanscinante qui plante ses crocs. Alors, les jeunes se construisent un peu commme ils peuvent... Bernard Stiegler parlait dans un de ses livres de Richard Diurne, celui qui a ouvert le feu sur une assemblée municipale à Nanterre. Ce dernier disait, après son horrible méfait, qu'il s'était senti enfin exister. Et c'est là l'un des replis pour celui à qui il manque des fragments de son identité: l'expérience limite pour enfin se sentir exister (beaucoup de choses tournent autours de cela: qu'on pense à Columbine ou encore le fim qui illustre cette quête de l'expérience limite qu'est Fight Club). Les jeunes ont payé cher la société dans laquelle nous sommes: et ils sont tentés de fuir, d'aller vite pour ne pas être happés par ses questions qui tarodent déjà tout adolescent (divertissement pascalien)... Et aller vite, embrasser le temps d'un seul bras, ils connaissent puisqu'on les a éduqué comme ça: plus d'espace entre le désir et sa réalisation, il ne faut plus attendre, tout de suite être satisfait. Présentez leur le temps, ils vous diront qu'ils s'ennuient..
Enfin, je vous parlerais bien de la difficulté d'être parent aujourd'hui plus que jamais! Avant, lorsque vous éduquiez vos enfants, la société opérait comme une sorte de relai, balisant les points importants bien en dehors de la maison. Aujourd'hui être parent, c'est éduqué toujours contre... Contre une société qui émet trente fois le message différents de celui que vous avez tenté de transmettre à vos chère petites têtes blondes... Et il en va de même pour le prof, même si certains me diront que son registre n'est plus l'éducation mais l'instruction. Ca d'ailleurs c'est jolie, mais quand je fais 30 minutes la police dans une classe dissipée, je me sens un peu loin de quelque chose de simplement instructif, mais passons...
Taper sur les éléves, c'est un peu comme les phrases "Je vous assure, les gens sont vraiment cons"... Ca fait du bien mais ca ne mène à rien car c'est pointer ce qui n'est qu'un effet d'un mécanisme plus profond...
Peut-être que vous me reprocherez d'être trop environnemental... trop de gauche... trop trop... Et ce n'est pas l'envie qui me manque de faire un mauvais jeu de mots sur ce "trop" en guise de conclusion mais je me retiendrai: je ne blague pas en terrain non conquis!

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Messagepar Pej » 31 janv. 2008, 19:26

Attention, quand je critique les élèves, je ne les accuse par à titre individuel. Je suis le premier à considérer qu'ils ne sont en grande partie que les produits de leur société.
Je réagis toutefois à ton analyse, selon laquelle un des problèmes serait la "culture de masse". Au contraire, je dirais qu'une des difficultés que nous rencontrons tous aujourd'hui, et les jeunes encore plus que les autres, c'est cette exigence d'individualisation. Les slogans phare sont du type : "Deviens ce que tu es". Nous nous pensons d'abord individuellement, avant de nous penser collectivement. Difficile dès lors de s'intéresser à la politique...
Le problème, c'est qu'en exigeant de chacun qu'il se réalise personnellement, qu'il "actualise son potentiel", etc., on produit souvent plus de déception que d'épanouissement.

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Messagepar Korto » 01 févr. 2008, 03:28

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Modifié en dernier par Korto le 03 févr. 2008, 01:08, modifié 1 fois.


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