Bonheur et origines des plaisirs

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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nepart
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Messagepar nepart » 16 févr. 2008, 14:38

Pour ceux qui ne sont pas d'accord avec une des mes proposition (que ceux que nous trouvons beau, bon, agréable à écouter nous rappellent la sécurité, la survie etc...).

Quels est selon vous l'origine des gouts humains?

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sescho
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Messagepar sescho » 16 févr. 2008, 19:12

Louisa a écrit :
Sescho a écrit :(...) tout est beau pour le sage, étant l'expression de la puissance de la Nature

(...) se plaire à soi-même sur le plan physique sent clairement le narcissisme.


j'avoue que je ne vois pas très bien comment le sage pourrait à la fois réussir à considérer que tout est beau, et pourtant ne pas voir la beauté de son propre corps, ou essayer de ne pas la voir ... ? En quoi apprendre à voir la beauté de son propre corps serait-il "mauvais", dans le spinozisme?

C'est sûr qu'en accolant ces deux phrases sorties de leur contexte, cela fait bizarre. Pour la seconde, le contexte était : soigner son apparence pour se plaire à soi-même - qui est même le narcissisme tel que décrit dans le mythe. Cela n'a clairement rien à voir avec la beauté vue dans toutes les expressions de la Nature une et universelle (même la crasse, dit Krishnamurti) qui fait alors trouver son corps beau comme le reste, même au saut du lit après une nuit passée avec une rage de dents, par exemple...


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Messagepar Louisa » 17 févr. 2008, 01:15

Sescho a écrit :C'est sûr qu'en accolant ces deux phrases sorties de leur contexte, cela fait bizarre. Pour la seconde, le contexte était : soigner son apparence pour se plaire à soi-même - qui est même le narcissisme tel que décrit dans le mythe. Cela n'a clairement rien à voir avec la beauté vue dans toutes les expressions de la Nature une et universelle (même la crasse, dit Krishnamurti) qui fait alors trouver son corps beau comme le reste, même au saut du lit après une nuit passée avec une rage de dents, par exemple...


oui en effet, on pourrait dire que j'ai un peu forcé le trait en isolant les deux phrases de leur contexte. Disons que pour l'instant les deux contextes ne me permettaient pas de bien distinguer l'un de l'autre, d'où la mise en contraste des deux dans mon message précédent. Mais j'aurais peut-être dû expliquer un peu davantage en quoi cela posait problème pour moi. Voici donc une deuxième tentative.

Déjà je ne suis pas tout à fait certaine que pour Spinoza, le sage est celui qui arrive à voir le beau dans tout. Il faudrait peut-être préciser ce qu'on veut dire par "beau", mais si l'on prend ce terme dans le sens de "harmonieux", je ne crois pas que c'est ce que fait le sage. Le sage spinoziste réussit à comprendre un maximum de choses, ce qui revient à comprendre la "nécessité" des choses, des événements. Mais ne faudrait-il pas dire que la nécessité, en tant que telle, ne rend pas impossible les chocs, les violences, les destructions, bref certains processus qui sont tout sauf '"harmonieux"? Concrètement: le sage voit-il du beau dans une guerre civile sanglante, ou y voit-il plutôt une nécessité?

D'autre part, Spinoza reconnaît que la satisfaction de soi est un bien hautement important. Alors si en effet la béatitude a clairement à voir avec une satisfaction de l'esprit et un Amour intellectuel, je ne suis tout de même pas certaine que Spinoza serait d'accord avec l'idée que "soigner son apparence pour se plaire à soi-même" serait mauvais. Certes, il est clair qu'il est contre les excès, et donc sans aucun doute aussi contre une vie orientée principalement vers l'obsession de son apparence. Mais cela impliquerait-il que simplement se plaire à soi-même, dans son aspect corporel ou dans son apparence (vêtements) serait déjà excessif?

Autrement dit, je me demande s'il ne faut pas dire que Spinoza accepte tout ce que l'on fait pour plaire à soi-même, que la différence entre bon et mauvais, ici comme ailleurs, se situe plutôt au niveau de la "manière" dont on s'y prend? Ne dit-il pas, par exemple, dans le chapitre XX de l'E4 que le mariage ne peut pas "seulement" avoir la beauté de l'autre comme cause, qu'il faut également une "liberté d'âme"? Cela ne signifie-t-il pas que s'habiller d'une façon qui plaît à soi-même et/ou aux personnes que l'on apprécie peut être tout à fait acceptable (comme la musique, l'art, un bon repas etc peuvent l'être), aussi longtemps que ce n'est qu'une occupation tout à fait secondaire, un petit plaisir inoffensif qu'on s'offre, sans que cela ait beaucoup d'importance?

On pourrait aussi dire que les vêtemens appartiennent au domaine des "signes", et donc à celui de l'imaginaire. Mais justement, Spinoza ne veut pas abolir tout ce qui est signe, il semble plutôt attirer notre attention sur l'ambiguïté qui les accompagne, afin de ne pas les confondre avec des idées vraies. Or c'est précisément parce que les vêtements constituent un type de "langage des signes" que je crois que la remarque de Nepart était pertinente, et qu'il faut partir de l'idée que chez Spinoza, le beau est l'une des choses qui relèvent par excellence du domaine de l'imaginaire, et donc obéit entièrement aux "lois d'association" qui le caractérisent. Et alors en effet, on trouve beau tel ou tel objet non pas pour ses propriétés intrinsèques, mais parce que la façon dont il frappe notre oeil ressemble à d'autres perceptions visuelles, qui elles étaient fréquemment accompagnées de Joie.

Il est vrai qu'on pourrait croire qu'il s'agit d'une petitio principi, mais je ne pense pas que c'est le cas. Car au début, il suffit d'éprouver une Joie à l'égard d'un objet qui est régulièrement accompagnée de telle ou telle perception visuelle, pour qu'après un certain temps, on éprouve déjà la même Joie quand on n'a que la perception visuelle, et que l'objet de départ est absent. Exemple: un petit garçon qui aime sa maman, sera affectée de Joie chaque fois qu'elle est présente, mais après un certain temps, il éprouvera également un certain plaisir en voyant d'autres femmes qui ressemblent à elle par l'un ou l'autre aspect (même type de vêtements, de couleurs des yeux, de voix, de regard, ...). Ne serait-ce dès lors pas la façon la plus pertinente d'expliquer le sentiment du beau, au sein du spinozisme: une Joie éprouvé à l'occasion d'une affection auditive ou visuelle (Joie qui comme tout affect peut avoir des causes purement imaginaires, liées à la mémoire)?
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Messagepar sescho » 17 févr. 2008, 10:44

Louisa a écrit :Déjà je ne suis pas tout à fait certaine que pour Spinoza, le sage est celui qui arrive à voir le beau dans tout. Il faudrait peut-être préciser ce qu'on veut dire par "beau", mais si l'on prend ce terme dans le sens de "harmonieux", je ne crois pas que c'est ce que fait le sage. Le sage spinoziste réussit à comprendre un maximum de choses, ce qui revient à comprendre la "nécessité" des choses, des événements. Mais ne faudrait-il pas dire que la nécessité, en tant que telle, ne rend pas impossible les chocs, les violences, les destructions, bref certains processus qui sont tout sauf '"harmonieux"? Concrètement: le sage voit-il du beau dans une guerre civile sanglante, ou y voit-il plutôt une nécessité?

Oui, je suis d'accord (et j'avais distingué les deux dans mon premier message) : il y a, à la base tout au moins, deux sens de la beauté :

1) Ce que je suppose être un sens particulier inné d'harmonie : certaines formes et proportions - ce qui s'étend au corps humain, avec une connotation sexuelle plus ou moins forte - et assortiments de couleurs plutôt que d'autres, certaine mélodie plutôt que perceuse attaquant le béton, massage plutôt que cataplasme, pavé de charolais aux morilles accompagné d'un Pessac Leognan plutôt que poulet de batterie, ... ;-)

2) L'Amour de Dieu - la Nature, qui est Beauté de la Nature dans son entièreté, et aussi Bonté, Vérité, Paix, ...

Spinoza dit bien que par réalité et perfection il entend la même chose (du point de vue de la Nature) et qu'il est inadéquat de croire que Dieu - la Nature se plaît à l'harmonie.

Mais l'acceptation totale du fait n'empêche pas de voir la souffrance des êtres vivants et d'y remédier autant que possible par la Générosité. Je reconnais là que "beauté de la souffrance" a du mal à passer... Le mal existe au niveau modal en regard de l'idéal accessible ; c'est bien en conscience de cela que nous agissons, même s'il n'en reste pas moins que c'est une expression de la Nature universelle, qui se justifie par elle-même.

Pourtant, je ne vois pas que la seconde version annule la première : elle la relativise fortement, c'est tout. Je ne pense donc pas que le sage soit indifférent à l'harmonie précédemment définie, ni à la douleur physique. Elles sont seulement relativisées.

Ensuite, comme je l'ai mentionné, des versions plus complexes de beauté sont à l'œuvre : on peut trouver un paysage beau parce qu'il respire la vie plus que l'harmonie pure des formes (la version 2 ci-dessus est en fait dominante.) La beauté physique peut être fortement mise en balance avec des traits (plus au moins morphopsychologiques) de la personnalité (idem.)

Mais nous parlons du sage (supposé)... Chez les hommes "normaux" le subconscient s'en mêle, et là le nombre des combinaisons possibles est infini, avec la mémoire, l'imagination, les passions, etc. Il ne s'agit plus pour ces déterminants ni de l'une ni de l'autre des précédentes définitions.

Louisa a écrit :… cela impliquerait-il que simplement se plaire à soi-même, dans son aspect corporel ou dans son apparence (vêtements) serait déjà excessif ?

On est comme on est. Si c’est assez laid, et bien soit, le monde est varié… La « beauté » de l’esprit peut aussi beaucoup (c’est ce que Spinoza signifie à propos du mariage.) Socrate n’était-il pas finalement séduisant ? On peut y joindre une mise la plus agréable possible (Krishnamurti, par exemple, prenait quelque soin à cela.) Mais le terme « se plaire », au sens purement esthétique physique, ce n’est quand-même pas ce qui vient à l’esprit s’agissant du sage… Ou disons c’est un détail le concernant…, ce qui n’est pas le cas pour le commun des mortels, et donc justifie marginalement leur propre positionnement à ce sujet.

Louisa a écrit :… il faut partir de l'idée que chez Spinoza, le beau est l'une des choses qui relèvent par excellence du domaine de l'imaginaire, et donc obéit entièrement aux "lois d'association" qui le caractérisent. Et alors en effet, on trouve beau tel ou tel objet non pas pour ses propriétés intrinsèques, mais parce que la façon dont il frappe notre oeil ressemble à d'autres perceptions visuelles, qui elles étaient fréquemment accompagnées de Joie.

Là nous sortons à mon sens des deux première définitions ci-dessus pour passer dans la version « standard », qui n’est plus celle du sage. Il s’agit en regard de l’acception de « bien » et « mal » par Spinoza comme ce qui nous semble tel en fonction de notre disposition du moment.

Louisa a écrit :Ne serait-ce dès lors pas la façon la plus pertinente d'expliquer le sentiment du beau, au sein du spinozisme: une Joie éprouvé à l'occasion d'une affection auditive ou visuelle (Joie qui comme tout affect peut avoir des causes purement imaginaires, liées à la mémoire)?

Pour moi, il y a aussi les affections tactile, gustative et olfactive dans le beau (qui ne comprennent pas, elles, la mémoire directe ou capacité de simulation.)

Je pressens une erreur d’interprétation de la qualité de la « Joie » (et du Désir) chez Spinoza. Il y a moins de doute quant à l’imagination. « Le Mental s’efforce d’imaginer de qui accroît la puissance du corps et sa propre puissance » sent donc le camphre (le terme générique « Traité des passions » aussi) et c’est de fait la base de la servitude de l’Homme. Encore une fois, il me semble que nous sommes totalement sortis des deux premières définitions, qui seules, et leurs combinaisons, peuvent être considérées selon moi « pures. » Nous parlions du sage, pour moi nous n’y sommes plus.


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Messagepar Louisa » 17 févr. 2008, 16:31

Sescho a écrit :Oui, je suis d'accord (et j'avais distingué les deux dans mon premier message) : il y a, à la base tout au moins, deux sens de la beauté :

1) Ce que je suppose être un sens particulier inné d'harmonie : certaines formes et proportions - ce qui s'étend au corps humain, avec une connotation sexuelle plus ou moins forte - et assortiments de couleurs plutôt que d'autres, certaine mélodie plutôt que perceuse attaquant le béton, massage plutôt que cataplasme, pavé de charolais aux morilles accompagné d'un Pessac Leognan plutôt que poulet de batterie, ...


oui, il est bien possible que ce sens esthétique est inné. Pour l'instant, j'aurais tendance à croire que les expressions esthétiques sont trop diverses, dans les différentes cultures, pour qu'un sens inné soit probable, mais bon, cela n'est qu'une opinion comme une autre. En ce qui concerne Spinoza, je ne vois pas vraiment d'où tirer l'idée que pour lui ce qu'on appelle beau serait inné, mais je ne vois pas le contraire non plus.

Sescho a écrit :2) L'Amour de Dieu - la Nature, qui est Beauté de la Nature dans son entièreté, et aussi Bonté, Vérité, Paix, ...

Spinoza dit bien que par réalité et perfection il entend la même chose (du point de vue de la Nature) et qu'il est inadéquat de croire que Dieu - la Nature se plaît à l'harmonie.


ok, si l'on prend le terme "beau" dans le sens "parfait", on peut effectivement dire que pour Spinoza la Nature entière est belle. Seulement, quand il parle du beau il n'y ajoute jamais la qualification "parfaite", si je ne m'abuse? De même, s'il dit très explicitement que le sage est celui qui réussit à ne voir que ce qui est bon dans les choses, il me semble qu'il faut toujours comprendre par là: ce qui est bon POUR LUI. Attribuer de la bonté à la Nature, ne serait-ce pas "anthropologiser" la Nature, ou introduire de nouveau le Bien (= un "bon" absolu, c'est-à-dire en soi et non pas pour tel ou tel mode)?

Sescho a écrit :Mais l'acceptation totale du fait n'empêche pas de voir la souffrance des êtres vivants et d'y remédier autant que possible par la Générosité. Je reconnais là que "beauté de la souffrance" a du mal à passer... Le mal existe au niveau modal en regard de l'idéal accessible ; c'est bien en conscience de cela que nous agissons, même s'il n'en reste pas moins que c'est une expression de la Nature universelle, qui se justifie par elle-même.


oui en effet. J'aurais de la même façon tendance à croire que pour Spinoza, le beau n'est en cela pas différent du mal: tous les deux n'ont un sens que du point de vue modal, pas du point de vue de la totalité ou de Dieu/la Nature. Ne serait-ce pas ainsi qu'il faudrait interpréter le passage concernant le beau dans l'appendice de l'E1:

"Une fois qu'ils se furent persuadés que tout ce qui a lieu a lieu à cause d'eux, les hommes ne purent que tenir pour principal, en toute chose, ce qui avait le plus d'utilité pour eux, et juger le plus éminent tout ce qui les affectait au mieux. D'où vint qu'il leur fallut former ces notions par lesquelles expliquer les natures des choses, à savoir le Bien, le Mal, l'Ordre, la Confusion, le Chaud, le Froid, le Beauté et la Laideur: et parce qu'ils se croient libres, de là naquirent les notions que sont la Louange et le Blâme, le Péché et le Mérite (..). [Ces notions] ne sont également que des manières d'imaginer, affectant l'imagination de manière diverse, et cependant les ignorants les considèrent comme les principaux attributs des choses (...).

Par ex., si le mouvement que reçoivent les nerfs à partir des objets qui se représentent par les yeux contribue à la santé, les objets qui le causes sont dits beaux, et ceux qui excitent un mouvement contraire, laids. Ensuite, ceux qui émeuvent le sens par les narines, ils les appellent parfumés ou fétides, par la langue, doux ou amers, savoureux ou fades, etc. Et quand c'est par le tact, durs ou mous, rugueux ou lisses etc. Et ceux enfin qui émeuvent les oreilles sont dits produire du bruit, du son ou de l'harmonie, laquelle a fait perdre la tête aux hommes jusqu'à leur faire croire que Dieu, lui aussi, trouve du charme à l'harmonie. Et il ne manque pas de Philosophes pour s'être persuadés que les mouvements célestes composent une harmonie. Tout cela montre assez que chacun a jugé des choses d'après la disposition de son cerveau, ou plutôt a pris pour les choses les affections de son imagination.
"

Ne faudrait-il pas conclure de ce passage que le beau est aussi relatif que le froid, l'harmonie etc, c'est-à-dire "relaté" à un mode et non pas à la Nature dans sa globalité?

Sescho a écrit :Pourtant, je ne vois pas que la seconde version annule la première : elle la relativise fortement, c'est tout. Je ne pense donc pas que le sage soit indifférent à l'harmonie précédemment définie, ni à la douleur physique. Elles sont seulement relativisées.


relatif au sens où je viens de le dire, ou dans un autre sens?

Sescho a écrit :Ensuite, comme je l'ai mentionné, des versions plus complexes de beauté sont à l'œuvre : on peut trouver un paysage beau parce qu'il respire la vie plus que l'harmonie pure des formes (la version 2 ci-dessus est en fait dominante.) La beauté physique peut être fortement mise en balance avec des traits (plus au moins morphopsychologiques) de la personnalité (idem.)

Mais nous parlons du sage (supposé)... Chez les hommes "normaux" le subconscient s'en mêle, et là le nombre des combinaisons possibles est infini, avec la mémoire, l'imagination, les passions, etc. Il ne s'agit plus pour ces déterminants ni de l'une ni de l'autre des précédentes définitions.


ce que je me demande, c'est dans quelle mesure le sage quitterait, quand il s'agit du beau, ce domaine de l'imagination. Quand on part de l'idée que pour Spinoza toute beauté est relative c'est-à-dire modale, comment cela reste-t-il possible de trouver "la Nature" belle, au sens où elle le serait "en soi"?

Sescho a écrit :Louisa a écrit:
… cela impliquerait-il que simplement se plaire à soi-même, dans son aspect corporel ou dans son apparence (vêtements) serait déjà excessif ?

On est comme on est. Si c’est assez laid, et bien soit, le monde est varié…


c'est ici que je ne suis pas certaine que Spinoza serait d'accord. Ne dit-il pas, dans le passage que je viens de citer ci-dessus, que la laideur jamais ne dit quelque chose de quelqu'un ... ou comme le disait déjà Oscar Wilde: beauty is in the eyes of the beholder, la beauté réside dans les yeux de celui qui regarde, et non pas dans la chose qu'on dit belle "en soi"?

Sescho a écrit :La « beauté » de l’esprit peut aussi beaucoup (c’est ce que Spinoza signifie à propos du mariage.) Socrate n’était-il pas finalement séduisant ? On peut y joindre une mise la plus agréable possible (Krishnamurti, par exemple, prenait quelque soin à cela.)


oui, tout à fait d'accord. Mais je dirais que cela ne change rien au fait que ce qu'on dit beau n'est jamais beau en soi, pour Spinoza. Que ce soit un corps ou un esprit ou autre chose encore.

Sescho a écrit : Mais le terme « se plaire », au sens purement esthétique physique, ce n’est quand-même pas ce qui vient à l’esprit s’agissant du sage… Ou disons c’est un détail le concernant…, ce qui n’est pas le cas pour le commun des mortels, et donc justifie marginalement leur propre positionnement à ce sujet.


c'est le fait que Spinoza utilise si souvent le delectari (voir par ex. E5P32) qui me donne l'impression que la frontière n'est pas aussi stricte que cela. Ce verbe signifie littéralement (Gaffiot) "se plaire à quelque chose, trouver du charme dans quelque chose", la delectatio étant avant tout un "plaisir, amusement". C'est exactement ce mot qui est utilisé pour désigner l'effet que nous procure la connaissance du troisième genre. C'est exactement au même endroit qu'il introduit la notion de "Amour intellectuel de Dieu".

Bien sûr, il s'agit bel et bien d'un amour INTELLECTUEL, mais de nouveau, il me semble que l'opposition intellect/âme - corps telle qu'on la retrouve si souvent dans le christianisme, est quasiment absente chez Spinoza. Ce n'est pas le corps qui est source du mal, c'est le monde extérieur (ayant lui un corps ET un esprit; et pouvant être d'ailleurs tout aussi bien source de bien). Tandis que le sage est bel et bien celui qui a un corps "apte" à être affecté d'un grand nombre de façons différentes.

C'est donc le parallélisme qui me donne l'impression que l'Amour intellectuel n'est pas un Amour où le corps est absent, où il faudrait essayer d'être "neutre" par rapport au corps, ou indifférent, où il faudrait juste penser à sa santé sans plus. Si la plus haute satisfaction de soi est effectivement une satisfaction de l'Esprit, celle-ci ne peut qu'également concerner le corps. C'est pourquoi je disais qu'à mon sens ce qui est "mauvais" dans le spinozisme, c'est d'avoir une attention excessive pour l'apparence de son corps. Mais passer devant un miroir et constater que tel ou tel vêtement nous va bien, sans plus (donc sans mettre un temps considérable dans la recherche de tels vêtements), je ne vois pas en quoi cela rendrait quelqu'un moins "sage", ou pourquoi le sage essayerait d'éviter ces sentiments.

Sinon il est clair que nous vivons dans une culture qui sans cesse donne une importance excessive à ce genre de choses. Dans ce sens, c'est en effet bien de rappeler que notre bonheur ne réside vraiment pas dans de tels détails. Le rappeler est peut-être plus important encore aujourd'hui qu'à l'époque de Spinoza, où toute une machine de marketing vestimentaire était absente. Car après tout, il ne réfère qu'à la richesse, l'honneur et la libido comme les trois choses que l'on tient d'habitude pour "biens suprêmes". C'est une autre raison pour laquelle se plaire à tel ou tel aspect physique parce qu'il nous touche, parce qu'on le trouve beau (selon nos normes tout à fait relatives, donc sachant que cela ne dit rien d'essentiel sur qui que ce soit), cela me paraît être beaucoup plus "innocente", comme Joie, que ces trois choses énumérées par Spinoza (et qui d'ailleurs ne sont mauvaises elles aussi, dit-il, QUE dans le cas où l'on s'en occupe de façon excessive, où elles deviennent un but en soi, et non plus un moyen).

Sescho a écrit :Je pressens une erreur d’interprétation de la qualité de la « Joie » (et du Désir) chez Spinoza. Il y a moins de doute quant à l’imagination. « Le Mental s’efforce d’imaginer de qui accroît la puissance du corps et sa propre puissance » sent donc le camphre (le terme générique « Traité des passions » aussi) et c’est de fait la base de la servitude de l’Homme. Encore une fois, il me semble que nous sommes totalement sortis des deux premières définitions, qui seules, et leurs combinaisons, peuvent être considérées selon moi « pures. » Nous parlions du sage, pour moi nous n’y sommes plus.


Je ne suis pas certaine de bien comprendre en quoi consistent les deux définitions "pures", mais si l'idée est de nommer "pure" la Joie qui est dépourvue de tout aspect imaginaire, je crois qu'il s'agit en effet, éventuellement, d'une divergence d'interprétation. L'ennemi à combattre, si j'ose dire, dans le spinozisme est à mes yeux ni le corps ni l'imagination. Ce sont avant tout les "flottements d'âme", c'est-à-dire le fait que l'âme ne réussit ni à acquérir un certain niveau de puissance, ni à l'augmenter de façon plus ou moins constante. C'est le fait de dépendre de sources de Joie que l'on ne maîtrise pas, tandis qu'il en existe que l'on peut tout à fait, avec de l'exercice, maîtriser activement.

Comprendre semble être le moyen essentiel pour arriver à stabiliser les flottements d'âme, et pour augmenter la puissance. C'est-à-dire avoir des idées adéquates. Mais d'une part Spinoza dit bien que ces idées adéquates ne détruisent PAS les idées du premier genre de connaissance, les idées imaginaires. Elles s'y ajoutent (voir l'exemple du soleil à 400 pieds). De même, le sage n'est pas celui qui a laissé derrière lui toute imagination. L'E5 se caractérise précisément pour ce que Spinoza appelle un ars imaginandi. Le sage est celui qui excelle aussi dans l'art d'imaginer. Il utilise activement son imagination pour mieux combattre les passions.

C'est pourquoi une Joie "pure" de tout ce qui est corporel ou imaginaire ne me semble ni être possible ni souhaitable, dans le spinozisme, et cela parce que ce n'est pas le corps ou l'imagination qui sont à la base de la servitude. Le corps est uni à l'esprit, c'est une seule et même chose, tandis que l'imagination est une connaissance. Tout dépend donc de la manière dont nous nous servons de tout cela: sous la conduite de la raison, ou déterminé par l'ordre commun de la nature. Enfin, voici comment je le comprends pour l'instant, sachant qu'effectivement, je peux me tromper, bien sûr.
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Messagepar nepart » 17 févr. 2008, 22:52

En regardant un reportage ce soir, une question m'est venu à l'esprit.

Quand on va au zoo voit des animaux, l'éléphant par exemple. On éprouve du plaisir. Si on va dans la savane africaine, voir un éléphant sauvage, on en ressent beaucoup plus. Or si on apprends que la rencontre avec l'éléphant que l'on croyait non provoqué, l'est (en l'attirant avec un moyen tel que la nourriture), alors nous sommes déçus.

Les questions qui me viennet à l'esprit et pourquoi cela? Et le sage ressent il cette déception ou pas?

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Messagepar sescho » 18 févr. 2008, 11:18

Louisa a écrit :… oui, il est bien possible que ce sens esthétique est inné. Pour l'instant, j'aurais tendance à croire que les expressions esthétiques sont trop diverses, dans les différentes cultures, pour qu'un sens inné soit probable, mais bon, cela n'est qu'une opinion comme une autre. En ce qui concerne Spinoza, je ne vois pas vraiment d'où tirer l'idée que pour lui ce qu'on appelle beau serait inné, mais je ne vois pas le contraire non plus.

Comme déjà dit, Spinoza ne s’étend pas sur l’esthétique et les plaisirs des sens (« Chatouillement », qui est une joie liée à une partie particulière du corps.) Nous faisons donc des extrapolations, et j’ai déjà précisé cela me concernant. Quant au relativisme absolu, il est à mon sens rarement, sinon jamais, vrai sur un trait particulier. Je trouverais je pense des mixtures de saveurs, puanteurs, dissonances (c’est évident pour le sens tactile), peut-être assortiment de tons de couleurs et de formes faisant faire la lippe dans le monde entier, ou presque. C’est évident pour bien d’autres choses (tout ce qui est violent en particulier.)

Louisa a écrit :… Attribuer de la bonté à la Nature, ne serait-ce pas "anthropologiser" la Nature, ou introduire de nouveau le Bien (= un "bon" absolu, c'est-à-dire en soi et non pas pour tel ou tel mode)?

Je n’ai pas attribué la Bonté à la Nature. J’ai dit que l’Amour de la Nature était ressenti (par l’Homme) comme une forme de Beauté et s’associait à la Bonté, à la Vérité, à la Paix. Cf. la formule : « c’est beau l’amour. »

Pour le reste, c’est toujours la même problématique : la Nature n’a pas faim, mais moi oui, la Nature n’a pas froid, mais moi oui, etc., etc. La Nature n’a pas d’éthique, mais moi oui. Ce qui concerne les modes, à l’intérieur de la Nature, ne concerne pas forcément la Nature dans son entier ; en revanche, en tant qu’elle s’exprime dans des modes particuliers, on peut dire qu’elle a faim, froid, … Ses lois s’appliquent à des modes particuliers, et donnent à ces modes ces sensations. La référence à la Nature est fondamentale, mais ce qui nous occupe (en particulier avec le sage) c’est quand-même bien un mode particulier : l’Homme. Dans ce cadre de l’Homme, le « relativisme modal » ne s’extrapole pas, pour l’essentiel, aux individus (du point de vue des lois, car il existe effectivement toute une variété de situations.)

Louisa a écrit :… ce que je me demande, c'est dans quelle mesure le sage quitterait, quand il s'agit du beau, ce domaine de l'imagination. Quand on part de l'idée que pour Spinoza toute beauté est relative c'est-à-dire modale, comment cela reste-t-il possible de trouver "la Nature" belle, au sens où elle le serait "en soi"?

L’imagination intervient lorsque l’on attribue les sensations aux choses mêmes, pas lorsque l’on dit que certains modes sont affectés de telle ou telle façon par les choses, me semble-t-il. Encore une fois, il s’agit de « beauté » sous un sens particulier, qui n’est plus le sens esthétique – ou du moins beaucoup plus que celui-ci. A ce titre Spinoza dit que Dieu s’aime lui-même d’un Amour infini. Même sans cela, ce qui nous intéresse ici est un mode particulier : l’Homme.

Louisa a écrit :Bien sûr, il s'agit bel et bien d'un amour INTELLECTUEL, mais de nouveau, il me semble que l'opposition intellect/âme - corps telle qu'on la retrouve si souvent dans le christianisme, est quasiment absente chez Spinoza. Ce n'est pas le corps qui est source du mal, c'est le monde extérieur (ayant lui un corps ET un esprit; et pouvant être d'ailleurs tout aussi bien source de bien). Tandis que le sage est bel et bien celui qui a un corps "apte" à être affecté d'un grand nombre de façons différentes.

Il me semble qu’il ne faut pas confondre le Corps (qu’il s’agisse plus particulièrement du cerveau ou non) intimement parallèle au Mental, et le Corps vu comme un objet extérieur, en miroir (ce qui était notre sujet.) Je pense que beaucoup d’hommes ont bien vécu sans avoir jamais possédé de miroir. L’idée claire et distincte est dans la perception intuitive, pas dans la vision en miroir (qui est en fait, au contraire, une base de l’ego.) Pour le reste j’ai déjà dit que le sage pouvait prendre quelque soin à son apparence, soit dans un sens esthétique pur (non egotique), soit pour ne pas incommoder la société dans laquelle il se présente.

Louisa a écrit :Je ne suis pas certaine de bien comprendre en quoi consistent les deux définitions "pures" …

J’entends par « pure » celle qui reste au sage (et n’est donc pas mêlée d’egotisme et de contraintes mémorisées et de l’imagination qui en découle.) J’y inclus donc, outre ou plutôt comme partie de l’Amour de la Nature, qui est aussi Bonté, Beauté, Paix, Vérité, Béatitude, Action, Puissance, etc., les plaisirs des sens, et aussi la Satiété, ou satisfaction au plus juste des besoins de base du corps et plus généralement la Santé du corps.

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Messagepar sescho » 18 févr. 2008, 12:01

nepart a écrit :Quand on va au zoo voir des animaux, l'éléphant par exemple. On éprouve du plaisir. Si on va dans la savane africaine, voir un éléphant sauvage, on en ressent beaucoup plus. Or si on apprends que la rencontre avec l'éléphant que l'on croyait non provoquée, l'est (en l'attirant avec un moyen tel que la nourriture), alors nous sommes déçus.

Les questions qui me viennent à l'esprit et pourquoi cela? Et le sage ressent il cette déception ou pas?

Je dirais que le sage (s'il nous est permis d'en parler) n'est déçu par rien : le fait est le fait. Sans doute que s'il s'aperçoit que l'animal est en plus maltraité et qu'il y peut un tant soit peu quelque chose, il le tentera pour y remédier (à moins évidemment de voir un mal plus grand associé.)

Pour ce qui nous concerne, je crois que c'est l'idée de la vie libre et (supposément) heureuse qui nous met en joie. Pour le sage aussi sans doute, qui se réjouit de la puissance de ce avec quoi il a le plus en commun bien que voyant la puissance de la Nature en tout, mais nous concernant s'y mêle du "sentimentalisme", qui est une façon de nous prendre nous-mêmes en pitié, et qu'à peu de chose près Spinoza appelle d'ailleurs lui-même "Pitié."


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Messagepar Louisa » 18 févr. 2008, 14:39

on pourrait peut-être distinguer deux choses, dans la question de départ de Nepart:

1) quand l'homme vit sur une île, faire attention aux vêtements cela a-t-il encore un sens (autrement dit: l'origine du plaisir que l'on peut trouver à se vêter d'une telle ou telle façon est-elle purement sociale ou a-t-elle également une base dans l'individu en tant que telle?)?

2) SI le plaisir que l'on peut éprouver à se vêtir d'une telle ou telle façon peut avoir une origine purement individuelle, est-ce que le sage spinoziste, tel qu'il est décrit dans l'Ethique (et que nous, "hommes ordinaires", sommes dont invité à essayer de comprendre, notamment en discutant) continuerait à s'occuper de tels plaisirs, ou est-ce qu'au contraire on ne peut être un sage spinoziste qu'en essayant d'oublier ce type de plaisir, ou de les éviter?

1. Le plaisir: d'origine sociale ou individuelle?

Je ne vois pas vraiment de réponse à la première question chez Spinoza, donc il faut extrapoler, voire simplement donner sa propre opinion. Ce que j'en pense personnellement, c'est que je crois que l'homme n'a pas besoin du "regard de l'autre" pour pouvoir éprouver un plaisir "esthétique", donc pas non plus pour pouvoir contempler son propre corps, notamment en rapport avec certains vêtements et éventuellement ressentir du plaisir ou du dégoût. Les plaisirs des sens existent, sont propres à la nature humaine, et dès lors peuvent être éprouvés même en l'absence de toute autre personne.

La question de savoir si l'on peut "préciser" ce sens esthétique, autrement dit la question de savoir s'il existent des "traits particuliers" qui sont universellement ressentis comme "beaux", n'est pas non plus traitée explicitement par Spinoza. Je crois qu'une réponse à cela n'est pas nécessaire pour pouvoir trouver une réponse à la question de Spinoza, et que donc en ce sens ceci est pour l'instant "secondaire". Si quelqu'un prétend avoir trouvé un seul trait particulier qui serait "universel", je ne peux qu'être curieuse de savoir de quel trait il pourrait s'agir car moi-même je n'en vois aucun, mais cela n'est pas très important pour ce qui nous occupe ici (concernant les dissonances par exemple: ce qu'on appelle "dissonance" a changé sans cesse, en Occident, et la musique orientale qui utilise des microtons est ressentie spontanément, par un occidental, comme étant "faux"; les fromages français sont adorés par pas mal de Français, mais "puent" et son dégoûtant pour pas mal de non Français, et ainsi de suite).

2. Le sage spinoziste et le plaisir de se vêtir?

Après ce que Sescho et moi-même venons de dire, il me semble que l'on peut retraduire cette question de la manière suivante. Celui qui éprouve du plaisir à se vêtir d'une telle ou telle façon (parce qu'ainsi il trouve son corps plus beau), peut-il le faire tout en cultivant la sagesse spinoziste, ou devrait-il s'abstenir de tels plaisirs, autrement dit, s'agit-il d'une "Joie mauvaise"?

J'essaie d'abord de résumer la position de Sescho, telle que je l'ai pour l'instant comprise. Il y a deux façons de prêter attention à son "aspect extérieur": une façon "pure" et une façon qui est mauvaise, et donc à éviter. La façon pure réfère à un "sens esthétique pur". Il s'agit d'un plaisir éprouvé par les sens (non seulement la vision) mais pur de tout "narcissisme", de tout reflexe "égotique". Dans ce cas, la "beauté" n'a plus grand-chose à voir avec ce que l'on entend d'habitude par "beau", sauf quand on dit « c’est beau l’amour. » En ce qui me concerne je n'ai pas très bien compris les deux sens différents de "beau", mais il faut donc répondre à la question de Népart en disant que oui, le sage qui vit seul sur une île va toujours prêter attention à ses vêtements, seulement ce sera dans un autre sens que sur base d'un intérêt purement narcissique ou égotique.

Si moi-même j'ai un problème avec cette réponse, ce n'est pas parce que je crois qu'il faudrait répondre à la question de Népart par un "non" (non, le sage évite tout plaisir de se vêtir, qu'il vit seul ou en compagnie d'autres gens - à propos, remarquons que le sage spinoziste va toujours chercher la "société des hommes", donc si dans cette expérience de pensée il vit seul, cela ne peut être que par accident, non de façon "voulue"). Comme Sescho je crois qu'il faut dire que oui, le sage spinoziste ferait attention à de tels plaisirs (nous sommes tous les deux d'accord aussi pour dire que ce n'est pas cela, la source principale du bonheur du sage). Mais j'ai du mal à combiner les mots "narcissique" ou "égotique" avec le spinozisme.

Ayant cherché dans la définition des affects ce qui pourrait le plus s'y rapprocher, je tombe bien sûr sur la définition 28 de l'E3, définition de l'Orgueil: "L'orgueil est de faire de soi, par Amour, plus d'état qu'il n'est juste. Dans un spinozisme cela revient principalement à croire qu'on possède un libre arbitre, et que donc ce qui définit notre "puissance" a été causée par nous-mêmes seuls, et non pas par Dieu.

Mais cela est-ce la même chose de ce qu'on veut dire habituellement quand on parle de narcissisme? Le Petit Robert définit le narcissime comme étant une "admiration de soi-même, attention exclusive portée à soi-même". Or chez Spinoza, l'Admiration n'est pas un Amour, ce n'est même pas un affect (dit-il dans l'explication de la 4e définition des Affects). C'est l'imagination "d'une chose en quoi l'Esprit reste fixé", une "distraction de l'Esprit". Tandis que l'Orgueil consiste à s'imaginer de pouvoir faire davantage de choses que ce que l'on sait faire réellement.

Dès lors, la question devient:

a) est-il possible de s'admirer soi-même?

Si oui, dans le spinozisme cela est clairement "mauvais", comme toute Admiration est mauvaise. Seulement, éprouver un plaisir (par exemple plaisir à se vêter d'une telle ou telle façon), c'est éprouver une Joie, c'est-à-dire un Affect. Un Affect se caractérise par une dynamique, un PASSAGE d'un état à un autre. C'est donc l'inverse d'une fixation de l'attention. Eprouver un plaisir à se vêtir de telle ou telle façon ne peut donc être une Admiration.

b) éprouver un plaisir en portant tel ou tel vêtement est-ce une preuve d'Orgueil?

Dans la mesure où l'homme vivant seul sur son île s'imagine pouvoir faire davantage de choses que ce qu'il peut réellement faire en éprouvant ce type de plaisir ou d'Amour, ou dans la mesure où il croit que la façon dont il se vêtit relève de son libre arbitre. Ici nous touchons à une question intéressante, je crois. Car Spinoza, dans l'explication de l'Orgueil, dit aussi que ce sentiment n'a pas de contraire: on ne peut pas s'imaginer de pouvoir moins faire que ce que l'on peut faire réellement, car on ne peut jamais faire ce qu'on s'imagine ne pas pouvoir faire.

Celui qui éprouve un plaisir, en vivant sur une île, à se vêtir de telle ou telle façon, doit-il supposer le libre arbitre pour éprouver ce plaisir? On sera d'accord, je présume, que non. On peut découvrir par hasard que tel ou tel vêtement nous va bien, accentue par exemple la couleur des yeux, précisément comme la couleur des yeux d'un animal peut renforcer l'aspect visuel de sa peau.

Est-ce qu'alors on peut éventuellement dire qu'éprouver un plaisir, en vivant sur une île, à se vêtir de telle ou telle façon, c'est s'imaginer de pouvoir faire davantage que ce que l'on sait réellement faire? On pourrait dire que celui qui s'apprécie, esthétiquement parlant, peut se sentir plus "puissant" que quand il ne fait aucune attention à ce type de plaisir. Cette augmentation de puissance est-elle réelle ou purement illusoire? A mon sens, du fait même qu'il s'agit d'une Joie, elle est réelle. En cela elle est donc bonne. Et à partir de ce moment-là on peut dire qu'ici vaut ce qui vaut partout ailleurs: toute Joie est bonne aussi longtemps qu'elle n'est pas excessive, qu'elle ne sollicite pas exclusivement notre attention, qu'elle n'entrave pas la production de Joies qui relèvent de la raison ou du troisième genre de connaissance.

Conclusion: le plaisir esthétique n'est pas une Admiration, il ne peut donc relever d'un quelconque "narcissisme". Il n'est pas Orgueil non plus, du moins aussi longtemps qu'il ne devient pas excessif. Dans ce sens précis, un plaisir esthétique ne doit pas être "pur" de tout narcissisme parce que par définition, il ne peut être narcissique, dans un spinozisme. Le problème des plaisirs esthétiques ne réside pas dans leur éventuelle "impureté" (terme que Spinoza n'utilise pas, d'ailleurs), mais dans leurs éventuels excès.

De même, le fait qu'il y ait une part d'imaginaire dans tout plaisir esthétique (puisqu'il s'agit avant tout d'une affection du corps, c'est-à-dire de ce que Spinoza appelle "image") n'en fait à mon sens aucunement une "Joie mauvaise". Il suffit d'AJOUTER à l'idée de cette affection (donc à l'imagination) une deuxième idée, idée rationnelle cette fois-ci, qui nous rappelle que ce qui nous donne un tel type de plaisir dit davantage sur notre état et notre corps à nous que de la chose ou du corps extérieur qui nous donne ce plaisir. Cette deuxième idée, idée adéquate, ne détruit pas la première, donc ne détruit pas le plaisir. Elle peut seulement aider à ne pas commencer à faire de ce corps extérieur plus d'état qu'il n'est juste, et donc à comprendre qu'il ne faut pas absolument orienter toute sa recherche du bonheur sur le fait d'avoir de tels corps en sa présence.

Autrement dit, je ne crois pas qu'il faut en passer par une idée de la Nature dans son essence avant de pouvoir dire qu'un plaisir esthétique est "bon". En tant qu'il est imagination, il est déjà bon, car c'est une Joie, et il reste bon aussi longtemps qu'il ne devient pas excessif, c'est-à-dire qu'il n'entrave nullement notre rechercher de la vérité. Inversement, il faudrait donc pouvoir démontrer en quoi cette recherche serait rendue plus difficile dès que l'on admet de tels plaisirs, pour pouvoir comprendre en quoi, en tant que Joie imaginaire, ils seraient déjà mauvais.

Sescho a écrit :L’imagination intervient lorsque l’on attribue les sensations aux choses mêmes, pas lorsque l’on dit que certains modes sont affectés de telle ou telle façon par les choses, me semble-t-il.


je ne crois pas que l'imagination se résume à cela. Elle est avant tout une faculté de "temporalisation", au sens où elle est définit par le fait de nous "rendre présent" des corps extérieurs. Il se fait que si l'on s'en tient à cela, on aura tendance à attribuer à ces corps extérieurs ce qui relève davantage de l'état de notre Corps à nous, mais je ne crois pas qu'en disant cela, on a tout dit, en ce qui concerne l'imagination. En tant que faculté de "rendre présent" à l'esprit, l'imagination peut nous être d'une grande aide, si nous voulons devenir sage. C'est ce qu'explique notamment le scolie de l'E5P10: on a bel et bien besoin de l'imagination et de la mémoire pour avoir "toujours" (= terme temporel) à l'esprit les règles de la vie préconisées par Spinoza (chercher partout le bon, aimer son prochain, ne pas se focaliser sur les vices des autres, etc). Le sage n'est donc pas celui qui essaie de se défaire de son premier genre de connaissance, c'est celui qui a appris à transformer en art ce qui, sans cela, peut nous induire en erreur. C'est alors que le fait que ce que nous appelons "beau", par exemple, est tout à fait "relatif" à notre corps et à son histoire, n'est plus un argument pour se détourner de ce type de beauté.

Enfin, ceci n'est qu'une tentative d'appliquer le spinozisme à la question de Nepart, basée sur la discussion précédente. Je sens bien que certains passages demandent d'être davantage clarifié, et je suppose qu'elle contient de toute façon des interprétations discutables, donc toute objection est la bienvenue.
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Messagepar sescho » 18 févr. 2008, 19:00

Quelque chose me dit que sur son ile le sage ne prêterait pas grande attention à sa mise. A sa santé, oui. Y a-t-il un pur plaisir à se vêtir de telle ou telle façon ? Je n'en suis pas convaincu (j'entends : alors même que le vêtement n'apporte que du confort.) Le Mythe de Narcisse n'a pas été produit pour rien, et il me semble évident qu'il y a pas mal de soins vestimentaires sous-tendus par une forme de narcissisme (ou la pulsion sexuelle.) Mais, comme je l'ai déjà dit, un certain soin à son apparence n'est pas pour moi une inconvenance même pour le sage, au contraire.

Sur l'esthétique "pure", le relativisme absolu me semble une erreur évidente. Mais pour autant, il y a effectivement probablement une certaine variété. Ne dit-on pas "les goûts et les couleurs ne se discutent pas" ?

Sur les distinctions du beau (je pensais être clair) je fais par exemple la différence entre trouver beau un tableau par les proportions et l'harmonie des teintes, et trouver beau une simple cime enneigée et balayée par le vent, pour sa pureté, ou un marché pour la vie qui s'y déroule, jusqu'à une friche industrielle ou n'importe quoi d'autre, parce que c'est l'Amour de la Nature universelle dans toutes ses manifestations qui s'impose. Mais je suis d'accord que déconnecter un pur "sens esthétique" du reste du Mental n'est pas chose évidente.

Louisa a écrit :Mais cela est-ce la même chose de ce qu'on veut dire habituellement quand on parle de narcissisme? Le Petit Robert définit le narcissime comme étant une "admiration de soi-même, attention exclusive portée à soi-même". Or chez Spinoza, l'Admiration ...

Personnellement, je pense qu'il est risqué de transposer un mot dans le vocabulaire de Spinoza. C'est la définition de celui-ci qui s'impose, avec ses à-côtés, dont des traits de comportement partiellement apparentés par le sens commun. En l'occurence, Spinoza dit que ce n'est pas une passion mais qu'il la mentionne parce qu'on a donné à tout un tas de passions des noms particuliers lorsqu'elles s'accompagnaient d'une telle fixation. La question se reporte donc sur les passions en question.

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P52S : Cette affection de l’âme, savoir, la représentation d’une chose singulière, en tant qu’elle est dans l’âme, à l’exclusion de toute autre représentation, se nomme admiration ; quand elle est excitée en nous par un objet que nous redoutons, on la nomme consternation ; parce qu’alors cette affection attache notre âme avec une telle force qu’elle est incapable de penser à d’autres objets, qui cependant pourraient la délivrer du mal qu’elle craint. Quand l’objet de notre admiration c’est la prudence de quelque personne, ou son industrie, ou choses semblables, on donne à ce sentiment le nom de vénération, parce qu’il nous détermine à considérer la personne que nous admirons comme très supérieure à nous. D’autres fois il prend le nom d’horreur, si c’est la colère ou la haine d’un homme qui excite notre admiration. Enfin, quand il nous arrive d’admirer la prudence ou l’industrie d’une personne aimée, l’amour alors s’en augmente (par la Propos. 12, partie 3) ; et cet amour, accompagné d’admiration ou de vénération, nous l’appelons dévotion. On peut concevoir de la même façon que la haine, l’espérance, la sécurité, et d’autres affections encore, se trouvent unies à l’admiration ; et par conséquent il nous serait aisé de déduire de cette analyse un nombre de passions plus grand qu’il n’y a de mots reçus pour les exprimer, ce qui fait bien voir que les noms des passions ont été formés d’après l’usage vulgaire bien plus que d’après une analyse approfondie.

A l’admiration s’oppose le mépris, dont la cause est pourtant le plus souvent que nous sommes déterminés, quand nous voyons quelqu’un admirer, aimer, craindre un certain objet, ou quand cet objet nous paraît au premier aspect semblable à ceux que nous admirons, que nous aimons, que nous craignons, nous sommes, dis-je, déterminés à l’admirer, à l’aimer, à le craindre. Mais s’il arrive que la présence de cet objet ou qu’un examen plus attentif nous force de reconnaître en lui l’absence de tout ce qui pouvait exciter notre admiration, notre amour, notre crainte, l’âme alors se trouve déterminée par la présence même de cet objet à penser beaucoup plus aux qualités qu’il ne possède pas qu’à celles qu’il possède ; tandis qu’elle est accoutumée, à l’aspect d’un objet présent, à remarquer surtout les qualités qui sont en lui. De même que la dévotion provient de l’admiration qu’on a pour un objet aimé, la dérision a sa source dans le mépris d’une personne qu’on hait ou qu’on redoute ; et le dédain naît du mépris de la sottise, comme la vénération naît de l’admiration de la prudence. Enfin l’on peut concevoir l’union de l’amour, de l’espérance, de la gloire et des autres passions avec le mépris, et en déduire une foule de passions nouvelles qui n’ont pas reçu de l’usage des noms particuliers.

Il y a aussi le "contentement de soi," qui part en vrille aussi :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P55 : Lorsque l’âme se représente sa propre puissance, elle est par là même attristée.

...

Corollaire : Si l’on se représente qu’on est l’objet du blâme d’autrui, cette tristesse en est de plus en plus accrue ; ce qui se démontre de la même façon que le Corollaire de la Propos. 53, partie 3.

Scholie : Cette tristesse, accompagnée de l’idée de notre faiblesse, se nomme humilité ; et l’on appelle contentement de soi ou paix intérieure la joie qui provient pour nous de la contemplation de notre être. Or, comme cette joie se produit chaque fois que l’homme considère ses vertus, c’est-à-dire sa puissance d’agir, il arrive que chacun se plaît à raconter ses propres actions et à déployer les forces de son corps et de son âme, et c’est ce qui fait que les hommes sont souvent insupportables les uns pour les autres. De là vient aussi que l’envie est une passion naturelle aux hommes (voyez le Schol. de la Propos. 24 et le Schol. de la Prop. 32, partie 3), et qu’ils sont disposés à se réjouir de la faiblesse de leurs égaux ou à s’affliger de leur force. Chaque fois, en effet, qu’un homme se représente ses propres actions, il éprouve de la joie (par la Propos. 53, partie 3), et une joie d’autant plus grande qu’il y reconnaît plus de perfection et les imagine d’une façon plus distincte ; en d’autres termes (par ce qui a été dit dans le Schol. 1 de la Propos. 40, partie 2), il est d’autant plus joyeux qu’il distingue davantage ses propres actions de celles d’autrui et les peut mieux considérer comme des choses singulières. Par conséquent, le plaisir le plus grand que l’on puisse trouver dans la contemplation de soi-même c’est d’y considérer quelque qualité qui ne se rencontre pas dans le reste des hommes. Si donc ce qu’on affirme de soi-même se rapporte à l’idée universelle de l’homme ou de l’animal, la joie qu’on éprouve en sera beaucoup moins vive ; et l’on ressentira même de la tristesse si l’on se représente ses propres actions comme inférieures à celles d’autrui. Or, cette tristesse, on ne manquera pas de faire effort pour s’en délivrer (par le Propos. 28, partie 3), et le moyen d’y parvenir, ce sera d’expliquer les actions d’autrui de la manière la plus défavorable et de relever autant que possible les siennes propres. On voit donc que les hommes sont naturellement enclins à la haine et à l’envie ; et l’éducation fortifie encore ce penchant, car c’est l’habitude des parents d’exciter les enfants à la vertu par le seul aiguillon de l’honneur et de l’envie. On pourrait cependant objecter ici que nous admirons souvent les actions des autres hommes et les entourons de nos respects. Pour dissiper ce scrupule, j’ajouterai le Corollaire qui va suivre.

Corollaire : Personne ne conçoit d’envie pour la vertu, si ce n’est dans son égal.

...

Scholie : Lors donc que nous avons dit, dans le Schol. de la Propos. 52, partie 3, que notre vénération pour un homme vient de ce que nous admirons sa prudence, sa force d’âme, etc., il est bien entendu (et cela résulte de la Propos. elle-même) que nous nous représentons alors ces vertus, non pas comme communes à l’espèce humaine, mais comme des qualités exclusivement propres à celui que nous vénérons ; et de là vient que nous ne les lui envions pas plus que nous ne faisons la hauteur aux arbres et la force aux lions.

Mais est quand-même le très positif dans sa version saine ([véritable] gloire) :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3AppD25 : La paix intérieure est un sentiment de joie qui provient de ce que l’homme contemple son être et sa puissance d’agir.

E3AppD30 : La vanité [Pautrat : Gloire] est un sentiment de joie accompagné de l’idée d’une action que nous croyons l’objet des louanges d’autrui.

E5P36S : Ceci nous fait clairement comprendre en quoi consistent notre salut, notre béatitude, en d’autres termes notre liberté, savoir, dans un amour constant et éternel pour Dieu, ou si l’on veut, dans l’amour de Dieu pour nous. Les saintes Ecritures donnent à cet amour, à cette béatitude, le nom de gloire, et c’est avec raison. Que l’on rapporte en effet cet amour, soit à Dieu, soit à l’âme, c’est toujours cette paix intérieure qui ne se distingue véritablement pas de la gloire (voyez les Déf. 25 et 30 des passions). Si vous le rapportez à Dieu, cet amour est en lui une joie (qu’on me permette de me servir encore de ce mot) accompagnée de l’idée de lui-même (par la Propos. 35, part. 5) ; et si vous le rapportez à l’âme, c’est encore la même chose (Par la Propos. 27, part. 5). ...


Louisa a écrit :En tant que faculté de "rendre présent" à l'esprit, l'imagination peut nous être d'une grande aide, si nous voulons devenir sage...

Certes. Mais nous ne parlons plus du sage, alors...

Pour finir, notre bon Maître a encore pas mal de ressources pour nous éclairer :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P45C2S : Entre la dérision (que j’ai appelée passion mauvaise dans le Coroll. 1) et le rire, je reconnais une grande différence ; car le rire, comme le badinage, est un pur sentiment de joie ; par conséquent il ne peut avoir d’excès et de soi il est bon (par la Propos. 41, part. 4). En quoi, en effet, est-il plus convenable de soulager sa faim ou sa soif que de chasser la mélancolie ? Telle est du moins ma manière de voir, quant à moi, et j’ai disposé mon esprit en conséquence. Aucune divinité, ni qui que ce soit, excepté un envieux, ne peut prendre plaisir au spectacle de mon impuissance et de mes misères, et m’imputer à bien les larmes, les sanglots, la crainte, tous ces signes d’une âme impuissante. Au contraire, plus nous avons de joie, plus nous acquérons de perfection ; en d’autres termes, plus nous participons nécessairement à la nature divine. Il est donc d’un homme sage d’user des choses de la vie et d’en jouir autant que possible (pourvu que cela n’aille pas jusqu’au dégoût, car alors ce n’est plus jouir). Oui, il est d’un homme sage de se réparer par une nourriture modérée et agréable, de charmer ses sens du parfum et de l’éclat verdoyant des plantes, d’orner même son vêtement, de jouir de la musique, des jeux, des spectacles et de tous les divertissements que chacun peut se donner sans dommage pour personne. En effet, le corps humain se compose de plusieurs parties de différente nature, qui ont continuellement besoin d’aliments nouveaux et variés, afin que le corps tout entier soit plus propre à toutes les fonctions qui résultent de sa nature, et par suite, afin que l’âme soit plus propre, à son tour, aux fonctions de la pensée. Cette règle de conduite que nous donnons est donc en parfait accord et avec nos principes, et avec la pratique ordinaire. Si donc il y a des règles différentes, celle-ci est la meilleure et la plus recommandable de toutes façons, et il n’est pas nécessaire de s’expliquer sur ce point plus clairement et avec plus d’étendue.



Serge
Modifié en dernier par sescho le 22 févr. 2008, 19:44, modifié 1 fois.
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