L'homme n'existe pas

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 juin 2008, 03:26

louisa:
il se fait que la définition du troisième genre de connaissance est très proche de toutes les autres définitions qui en l'histoire de la philosophie existent de l'intuition intellectuelle.

Vieordinaire:
Wow! Ce n'est simplement pas vrai. Pourriez-vous me dire ce que vous etendez par les autres traditions/definitions de "l'intuition intellectuelle"? La paix de l'ame ou/et la beatitude n'ont rien a faire avec l'intellectualite comme vous semblez la presenter dans vos different posts. Car apres tout, la foi (telle que definie par Spinoza) aussi bien que la raison, peut nous conduire a ceux-ci, i.e. le troisieme genre de connaissance (voir le TTP).


Bonjour Vieordinaire,

ok, je veux bien te croire que ce n'est pas vrai, mais il me faudra quelques arguments concrets, tu vois?

Pour les autres définitions de l'intuition intellectuelle: il suffit de consulter le dictionnaire philosophique de Lalande (si tu ne sais pas le faire, n'hésite pas à le signaler, je le résumerai).

La béatitude, en effet, n'est pas toujours identifiée à l'intuition intellectuelle, c'est clair. Mais je n'ai jamais dit cela non plus. Et certes, nous savons qu'il existe dans le spinozisme un "salut de l'ignorant" (voir aussi l'E5P41). Or dans cette discussion-ci, nous sommes plutôt en train d'essayer de déterminer en quoi consiste selon Spinoza le troisième genre de connaissance. Cela n'exclut nullement la possibilité d'un salut hors de ce troisième genre de connaissance (au contraire, comme tu le dis et comme c'est connu, le TTP atteste bien du fait que la religion peut également nous y mener).

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Messagepar vieordinaire » 30 juin 2008, 04:17

Louisa a écrit :ok, je veux bien te croire que ce n'est pas vrai, mais il me faudra quelques arguments concrets, tu vois?

A ce que je sache, tu n'as avance aucun argument pour defendre ta these. Tu l'as simplement affirmee. Ne me reproches pas ce que tu ne fais pas toi-meme. Je me suis permis de passer un commentaire sans argument car vous n'avez fourni aucun specifique ou argument sur lequel je puisse travailler. J'aurai pense que vous auriez pu realiser cela avant de repondre de la facon dont vous l'avez faite (une reponse que j'avais anticipee). De plus, je n'ai jamais lu un commentateur qui a defendu cette idee de facon aussi explicite. Pourriez-vous me diriger vers un travail qui defend votre these ou est-ce un these personelle?

Louisa a écrit :Cela n'exclut nullement la possibilité d'un salut hors de ce troisième genre de connaissance (au contraire, comme tu le dis et comme c'est connu, le TTP atteste bien du fait que la religion peut également nous y mener).

A lequel je reponds:
Louisa a écrit :C'est certes une affirmation. Mais elle est tout sauf spinoziste. Pourrais-tu trouver ne fût-ce une seule citation de l'Ethique qui la confirme? Non. Aucune proposition de l'Ethique ne dit cela, aucun énoncé qui figure parmi les démonstrations ou scolies ou corollaires ne prétend cela.


Franchement, je dois etre tres honnete ici, l'asymmetrie avec laquelle vous traitez la force d'argumentation des idees des autres et les votres est tres deconcertante pour vos interlocuteurs--ce qui amenent certains a dire que vous vous obstinez par exemple ...

La beatitute de l'ignorant et celle du 'philosophie' de sont pas deux! Et la beatitude est etroitement associee au troisieme genre de connaissance comme vous le savez bien. Si vous desirez vous plonger dans l'imaginaire afin de 'preserver' vos interpretations au lieu d'en realiser les contradictions c'est votre droit ... Mais n'anticipez vos interlocuteurs de necessairement vous suivrent vers vos chateaux dans les nuages ... Et s'il vous plait ne me reprochez pas de ne pas demontrer ici pourquoi il ne peut y avoir 'de possibilite' de beatitude sans la connaissance du troisieme genre ... c'est-a-dire la possibilite d'un quatrieme genre de connaissance. Simplement relisez la deuxieme et cinquieme parties de l'Ethique ou le TTP.

Cordialement,

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Messagepar Louisa » 30 juin 2008, 15:00

Vieordinaire a écrit :A ce que je sache, tu n'as avance aucun argument pour defendre ta these. Tu l'as simplement affirmee. Ne me reproches pas ce que tu ne fais pas toi-meme.


euh ... je ne crois pas que je t'ai reproché quelque chose. Il est évident que si quelqu'un veut discuter de ce que l'histoire de la philosophie entend par "intuition intellectuelle", il faudra que je donne des arguments. Je me suis effectivement limitée à énoncer la thèse sans plus, en attendant que quelqu'un dit vouloir en discuter un peu sérieusement. Comme toi-même tu te limitais à un "ce n'est simplement pas vrai", mon invitation ou demande d'arguments ne voulait pas du tout insinuer que la thèse proposée par moi était l'un ou l'autre dogme que n'importe qui devrait accepter. Je supposais simplement qu'en ne donnant pas d'arguments, tu ne voulais pas vraiment discuter mais juste affirmer un désaccord, ce qui est tout à fait ton droit. Puis je t'ai donné un début de réponse: tu trouveras dans le dictionnaire Lalande quelques définitions de l'intuition intellectuelle.

Vieordinaire a écrit :Je me suis permis de passer un commentaire sans argument car vous n'avez fourni aucun specifique ou argument sur lequel je puisse travailler.


disons que je supposais que si tu niais si fermement ce que je venais d'écrire, tu avais déjà de bons arguments tout à fait prêts en tête, arguments qui m'intéressaient, bien sûr.

Vieordinaire a écrit :De plus, je n'ai jamais lu un commentateur qui a defendu cette idee de facon aussi explicite. Pourriez-vous me diriger vers un travail qui defend votre these ou est-ce un these personelle?


je crois que j'ai simplement rappelé que dans l'histoire de la philosophie, ce qu'on désigne par "intuition intellectuelle", cela correspond en règle générale à l'idée d'une saisie immédiate d'une singularité, et cela non pas par les sens mais par l'intellect (il s'agit donc d'un objet non pas sensible mais intellectuel). J'avoue que je ne vois pas vraiment ce qui te semble si extraordinaire dans le rapprochement de cela avec ce que Spinoza, tout à fait au courant du vocabulaire philosophique de son époque, appelle "connaissance intuitive", d'où ma demande de quelques arguments qui me permettraient de comprendre pourquoi cela te choque tellement. Comme le dit par exemple Charles Ramond dans son Dictionnaire Spinoza, caractérisant ainsi le troisième genre de connaissance (entrée "connaissance"):

Ramond a écrit :Le schéma du passage du premier au troisième genre de connaisance, que l'on retrouve chez Spinoza d'oeuvre en oeuvre, est dnc clairement celui d'un double dépassement: dépassement de la perception sensible, particulière, et en cela limitée, dans la raison, c'est-à-dire dans l'universel; puis dépassement de l'universel lui-même, inapte à saisir le singulier en tant que tel, dans une intuition rationnelle, sorte de perception de la pensée - la connaissance du troisième genre ("qui procède de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu vers la connaissance adéquate de l'essence des choses" - II 40 sc 2) devant alors réaliser l'accord toujours espéré du rationnel et du singulier, du discursif et de l'intuitif.


J'y ajoute le début du passage pour prolonger ma réponse à Sescho, quand il dit que la singularité est une affaire du premier genre de connaissance, qui donc relève du "rêve" et de l'invention, bref de l'imagination:

Ramond a écrit :Ce troisième genre de connaissance retrouve donc certaines caractéristiques du premier: il est une perception directe d'une chose singulière. Spinoza recourt d'ailleurs presque toujours, pour le caractériser, à des comparaisons avec la "vue" ou la "vision" (comme l'exige l'étymologie du terme "intuition"): vision non plus de l'oeil, mais de l'esprit (V 23 sc), mais vision tout de même.


Ce que j'ai voulu dire par mon message à ce sujet, contestant le lien opéré par Sescho entre connaissance du singulier et premier genre de connaissance, ce n'était pas que la perception sensible ne soit pas la perception d'une chose singulière (elle l'est, bien sûr, que cette chose soit présente ou absente), c'était bien plutôt que le premier genre de connaissance ne nous donne aucun accès réel à la singularité même de la chose singulière perçue, puisqu'il indique avant tout un état de notre propre Corps singulier, et cela encore de manière tout à fait confuse. Pour avoir accès au singulier, il faut attendre le troisième genre de connaissance, comme le dit ici Ramond. Cette connaissance est saisie immédiate (non médiée par la raison, quoique intellectuelle - jamais dans l'Ethique Spinoza ne parle d'une "intuition rationnelle", comme le fait ici Ramond) d'une singularité par la vue spirituelle.

Et cela, "vision immédiate d'un objet intellectuel dans sa singularité", c'est ce qui pour autant que je sache est ce que la tradition (avec de multiples variantes, bien sûr, variantes qui parfois s'excluent mutuellement) entend par "intuition intellectuelle". Il est évident que pour savoir comment Spinoza s'inscrit dans cette tradition, proposant de toute façon une toute nouvelle version de cette "science intuitive", il faudrait le travail d'une thèse voire plus. Je n'ai pas du tout étudié moi-même la question en détail, donc je ne sais même pas si des commentateurs de Spinoza se sont déjà attelés à ce travail ou non (je suppose plutôt que non, puisque cela implique notamment une plongée dans l'histoire de la philosophique médiévale, terrain d'études qui sauf quelques illustres exceptions n'est pas encore très abordé par les spinozistes). En tout cas, si ce sujet t'intéresse, on pourrait peut-être ouvrir un nouveau fil de discussion et essayer de l'explorer davantage?


Louisa a écrit:

Cela n'exclut nullement la possibilité d'un salut hors de ce troisième genre de connaissance (au contraire, comme tu le dis et comme c'est connu, le TTP atteste bien du fait que la religion peut également nous y mener).

Vieordinaire:
Franchement, je dois etre tres honnete ici, l'asymmetrie avec laquelle vous traitez la force d'argumentation des idees des autres et les votres est tres deconcertante pour vos interlocuteurs--ce qui amenent certains a dire que vous vous obstinez par exemple ...


j'apprécie ta franchise, mais j'avoue ne pas très bien comprendre de quelle "asymétrie" tu parles. Il est évident que je ne donne pas systématiquement tous les arguments et références au texte de chaque phrase que j'écris ici, simplement parce que mes messages sont déjà souvent trop longs. J'espère avoir montré entre-temps que si quelqu'un veut s'attarder sur l'un ou l'autre énoncé à moi qui n'était pas explicitement fondé, je le fais avec plaisir (idem quand quelqu'un critique l'un de mes énoncés: il est rare que je n'y réponds pas), quitte à reconnaître que je me suis trompée quand c'est le cas (et cela a bien évidemment déjà été le cas).

vieordinaire a écrit :Vieordinaire:
La beatitute de l'ignorant et celle du 'philosophie' de sont pas deux! Et la beatitude est etroitement associee au troisieme genre de connaissance comme vous le savez bien. Si vous desirez vous plonger dans l'imaginaire afin de 'preserver' vos interpretations au lieu d'en realiser les contradictions c'est votre droit ... Mais n'anticipez vos interlocuteurs de necessairement vous suivrent vers vos chateaux dans les nuages ... Et s'il vous plait ne me reprochez pas de ne pas demontrer ici pourquoi il ne peut y avoir 'de possibilite' de beatitude sans la connaissance du troisieme genre ... c'est-a-dire la possibilite d'un quatrieme genre de connaissance. Simplement relisez la deuxieme et cinquieme parties de l'Ethique ou le TTP.


ce serait bien triste si je cherchais comme interlocuteur quelqu'un qui n'adopte pas une attitude critique par rapport à ce que j'écris.

Sinon en effet, ici tu soulèves un autre passage de mon message que je n'ai pas argumenté. D'une part parce qu'il n'a pas directement à voir avec ce qui se discute dans ce fil-ci, mais d'autre part surtout aussi parce que je croyais que nous étions déjà d'accord là-dessus, me basant sur ce que tu venais d'écrire, et que j'ai sans doute mal compris, puisque à mon sens tu y disais l'inverse de ce que tu viens de dire maintenant:

vieordinaire a écrit :La paix de l'ame ou/et la beatitude n'ont rien a faire avec l'intellectualite comme vous semblez la presenter dans vos different posts. Car apres tout, la foi (telle que definie par Spinoza) aussi bien que la raison, peut nous conduire a ceux-ci, i.e. le troisieme genre de connaissance (voir le TTP).


je supposais donc, dans ma réponse à ceci, que tu savais que le TTP propose une autre voie de salut que celle qui passe par le troisième genre de connaissance, salut par la foi effectivement. Or dans ton dernier message tu sembles nier cela. Par conséquent, je ne comprends plus très bien dans quelle mesure tu reconnais chez Spinoza un "salut des ignorants" ou non ... ? En tout cas, si tu veux en discuter: volontiers, il suffit d'ouvrir un autre sujet de discussion (puisqu'ici nous discutons plutôt du troisième genre en tant que tel).
Cordialement,
L.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 30 juin 2008, 15:41

chère Louisa

Ce sont les chose qui ne peuvent sans Dieu ni être ni se concevoir , ce ne sont pas les essences


C’est ce que je conclus du scolie2 de prop 10/2
«""" les choses sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir et pourtant Dieu n’appartient pas à leur essence """" ».

Spinoza dit :""je n’ai pas dit qu’appartient à l’essence d’une chose ce sans quoi la chose ne peut ni être ni se concevoir ""

Les scolastiques estiment que c’est l’essence qui est ce sans quoi la chose ne peut ni être ni se concevoir, et bien sur Dieu d’où tout procède .
Mais pour Spinoza ce sans quoi la chose ne peut ni être ni se concevoir , C’est Dieu d’une part et c’est la chose présente d’autre part .

Avec l’ essence de la chose ( telle que dîte dans ce scolie ) on est dans la présence / suppression . Comment alors penser cela dans le registre des essences éternelles de la scolastique* ?

*(scolastique vue de loin mais Spinoza fait lui même un balayage ultra rapide )

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Messagepar bardamu » 30 juin 2008, 22:26

sescho a écrit :(...)
L'essence (formelle), c'est la forme, c'est ce que la chose est, tout simplement (cela dit, certains autres auteurs opposent forme et essence, la première n'étant qu'apparence.) Il n'est pas possible de définir une essence singulière dans sa singularité : on ne pourrait que la saisir d'un coup.

Par "définition" d'une chose particulière, je veux dire sa détermination, son individualisation, son objectivation. J'ai un léger doute sur ce que tu entends par "forme" mais il n'y a pas que les essences formelles, il y a aussi les essences objectives, les choses telles qu'elles sont dans l'entendement divin.
Ceci étant, je n'ai pas vraiment le loisir de discuter ces temps-ci.

Un dernier petit parcours au cas où :

E1p8 scolie 2 : de là vient que nous pouvons nous former des idées vraies de certaines modifications qui n'existent pas ; car, bien qu'elles n'aient pas d'existence actuelle hors de l'entendement, leur essence est contenue dans une autre nature de telle façon qu'on les peut concevoir par elle.

E1p17 scolie : l'essence formelle des choses, n'est ce qu'elle est que parce qu'elle existe objectivement dans l'intelligence de Dieu

E1p25 coroll. : Les choses particulières ne sont rien de plus que les affections des attributs de Dieu, c'est-à-dire les modes par lesquels les attributs de Dieu s'expriment d'une façon déterminée.

E1p36 dém. : Tout ce qui existe exprime la nature et l'essence de Dieu d'une façon déterminée (par la Propos. 25), c'est-à-dire (par la Propos. 34) que tout ce qui existe exprime d'une façon déterminée la puissance de Dieu, laquelle est la cause de toutes choses.

E2D7 : Par choses singulières, j'entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée. Que si plusieurs individus concourent à une certaine action de telle façon qu'ils soient tous ensemble la cause d'un même effet, je les considère, sous ce point de vue, comme une seule chose singulière.

E2p7 coroll. : tout ce qui suit formellement de l'infinie nature de Dieu, suit objectivement de l'idée de Dieu dans le même ordre et avec la même connexion.

E2p11 coroll. : Il suit de là que l'âme humaine est une partie de l'entendement infini de Dieu ; et par conséquent, lorsque nous disons que l'âme humaine perçoit ceci ou cela, nous ne disons pas autre chose sinon que Dieu, non pas en tant qu'infini, mais en tant qu'il s'exprime par la nature de l'âme humaine, ou bien en tant qu'il en constitue l'essence, a telle ou telle idée

E5p31 dém. : en tant que l'âme est éternelle, elle possède la connaissance de Dieu, (...) est propre à connaître toutes les choses qui résultent de cette même connaissance (par la Propos. 40, part. 2), c'est-à-dire à connaître les choses d'une connaissance du troisième genre

E5p36 scolie : une preuve tirée de l'essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion.

E5p42 scolie : La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.

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Messagepar Louisa » 01 juil. 2008, 04:48

Hokousai a écrit :Citation de Hokousai:
Ce sont les chose qui ne peuvent sans Dieu ni être ni se concevoir , ce ne sont pas les essences

Hokousai:
C’est ce que je conclus du scolie2 de prop 10/2
«""" les choses sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir et pourtant Dieu n’appartient pas à leur essence """" ».

Spinoza dit :""je n’ai pas dit qu’appartient à l’essence d’une chose ce sans quoi la chose ne peut ni être ni se concevoir ""


Cher Hokousai,

il m'a semblé un instant que vous souleviez ici un aspect très important pour ce dont nous discutons, et qu'on n'avait pas encore pris en compte, mais finalement, je crois que je me trompe tout de même.

La phrase principale qui semble réfuter ce que vous écrivez: E2P10 démo du corollaire: "Car l'être de la substance n'appartient pas à l'essence de l'homme. Celle-ci est donc quelque chose qui est en Dieu, et qui sans Dieu ne peut ni être ni se concevoir, autrement dit une affection, autrement dit une manière, qui exprime la nature de Dieu de manière précise et déterminée."

Ici il dit tout de même que l'essence de l'homme est en Dieu et ne peut être ni se concevoir sans Dieu, non? Dans ce cas, aussi bien les choses que leurs essences ne peuvent se concevoir sans Dieu.

Car c'est parce que l'être de la substance n'appartient pas à l'essence, que l'essence ne peut se concevoir ni être sans Dieu. Cela semble être contradictoire, mais je crois qu'il faut, pour lever la contradiction ou le paradoxe, tenir compte du fait que dans la démo de 'E2P10, Spinoza réfère à l'E1P7, où il dit que l'essence de Dieu enveloppe l'existence. Contrairement à ce que je pensais jusqu'à présent, il faut donc non pas comprendre par "l'etre" de la substance son existence nécessaire (en distinguant être = existence de l'essence (quoddité), de l'essence (quiddité), comme on le fait depuis le thomisme), mais bel et bien son essence. L'essence de Dieu ne constitue pas la forme de l'homme, c'est-à-dire à l'essence de l'homme n'appartient pas l'essence de la substance.

Pourquoi pas? Parce que si c'était le cas, l'essence de la substance enveloppant l'existence nécessaire, l'homme aussi existerait nécessairement, ce qui n'est possible que si son essence enveloppe l'existence. Or nous savons que cela n'est pas le cas, son essence reçoit son existence de quelque chose d'autre qu'elle-même. Du coup, l'essence de la chose a effectivement besoin de l'essence de Dieu pour pouvoir être et être conçue, car ne recevant pas l'existence d'elle-même, elle n'existe que par Dieu. Elle ne peut donc être ni être conçu sans Dieu et cela précisément parce que Dieu n'appartient pas à son essence.

Si nous faisons un instant le lien avec l'E2P45-47, on constate que l'essence de Dieu n'appartient pas à l'essence de l'homme, mais que l'essence de l'homme enveloppe néanmoins le concept de l'attribut dont la chose est une manière, et par là l'essence éternelle et infinie de Dieu. Ce qui "appartient à" une essence ou "constitue" cette essence, n'est donc pas la même chose que ce qui est "enveloppée" par cette essence. Ce qui est enveloppée par l'essence de chaque chose, c'est l'essence de Dieu, essence divine qui ne constitue pour autant pas l'essence de la chose. Cela reste cohérent avec le fait que ce qui constitue l'essence d'une chose ne peut être commun à une autre chose. Une fois de plus, il faut donc supposer qu'envelopper l'essence de Dieu est une "propriété" de l'essence de chaque chose (ce qui est ce sur quoi insistent ShBJ et Durtal dans l'autre fil), propriété qui ne constitue nullement l'essence de la chose (voir mon dernier message à PhiPhilo).

Hokousai a écrit :Les scolastiques estiment que c’est l’essence qui est ce sans quoi la chose ne peut ni être ni se concevoir, et bien sur Dieu d’où tout procède .
Mais pour Spinoza ce sans quoi la chose ne peut ni être ni se concevoir , C’est Dieu d’une part et c’est la chose présente d’autre part .

Avec l’ essence de la chose ( telle que dîte dans ce scolie ) on est dans la présence / suppression . Comment alors penser cela dans le registre des essences éternelles de la scolastique* ?

*(scolastique vue de loin mais Spinoza fait lui même un balayage ultra rapide


je crois que dire que ce qui constitue l'essence d'une chose est ce qui, supprimée, supprime aussi cette essence, ne nous oblige pas forcément à supposer que la chose (ou son essence) puisse être réellement supprimée. Par contre - et là je m'adresse aussi, nolens volens, à Sescho - je crois que cette condition a pour seule utilité d'enlever toute possibilité des "essences de genre", pour rendre toute essence singulière. Qu'elle est aussi éternelle n'y change rien. Car ce n'est pas seulement l'essence qui est éternelle, c'est aussi la chose (en tant qu'elle a cette essence éternelle). Mais elles ne sont éternelles que "en Dieu", et non pas dans la durée (où toute chose est impermanente). D'où la nécessité d'en passer par une "vision en Dieu", c'est-à-dire une "intuition intellectuelle", ou intuition cognitive immédiate (ayant bien sûr un effet affectif simultané) pour saisir ces essences éternelles singulières.

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Messagepar Louisa » 01 juil. 2008, 05:13

A Sescho,

E2P10 démo du corollaire: "Car l'être de la substance n'appartient pas à l'essence de l'homme. Celle-ci est donc quelque chose qui est en Dieu, et qui sans Dieu ne peut ni être ni se concevoir, autrement dit une affection, autrement dit une manière, qui exprime la nature de Dieu de manière précise et déterminée."

Ici Spinoza dit clairement que l'essence de l'homme est une affection, un mode de la Substance. Si je t'ai bien compris, tu reconnais l'existence d'essences singulières, donc d'une essence qui ne caractérise que toi en tant qu'homme, et qui par définition n'a rien en commun avec mon essence à moi. Ta thèse est plutôt de dire qu'on ne peut pas connaître cette essence, ou plutôt, on ne peut la connaître que "partiellement". Comment? En appliquant à elle les lois de la nature.

Mon problème: comment concevoir que les lois communes de la nature nous disent quelque chose sur l'essence singulière d'une chose, une fois qu'il est clair que celle-ci est un mode, qui se caractérise dans son essence par le fait de n'avoir rien en commun avec les autres modes/essences? Tu dis que chaque chose enveloppe l'essence de Dieu (que tu appelles le "soi divin"), et c'est tout à fait vrai. Mais comme je viens de le dire dans mon message à Hokousai, il me semble indéniable que ce qu'une chose ou essence enveloppe, ne constitue PAS son essence. Même pas "en partie". Cela ne nous dit quelque chose que sur ce que cette chose a en commun avec les autres choses. Je n'aurais jamais pu exister, la loi de la gravitation était toujours vraie. Si mon essence singulière se définit par ce qui sans moi ne peut être, jamais une loi de la nature ne peut "constituer" mon essence singulière. Tout ce qui relève des lois communes de la nature ne peut qu'être "enveloppé" dans mon essence, mais jamais la constituer.

Si c'est cela ce que tu veux dire par connaître l'essence "en partie": ok, nous sommes d'accord. Le problème qui reste à clarifier alors, c'est celui de l'objet du troisième genre de connaissance. On sait qu'il porte sur les essences. De ton point de vue, il devrait porter sur ce qu'enveloppent les essences, et non pas sur ce qui appartient à telle ou telle essence singulière. Moi-même je préfère explorer l'hypothèse que le troisième genre ait comme objet l'essence singulière d'une chose, et cela parce qu'il a sa cause formelle dans MON essence à moi, mais aussi parce qu'une science intuitive a en principe comme objet la singularité, et non pas la généralité (ce qui chez Spinoza correspond à ce que les choses ont en commun).

Car ce que les choses ont en commun, c'est le concept de l'attribut qu'ils expriment. Supposons que les lois de la nature sont l'essence même de Dieu, ou plutôt en découlent (que dirais-tu là-dessus, en fait?). Elles nous disent alors quelque chose de ce que les essences ou modes enveloppent, PAS quelque chose sur ce qui constitue ces essences/modes.

Bref, admettons les essences singulières, je ne vois toujours pas ce qui pour toi justifie l'idée que les lois de la Nature ou (supposons) la nature de Dieu puissent nous dire quelque chose sur ce qui constitue ces essences. Mais j'admets volontiers que les lois de la nature nous disent quelque chose sur ce qu'enveloppent les essences, autrement dit: de leur propriétés communes.

La question reste alors de savoir sur quoi porte le troisième genre de connaissance. Si tu dis: sur les lois communes appliquées aux essences singulières, on en reste à l'essence de l'attribut, appliquée à une chose particulière. Mais appliquer l'essence de l'attribut à une chose particulière, c'est découvrir ce que son essence enveloppe. Cela ne nous dit rien de ce qui constitue son essence. Le troisième genre, en revanche, n'en reste pas à cela: il ne se contente pas d'appliquer l'essence de l'attribut aux choses singulières (aux propriétés communes). Il s'agit de PASSER de l'essence de l'attribut, à l'essence même de la chose, autrement dit, à ce qui la constitue. Jamais les lois de la nature ne peuvent la constituer, parce que ce qui la constitue est unique, est un mode spécifique de l'attribut, TEL mode et pas un autre. Les lois ne régissent que ce qui de ce mode est commun avec tous les modes de l'attributs.
Dans l'espoir que tu vas me dire en quoi tu n'es pas d'accord avec ce raisonnement,
L.

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Messagepar hokousai » 01 juil. 2008, 16:26

Chère Louisa


La phrase principale qui semble réfuter ce que vous écrivez: E2P10 démo du corollaire: "Car l'être de la substance n'appartient pas à l'essence de l'homme. Celle-ci est donc quelque chose qui est en Dieu, et qui sans Dieu ne peut ni être ni se concevoir, autrement dit une affection, autrement dit une manière, qui exprime la nature de Dieu de manière précise et déterminée."

Ici il dit tout de même que l'essence de l'homme est en Dieu et ne peut être ni se concevoir sans Dieu, non? Dans ce cas, aussi bien les choses que leurs essences ne peuvent se concevoir sans Dieu.


la question n'est pas là rien ne peut existe ni se concevoir sans Dieu (point /barre )

Vous distinguez abusivement l’ essence de la chose . Or l’essence c’est la chose , c’est à dire la modification .
Si une modification est un mode finis de la substance, il n’y a donc pas de modes finis éternels (comme je me suis efforcé de le montrer à Durtal )
Il n y a pas d’essences éternelles .( sauf pour les modes infinis )

je crois que dire que ce qui constitue l'essence d'une chose est ce qui, supprimée, supprime aussi cette essence, ne nous oblige pas forcément à supposer que la chose (ou son essence) puisse être réellement supprimée.


A mon avis on est obligé de le penser sinon qu’est ce que la suppression ? Une suppression imaginaire ?Donc aussi une présence imaginée ,et finalement une chose imaginaire , un mirage de chose . Si vous voulez mais alors la chose et son essence éternelle sont encore plus des mirages .
Spinoza ne le laisse pas penser .
Car qu ' en est il alors des degrés de réalités ?

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Messagepar Louisa » 01 juil. 2008, 16:47

louisa:
il se fait que la définition du troisième genre de connaissance est très proche de toutes les autres définitions qui en l'histoire de la philosophie existent de l'intuition intellectuelle.

Vieordinaire:
Wow! Ce n'est simplement pas vrai. Pourriez-vous me dire ce que vous etendez par les autres traditions/definitions de "l'intuition intellectuelle"?


Bonjour Vieordinaire,

comme j'ai entre-temps dit: il existe un tas de différentes définitions de l'intuition intellectuelle, mais tous semblent avoir un commun ce qu'en dit également Spinoza: connaissance immédiate d'une chose singulière.

Voici une introduction à la notion d'intuition intellectuelle qui permet déjà de mieux comprendre en quoi elle consiste traditionnellement (issue du Dictionnaire du Moyen Âge, dir. Gauvard, de Libera, Zink, entrée "intuition"):

L'intuition (dérivés [sic] du verbe intueor qui signifie un regard et intuitio une image réfléchie dans un miroir) n'est pas une notion univoque dotée d'un contenu homogène. Elle ne sera placée au centre de la noétique qu'à la fin du XIIIe s. par Jean Duns Scot et surtout au XIVe s. par Guillaume d'Ockham, deux principaux acteurs du regain d'intérêt pour l'intuition. La question philosophique de l'intuition traverse la question des universaux, celle de l'intellection du singulier, et plus généralement la question de notre accès direct au réel.

On ne saurait comprendre la notion d'intuition sans en saisir l'arrière-fond aristotélicien. Selon Aristote, l'objet des sens est individuel et l'objet de l'intellect universel, mais dans les Seconds Analytiques, II, 19 Aristotie lègue l'énigme suivante: "Bien que l'acte de perception ait pour objet l'individu, la sensation n'en porte pas moins sur l'universel." La tâche des philosophes du Moyen Âge sera de lever cette ambiguïté afin d'établir un cadastre plus précis des différentes facultés cognitives et de leurs objets. L'étymologie du terme "intuition" suggère qu'il s'agit d'une connaissance sensible (la vision); mais, dans ce même texte, Aristote parle d'une intuition intellectuelle (...), simplement opposée à la pensée discursive. (...) Il s'agira donc au Moyen Âge de savoir si l'intuition est sensible ou intellectuelle et si elle porte sur l'individuel ou l'universel. A partir d'Ockham on pensera que l'intellect atteint le singulier par une connaissance intuitive. Saint Augustin est aussi une des sources pour cette question. Selon lui, l'intuition est la connaissance que Dieu a de toutes choses dans un seul regard (De trinitate, XV, VII, 13). Augustin appelle aussi intuition ou vision (intueri) l'acte par lequel on reconnaît les formes intelligibles, sorte d'oeil intérieur qui permet d'éclairer le sensible (doctrine de l'illumination divine).

L'histoire de l'intellection du singulier qui donnera lieu aux philosophies de l'intuition au XIVe s. est guidée par ce double héritage. Il s'agit de savoir quel rôle donner à l'individuel dans la connaissance intellectuelle de l'universel. La question subséquence est celle de savoir si l'intellect atteint directement le singulier, ou s'il accède seulement une donnée intérieure et intellectuelle, une espèce (species) ou image du singulier, propre ou dépouillée de ses caractéristiques individuantes, ou bien à l'universel seul. S'affrontent alors les partisans d'une intellection exclusive de l'universel (Robert Grosseteste, Jean de la Rochelle, Alexandre de Halès, Albert Le Grand), ceux d'une intellection indirecte du singulier (Thomas d'Aquin, Bonaventure, Henri de Gand), et ceux de l'intellection directe du singulier (Matthieu d'Aquasparta, Richard de Mediavilla, Vital du Four, Roger Bacon, Pierre Jean Olivi). Ces derniers reconnaissent une intellection directe du singulier, mais par l'intermédiaire d'une espcèe propre (image de ce singulier) qui arrive jusqu'à l'intellect (...). Les philosophes de l'intuition sont les héritiers des précités bien qu'ils considèrent l'intuition comme une connaissance encore plus directe du singulier puisqu'elle est sans intermédiaires.

L'autre pas important dans la théorisation de l'intuition tient développement de l'optique qui redonne à la vision un rôle de premier plan. Les travaux en optique du philosophe irakien Alhazen (965-1040) dans son De aspectibus et ceux de Roger Bacon (1220-1292) sur la multiplication des espèces dans le processus cognitif et sur les signes (dans le De signis marquent une avancée décisive vers une philosophie de l'intuition. Alhazen appelle intuitio la compréhension complète et distincte de la chose singulière, par analogie à la ligne droite du rayon non réfracté de lumière qui pénètre l'oeil sans déformer l'image (...). Selon cette acception, l'intuition est une connaissance directe et propre de la chose singulière. (...)

La théologie imprègne aussi la notion. Après Augustin, l'intuition est souvent réservée à Dieu. A partir du XIIIe s. (surtout Henri de Gand (1217-1293) et Matthieu d'Aquasparta (1237-1302)), on élargit cette connaissance aux Bienheureux qui connaissent Dieu directement et intuitivement et aux Anges qui, par délégation divine, connaissent intuitivement (et intellectuellement) les objets mondains. Ce type de connaissance assure les Bienheureux de l'existence de Dieu.. Au contraire, la connaissance du viator (l'être humain ici-bas), abstraite parce que sans lien direct avec Dieu, procède par concepts communs à Dieu et aux créatures et par connaissance discursive. Ce modèle est conservé pour les autres objets. L'expression cognitio intuitiva s'oppose donc à la cognitio abstractiva, connaissance générale par concepts, images, signes, mais aussi la connaissance discursive. L'INTUITION EST UNE CONNAISSANCE IMMEDIATE ET EXPERIMENTALE, qui se caractérise par la simplicité de son acte et la présence de son objet.

Duns Scot (1265-1308) marque le pas décisif. La connaissance intuitive est une connaissance d'objets existants et présents (...). La connaissance abstractive est causée par l'image des choses (une species ou ressemblance des choses) et non pas par les choses elles-mêmes (...). L'intuition et l'abstraction ont le même objet, le singulier, connus sous des aspects différents. Leur distinction n'est plus identique à la distinction sens/intellect (O. Boulnois). La connaissance abstractive peut aussi être une connaissance universelle.

Pierre d'Auriol (...) joue un rôle intermédiaire entre Scot et Ockham. (...) Guillaume d'Ockham (1285-1347/49), réagissant aux thèses de Scot et d'Auriol, place l'intuition au centre de sa théorie réaliste de la connaissance (...). L'universel est l'act d'abstraction intellectuelle lui-même. Il n'est rien en dehors de l'esprit (...). Cette connaissance abstractive est générale, car elle est une similitude (ressemblance) de la chose appréhendée. Or, cette chose ressemble maximalement aux êtres de son espèce et minimalement à ceux de même genre; donc le concept abstractif, terme d'espèce ou de genre naturel, ressemblera à son tour à ces choses (...). Quant à l'acte intuitif il peut lui-même tenir lieu de la chose singulière dans les propositions contingentes qu'il cause. Un acte intuitif peut donc être un signe naturel, une sorte de déictique dont la référence est déterminée par la relation de causalité qu'il entretient avec la chose singulière et non sa ressemblance.

Ockham deviendra le point de repère des discussions postérieures. De nombreux auteurs réagiront à sa théorie, soit pour l'adopter en la raffinant, soit pour la critiquer (...).


A mon sens, tout ceci confirme que la connaissance ou science intuitive était, malgré toutes les oppositions qui caractérisent les philosophes de l'intuition, généralement immédiate et portant sur la chose singulière (depuis Ockham: sur la chose singulière dans ce qu'elle a de singulier, dans ce en quoi elle ne ressemble à aucune autre chose, Duns Scots étant, pour autant que je l'aie compris (à verifier) l'un des derniers à néanmoins admettre la possibilité d'une intuition intellectuelle de l'universel, et non plus exclusivement du singulier).

Il est vrai que la définition stricto sensu du troisième genre de connaissance chez Spinoza ne permet pas encore de voir cette affinité avec ce que la tradition appelle l"intuition intellectuelle. Mais très vite, nous apprenons qu'il s'agit d'une connaissance qui ne porte pas sur les propriétés communes des choses (voir l'exemple de la quatrième proportionnelle, qui suit immédiatement à la définition, E2P40 sc II, passage où il dit que la démonstration d'Euclide (connaissance scientifique par excellence) porte sur une propriété commune des proportionnels). Tandis qu'il s'agit bien plutôt de voir d'un seul coup d'oeil, videmus uno intuitu, donc de voir immédiatement et intellectuellement. D'autre part, pour moi l'E5P24-25 montrent indéniablement que le troisième genre porte sur les essences des choses singulières (indéniablement signifie: je ne sais pas le nier aussi longtemps que quelqu'un n'aura pas réfuté cette interprétation), donc de nouveau sur le singulier (puisque pour Spinoza une essence est constituée par ce qui n'a rien en commun avec une autre essence).

J'aurais donc peut-être dû écrire que la façon dont Spinoza caractérise le troisième genre de connaissance en tant que science intuitive le rend très proche de ce que les différentes conceptions de cette science historiquement avaient généralement en commun, au lieu de parler de la définition même du troisième genre de connaissance, qui en tant que telle ne laisse effectivement pas encore voir cette similitude.

Enfin, ajoutons-y que cette proximité en tant que telle ne peut bien sûr aucunement constituer un argument décisif pour dire que le troisième genre de connaissance de Spinoza ne peut porter sur les lois communes de la nature. Il faut bel et bien pouvoir démontrer cela sur le texte spinoziste lui-même, car il est déjà évident que Spinoza, comme j'ai dit ci-dessus, donne une toute nouvelle version de cette science intuitive. Quand donc ci-dessus tu me cites, il s'agissait d'un argument non pas pro la thèse que j'essaie de défendre ici dès le début (le troisième genre porte sur les essences singulières des choses singulières), mais contra la suggestion de Sescho qu'une telle connaissance serait totalement absurde - je voulais donc démontrer que longtemps la tradition philosophique a appelé science intuitive quelque chose qui y ressemble sous certains aspects très fortement, et que donc le sentiment d'absurdité que nous éprouvons (moi aussi) spontanément par rapport à cette idée, peut avoir à voir avec la simple absence de familiarité avec ces types de pensée.
Cordialement,
L.

PS: si tu veux en savoir plus en ce qui concerne la science intuitive (références données par Aurélie Robert, auteur de l'article cité ci-dessus; comme tu habites en anglophonie, je ne sélectionne que les titres en anglais):
- K. TACHAU, Vision and Certitude in the Age of Ockham. Optics, Epistemology and the Foundations of Semantics, Leyde, E. J. Brill, 1988.
- S. DAY, Intuitive Cognition: A Key to the Significance of the Later Scholastics, New York, St. Bonaventure, 1947.

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Messagepar hokousai » 01 juil. 2008, 22:50

à Louisa


D'autre part, pour moi l'E5P24-25 montrent indéniablement que le troisième genre porte sur les essences des choses singulières (indéniablement signifie: je ne sais pas le nier aussi longtemps que quelqu'un n'aura pas réfuté cette interprétation), donc de nouveau sur le singulier (puisque pour Spinoza une essence est constituée par ce qui n'a rien en commun avec une autre essence).



chère Louisa il y a quand même une très courte précision de Spinoza qui fait problème ( sauf si la traduction est problématique )
dans e scolie 2 de la prop 40/2

Spinoza dit """et ce genre de connaitre procède de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu (ce qui est déjà une intellection assez raffinée ) vers la connaissance adéquate de l'essencedes choses .""""

la traduction donne en français un pluriel , s'agit -il de l'essence des choses en général ( oui ou non ?)

.......................................................................
je ne vois pas le sens à accorder à connaissance intuitive de l'essence de chaque chose singulière ( tel que vous le défendez )
Prenons une table précise , qu'en sais -je intuitivement ?
Oh je sais très bien ce que j’ en sais intuitivement et se serait pour Spinoza des perceptions confuses .( je ne lui pardonne d’ailleurs pas ce mépris pour la perception )

Ou alors qu’en sais- je ? Sinon un savoir non intuitifs mais très raisonnés :sur sa composition en bois ou autres, fabriquée de telle et telle manière, sur son histoire de table dans ma famille … que sais je qui na rien à voir avec l’intuition .

Et que pourriez- vous connaître intuitivement de cette table précise sinon ce que vous en percevez là devant vous . ?

On est en pleine confusion et promesses obscures avec cette vision intuitive de l’essence de chaque chose particulière .
Je comprends parfaitement que quelqu’un d’assez méfiant comme Deleuze parle de mystère .
Moi je vous reproche de vous y complaire en instrumentalisant le très et trop peu de textes (par ailleurs sibyllins ) de Spinoza sur ce troisième genre de connaissance .


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