Enegoid a écrit :Il y a la définition du sens du mot essence.
Il y a la signification du mot essence souvent associé à la notion de définition. Ca tourne en rond et donne un peu le vertige : l’essence d’une chose est sa définition. La définition de « essence » est donc la définition de « définition »
en effet, cela me semble être un peu trop circulaire pour pouvoir être correcte, non ... ?
Dans le spinozisme, la définition de l'essence dit ceci:
"
Je dis appartenir à l'essence d'une chose ce dont la présence pose nécessairement la chose, et dont la suppression supprime nécessairement la chose"
Jusqu'ici,
nil novi sub sole, toute la tradition scolastique a ainsi défini l'essence. C'est ce qui fait des essences des "notions universelles", des choses présentes en toute chose singulière qui incarne cette essence (par exemple: Socrate incarne l'essence de l'homme, Enegoid incarne l'essence de l'homme, et ainsi de suite). Ici, l'essence "vaut" donc pour plusieurs choses singulières à la fois. Et quand l'une de ces choses meurt (quand Socrate boit la cibuë), cette essence de l'homme n'en reste pas moins tout à fait intacte, tout comme elle le demeurera à ta mort.
Mais Spinoza y ajoute (et cela change tout):
"
ou encore, ce sans quoi la chose, et inversement ce qui sans la chose, ne peut être ni se concevoir".
Ici, la chose qui a une essence est telle que quand la chose est supprimée, l'essence en question est supprimée aussi. Car sans la chose, l'essence de la chose ne peut pas être, ni être conçue. A partir de ce moment-là, il faut "singulariser" l'essence, au sens où il n'y aura toujours qu'une seule chose ayant cette essence-là, car sinon il serait possible qu'une chose A ayant cette essence est supprimée, tandis que l'essence continue à être et à pouvoir être conçue aussi longtemps qu'une deuxième chose B a la même essence. La deuxième condition ajouté par Spinoza à la définition de l'essence fait qu'il devient impossible de concevoir deux choses ayant la même essence.
Enegoid a écrit :S’il n’y a pas de définition de ce que l’on appelle l’essence d’une chose, je ne vois pas comment on peut se parler à propos de cette notion !
en effet. Mais heureusement Spinoza nous en a donné une.
Enegoid a écrit :Mais il est vrai que Spi permet une autre approche du 3ème genre en le reliant avec la notion d’idée vraie qui est elle même sa propre norme de vérité.(TRE 25 26 Appuhn) Je sais que j’ai une idée vraie de Pierre. Mais est-ce que j’ai une connaissance du 3ème genre de l’essence de Pierre ? Je ne sais pas…
je ne pourrai pas le dire à ta place, car mon Esprit et le tien sont deux modes différents .. . Pour pouvoir le savoir toi-même, il faut que tu aies l'impression d'avoir bien compris ce que c'est que le troisième genre de connaissance. En tout cas, il va d'abord falloir être affecté par un corps extérieur appelé "Pierre", sinon tu te poses la question en général, et le troisième genre de connaissance n'est pas une connaissance abstraite ou générale.
Sinon il me semble pour l'instant que Spinoza ne parle de "définition" en rapport avec une "essence" qu'en ce qui concerne ou bien Dieu, ou bien les êtres abstraits, mathématiques (le cercle, ...). Cette définition "exprime" (dans l'attribut de la pensée) la "nature" de la chose définie, mais, y ajoute-t-il, jamais elle ne peut nous dire combien d'individus il y a de cette nature. Cela pourrait sembler contradictoire avec la définition même qu'il donne de l'essence, mais je ne crois pas que c'est le cas.
Car d'une part, la nature de Dieu est telle qu'il n'y a qu'un seul Dieu. Là essence et nature sont donc identiques, des synonymes. Or plus j'y pense, plus je crois que pour les hommes il faut distinguer essence et nature (même si Spinoza ne semble pas le faire de manière très conséquente). Si la nature de l'homme semble être la même pour chaque homme (ce qui permet d'en avoir des axiomes/notions communes tels que "
L'essence de l'homme n'enveloppe pas l'existence nécessaire", ou "
tout ce qui suit de la nature humaine en tant qu'elle se définit par la raison, E4P35 démo), jamais Spinoza ne parle d'une possible "définition" de tel ou tel homme singulier.
C'est pourquoi je crois que la notion d'essence se laisse bel et bien définir, car la définition n'appartient qu'au deuxième genre, mais alors elle ne nous dit que ce que toutes les essences ont en commun, tandis que dès qu'il s'agit de saisir l'essence de tel ou tel homme, on ne peut plus se baser sur la connaissance du deuxième genre, qui ne nous dit que ce que cet homme a en commun avec d'autres, ce qui par définition ne peut constituer son essence à lui. Aucune connaissance générale ne pourra donc nous venir en aide pour connaître l'essence de telle ou telle chose singulière. Seul une intuition intellectuelle, une connaissance intuitive immédiate, un "voir d'un seul coup" pourra nous y donner accès, jamais une définition. Les définitions ne définissent que des "natures".
Or, encore une fois, en distinguant ainsi "nature" et "essence", je ne suis pas à 100% l'usage spinoziste de ces termes, puisque celui-ci dit également que les "
les hommes peuvent différer en nature" (E4P35), ce qui n'est pas cohérent avec le sens de "nature" que je viens de proposer. La nature humaine semble donc également se définir par les Passions de l'homme, et non pas seulement par ses Actions, et ainsi varier d'un homme à un autre, selon qu'il vit sous la conduite de la raison (est déterminé à agir selon des Actions) ou sous la conduite des Passions. N'empêche que cette différence semble être impossible au niveau des essences, et seulement se produire quant à l'existence dans la durée (E1P17). La nature de l'homme portant éventuellement sur ce que l'homme peut avoir en commun avec un autre homme, sans constituer son essence singulière à lui, faudrait-il dire que du point de vue éternel il n'y a que des essences, et plus rien que les choses ont en commun ... ? Bref, en ce qui me concerne je n'y vois pas encore très clair.
Enegoid a écrit :Citation:
Puis bon, il se fait que depuis des siècles la philosophie (et elle seule) a écrit des bibliothèques par rapport à la connaissance intuitive. Je ne comprends donc pas très bien ce qui te fait dire que la philosophie n'en a rien à dire.. ?
La philosophie a beaucoup à dire sur la notion d’essence, et sur cette notion appliquée à une chose singulière. Mais personne ne sait dire, et le philosophe pas plus qu’un autre ce qu’est l’essence singulière de Pierre.
ceux parmi les philosophes qui travaillent avec l'idée de pouvoir avoir une connaissance adéquate de la singularité d'une chose, travaillent effectivement avec le concept d'une intuition intellectuelle, qui parce qu'elle est immédiate ne s'acquiert qu'en l'ayant, en étant en contact direct avec la chose, et ne se communique pas par des idées ou verbalement. La seule chose qui se communique, c'est ce que c'est que cette connaissance par intuition intellectuelle, en quoi elle consiste, en général. En revanche, pour avoir soi-même une intuition intellectuelle, il faut en faire l'expérience, contrairement à la connaissance rationnelle, qui elle se communique entièrement et sans reste.
Par exemple: il suffit que quelqu'un nous explique bien comment fonctionne la loi de gravitation pourque nous ayons réellement une connaissance adéquate de cette loi, et il suffit que nous ayons compris cette loi pour ensuite pouvoir l'appliquer à n'importe quelle chose particulière. Il n'y a rien de "mystique" là-dedans, rien qui touche à ce qu'on appelle traditionnellement une "intuition intellectuelle". Cette connaissance intuitive ou mystique seule nous donne accès à ce qui jamais ne se laisser subsumer par une généralité, à ce qui est absolument particulier.
Quand je connais la loi de la gravitation, je pourrai dire à petit un enfant qu'il ne doit pas monter trop haut sur une échelle car ayant un corps comme n'importe quel autre, il tombera quand il est distrait. Je sais donc par avance, même sans avoir été dans la situation concrète où l'enfant tombe réellement, comment est et va être son corps. Le fait qu'il tombe réellement n'ajoute RIEN à mon savoir sur son corps tel que je l'ai avant qu'il tombe. C'est tout à fait différent avec une intuition intellectuelle, où nous ne savons strictement RIEN de ce qui est intuitionné avant le contact directe avec la chose intuitionnée, et où par après cette connaissance ne nous sert à rien non plus pour pouvoir prédire quelque chose d'une AUTRE chose, puisque par définition, il s'agit de ce que les choses n'ont PAS en commun les unes avec les autres.
Enegoid a écrit :Pour terminer : je n’ai rien contre l’intuition à propos d’une chose singulière.
La seule chose qui me paraît à peu près claire est que si l’on ne passe pas par les choses singulières, on ne connaît rien (je ne sais rien de l’homme si je n’en ai pas perçu au moins un).
cela, c'est ce que propose l'empirisme. Traduit dans le spinozisme: il faut d'abord être affecte par le corps d'une chose extérieure avant de pouvoir en savoir quelque chose, et avant de pouvoir "extrapoler" ce savoir à d'autres choses. La connaissance du général PART bel et bien du particulier. Mais une fois qu'on l'a, une fois qu'on a trouvé la formule générale, il n'est plus besoin de la vérifier sur chaque chose qui tombe sous sa règle, on sait qu'elle y obéira.
Enegoid a écrit :D’autre part, il y a l’expérience que l’on peut faire d’accorder son attention à une chose singulière (en la dessinant ou en la peignant, par exemple) : il me semble qu’elle croit en dignité, cette chose à laquelle j’apporte mon attention. Mais ce n’est pas de la philosophie !
non, et ce n'est pas la connaissance intuitive, immédiate non plus, car tu connais par le biais de ton crayon, tu ne prends que la forme extérieure de la chose, telle qu'elle frappe tes yeux sensibles. La connaissance intuitive est un voir qui est intellectuel et non pas sensible (ce que Spinoza appelle "les yeux du mental", contrairement aux yeux de mon corps) - qu'il passe lui aussi par une affection du corps, donc une affection sensible, n'y change rien. C'est bien ce qui est étrange dans cette intuition immédiate intellectuelle (et qui a notamment fait que depuis quelques siècles une majorité de courants philosophiques la trouvent absurde, à jeter, tandis qu'au XVIIe, Spinoza n'est pas du tout le seul à proposer une connaissance par intuition intellectuelle (Malebranche par exemple l'a fait aussi, et sans avoir lu Spinoza)).
Enegoid a écrit :Enfin, je pense au Roquentin ( ?) de la Nausée de Sartre qui éprouve cette nausée en concentrant son attention sur l’écorce d’un arbre (si mes souvenirs sont bons). Loin de la béatitude du 3ème genre !
c'est clair!