Les conséquences pratiques du déterminisme

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Alexandre_VI
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Les conséquences pratiques du déterminisme

Messagepar Alexandre_VI » 13 juin 2008, 00:18

Comme je disais à Louisa, je ne suis pas sûr qu'il soit moral de chercher à divulguer le déterminisme et de troubler l'esprit de n'importe qui avec ce genre de pensées...

Après tout, l'idée qu'il existe un déterminisme absolu, que rien de ce que je fais n'est libre, peut facilement engendrer du désespoir et du fatalisme. Si je n'ai pas le choix, je ne suis pas maître de mon destin, donc je suis une marionnette, donc je ne peux rien y faire, donc à quoi bon lutter? Mon destin est déjà prédéterminé! Rien de ce que je fais n'est une vraie création, rien n'est original, puisque tout était implicitement contenu dans les causes de mes actes.

Je ne dis pas que ce raisonnement est sans faille, mais c'est sans doute une réaction prévisible au déterminisme.

Deuxièmement, puisque le déterminisme est incompatible avec la responsabilité morale, et que la responsabilité morale est une idée commune chez les moralistes leur servant à justifier les bonnes conduites, alors on peut craindre un certain relâchement dans la conduite de ceux qui sont convaincus d'être déterminés. Pourquoi me retenir puisque je ne suis pas responsable de ce que je fais? Je pourrai toujours jeter le blâme sur autre chose!

Là encore je ne prétends pas que le raisonnement soit sans faille. Mais il mérite une réponse intelligente.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 13 juin 2008, 00:29

,
Rien de ce que je fais n'est une vraie création, rien n'est original,


allons allons ne déprimez pas , vous êtes jeune
faites un petit effort ..... et ça va venir .

hokousai

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Louisa
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Messagepar Louisa » 13 juin 2008, 00:49

Bonjour Alexandre,

ce raisonnement mérite certainement une réponse intelligente. Je ne sais pas dans quelle mesure la mienne le sera, mais voici en tout cas une tentative.

1. Déterminisme versus fatalisme.

Est-ce qu'une fois que l'on pose le monde comme étant entièrement déterminé, il devient possible voire vaut mieux d'adopter une attitude fataliste, renonçant à toute lutte ou à toute volonté d'améliorer sa propre situation et celles des autres?

On pourrait le croire, mais alors, comme tu le soulignes déjà toi-même, on aura plutôt tendance à ce faire sur base d'un certain "Orgueil": on VEUT croire qu'on est responsable de tout ce qu'on fait, sinon on trouve que cela ne vaut pas la peine d'agir. Comme si le sens de nos actes ne réside pas avant tout dans l'utilité de leurs conséquences, pour nous-mêmes et pour les autres, mais juste dans "l'honneur" qu'on peut en tirer. Ce serait négliger le sens de la plupart des actes que nous posons, non?

Puis le fatalisme contient une contradiction interne: si tout est déterminé, on ne peut pas en conclure que dès lors, on est "libre" de choisir de s'engager dans une lutte ou non! Ou bien on était de toute éternité déterminé à lutter, ou bien non. Ce n'est que quand on refuse le déterminisme, que ce genre de choix existent. Une fois que la liberté n'a plus rien à voir avec un choix entre deux alternatives, on n'est pas plus libre de choisir d'abandonner tout engagement que de s'y jeter à fond.

Troisièmement, il ne faut pas oublier que supposer un déterminisme n'implique que le fait que tout effet a une cause. Il va de soi que de pas mal d'effets, nous sommes nous-mêmes la cause. Quand nous avons compris quelque chose, cette compréhension sera à la base d'un autre acte que si nous n'avions pas compris. Or c'est bel et bien NOUS, et pas quelqu'un d'autre, qui a compris, et sans effort, qu'on soit déterminé ou non, on n'arrivera jamais à comprendre. Ou plutôt: parce que la compréhension n'arrive pas "quand on le veut", mais suit des règles déterminées, des règles qui stipulent que sans effort, on ne comprendra rien, il FAUT, si nous voulons comprendre, faire un effort.

Ce qui nous amène au quatrième point: poser un déterminisme n'a que comme effet pratique de chercher toujours et partout des causes pour les effets que l'on voit ou veut. L'avantage pratique de cette recherche, c'est que nous pourrons intervenir de façon beaucoup plus efficace dans le réel en connaissant les liens cause-effets qu'en supposant qu'il n'y a pas de détermination.

Enfin, que tout est déterminé ne signifie pas que tout arrivera comme prévu, indépendamment de ce que je fais. Comme si l'être humain ne serait plus qu'un épiphénomène. Il est tout aussi bien déterminé, par exemple, que l'homme cherche le bonheur, qu'il fera tout pour le trouver, qu'il ne pourra jamais être heureux s'il ne fait rien de sa vie. Le déterminisme signifie seulement que nous sommes ignorants de nombreuses causes qui sont actives dans le monde et dans notre vie.

2. Déterminisme versus responsabilité.

Si tout est déterminé, on ne peut plus traiter les gens comme s'ils étaient à 100% responsables eux-mêmes de leurs actes. Cela, c'est grave, disent les moralistes. Pourquoi? Parce qu'alors on ne peut plus punir les gens quand ils font quelque chose de mal.

Pour un spinoziste, il faut pousser le questionnement plus loin: POURQUOI voulons-nous punir les gens? Parce que nous espérons qu'après, ils ne feront plus ce pour quoi on les a puni. Mais cela correspond-il à la réalité? Parfois oui. Cela marche avant tout avec des enfants. Sinon la punition en tant que telle (l'emprisonnement, par exemple) n'a jamais rendu qui que ce soit meilleur. L'emprisonnement est nécessaire pour empêcher un homme dangereux de commettre davantage de crimes. Il ne fait pas du tout de cet homme quelqu'un de moins criminel.

Or si l'on se soucie de notre bonheur et de celui des autres, il faudrait peut-être s'intéresser avant tout à la question de COMMENT obtenir que les criminels font moins de crimes? Et là, un raisonnement basé sur un déterminisme pourrait être beaucoup plus efficace qu'un moralisme. Car il oblige de ne jamais arrêter la recherche active des causes des comportements humains. Plus nous connaissons ces causes, plus nous pourrons réellement changer un criminel en quelqu'un de moins dangereux pour lui-même et pour d'autres. Or, à partir de ce moment-là, il ne suffit plus de juste emprisonner les criminels. Il faut surtout trouver un moyen pour qu'en prison ils apprennent à vivre autrement.

Bref, d'un point de vue déterministe ce sont bel et bien les moralisateurs qui optent pour un genre de fatalisme, quant à la lutte "sociale", là où un déterministe ne peut jamais cesser de faire effort pour trouver toujours davantages de causes du "mal", afin de pouvoir l'éradiquer plus efficacement.
Modifié en dernier par Louisa le 13 juin 2008, 01:14, modifié 4 fois.

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Messagepar Louisa » 13 juin 2008, 00:50

Hokousai a écrit :Citation:
Rien de ce que je fais n'est une vraie création, rien n'est original,


allons allons ne déprimez pas , vous êtes jeune
faites un petit effort ..... et ça va venir .


:lol:

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Messagepar Louisa » 13 juin 2008, 01:30

aurobindo a écrit :La doctrine de Spinoza elle même qui expose un déterminisme ne succombant pas au fatalisme n'offre t-elle pas une porte de sortie quoique difficile certes faisable. La responsabilité ne s'apparenterait -elle pas à la liberté spinoziste, c'est à dire au respect d'un déterminisme interne

Du reste plutôt que d'exposer à tous sa difficile doctrine déterministe , il me semble, en effet que Spinoza encourageait prudemment certaines personnes dans leur croyance au libre-arbitre. Mais je ne suis pas sur que Spinoza ou qu'un spinoziste patenté, aurait des scrupules avec notre jeune philosophe ^^


je ne crois pas que la responsabilité morale s'apparente à la liberté spinoziste comprise comme une détermination interne. Ou disons qu'elle n'y correspond qu'à moitié, exactement cette moitié qui n'intéresse pas les moralistes.

Car Spinoza est bien explicite là-dessus: tout ce que nous faisons en tant que nous sommes nous-mêmes la cause adéquate de nos actes, est bon. Or la raison pour laquelle un moraliste a besoin de responsabilité, c'est avant tout, il me semble, pour ce qui concerne nos actes mauvais.

Pour un moraliste, il est important de considérer celui qui par exemple par Haine pour l'amant de sa femme a tué amant et femme, comme quelqu'un qui a agi "librement". Pour un spinoziste, cela est inconcevable. S'il a agi par la Haine, il était lui-même la première "victime" dans toute cette histoire, car on est toujours soumis à la Haine pour Spinoza, on la subit toujours, elle est toujours une passion, au sens fort du mot. En ce sens, nous n'en sommes jamais la cause adéquate.

En revanche, la question qui se pose face à celui qui a tué sa femme est bien plutôt: comment AUGMENTER sa puissance d'agir et de penser, comment le rendre plus heureux, comment faire pour qu'il soit moins soumis aux passions, pour qu'il devienne plus Actif, plus libre? Cela me semble être un "programme social" assez révolutionnaire ... .

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Messagepar Alexandre_VI » 13 juin 2008, 21:19

Bonjour Louisa,

Ta réponse me satisfait dans son ensemble, excepté quelques points.

D'abord, pour moi le libre arbitre est le «pouvoir des contraires», pouvoir choisir une chose ou son contraire. Par exemple être assis ou debout à midi pile est un choix entre des contraires. Mais être assis à midi, et debout une minute plus tard, n'est pas un choix entre contraires.

Le déterminisme n'est que la négation d'un tel pouvoir.

On nie rarement que tout effet ait une cause, puisque le concept d'effet enveloppe le concept de cause. Ce qui est plus débattu, c'est si chaque événement a une cause. Aux dires de plusieurs vulgarisateurs de la physique quantique, certains phénomènes n'ont pas de cause.

Une bonne question serait de savoir si la volonté libre peut être la cause suffisante d'un certain effet, puisqu'un effet contraire était également possible. En d'autres termes: pourquoi ceci plutôt que cela? L'explication «parce que je l'ai choisi» n'est-elle pas arbitraire, et donc sans raison suffisante? Le choix, s'il existe, serait-il gratuit par essence?

De toute façon, pour moi les choses sont simples: les facultés cognitives (perception, raisonnement, mémoire) présentent à la volonté divers motifs d'action, et la volonté opte nécessairement pour le plus fort: c'est comme des poids sur une balance.

Ensuite il faudrait que tu étayes ton affirmation que l'emprisonnement est inefficace pour corriger les individus. J'avais déjà entendu dire que la peine de mort était inefficace, mais l'emprisonnement?

Finalement, l'idée que notre comportement est déterminé peut aussi tomber entre les mains d'un dictateur, qui s'en servirait pour contrôler les masses.

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Faun
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Messagepar Faun » 13 juin 2008, 21:35

Alexandre_VI a écrit :
Ensuite il faudrait que tu étayes ton affirmation que l'emprisonnement est inefficace pour corriger les individus. J'avais déjà entendu dire que la peine de mort était inefficace, mais l'emprisonnement?


C'est évident, puisqu'on suppose qu'une personne qui a agit contre les lois n'a pas pu dominer ses affections. Qu'il s'agisse de l'avarice, comme dit Spinoza, dans le cas du vol, ou de la colère ou de la vengeance, dans le cas d'un assassinat, ou encore de la lubricité dans le cas d'un viol, etc. Ne pas pouvoir, c'est à dire ne pas avoir la force de, contrarier une passion est une faiblesse, que la prison ne pourras jamais corriger. La seule utilité des prisons est de protéger la société contre ceux qui pourrait lui nuire, mais elle n'est d'aucune utilité pour les personnes emprisonnées. Il faudrait plutôt mettre en place des moyens d'aider ces personnes faibles à se renforcer, à acquérir davantage de fermeté, comme dit Spinoza, afin qu'elles soient capables de contrarier leurs affects, en les remplaçant, puisque c'est l'unique solution, par d'autres. Mais comment être enfermé avec des gens qui ont les mêmes affects que vous pourrait il permettre cela ? C'est absurde.


Finalement, l'idée que notre comportement est déterminé peut aussi tomber entre les mains d'un dictateur, qui s'en servirait pour contrôler les masses.


C'est déjà le cas, il suffit de voir la manipulation affective des peuples par les journaux, les radios et les télévisions. Sans parler de la publicité...

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Messagepar Louisa » 14 juin 2008, 02:28

Alexandre VI a écrit :D'abord, pour moi le libre arbitre est le «pouvoir des contraires», pouvoir choisir une chose ou son contraire. Par exemple être assis ou debout à midi pile est un choix entre des contraires. Mais être assis à midi, et debout une minute plus tard, n'est pas un choix entre contraires.


d'accord. Ce que le déterminisme répond à cela, je crois, c'est que cette expérience - réelle! - de choix n'est possible que sur fond d'ignorance: c'est parce que je ne connais pas encore la cause de ce qui va me faire pencher vers l'une des deux alternatives, que j'ai le sentiment d'avoir le choix. Dire qu'il s'agit d'une ignorance n'abolit dès lors pas ces expériences de choix. Cela signifie plutôt que l'on veut situer la liberté, cette plus haute capacité humaine, ailleurs que dans la simple ignorance. Est libre, pour Spinoza, l'acte qui se déduit entièrement de la raison. Est libre celui qui est conduit par la raison. Est contrainte, celui qui pâtit, celui dont le bonheur dépend des rencontres fortuites avec la nature.

On pourrait également penser à Leibniz, qui part lui aussi d'un déterminisme absolu, et pour qui la liberté concerne seuls ces actes qui expriment "l'amplitude de mon âme" à un moment donné. Dans un déterminisme la liberté a donc à voir avec le caractère spécifique de certains actes, plutôt que de désigner une "condition humaine" tout à fait générale (et souvent fort misérable, peu digne du qualificatif "libre").

Alexandre VI a écrit :On nie rarement que tout effet ait une cause, puisque le concept d'effet enveloppe le concept de cause. Ce qui est plus débattu, c'est si chaque événement a une cause. Aux dires de plusieurs vulgarisateurs de la physique quantique, certains phénomènes n'ont pas de cause.


pour autant que je sache, il ne s'agit pas vraiment d'une absence de cause, mais plutôt d'une "indétermination" fondamentale, c'est-à-dire du fait qu'une seule cause peut donner lieu à deux effets tout à fait différents, tandis que rien ne permet de prévoir avec une certitude parfaite lequel des deux effets se réalisera, une fois la cause donnée. On ne peut que prévoir quel effet sera le plus probable.

En tout cas, comme je l'ai déjà dit ailleurs sur ce forum (voir la discussion concernant Prigogine), à mon sens l'état actuel de la science nous oblige à repenser le déterminisme classique mécanique. Par repenser je veux simplement dire: il faut activement vérifier dans quelle mesure ce type de déterminisme est toujours compatible avec les données et théories scientifiques actuelles, ou doit être retraduit voire sérieusement modifié/abandonné.

Alexandre VI a écrit :Une bonne question serait de savoir si la volonté libre peut être la cause suffisante d'un certain effet, puisqu'un effet contraire était également possible. En d'autres termes: pourquoi ceci plutôt que cela? L'explication «parce que je l'ai choisi» n'est-elle pas arbitraire, et donc sans raison suffisante? Le choix, s'il existe, serait-il gratuit par essence?


le problème du libre arbitre ou de la volonté libre, c'est à mon sens qu'il nécessité le concept d'une cause non causée elle-même. En ce sens, le jugement ou la volonté serait libre. Mais en effet, une fois qu'on le pense ainsi, pourquoi plutôt choisir ceci que cela? Si plus rien n'influence le choix, ne cause le choix, on ne voit pas comment un choix pourrait jamais être possible. Pour moi, cela implique que l'idée d'un libre arbitre est assez flou, voire contient une contradiction interne.

Tout autre est la question de savoir si la volonté peut être cause d'un effet. Là je crois que Spinoza répondrait sans hésitation: oui. Car la volonté, chez lui, ce n'est rien d'autre que l'affirmation qu'enveloppe l'idée. Dès lors, quand nous avons compris quelque chose, nous avons une idée adéquate. Les actes qui suivent de cette idée, sont causés uniquement par cette idée, idée qui appartient à NOUS. Là, c'est donc bel et bien nous qui sommes la cause adéquate de nos actes. Et justement, c'est dans cette mesure même que nous sommes libres, pour Spinoza. La liberté concerne donc ces actes dont nous sommes la "cause adéquate", c'est-à-dire ces actes que nous posons seuls, sans avoir besoin du concours d'une autre cause extérieure à nous (il est évident que la compréhension, avec son côté 'eureka", est l'exemple type de ce genre d'actes).

Alexandre VI a écrit :De toute façon, pour moi les choses sont simples: les facultés cognitives (perception, raisonnement, mémoire) présentent à la volonté divers motifs d'action, et la volonté opte nécessairement pour le plus fort: c'est comme des poids sur une balance.


ok, mais alors il faut présupposer une dualité fondamentale de l'Esprit: d'une part les facultés cognitives, d'autre part la volonté. Mais alors on obtient ce que Daniel Dennett à appelé un "théâtre cartésien": comme si à l'intérieur de notre cerveau il y a une scène de théâtre, sur laquelle la mémoire etc. présente certaines idées, tandis que la volonté, passive, se trouve dans la salle, regarde de façon neutre le spectacle, puis applaudit quand cela lui plaît. Comment fonder une telle scission cérébrale? Pour l'instant, rien, en neurobiologie, va dans le sens d'une telle dualité. Spinoza est également de l'avis que cela est absurde: la volonté n'est rien d'autre que l'affirmation enveloppée parl'idée, pour lui. Autrement dit: la balance n'existe pas. L'âme n'est pas divisée en balance et poids (idem en ce qui concerne Leibniz). Il n'y a que des poids, qui tirent l'âme tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, en fonction de ce qu'elle a réellement compris (ses idées adéquates) et ce qu'elle subit (ses idées inadéquates).

Alexandre VI a écrit :Ensuite il faudrait que tu étayes ton affirmation que l'emprisonnement est inefficace pour corriger les individus. J'avais déjà entendu dire que la peine de mort était inefficace, mais l'emprisonnement?


en effet, cela demande un peu plus d'arguments. Faun en a déjà donné quelques-uns qui me semblent être excellents. Si j'essaie de les prolonger, je dirais que l'embêtant de l'emprisonnement, c'est qu'on va mettre ensemble un nombre de gens qui n'ont jamais appris à bien vivre. Qui sont soumis aux affects passifs d'une façon assez considérable. Qui sont donc plus que quiconque sensibles au mécanisme de "l'imitation des affects". Ce mécanisme spinoziste stipule que quand on rencontre quelqu'un qui te haît, on l'aura également en Haine, tandis que quand on rencontre quelqu'un qui t'aime, on aura tendance à l'aimer. Il est évident que la Haine de la société est très élevée chez beaucoup de criminels. Les mettre ensemble ne peut donc que renforcer ce sentiment (beaucoup de prisonniers ont l'impression d'avoir été condamné de façon injuste, se répètent à l'envi que les gros poissons échappent toujours à la justice, qu'on ne punit que les petits, etc). D'ailleurs, la prison est vraiment là pour les faire souffrir: concevoir la société comme ce qui leur fait du mal et ce qu'il faut avoir en Haine est donc tout à fait justifié, de leur point de vue.

Enfin, si s'abstenir d'un crime n'est possible que quand on a compris que c'est d'abord et avant tout utile pour soi-même de ne pas le commettre, alors il faut trouver un moyen pour faire comprendre au criminel que c'est réellement plus utile de s'abstenir et de construire sa vie autrement. La prison, dans le meilleur des cas, n'apprend que qu'il veut mieux s'abstenir (au moins on échappe alors à la punition). Dans le pire des cas, passer quelque temps dans une prison te permet d'avoir un grand répertoire de numéros de téléphone d'autres criminels, de drogués, de traficants de drogues qui t'aideront à trouver un boulot une fois sorti de la prison (sachant qu'aucun employeur "normal" va vouloir t'embaucher). Tu y apprendras comment mieux échapper à la police, comment faire ton crime d'une façon plus parfaite, comment mieux choisir tes complices etc. Bref, tu y apprendras tout sauf comment réellement vivre une vie satisfaisante et heureuse SANS commettre un crime.

C'est que souvent, dans le milieu social (pauvre ou même riche) d'où est issu le criminel, des choses essentielles manquent, tel qu'un sentiment concret de ce que c'est que la vérité, des expériences concrètes qui te permettent de comprendre l'avantage de respecter une parole donnée, l'espoir de pouvoir s'épanouir dans la vie, d'avoir un but, un objectif, d'y travailler chaque jour, etc. Autrement dit: un criminel est avant tout, d'un point de vue spinoziste, quelqu'un qui a fait, de façon involontaire, un tas de 'mauvaises rencontres" avec la nature, et qui n'a jamais appris comment bien vivre, d'une manière qui est utile pour soi-même et pour les autres. Or pouvoir faire cela, ce n'est pas DU TOUT évident, cela requiert même tout un art, art que beaucoup d'entre nous acquièrent spontanément, grâce au milieu social dans lequel ils vivent, mais que d'autres ne rencontrent jamais ou seulement très superficiellement, sans avoir l'occasion de vraiment l'apprendre soi-même.

Ce qu'il faut donc, pour commencer à pouvoir diminuer le taux de récidives (taux élevé, comme on le sait), c'est une "immersion" du criminel dans un tout autre milieu social, où le respect des valeurs humaines fondamentales existe, et où il peut apprendre COMMENT vivre tout autrement et de façon beaucoup plus heureuse. Tant qu'on ne lui apprend pas cela, on ne fait que protéger temporairement la société en emprisonnant les criminels, mais on n'attaque pas le problème à la source.

Alexandre VI a écrit :Finalement, l'idée que notre comportement est déterminé peut aussi tomber entre les mains d'un dictateur, qui s'en servirait pour contrôler les masses.


pourrais-tu expliquer davantage comment un dictateur pourrait se servir de cette idée?

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Messagepar Ulis » 14 juin 2008, 08:23

Il faut distinguer entre le "pouvoir d'agir" et la "liberté de l'action". Spinoza ne nie pas que nous pouvons agir sans être déterminé. Ainsi, je peux me lever subitement et cracher en l'air.
Suis-je "libre" pour autant de le faire ?
La "liberté" pour Spinoza a un sens bien précis: C'est le fait d'augmenter sa puissance, accroître sa perfection, donner du sens à son conatus.
Ce n'est pas parce que nous pouvons faire un acte que celui-ci nous "libère", nous désaliène...
cordialement
ulis

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Messagepar Ulis » 14 juin 2008, 08:30

Pour répondre à Alexndre VI, Spinoza accepterait sans doute l'idée d'un pouvoir d'agir "chaotique" de l'homme.
ulis


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