Je m'oppose à l'idée qu'il existe une nature humaine (une essence), car pour moi, les individus sont la seule réalité. Il n'y a rien que l'ensemble des individus humains partagent, sinon un patrimoine génétique et un milieu. L'homme n'est rien à part de cela. Les essences ne sont qu'une fiction du cerveau destinée à expliquer les ressemblances entre individus. Une fiction que l'on a intérêt à remplacer par le principe d'uniformité des lois de la nature.
Bien sûr il resterait à donner une raison à cette uniformité. Pourquoi la planète Neptune obéit-elle aux mêmes lois que la Terre? Mais je ne crois pas que l'on aille bien loin en multipliant les essences à chaque fois que l'on découvre de nouvelles lois. L'essentialisme appartient à un univers de pensée pré-scientifique.
L'homme n'existe pas si on entend par là une essence universelle. Le concept même d'espèce en biologie n'est qu'une simple convention utile.
L'idée qu'il existe des essences est à la fois utile et nuisible en morale. Utile, parce que l'on peut dire que la nature humaine est sacrée, ce qui protège les droits de l'homme. Nuisible, parce qu'une fois qu'on a commencé à projeter des essences dans l'univers, on peut très bien continuer et distinguer des sous-groupes d'humains, comme le faisaient les nazis, et être tenté de les hiérarchiser.
De toute façon, puisque les essences sont une fiction, on a deux choix en morale: ou bien on fait «comme si» ces fictions étaient réelles (ce qui, à mon avis, ne mènera pas loin), ou bien on essaie de fonder la morale sur de nouvelles bases, par exemple la perspective aristotélicienne.
L'homme n'existe pas
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Re: L'homme n'existe pas
Alexandre_VI a écrit :(...) Les essences ne sont qu'une fiction du cerveau destinée à expliquer les ressemblances entre individus.(...)
A mon sens, une essence est plutôt destinée à désigner ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est et pas autre chose, destinée à singulariser.
L'essentiel dans une chose, le spécifique.
Ce sont les universaux qui rassemblent sur des ressemblances.
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à Louisa,
Un degré de puissance? Cela signifie-t-il que toutes les choses sont hiérarchisées, de la moins puissante à la plus puissante?
Dans la perspective thomiste, il n'existe pas d'essence pure, mais seulement des essences individualisées et accompagnées de certains accidents, répartis en neuf catégories. De même, le patrimoine génétique est toujours en interaction avec l'extérieur.
Louisa a écrit :A Alexandre VI
non, chez Spinoza cette essence s'identifie à un degré de puissance, donc de production d'effets. Isole le génome, et tu auras quelque chose de complètement impuissant.
Un degré de puissance? Cela signifie-t-il que toutes les choses sont hiérarchisées, de la moins puissante à la plus puissante?
Dans la perspective thomiste, il n'existe pas d'essence pure, mais seulement des essences individualisées et accompagnées de certains accidents, répartis en neuf catégories. De même, le patrimoine génétique est toujours en interaction avec l'extérieur.
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Re: L'homme n'existe pas
bardamu a écrit :Alexandre_VI a écrit :(...) Les essences ne sont qu'une fiction du cerveau destinée à expliquer les ressemblances entre individus.(...)
A mon sens, une essence est plutôt destinée à désigner ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est et pas autre chose, destinée à singulariser.
L'essentiel dans une chose, le spécifique.
Ce sont les universaux qui rassemblent sur des ressemblances.
Ce n'est pas une façon de régler le problème. On constate une singularité, et cela nous amène à inventer une cause unique pour l'expliquer. Mais peut-être y a-t-il d'innombrables facteurs qui expliquent pourquoi un être est ce qu'il est? Il me semblerait plus juste de dire que chaque individu se situe au point de convergence de multiples processus naturels et culturels.
Alexandre VI a écrit :
Un degré de puissance? Cela signifie-t-il que toutes les choses sont hiérarchisées, de la moins puissante à la plus puissante?
Bonjour Alexandre VI,
pour autant que je sache, Spinoza ne parle pas vraiment de "hiérarchie". Quand il dit que Dieu ou la Nature est un seul Individu, par exemple, il veut dire par là, il me semble (voir le scolie de l'E2 Lemme VII), que la Nature est un Individu composé, possédant une essence qui le caractérise, tandis que les choses singulières sont elles aussi des Individus, chacune composé d'une infinité d'autres Individus. Chaque Individu possède une essence singulière, qui est exprimée dans le rapport qui caractérise l'ensemble des Individus qui la composent. Ceux-ci peuvent d'ailleurs être remplacé à l'envi: aussi longtemps que les nouveaux Individus (corps) qui les remplacent expriment le même rapport, l'Individu composé qu'est la chose singulière reste intacte.
Au lieu d'une hiérarchie, nous aurions donc plutôt un système genre poupées russes: les plus petits corps composent des Individus, qui à leur tour composent des Individus plus grands, jusqu'à ce qu'on arrive à Dieu, l'Individu composé de tous les Individus qui existent.
Alexandre VI a écrit :
Dans la perspective thomiste, il n'existe pas d'essence pure, mais seulement des essences individualisées et accompagnées de certains accidents, répartis en neuf catégories. De même, le patrimoine génétique est toujours en interaction avec l'extérieur.
puis-je comprendre par là que dans le thomisme, il n'y a pas de réalisme d'universaux, que tout universal est toujours déjà "incarné" dans la chose dont il est l'essence? Si oui, je suppose qu'il s'agit d'autre chose encore que d'essences "singulières" - celles-ci étant propres à une seule chose (une essence différente par homme, par exemple), tandis que tel que tu l'expliques pour le thomisme, on s'imagine facilement une seule essence pour tous les hommes, essence qui n'existe que dans chaque homme individuel, et jamais "en soi", en tant qu'universal?
Quand au patrimoine génétique: je ne vois pas très bien le lien. Si tu veux voir en l'ADN ce à quoi réfère l'essence singulière, je répondrai ce que tu viens d'écrire toi-même:
Alexandre VI a écrit :On constate une singularité, et cela nous amène à inventer une cause unique pour l'expliquer. Mais peut-être y a-t-il d'innombrables facteurs qui expliquent pourquoi un être est ce qu'il est? Il me semblerait plus juste de dire que chaque individu se situe au point de convergence de multiples processus naturels et culturels.
Dans cette optique, l'ADN n'est qu'un parmi ces multiples facteurs. La manière dont l'histoire personnelle a façonné le cerveau en est un autre. La manière dont l'interaction avec l'environnement continue à le façonner un autre encore.
Sinon je suis d'accord avec Bardamu: il ne faut point une seule cause pour pouvoir concevoir des essences singulières. Ce qui singularise une telle essence, ce sont les effets qu'elle produit. Que cette essence ait eu de multiples causes ne change rien au fait que les effets produits par elle sont uniques, et ne caractérisent qu'elle et aucune autre chose singulière. Si tu veux raisonner en termes de causes, on pourrait dire qu'une chose/essence singulière est une combinaison unique d'un ensemble de causes multiples (par exemple, quand je produis l'effet qu'est ce message, c'est bel et bien moi, dans ma singularité unique, qui l'écris; personne d'autre n'aurait pu l'écrire à ma place; mais cela n'empêche que le fait que je l'écris a été causé par une série complexe de causes, pas du tout par une seule cause unique).
Ps: je n'oublie pas ton dernier message dans l'autre fil, auquel je dois encore répondre.
- Alexandre_VI
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Bonjour Louisa,
Merci de l'intérêt que tu me témoignes.
Ta première remarque me fait penser aux niveaux d'organisation en biologie (moléculaire, cellulaire, tissus, organes, systèmes, corps, écosystème). Si Spinoza a anticipé sur les niveaux d'organisation, il est drôlement actuel. C'est une façon très pertinente de concevoir le réel.
Selon Lovelock, l'ensemble des êtres vivants sur Terre forme lui-même une sorte de superorganisme, qu'il appelle Gaïa. Mais cela n'est pas encore l'ensemble de l'univers.
Autant que je puisse en juger, tu as très bien saisi le point de vue thomiste sur les universaux. Eux-mêmes qualifient leur position de réalisme modéré, à mi-chemin entre le réalisme exagéré de Platon et le nominalisme. Les essences n'existent qu'incarnées, mais chaque essence est multipliable à l'infini. De plus, tous les individus qui existeront n'épuiseront jamais les possibilités d'expression d'une essence.
Selon les thomistes, en Dieu l'essence s'identifie à l'existence (esse).
Le rapprochement entre essence et ADN est facile: l'essence est immuable chez un individu, l'ADN aussi en principe, sauf possibilités de mutations. Ce qui ne s'explique pas par l'ADN provient du milieu, qui est variable (bien qu'il existe un petit nombre d'éléments constants à travers toutes les cultures). Et justement, ce qui n'est pas essentiel est dit accidentel, et variable. Mais je t'accorde que, au sens strict, l'essence n'est pas identique à l'ADN.
Un être se singularise par les effets qu'il produit? Je ne suis pas d'accord, ce n'est pas là une explication. Les effets ne servent pas à expliquer la singularité: elles ne font que la manifester. De même, pour le croyant, le monde manifeste Dieu, mais le monde n'explique pas Dieu. C'est le contraire. Un effet est nécessairement postérieur en principe à un être, et donc ne peut être utilisé pour expliquer cet être même.
Je n'ai pas d'opinion ferme sur le problème du principe d'individuation, mais il se peut bien que ce soit un faux-problème. Les êtres sont individuels parce que c'est uniquement sous cette forme qu'ils peuvent exister. Quand on a expliqué l'existence d'un être, on a expliqué de surcroît son individualité.
Merci de l'intérêt que tu me témoignes.
Ta première remarque me fait penser aux niveaux d'organisation en biologie (moléculaire, cellulaire, tissus, organes, systèmes, corps, écosystème). Si Spinoza a anticipé sur les niveaux d'organisation, il est drôlement actuel. C'est une façon très pertinente de concevoir le réel.
Selon Lovelock, l'ensemble des êtres vivants sur Terre forme lui-même une sorte de superorganisme, qu'il appelle Gaïa. Mais cela n'est pas encore l'ensemble de l'univers.
Autant que je puisse en juger, tu as très bien saisi le point de vue thomiste sur les universaux. Eux-mêmes qualifient leur position de réalisme modéré, à mi-chemin entre le réalisme exagéré de Platon et le nominalisme. Les essences n'existent qu'incarnées, mais chaque essence est multipliable à l'infini. De plus, tous les individus qui existeront n'épuiseront jamais les possibilités d'expression d'une essence.
Selon les thomistes, en Dieu l'essence s'identifie à l'existence (esse).
Le rapprochement entre essence et ADN est facile: l'essence est immuable chez un individu, l'ADN aussi en principe, sauf possibilités de mutations. Ce qui ne s'explique pas par l'ADN provient du milieu, qui est variable (bien qu'il existe un petit nombre d'éléments constants à travers toutes les cultures). Et justement, ce qui n'est pas essentiel est dit accidentel, et variable. Mais je t'accorde que, au sens strict, l'essence n'est pas identique à l'ADN.
Un être se singularise par les effets qu'il produit? Je ne suis pas d'accord, ce n'est pas là une explication. Les effets ne servent pas à expliquer la singularité: elles ne font que la manifester. De même, pour le croyant, le monde manifeste Dieu, mais le monde n'explique pas Dieu. C'est le contraire. Un effet est nécessairement postérieur en principe à un être, et donc ne peut être utilisé pour expliquer cet être même.
Je n'ai pas d'opinion ferme sur le problème du principe d'individuation, mais il se peut bien que ce soit un faux-problème. Les êtres sont individuels parce que c'est uniquement sous cette forme qu'ils peuvent exister. Quand on a expliqué l'existence d'un être, on a expliqué de surcroît son individualité.
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