L'homme n'existe pas

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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sescho
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Re: L'homme n'existe pas

Messagepar sescho » 14 juin 2008, 17:03

Alexandre_VI a écrit :Je m'oppose à l'idée qu'il existe une nature humaine (une essence), car pour moi, les individus sont la seule réalité. Il n'y a rien que l'ensemble des individus humains partagent, sinon un patrimoine génétique et un milieu. L'homme n'est rien à part de cela. Les essences ne sont qu'une fiction du cerveau destinée à expliquer les ressemblances entre individus.

Je me demande si à force de conceptualiser, nous ne perdons pas le sens, en fait...

L'essence est à la base quelque chose de très simple : ce qu'une chose est. C'est quelque chose d'assez intuitif s'agissant d'une chose existante, encore que relevant du premier genre de connaissance.

Dans l'élévation de la connaissance, il apparaît quelque chose de commun à toutes les choses singulières : elles ne sont pas en elles-mêmes, mais en autre chose : Dieu - la Nature. C'est la vérité, et commence pour le moins à faire vaciller l'idée que seules les choses singulières existantes existent. Ce qu'elles sont appartient donc à Dieu.

Note : Il y a même des moments où je me demande si Spinoza n'a pas que cela en vue, et rien d'autre. C'est en tout cas l'alpha et l'omega de l'Ethique (qui se relie - et se relit - en boucle.)

Les ressemblances sont-elles réelles ou non? Si elles ne le sont pas, aucune notion générale n'a de pertinence, et donc aucun raisonnement non plus, qui ne connaît que les générales. Et donc la conclusion c'est que la seule solution économique est de ne rien dire du tout, vu que cela n'a aucun sens.

Ou alors cela a un sens, et il n'y a alors aucune raison de nier que cela a un sens (que cela recèle une part de vérité, donc, même s'agissant d'un "être de raison.")

Cela a un sens, et il est évident, par exemple, qu'il y a une communauté de nature importante entre les différents individus humains, et donc une essence commune. On peut éventuellement parler des essences par genre et différence, mais c'est un peu biaisé, me semble-t-il, car cela sous-tend qu'on met la chose singulière existante en premier. Et les raisonnements portent sur cette essence commune, quoique n'étant l'essence d'aucune chose particulière (dans son entier), et c'est cela seulement qui peut être vu selon le deuxième genre, puis par l'intuition selon le troisième, comme constituant partiellement l'essence d'une chose singulière existant en acte avec laquelle on est en contact. L'essence d'une chose singulière dans son entier est en revanche largement hors de portée de la connaissance adéquate (trop de complexité, en particulier.)

Qui dit essence commune, dit que l'essence individuelle, strictement parlant, n'existe pas ! Pour le dire autrement : il n'y a pas d'individuation absolue dans l'essence. C'est pourquoi toute la Tradition dit que les autres sont des autres moi-même, en particulier. Spinoza en est et donc manie les "essences de genre" en toute conséquence.

La dernière question est : Dieu - la Nature change-t-il ou non ? La considération que la Nature est "cause de soi", qu'elle est donc éternelle et immuable (elle ne saurait elle-même se surpasser ou se restreindre), répond assurément : Non, elle ne change pas, quoique le changement s'y déroule en permanence. Tout ce qu'ont de réel les choses existantes à un instant donné (lesquelles se produisent à l'infini temporel) est donc partie de Dieu - la Nature, et donc éternel. Le reste est fiction.

Et il n'y a en Dieu aucune "collection", "penderie", d'essence singulières, mais un continuum d'essence, qui est l'essence divine même, sans aucune redondance.

Alexandre_VI a écrit :Une fiction que l'on a intérêt à remplacer par le principe d'uniformité des lois de la nature.

Je suis assez d'accord, mais Spinoza présente et donc concilie les deux approches. Et elles se concilient effectivement : l'ensemble attributs - entendement - mouvement - modalité - lois détermine toutes les choses singulières, et c'est ce qui est le plus solide (mais met passablement à mal la notion d'"individu", justement, et exclut largement la réalité intrinsèque des "choses singulières" ; c'est d'ailleurs très exactement la position bouddhiste.) Mais d'un autre côté, elles se concilie mal avec l'expérience, qui montre des modes constitués, quoique partiellement impermanents et clairement interdépendants, comme le dit explicitement Spinoza.

Les essences au contraire sont plus proches de cette perception, et traduisent en fait ce que les lois, etc. sont susceptibles de produire comme formes. Pour Spinoza, je n'en doute pas, les deux approches ne traduisent qu'une même réalité. On refuse les essences quand on pense que Dieu-la Nature change avec le temps, en fait, ce que pourtant la perspective des lois dément.

Alexandre_VI a écrit :L'homme n'existe pas si on entend par là une essence universelle. Le concept même d'espèce en biologie n'est qu'une simple convention utile.

Pour moi si c'est utile c'est que cela a du sens. C'est en jouant comme cela sur les mots qu'on ne peut plus comprendre. L'Homme existe en tant qu'ensemble de dispositions et lois commun à tous les hommes. Donc cela existe, même si cela ne permet pas de décrire entièrement chaque homme particulier existant, ce qui est d'ailleurs impossible.

Alexandre_VI a écrit :L'idée qu'il existe des essences est à la fois utile et nuisible en morale. Utile, parce que l'on peut dire que la nature humaine est sacrée, ce qui protège les droits de l'homme. Nuisible, parce qu'une fois qu'on a commencé à projeter des essences dans l'univers, on peut très bien continuer et distinguer des sous-groupes d'humains, comme le faisaient les nazis, et être tenté de les hiérarchiser.

Je vous suggère, mon cher, avec modestie, de vous débarrasser de ces parallèles avec le nazisme, qui méritent leur réputation de "fond du trou" de l'argumentation. Les nazis mangeaient aussi ; heureusement qu'on continue à le faire, malgré tout. Par ailleurs, cela dût-il nous donner de l'urticaire, ils étaient des hommes comme nous (pour la grande part commune), et tout défaut - aussi grand soi-il - est la perversion d'une qualité.

Cela n'a rien de scandaleux de distinguer les sous-groupes humains, et en vérité quasiment tout le monde le fait (mais le dit plus rarement.) Même hiérarchiser sur des faits réels, en moyenne, ne l'est pas. Cela devient nauséabond, cependant, dès que la hiérarchie en question porte sur une valeur globale - qui peut prétendre la connaître -, oublie que les différences sont peu par rapport à la communauté de nature, viole enfin l'amour (ou compassion) qui fait indissociablement partie de la puissance de l'esprit.

Amicalement

Serge
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Messagepar Louisa » 15 juin 2008, 13:39

Bonjour Sescho,

comme dans le dernier message que tu m'as adressé (et auquel je n'oublie pas de répondre) tu me poses la question des essences singulières, question reprise par Enegoid, puis par VieOrdinaire et indirectement par Alexandre VI, je crois qu'il serait intéressant de s'y attarder un peu plus longtemps, ainsi que tu viens déjà de le faire.

Comme je l'ai dit ailleurs, pour moi la notion d'essence singulière, même si elle ne figure pas littéralement dans le texte spinoziste, est néanmoins plus plausible que l'alternative que tu proposes, et cela non seulement parce que tous les commentateurs semblent être d'accord là-dessus, mais aussi parce que pour l'instant, je trouve moi-même d'une part seulement deux endroits qui me font hésiter, et d'autre part une série de propositions qui deviennent à mon sens tout à fait incompréhensibles voire contradictoires si l'on omet les essences singulières (dont une connaissance adéquate est tout à fait possible).

Avant de me lancer dans ce développement (qui me demandera un peu de temps), je voulais juste déjà signaler quelques-unes de ces contradictions, notamment parce que cela me permettra également de te demander quelques précisions quant à ta position.

Sescho a écrit :Cela a un sens, et il est évident, par exemple, qu'il y a une communauté de nature importante entre les différents individus humains, et donc une essence commune. On peut éventuellement parler des essences par genre et différence, mais c'est un peu biaisé, me semble-t-il, car cela sous-tend qu'on met la chose singulière existante en premier. Et les raisonnements portent sur cette essence commune, quoique n'étant l'essence d'aucune chose particulière (dans son entier), et c'est cela seulement qui peut être vu selon le deuxième genre, puis par l'intuition selon le troisième, comme constituant partiellement l'essence d'une chose singulière existant en acte avec laquelle on est en contact. L'essence d'une chose singulière dans son entier est en revanche largement hors de portée de la connaissance adéquate (trop de complexité, en particulier.)


tu mentionnes ici l'essence d'une chose particulière "dans son entier". Pour autaut que je sache, Spinoza n'utilise jamais cette expression. Est-ce correct, à ton avis? Pourrais-tu éventuellement expliciter davantage ce que serait l'essence d'une chose particulière "dans son entier" (et qu'est-ce qui s'y oppose? L'essence d'une chose particulière partielle? Si oui: à quoi cela correspondrait-il?)? Merci déjà.

Sinon pour moi - et tel que je t'ai compris pour l'instant - ce que tu viens d'écrire est incompatible avec le premier scolie de l'E2P40:

Spinoza a écrit :Ensuite, c'est de semblables causes que sont nées les notions qu'on appelle Universelles, comme l'Homme, le Cheval, le Chien, etc., à savoir, parce que dans le Corps humain se forment tellement d'images à la fois, par ex. d'hommes, qu'elles dépassent la force d'imaginer, par tout à fait, bien sûr, mais assez cependant pour que l'Esprit humain ne puisse imaginer les petites différences entre singuliers (à savoir la couleur, la grandeur, etc., de chacun) ni leur nombre déterminé, et n'imagine distinctement que ce en quoi tous, en tant qu'ils affectent le Corps, conviennent; car c'est cela qui, se trouvant dans chaque singulier, a le plus affecté le Corps; et c'est cela qu'il exprime par le nom d'homme, et cela qu'il prédique de l'infinité des singuliers.


Comment distinguer ce que tu appelles "notion générale" des "Universaux" de Spinoza? Je ne vois pas de différence. Comment dire qu'il y aurait une "essence commune" (sachant que cette expression aussi n'est jamais utilisée par Spinoza) à tous les hommes, là où Spinoza dit explicitement, en réponse à la question d'Alexandre VI, que l'Homme, en tant que ce qui regroupe tout ce qu'on imagine être commun aux hommes, n'est qu'une imagination?

Ce que Spinoza dit au même endroit, c'est que nous avons néanmoins des notions COMMUNES. Or justement, celles-ci jamais ne peuvent nous donner une connaissance adéquate de l'essence d'une chose, précisément parce que l'essence spinoziste n'est pas l'essence d'autres philosophes, elle se caractérise par le fait que "ce qui est commun à tout (...) ne constitue l'essence d'aucune chose singulière" (E2P32). Pour moi, cela signifie que dans le spinozisme, la notion d'essentia communis est une contradictio in terminis. Certaines choses sont communes à tous les hommes, dit Spinoza au même endroit, et de cela nous pouvons avoir des idées adéquates, idées appartenant aux deuxième genre de connaissance. Ces idées ne sont jamais des idées d'essences, essence que qui ou de quoi que ce soit.

Les idées d'essences ne sont possibles que par le troisième genre de connaissance, et sont toujours adéquates:

- pour le fait que l'homme peut avoir une idée de l'essence d'une chose singulière, voir la définition même du troisième genre de connaissance: "Le troisième genre de connaissance procède à partir de l'idée adéquate de certains attributs de Dieu vers la CONNAISSANCE ADEQUATE DE l'ESSENCE DES CHOSES" (E5P25 démo).

- pour l'adéquation qui caractérise toute idée du troisième genre, voir E5P29: "(...) idées adéquates, autrement dit des deuxièmes et troisièmes genres de connaissance (...)".

Enfin, ce n'est rien moins que notre Béatitude ou Liberté qui dépend de ce troisième genre de connaissance. Croire que dans le spinozisme, ce troisième genre de connaissance (une idée adéquate de l'essence d'une chose singulière) est hors de portée, c'est saper le spinozisme non seulement d'une des trois formes HUMAINES de connaissance, mais en même temps aussi de toute possibilité réelle de Liberté et de Béatitude pour l'homme. Dans ce cas, il faudrait dire avec ceux qui critiquent le déterminisme qu'effectivement, comme le suggérait Alexandre VI, pour le déterminisme spinoziste, aucune liberté n'est possible, non?
Amicalement,
Louisa

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Messagepar sescho » 15 juin 2008, 17:43

Louisa a écrit :... tu mentionnes ici l'essence d'une chose particulière "dans son entier". Pour autaut que je sache, Spinoza n'utilise jamais cette expression. Est-ce correct, à ton avis? Pourrais-tu éventuellement expliciter davantage ce que serait l'essence d'une chose particulière "dans son entier" (et qu'est-ce qui s'y oppose? L'essence d'une chose particulière partielle? Si oui: à quoi cela correspondrait-il?)? Merci déjà.

Je répète (voir lien ci-dessous) déjà que je n’ai jamais dit que les choses singulières existant en acte n’avaient pas d’essence (ce qui serait parfaitement idiot, l’essence d’un chose étant ce qu’elle est ; ou alors « chose » ne veut en fait rien dire) mais je dis que les essences des choses singulières ne sont pas contenue en Dieu comme dans une penderie. C’est d’ailleurs exactement ce que signifie l’exemple des paires de segments dans un cercle, cité récemment sur un autre fil, de E2P8.

Donc quand je dis l’ « essence dans son entier » j’entends… l’essence d’une chose singulière, tout simplement. Mais je le dis pour distinguer cela de ce qui s’impose lorsque Spinoza dit « tirer de l’essence d’une chose singulière, » auquel cas il ne s’agit plus de toute l’essence, mais seulement d’une partie de celle-ci (ce qui n’a rien à voir avec « chose particulière partielle. ») Ceci convient aussi avec tous les passages où Spinoza introduit une "essence de genre."

Note : A moins, comme je l'ai déjà laissé entendre, que toute connaissance adéquate ne soit même jamais à proprement parler une "partie d'essence," mais toujours seulement une loi (qui est essence de Dieu, lequel se résumerait de notre point de vue adéquat aux seules lois, outre les attributs, les modes infinis, et la "modalité finie".)

Pour le reste, tout a déjà été dit (le sujet n'est pas nouveau et tout ce qui s'y rapporte a déjà été présenté et commenté proprement, entre autres ici et et encore , en particulier l'évident passage sur les universaux que tu reproduis ci-dessous), mais pourquoi ne pas refaire un tour ici, si ce doit être le dernier.

Je répondrai dans un prochain message. Dans celui-ci, je vais replacer le contexte. Bien évidemment la plus élémentaire honnêteté veut que l'on commente non-seulement les passages qui semblent nous donner raison, mais aussi (tous) ceux qui apparaissent nous donner tort, l'enjeu n'étant pas d'avoir raison ou tort mais d'être juste.

Je te rappelle le sujet tel qu’il se présentait initialement : il s’agit de la Connaissance adéquate (ou claire et distincte) de l’essence d'une chose singulière

Il faut les 3 mots ensemble : connaissance, adéquate et chose singulière. S’il en manque un, c’est perdu. Il est en particulier évident dans plein des tournures de Spinoza que « chose » est un terme générique qui n’implique en aucune façon « singulière » (au contraire, sinon il le précise.)

Je remets en tête les propositions que j'ai déjà citées et sur lesquelles je m'appuie :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P25 : L’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps extérieur.

E2P26 : L’âme humaine ne perçoit aucun corps comme existant en acte, que par les idées des affections de son corps.

E2P29S : Je dis expressément que l’âme humaine n’a point une connaissance adéquate d’elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, mais seulement une connaissance confuse, toutes les fois qu’elle perçoit les choses dans l’ordre commun de la nature ; par où j’entends, toutes les fois qu’elle est déterminée extérieurement par le cours fortuit des choses à apercevoir ceci ou cela, et non pas toutes les fois qu’elle est déterminée intérieurement, c’est-à-dire par l’intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu’elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l’heure.

E2P37 : Ce qui est commun à toutes choses (voir le Lemme ci-dessus), ce qui est également dans le tout et dans la partie, ne constitue l’essence d’aucune chose particulière.

E2P38 : Ce qui est commun à toutes choses et se trouve également dans le tout et dans la partie, ne se peut concevoir que d’une façon adéquate.

Corollaire : Il suit de là qu’il y a un certain nombre d’idées ou notions communes à tous les hommes. Car (par le Lemme 2) tous les corps se ressemblent en certaines choses, lesquelles (par la Propos. précéd.) doivent être aperçues par tous d’une façon adéquate, c’est-à-dire claire et distincte.

E2P40S2 : Outre ces deux genres de connaissances, on verra par ce qui suit qu’il en existe un troisième, que j’appellerai science intuitive. Celui-ci va de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. J’expliquerai cela par un seul exemple. … Soit, par exemple, les trois nombres en question, 1, 2, 3 : il n’y a personne qui ne voie que le quatrième nombre de cette proportion est 6, et cette démonstration est d’une clarté supérieure à toute autre, parce que nous concluons le quatrième terme du rapport qu’une seule intuition nous a montré entre le premier et le second.

E2P46Dm : … ce qui donne la connaissance de l’infinie et éternelle essence de Dieu est commun à toutes choses, et se trouve également dans la partie et dans le tout : d’où il suit (par la Propos. 38, partie 2) que cette connaissance est adéquate. C. Q. F. D.

E2P47S : Nous voyons par là que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont choses connues de tous les hommes. Or, comme toutes choses sont en Dieu et se conçoivent par Dieu, il s’ensuit que nous pouvons de cette connaissance en déduire beaucoup d’autres qui sont adéquates de leur nature, et former ainsi ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé (dans le Schol. 2 de la Propos. 40, partie 2), et dont vous aurons à montrer dans la partie cinquième la supériorité et l’utilité. Mais comme tous les hommes n’ont pas une connaissance également claire de Dieu et des notions communes, il arrive qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils font les corps, et qu’ils ont uni le nom de Dieu aux images des choses que leurs yeux ont coutume de voir, et c’est là une chose que les hommes ne peuvent guère éviter, parce qu’ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs.

E5P12Dm : Les objets que nous concevons clairement et distinctement, ce sont les propriétés générales des choses, ou ce qui se déduit de ces propriétés.

Traduction Pautrat : Les choses que nous comprenons clairement et distinctement, ou bien sont des propriétés communes des choses, ou bien se déduisent d’elles…

E5P23S : Les yeux de l’âme, ces yeux qui lui font voir et observer les choses, ce sont les démonstrations.

E5P23Dm : … les idées qui sont en nous claires et distinctes ou qui se rapportent à la connaissance du troisième genre (voy. le Schol. 2 de la propos. 40, part. 2) ne peuvent résulter des idées mutilées et confuses, lesquelles (par le même Schol.) se rapportent à la connaissance du premier genre, mais bien des idées adéquates, c’est-à-dire (par le même Schol.) de la connaissance du second et du troisième genre. Ainsi donc (par la Déf. 1 des passions) le désir de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre ne peut naître de la connaissance du premier genre, mais il peut naître de celle du second. C. Q. F. D.

E5P36CS : … et j’ai pensé qu’il était à propos de faire ici cette remarque, afin de montrer par cet exemple combien la connaissance des choses particulières, que j’ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j’ai appeler du second genre ; car, bien que j’aie montré dans la première partie d’une manière générale que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, si solide et si parfaitement certaine qu’elle soit, frappe cependant notre âme beaucoup moins qu’une preuve tirée de l’essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion.

Je reproduis en outre mon exégèse de la dernière proposition (vient d’ici) :

sescho a écrit :… corollaire de E5P36. je le reproduis en traduction Pautrat :

"... et j'ai pensé qu'il valait la peine de le noter ici pour montrer par cet exemple toute la force de la connaissance des choses singulières que j'ai appelée intuitive ou du troisième genre (voir le scol. 2 prop. 40 p. 2), et combien elle est préférable à la connaissance universelle, que j'ai dite du deuxième genre. Car, quoique j'aie montré de manière générale dans la Première Partie que tout (et par conséquent aussi l'Esprit humain) dépend de Dieu selon l'essence et selon l'existence, pourtant cette démonstration, toute légitime qu'elle soit et sans risque de doute, n'affecte pourtant pas autant notre Esprit que quand on tire cette conclusion de l'essence même d'une chose singulière quelconque que nous disons dépendre de Dieu."

Si je fais l'exégèse de ce passage…, il est clair que Spinoza, dans la deuxième partie (après le "Car,") veut exemplifier ce qu'il dit juste au-dessus, savoir la différence qualitative entre la connaissance du deuxième genre et celle du troisième (ce qui suppose déjà qu'elles ont un lien net...) Le "j'aie montré ... que tout ... dépend de Dieu selon l'essence et selon l'existence... cette démonstration" se rapporte clairement à la connaissance du deuxième genre. Il est de la plus claire évidence que la fin décrit en rapport la supériorité de celle du troisième. Or qu'en dit-il ? "on tire cette conclusion" - la même que selon le deuxième genre, donc - "de l'essence d'une chose singulière quelconque."

Donc finalement ce qui est vu suivant le deuxième et le troisième genre c'est, dans l'exemple, "Tout dépend de Dieu selon l'essence et selon l'existence." Ce n'est pas une chose singulière mais une loi (comme tous les axiomes et propositions de Spinoza) et il apparaît en même temps que "la connaissance des choses singulières du troisième genre" consiste à tirer la "conclusion" en question (comme potentiellement toute autre puisqu'il ne s'agit que d'un exemple) de l'essence d'une chose singulière quelconque.

Et c'est aussi exactement ce que dit l'exemple (ce n'est encore qu'un exemple) des proportions : saut qualitatif entre la déduction et la vision directe, intuitive, sur le même sujet (un certain rapport entre deux choses.)

Donc tous les axiomes et propositions (ou lois, ou propriétés des choses) de Spinoza peuvent être vus suivant le troisième genre de connaissance à l'œuvre dans les choses singulières. Cela fait autant d'exemples...


Cordialement

Serge
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Messagepar Louisa » 15 juin 2008, 18:10

Sescho a écrit :Donc quand je dis l’ « essence dans son entier » j’entends… l’essence d’une chose singulière, tout simplement. Mais je le dis pour distinguer cela de ce qui s’impose lorsque Spinoza dit « tirer de l’essence d’une chose singulière, » auquel cas il ne s’agit plus de toute l’essence, mais seulement d’une partie de celle-ci (ce qui n’a rien à voir avec « chose particulière partielle. ») Ceci convient aussi avec tous les passages où Spinoza introduit une "essence de genre."


merci de tes précisions. Je reviens bientôt en détail sur ton message précédent, mais d'abord juste ceci. L'expression que tu cites ne sembles se produire qu'une seule fois, si je ne m'abuse, et cela dans un sens qui à mon avis est assez différent de celui que tu lui donnes.

Comme tu l'as signalé, tu cites ici le scolie de l'E5P36. Or dans celui-ci Spinoza ne dit pas qu'il tire quelque chose d'une essence d'une chose particulière ( = comme s'il ne considère pas cette essence "dans son essence", mais seulement une partie de l'essence (mais en quelles parties une essence pourrait-elle se diviser ... ?)).

Il dit qu'il a voulu tirer sa conclusion de l'essence d'une chose singulière, là où il a déjà démontré la même conclusion "de manière générale" dans l'E1, c'est-à-dire selon le deuxième genre de connaissance, en s'appuyant uniquement sur la raison et non pas sur l'intuition d'une essence d'une chose singulière.

Par conséquent, je ne comprends pas tout à fait comment tu peux déduire de l'idée de tirer une conclusion de la considération de l'essence d'une chose singulière, l'idée que cette considération ne prendrait en compte qu'une seule partie de cette essence.

Puis je me demande surtout: de QUELLE partie plus précisément Spinoza aurait-il selon toi ici tiré sa conclusion? Et en quoi consiste l'autre ou les autres parties de l'essence d'une chose singulière?

A propos, selon Bernard Pautrat (l'un des traducteurs de l'Ethique, pour ceux qui ne le savaient pas) l'essence d'une chose singulière quelconque n'est ici, dans ce scolie, rien d'autre que l'essence de la chose singulière que je suis MOI, lecteur de l'Ethique. Il s'agit donc d'une référence aux propositions précédentes, où Spinoza s'emploie effectivement à démontrer l'éternité de MON essence à moi. Il prend donc appui, dans le scolie que tu cites, sur le fait que le lecteur vient de "sentir et expérimenter" sa propre éternité à lui, pour montrer en quoi consiste la connaissance du troisième genre et surtout pour faire comprendre et sentir pourquoi elle est tellement préférable au deuxième genre de connaissance (en effet, se sentir soi-même éternel est bel et bien plus agréable/convaincant que seulement considérer "les" choses sous un certain aspect de l'éternité).

Car si le deuxième genre de connaissance se base sur la raison, il ne fait que considérer les choses selon "un certain aspect d'éternité" (sub quadam specie aeternitatis, E2P44 cor.II), c'est-à-dire selon cet aspect de l'éternité qu'est la nécessité (cela, ce n'est pas Pautrat qui l'a dit, c'est moi qui le pense). La raison perçoit la nécessité dans ce que les choses ont en commun. Mais cet aspect de l'éternité ne nous fait guère ressentir NOTRE PROPRE éternité, ne nous met pas en contact avec MON essence à moi (qui n'a rien en commun avec celle des autres choses, comme le stipule la démo du même corollaire). En revanche, le troisième genre de connaissance a ce pouvoir, puisqu'il donne des idées adéquates des essences des choses singulières, en commençant par MON essence singulière, l'idée adéquate de celle-ci étant la cause formelle de toutes les autres idées adéquates du troisième genre (E5P31).

Sans partir de l'éternité de ma propre essence singulière, donc sans me baser sur l'idée adéquate de ma propre essence singulière, je ne pourrais jamais ressentir la "Béatitude" qui caractérise ce genre de connaissance. J'aurais la Joie qu'apporte toute idée adéquate du deuxième genre, mais qui ne "vaut" pas autant que l'Amour intellectuel, qui dépasse en intensité toute Joie du deuxième genre. Comprendre en quoi tout est nécessaire selon les lois de la nature commune est utile pour ma survie et pour l'augmentation de ma puissance. Comprendre que je suis moi-même une essence éternelle, cela change tout, cela donne un tout autre point de vue sur "Dieu, les choses et soi-même".

Qu'en penses-tu?

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Messagepar Louisa » 15 juin 2008, 18:42

Ps: pour résumer l'essentiel de mon message précédent: Spinoza écrit dans le scolie que tu cites et sur lequel tu te bases pour introduire la notion d'une essence singulière "dans son entier" non pas qu'il "tire" quelque chose de spécifique de cette essence, comme s'il en tirait une partie.

Il s'agit plutôt pour lui de tirer une conclusion de la contemplation de cette essence. On pose l'idée de cette essence, on en "tire" une autre idée, via un raisonnement (= un ensemble d'autres idées et leurs connexions logiques), cette dernière idée étant la conclusion du raisonnement. "Tirer" ici n'est donc rien d'autre que conclure. Ce dont on tire la conclusion, c'est tout le raisonnement, et non pas une partie de l'idée qui formait seulement le premier pas du raisonnement.

D'ailleurs en latin il écrit simplement concluere, "je conclus de l'essence d'une chose singulière", où toute suggestion de "tirer une partie spécifique de cette essence" me semble être absente, non?

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Messagepar sescho » 15 juin 2008, 19:24

Premier point suivant :

Louisa a écrit :... pour moi - et tel que je t'ai compris pour l'instant - ce que tu viens d'écrire est incompatible avec le premier scolie de l'E2P40:

Comment distinguer ce que tu appelles "notion générale" des "Universaux" de Spinoza? Je ne vois pas de différence. Comment dire qu'il y aurait une "essence commune" (sachant que cette expression aussi n'est jamais utilisée par Spinoza) à tous les hommes, là où Spinoza dit explicitement, en réponse à la question d'Alexandre VI, que l'Homme, en tant que ce qui regroupe tout ce qu'on imagine être commun aux hommes, n'est qu'une imagination?

J'ai toujours pensé que ce scholie était un des moins bien interprétés qui soient. Le sujet a déjà été traité plusieurs fois. Veux-tu que je te reproduise tous les passages où Spinoza utilise une notion générale, l'"Homme" en particulier ? ;-) Il n'y a que cela dans toute l'Ethique... Il dit d'ailleurs dans E5P36CS : "… la connaissance des choses universelles que j’ai appelée du second genre." (Je suppose que l'adéquation de la connaissance du deuxième genre chez Spinoza est clairement admise.)

Dis-tu que Spinoza a basé toute l'Ethique, et donc la connaissance du deuxième genre, sur l'imagination ?


Serge
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Messagepar Louisa » 15 juin 2008, 19:55

Sescho a écrit :Veux-tu que je te reproduise tous les passages où Spinoza utilise une notion générale, l'"Homme" en particulier ? Il n'y a que cela dans toute l'Ethique... Il dit d'ailleurs dans E5P36CS : "… la connaissance des choses universelles que j’ai appelée du second genre." (Je suppose que l'adéquation de la connaissance du deuxième genre chez Spinoza est clairement admise.)


en effet. Mais un nominalisme des universaux ne signifie pas qu'il faut les bannir de nos raisonnements. Il suffit de se rendre compte du fait qu'il s'agit d'êtres de raison. Les mathématiques aussi fonctionnent sans cesse avec des êtres de raison. Les utiliser afin d'augmenter notre connaissance adéquate n'est pas un problème en tant que tel (au contraire, les sciences physiques se basent dessus, donc cela a une grande utilité). Le problème ne se pose que quand on adopte un réalisme des universaux, et que l'on va dès lors poser des ESSENCES propre à ces universaux (dans tes termes: des essences communes).

Comme Spinoza le dit: la connaissance du deuxième genre ne porte PAS sur les essences. Elle porte sur les choses universelles. C'est bien pourquoi une connaissance des universaux ne peut donner lieu à une connaissance des essences, et encore moins à l'idée d'une existence réelle d'essences "communes".

Sescho a écrit :Dis-tu que Spinoza a basé toute l'Ethique, et donc la connaissance du deuxième genre, sur l'imagination ?


la question mérite d'être posée, en effet. Je ne connais pas encore suffisamment l'Ethique pour pouvoir y répondre de manière tout à fait satisfaisante, mais je crois qu'effectivement, on a tendance à sous-estimer lourdement le poids de l'imagination dans l'Ethique. Quelques arguments:

1. l'Ethique essaie d'établir, par le moyen du deuxième genre de connaissance, l'"ordre" selon lequel s'enchaînent les affects humains, et l'ordre selon lequel il faudrait l'enchaîner pour que ces affects nous soient maximalement utiles. Ce qui est le plus utile pour nous étant ce qui se déduit de la raison, donc rationnellement, c'est l'ordre que dicte la raison qu'on doit essayer d'imposer aux affects.

Or que nous dit d'emblée Spinoza de cette notion d'ordre? E1 Appendice:

"Et parce que ceux qui ne comprennent pas la nature des choses, mais se bornent à imaginer les choses, n'affirment rien des choses, et prennent l'imagination pour l'intellect, à cause de cela ils croient fermement qu'il y a de l'Ordre dans les choses, sans rien savoir de la nature ni des choses ni d'eux-mêmes. (...) Et puisque nous plaît plus que tout ce que nous n'avons pas de mal à imaginer, pour cette raison les hommes préfèrent l'ordre à la confusion, comme si l'ordre était quelque chose dans la nature indépendamment de notre imagination; (...) quand aux autres notions, ensuite, elles ne sont également que des manières d'imaginer".

Ne faudrait-il pas en conclure que seule la connaissance d'essences est capable de se détacher de l'imagination, comme le dira plus tard le livre 5?

2. Quel statut Spinoza donne-t-il lui-même à l'Ethique?

- préface de l'E4: "(...) nous désirons former une idée de l'homme à titre de modèle de la nature humaine que nous puissions avoir en vue (...) . "Modèle" traduit exemplar.

- TIE B12-G8: " (...) rien, considéré dans sa nature, ne sera dit parfait, ou imparfait; (...). Mais comme la faiblesse humaine n'arrive pas à suivre dans sa pensée (...) et que l'homme, pendant ce temps, conçoit une certaine nature humaine beaucoup plus forte que la sienne, et qu'il ne voit en même temps rien qui fasse obstacle à ce qu'il acquière une telle nature, il est incité à chercher des moyens qui le conduisent lui-même à une telle perfection (...). C'est donc la fin à laquelle je tends, à savoir acquérir une telle nature et faire effort pour que beaucoup l'acquièrent avec moi (...)".

Ces deux citations montrent que le bien suprême cherché (et trouvé) par Spinoza, et qui consiste en l'acquisition d'une AUTRE nature humaine, plus parfaite qu'elle ne l'est en réalité, n'est nullement basé sur l'une ou l'autre vérité. Elle n'est que le fruit de la faiblesse humaine. L'Ethique nous donne une idée de cette nouvelle nature humaine, plus parfaite. Mais cela seulement parce que nous sommes déterminés à chercher le bien suprême, et que dès lors il vaut mieux définir un exemplar more geometrico[/i] que inventer un autre modèle, qui se base sur l'idée que l'homme est un empire dans un empire (le modèle moralisateur, qui se contente de réprouver les vices, sans plus; il s'agit donc d'un modèle peut satisfaisant).

3. Nos "lois naturelles", issus du deuxième genre de connaissance, concernent des successions de causes et effets. Il s'agit bien sûr de successions dans le temps. Or que dit Spinoza du temps? "(...) le temps aussi, nous l'imaginons (...)" (E2P44 sc.). Sachant que la temporalité est essentielle pour pouvoir concevoir des successions de cause à effet, ne faut-il pas en conclure que la seule connaissance de la "nature" des choses, c'est celle du troisième genre, les lois naturelles se limitant à chercher ce que ces choses ont en commun, des régularités dans les images qui frappent notre corps, sans atteindre les essences?

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Messagepar sescho » 15 juin 2008, 20:22

Louisa a écrit :Ps: pour résumer l'essentiel de mon message précédent: Spinoza écrit dans le scolie que tu cites et sur lequel tu te bases pour introduire la notion d'une essence singulière "dans son entier" non pas qu'il "tire" quelque chose de spécifique de cette essence, comme s'il en tirait une partie.

C'est sans doute exact. Je reviendrai dessus, mais c'est secondaire dans mon esprit (il y a d'autres extraits qui prouvent selon moi que Spinoza admet les "essences de genre", et cet extrait-là était ajusté à la connaissance du troisième genre.)

Louisa a écrit :Il s'agit plutôt pour lui de tirer une conclusion de la contemplation de cette essence. On pose l'idée de cette essence, on en "tire" une autre idée, via un raisonnement (= un ensemble d'autres idées et leurs connexions logiques), cette dernière idée étant la conclusion du raisonnement. "Tirer" ici n'est donc rien d'autre que conclure. Ce dont on tire la conclusion, c'est tout le raisonnement, et non pas une partie de l'idée qui formait seulement le premier pas du raisonnement.

D'ailleurs en latin il écrit simplement concluere, "je conclus de l'essence d'une chose singulière", où toute suggestion de "tirer une partie spécifique de cette essence" me semble être absente, non?

OK. Je le répète c'est secondaire. Laissons pour l'instant cette histoire de "parties d'essence" si tu le veux bien. Ce qui intéresse le sujet depuis le début c'est :

Qu'est-ce donc que nous tirons et qui appartient à la connaissance du troisième genre ?


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Messagepar Louisa » 15 juin 2008, 20:34

Sescho a écrit :Qu'est-ce donc que nous tirons et qui appartient à la connaissance du troisième genre ?


toujours en nous basant sur le même scolie (E5P36) je dirais: ce que nous y tirons est une conclusion. Une idée, donc. Quelle l'idée? L'idée que tout "dépend de Dieu selon l'essence et selon l'existence".

Seulement, dans les propositions qui précèdent, il vient de montrer cela non plus pour "tout" (= notion universelle), mais pour mon essence singulière à moi (c'est-à-dire celle du lecteur, essence réelle car singulière et non plus "abstraite").

Autrement dit: à mon avis Spinoza dit ici que quand on étudie correctement l'essence de moi-même comme chose singulière, on n'arrive pas seulement à la conclusion que mon essence dépend de l'essence de Dieu (cela, on le savait déjà depuis l'E1, mais sans directement penser à nous-même et à ce que cela impliquait au fond pour nous), on a comme "plus-value", si j'ose dire, la Béatitude que comporte une telle compréhension, la Béatitude ou l'Amour intellectuel de Dieu que provoque nécessairement la compréhension du fait que mon essence à moi est éternelle (c'est rien moins que la peur de la mort qui tombe, par exemple). C'est de mon salut à moi qu'il s'agit ici, non seulement de la possibilité d'avoir une compréhension générale de la Nature/Dieu.

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Messagepar hokousai » 15 juin 2008, 20:59

moi j 'en reste à ce que dit Spinoza dans pensées métaphysiques :

« nous au contraire attribuons à Dieu la connaissance des chose singulières et lui dénions celle des choses universelles , sauf en tant qu'il connait l'esprit des hommes . »

Donc ( à mon avis ) la connaissance des choses universelles ( les dites [b]essences[b] des choses en scolastique médiévales réaliste et non nominaliste ) cette connaissance est une modification de l’esprit humain .

Ce qui ne signifie pas que Spinoza soit nominaliste .
La connaissance qu’ a l’esprit humain a ( participe de ) un certain degré de réalité .( qui lui est propre )


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