Louisa a écrit :non, dans ce cas tu parles d'une loi générale qui vaut pour toute vague, tu ne parles pas d'essences. Ton idée, dans ce cas-ci, porte sur ce que toutes les vagues ont en commun.
Oui, cela me va assez bien : il ne s'agit pas de l'essence d'une chose singulière, mais seulement (partiellement) de celle de Dieu.
Mais il est difficile de penser que ce que toutes les vagues ont en commun ne fait partie de l'essence d'aucune...
Mais je pense maintenant deviner ce que tu as en tête : pour toi seule une chose singulière a une essence (sauf Dieu, bien sûr, qui n'est pas une chose singulière.) Le contraire absolu de la Tradition. Ce sera l'occasion de revenir sur les essences de genre, mais pour autant ne prouve en rien que Spinoza ait dit qu'on pouvait en avoir connaissance adéquate (du troisième genre.) Donc nous ne sommes pas plus avancés.
Deux questions, en passant, si tu veux bien :
Cela apporte quoi d'après toi le deuxième genre (c'est à dire toute l'
Ethique intégralement) ?
Les lois existent-elles ou pas ?
Louisa a écrit :ok, j'avais effectivement compris que cela c'est la thèse que tu défends. Puisqu'elle est différente de la mienne, j'aimerais bien savoir sur quoi tu te bases pour obtenir une telle interprétation, puisque si tes arguments sont solides, je serai obligée d'abandonner la mienne, ce qui me ferait avancer beaucoup, et donc m'intéresse.
Bien. Bien. Ta modestie t'honore. Encore que, ne vendons pas la peau de l'ours... Avancer, pour l'instant, je ne le vois guère...
Eh bien, peut-être, puisque nous sommes embourbés sur le scholie de E5P36, pourrais-tu avancer un commentaire des phrases de Spinoza plus courtes que j'ai reproduites plus haut. Mettons celle-ci (mais toutes vont dans le même sens, et clairement, nous le verrons) :
E2P46Dm : … ce qui donne la connaissance de l’infinie et éternelle essence de Dieu est commun à toutes choses, et se trouve également dans la partie et dans le tout : d’où il suit (par la Propos. 38, partie 2) que cette connaissance est adéquate. C. Q. F. D.
Bien évidemment tout "argument" du type "oui, mais cela c'est le deuxième genre", qui n'explique rien, est exclu. La phrase commence par "la connaissance de l’infinie et éternelle essence de Dieu", ce qui est pour le moins du "lourd." Je rappelle aussi que Spinoza met en équivalence (avec éventuellement quelques nuances) "adéquate", "claire et distincte" et "vraie." Les extraits correspondants ont déjà été donnés par moi-même sur le forum.
Louisa a écrit :"Je ne peux pas! C'est une grande subtilité française". Que veux-tu dire par là???
De mémoire (mon allemand est très pauvre, résidu de quelques cours d'un passé lointain, je croyais même que c'était à moitié de l'allemand de cuisine) "kann" veut dire aussi "comprendre" (verstand.) Ce que je voulais dire c'est que je ne comprenais fichtre rien à ton développement.
Louisa a écrit :ok, dans ce cas il me faudra donc démontrer que cela vaut autant pour Dieu que pour l'homme. En voici une tentative: le TIE B34-35 reprend quasiment littéralement ce que je viens de dire.
J'ai repris les passages, je ne vois rien de tel. 34 parle surtout de l'idée de l'idée, et de toute façon à ce stade du TRE il s'agit de ce qui est souhaité, pas de ce qui est possible, ce que Spinoza redit bien dans 49. En revanche, la conclusion (quoiqu'il s'agisse d'un ouvrage interrompu) est évidemment à la fin, où se trouve précisément "l'échec" (éventuellement provisoire, mais selon moi entériné par Spinoza) dans la connaissance des choses singulières. Je te suggère de relire 99 à 103 (je ne mets pas les extraits pour ne pas incommoder...)
Louisa a écrit :... quels arguments te font penser qu'il y a une différence entre l'idée vraie dans l'Esprit humain et l'idée vraie dans l'entendement divin?
L'entendement humain vis-à-vis de l'entendement divin est comme le chien, animal aboyant, et le chien signe céleste, etc. (E1P17S) Pour le reste, à nouveau tous les extraits que j'ai reproduits à la suite plus haut. Il me semble en outre de la première évidence qu'on ne connaît aucune chose singulière dans tout son être. Dieu connaît tout comme il est, l'Homme non ; il ne connaît adéquatement que les lois, outre la réalité de Dieu-la Nature, les attributs, les modes infinis et l'existence modale (si on ne la considère pas impliquée par les modes infinis.)
Louisa a écrit :... d'une idée de troisième genre de connaissance. Ce que je viens de dire. Si tu n'es pas d'accord avec cela, où se trouve mon erreur, selon toi?
Je l'ai déjà précisé : il faut les trois (ou quatre) mots : "connaissance", "adéquate" (ou "claire" et/ou "distincte", ou "vraie"), "chose singulière" (ou "chose" et "singulière.") Toute citation qui comprend "connaissance" sans "adéquate" ou "chose" sans "singulière" ne te donne pas raison (ni tort ; cela ce sont les extraits que j'ai produits.)
L'exemple de la proportion... trois fois Spinoza l'a mis. Il est pourtant clair. Pourquoi ne pas vouloir lire ce qui est écrit ? Il s'agit au fond de la même chose pour les trois genres de connaissance : trouver une proportion. Dans le deuxième genre, on applique des règles ; dans le troisième, la proportion "saute aux yeux" en situation. Mais où est l'essence singulière, là ?
Louisa a écrit :Si quelque être humain était capable d"'intuitionner" la loi de la gravité, pourquoi personne ne l'a-t-il fait avant Newton?
Si Newton a eu besoin de calculs c'est parce qu'il voulait prédire le mouvement des astres et expliquer les relations de Kepler ; chose particulière qui n'intéresse pas tout le monde. Mais je me suis mal exprimé, je ne parlais pas d'une loi mathématique quantifiant la chose, mais de la Gravité même.
Louisa a écrit :Enfin, cette loi, comme toute loi naturelle, s'applique à toutes les choses singulières. Elle nous informe donc d'une propriété que toutes les choses sur terre ont en commun. Du coup, PAR DEFINITION elle ne dit rien des essences des choses singulières. Si tu veux que les lois portent sur l'essence des choses, tu es obligé de travailler avec l'idée d'une essence "commune", mais ce sont précisément ce genre d'universaux que Spinoza rejette explicitement.
Non je ne pense pas qu'il les rejette "sec" comme tu le laisses entendre (et nous n'allons pas reprendre du début, il ne fait que cela de les utiliser dans ses textes), mais une chose à la fois. Admettons que la gravité ne fasse partie de l'essence d'aucune chose singulière (cela se discute, mais admettons). La gravité existe-t-elle ou non ? Si oui, quelle est son essence ?
Louisa a écrit :Inversement, comment ferais-tu pour en faire une idée du troisième genre de connaissance? Sinon je me pose toujours la même question: comment, à partir de ton interprétation, distinguer le deuxième genre du troisième? Il me semble, entre-temps que pour toi la différence c'est que le deuxième genre énoncerait la loi en général, tandis que le troisième genre l'appliquerait à telle ou telle chose précise. Mais jamais Spinoza ne s'exprime en ces termes. Jamais il ne parle de l'application d'une loi quand il s'agit du troisième genre de connaissance. Puis encore une fois, les généralités qui s'appliquent à toutes les choses jamais ne concernent leur essence, dans le spinozisme, tandis que le troisième genre a une essence d'une chose singulière comme objet.
Nous en discutons, ou plutôt nous sommes sensés discuter de ce que Spinoza en dit. Et je dis que tout ce que Spinoza en dit exprime que ce que l'on voit par le troisième genre est désigné par le deuxième, mais vu non du tout en mots mais en action, en direct dans le monde réel, intuitivement. Il ne s'agit pas d'appliquer une sorte de "généralisation abusive" (comme tu le laisses entendre) aux choses réelles, il s'agit de voir des choses réellement générales (c'est à dire dans toutes les choses singulières, ou une partie d'entre elles) dans une en particulier qu'on a là, en face de soi. Sinon c'est vraiment à se demander pourquoi Spinoza a écrit l'
Ethique, entièrement basée sur le deuxième... Pour faire grossier, c'est la différence entre parler de manger un sandwich et le manger.
Serge
Connais-toi toi-même.