Les conséquences pratiques du déterminisme

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Ulis
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Messagepar Ulis » 14 juin 2008, 10:47

Pardon, je me suis mal exprimé. Je veux dire qu'il y a une forme de chaos dans le déterminisme qui, de toute manière nous conduit.
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sescho
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Re: Les conséquences pratiques du déterminisme

Messagepar sescho » 14 juin 2008, 11:08

Alexandre_VI a écrit :... je ne suis pas sûr qu'il soit moral de chercher à divulguer le déterminisme et de troubler l'esprit de n'importe qui avec ce genre de pensées...

De n'importe qui, sans doute. J'ai lu bien souvent que celui qui livre des "vérités" sans tenir compte de l'état d'esprit de son interlocuteur est indigne en fait, et ferait mieux de se taire. On trouve aussi, dans un sens apparenté : "si tu tends la main à un chien enragé, ne t'étonne pas d'être mordu." C'est pourquoi les grands sages ont eu plusieurs discours, en fonction du niveau d'accomplissement de leurs interlocuteurs (qui n'étaient déjà pas "standard"), ceci alors que le fond était exactement le même.

Mais d'un autre côté, même si "toute vérité n'est pas bonne à dire", si c'est la vérité, c'est la vérité, et elle ne peut pas être fondamentalement mauvaise ; elle est fondamentalement bonne au contraire. Pas de béatitude sans elle.

Spinoza a écrit en Latin (ce qui limitait grandement la diffusion aux milieux érudits, et Spinoza y tenait, lui qui regrettait les traductions en langue vulgaire.) Il vivait dans un cercle restreint d'érudits.

Après, qui peut empêcher, surtout dans un monde très médiatisé, que ceci tombe sur des esprits non suffisamment préparés, et qui n'ont en même temps pas le réflexe de rejeter tout cela comme (prétendument) inepte ? ...

On ne va quand-même pas se voiler les plus grandes vérités parce que le monde est embrumé...

Alexandre_VI a écrit :Après tout, l'idée qu'il existe un déterminisme absolu, que rien de ce que je fais n'est libre, peut facilement engendrer du désespoir et du fatalisme. Si je n'ai pas le choix, je ne suis pas maître de mon destin, donc je suis une marionnette, donc je ne peux rien y faire, donc à quoi bon lutter? Mon destin est déjà prédéterminé! Rien de ce que je fais n'est une vraie création, rien n'est original, puisque tout était implicitement contenu dans les causes de mes actes.

Je ne dis pas que ce raisonnement est sans faille, mais c'est sans doute une réaction prévisible au déterminisme.

Je pense certes qu'il n'est pas sans faille (autrement dit, déjà, le déterminisme est au contraire une vérité.) Une des premières objections au libre-arbitre est que s'il n'y a pas d'enjeu pré-déterminé, il n'y a aucune valeur à l'action, ce qui s'oppose directement à l'orgueil de valeur auto-générée que recèle cette même croyance au libre-arbitre (ego.)

Par ailleurs, comme le dit Spinoza, la détermination bien comprise est notre béatitude, et non au contraire notre douleur. Ce qui est douloureux un temps (mais c'est vite une libération, un grand soulagement), c'est précisément de renoncer à l'ego, à l'espérance et à la crainte qui va avec, etc. L'"argument paresseux" n'est qu'une rébellion de l'ego devant sa mise à mort (salvatrice en fait.) La phrase de Chrysippe citée par A. Comte-Sponville dans la préface dont j'ai reproduit des extraits est parfaitement ajustée :

... la théorie des confatalia, par laquelle Chrysippe réfutait l'argument paresseux : « Si vous pensez "tout ce qui doit arriver arrivera" et si vous gardez vos livres d'étude fermés, quelle note aurez-vous à l'examen et quelles connaissances aurez-vous tirées de ces livres ?... De l'effort ou de la destinée, lequel est vrai ? Les deux sont vrais, les deux ensemble sont vrais ; les deux ne sont pas séparés... »

Encore une fois, l'inaction est une forme d'action et n'est pas plus indéterminée ou déterminée que la véritable action. Le dépit est celui que le faux-moi imaginaire génère en toute logique face à sa propre misère et sa propre destruction, qui crée un vide insupportable.

Autre citation dans http://sos.philosophie.free.fr/temps.htm :

... l'argument paresseux ..., pour les stoïciens, est un argument sophistique. Chrysippe écrit : "tu ne guériras pas que tu aies appelé ou non un médecin ; car il est autant dans ton destin d'appeler un médecin que de guérir ; ce sont choses confatales."

Même le Bouddhisme Mahayana, qui pousse à l'extrême le non-moi / non-soi - sur la base de l'interdépendance, de l'impermanence, de la vacuité d'existence propre -, plus que tout autre, met en avant le karma : la loi de cause à effet joue dans ton propre mental : ce qu'il sera demain dépend de ce que tu fais aujourd'hui. La même nécessité pousse ici à l'action, à l'effort...

Alexandre_VI a écrit :Deuxièmement, puisque le déterminisme est incompatible avec la responsabilité morale

C'est faux. Le déterminisme est incompatible avec l'accusation, le reproche, ... (qui supposent le libre-arbitre), c'est tout. Sauf peut-être, au sens étroit, pour le sage accompli, le sentiment de responsabilité est présent, et même très présent pour celui qui précisément a compris la détermination naturelle, et que son bien-être ne tient qu'à son propre effort (autant que ces forces le permettent, le tout dans la détermination.) Le sens du déterminisme absolu ne fait que détruire une fiction nuisible, l'ego, il ne réduit en rien que ce qu'il m'est possible d'accomplir peut s'accomplir si j'en donne l'impulsion. in fine ce n'est plus un concept, c'est la vie même, telle qu'elle est. En bref : le déterminisme est dans ce qui est, et il n'existe rien d'autre que ce qui est.

Alexandre_VI a écrit :... et que la responsabilité morale est une idée commune chez les moralistes leur servant à justifier les bonnes conduites, alors on peut craindre un certain relâchement dans la conduite de ceux qui sont convaincus d'être déterminés. Pourquoi me retenir puisque je ne suis pas responsable de ce que je fais? Je pourrai toujours jeter le blâme sur autre chose!

Il faut je pense relire les réponses de Spinoza à Blyenbergh.

Par ailleurs, il convient ce me semble de distinguer "moraliste" de "moralisateur." Spinoza est totalement moraliste et pas du tout moralisateur selon moi. Sinon, comme certains, ont jette pèle-mêle l'éthique avec la moralisation, et on passe à côté de tout ce qui vaut en parfaite fausse bonne conscience. Il ne suffit pas de se persuader et de se dire "bien comme on est" pour l'être, et le grand démenti vient de l'intérieur, pas de l'extérieur...

Ceci par ailleurs ne limite en rien la sanction, et le Traité Politique ne prône nullement le maniement des foules par la doctrine du déterminisme...

Et rappelons cette anecdote à propos de Zénon de Cythium :

[Il] surprit un jour un esclave en train de le voler. Celui-ci lui dit : "Maître, c'était mon destin de voler" et Zénon lui répondit "C'était ton destin aussi d'être battu".


Amicalement

Serge
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Messagepar Alexandre_VI » 17 juin 2008, 22:26

à Louisa,

Je suis d'accord pour dire que dans la perspective du libre arbitre, la volonté est une sorte de «cause première», ce qui rompt l'unité de l'homme avec son milieu. L'homme n'est plus un maillon dans une chaîne causale impersonnelle, mais a au contraire le pouvoir de démarrer ses propres chaînes.

Mais comme tu le dis, l'homme peut être davantage qu'un simple phénomène naturel. Il peut transformer les effets qu'il subit en effets proprement humains. Par exemple en respirant, en mangeant, en dormant, etc... je me dispose à penser clairement, et cette pensée claire est une action proprement humaine, mais issue de causes non humaines. Mais il ne faudrait pas non plus négliger la causalité sociale, les rencontres que l'homme fait avec ses semblables, et qui sont cruciales pour que l'homme deviennent une vraie personne.

Je ne savais pas que mon idée du théâtre cartésien avait été balayée par les neurosciences. Mais j'estime qu'il y a une différence de nature entre vouloir et savoir: vouloir est centrifuge (transformer le monde), alors que savoir est centripète (se représenter le monde). Quand deux phénomènes vont dans des directions contraires, ils ne peuvent procéder d'une source unique. Du moins, je crois. L'idée, en tant qu'idée, ne poussera jamais à agir. Il faut que l'idée soit unie à une capacité de vouloir.

Il y a la même distance entre connaître et vouloir qu'entre la passivité et l'activité. Certes, il faut nuancer. La connaissance accomplie est guidée par la volonté. Mais il y a à mon sens une différence de nature quand même.

L'idée que l'être humain est déterminé ouvre la porte à des techniques de manipulation dont le pouvoir potentiel est en théorie illimité. Si l'homme est déterminé, il ne transcende pas, pas même un peu, les diverses pressions qui pèsent sur lui. Mais comme l'a dit un autre participant, cette idée est déjà exploitée par la publicité et dans un certain sens par l'éducation. On perçoit ici l'homme comme un phénomène naturel qu'il s'agit d'apprendre à manipuler et à contrôler scientifiquement pour notre propre bénéfice. Je trouve ça horrible quand ce contrôle s'applique à des fins mercantiles.

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Messagepar hokousai » 18 juin 2008, 00:27

cher Yves ( alex)

j'estime qu'il y a une différence de nature entre vouloir et savoir:


non , pas entre vouloir et savoir qu'on veut
Or vous ne voulez rien si vous ne savez pas que vous voulez .
Vouloir est strictement lié à la conscience de vouloir ( donc réductible à l'affirmation ou à la négation lesquelles relèvent de l'intelligence de la situation )

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Messagepar Alexandre_VI » 18 juin 2008, 04:19

Cher Paul Herr Jean-Luc,

Effectivement, vouloir présuppose en quelque sorte savoir. Mais si le savoir est une condition du vouloir, il ne s'identifie pas à ce dernier. En effet, le vouloir ajoute quelque chose au savoir pur. Alors que le savoir ne fait qu'interpréter le monde, le vouloir vise à le transformer.

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Messagepar hokousai » 19 juin 2008, 00:32

à Yves

Vouloir n’ajoute rien . Vouloir c’est savoir d’une certaine manière;C’est savoir quel acte je vais faire . Alors que le savoir pur (comme vous dîtes )c’est savoir ce que je vais savoir . C’est dans le deux cas affirmer soit un acte soit une idée .
L’esprit est uni au cops il n’y pas de différence ontologique( ou de nature ) entre savoir ( affirmer )un acte et affirmer une idée .
Il y a transformation dans les deux cas ( de votre corps qui agit ou de votre esprit qui pense )

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Messagepar Alexandre_VI » 19 juin 2008, 00:50

Cher Paul Herr Jean-Luc,

Mais justement, tout le mystère réside dans l'impulsion qui me pousse à faire quelque chose, alors qu'en théorie je pourrais me contenter d'enregistrer passivement des stimuli. C'est ce besoin d'agir, et non pas seulement d'enregistrer, que j'appelle vouloir ou volonté.

La même idée qui tombe dans des cerveaux différents ne provoque pas la même réaction. La différence se situe apparemment donc du côté de la volonté.

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Messagepar Ulis » 19 juin 2008, 08:11

Cher Alex,
Il n'y a pas de mystère dans l'impulsion qui nous pousse à agir puisque c'est l'expression de notre conatus. Et ce désir d'agir est la volonté de persévérer dans l'existence de notre corps. Cette volonté est propre à la personne puisque personne ne possède le même corps. Donc nous n'avons aucunement les mêmes idées dans nos cerveaux différents. Les idées ne sont que les stratégies du corps pour pérséverer dans l'existence. Les idées sont toujours au service du corps même par des voies extrêmement détournées ou qui paraissent complétement étrangères. (avis perso)
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Messagepar hokousai » 20 juin 2008, 00:40

cher Yves

Mais justement, tout le mystère réside dans l'impulsion qui me pousse à faire quelque chose


Pas plus de mystère que dans l 'adhésion à une certitude ( intellectuelle ) laquelle vous fait sortir du scepticisme (ou des flottements de l'âme ).

Vous pensez comme vous agissez ,en affirmant ( ou en niant au cas où vous n 'agissez pas )

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Messagepar Alexandre_VI » 20 juin 2008, 01:42

Je vais prendre un peu de temps pour réfléchir à toutes vos réponses.


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