Quête de végéter.

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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alcore
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Messagepar alcore » 02 juil. 2009, 09:41

Traité politique, II,§11

"Même la capacité intérieure de juger peut tomber sous la dépendance d'un autre, dans la mesure où un esprit peut être dupé par un autre."
Heureux ceux qui sont intègres dans leur voie. (Ps.119)

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Louisa
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Messagepar Louisa » 02 juil. 2009, 17:28

Bonjour Alcore,

merci du rappel. Cela permet d'essayer de bien distinguer deux choses:

1. la possibilité d'avoir une idée inadéquate ou fausse à cause d'arguments erronnés que quelqu'un nous donne et qui nous semblent être vrais

2. la possibilité de croire faux ce qu'on pense être vrai et inversément.

Explication.

1. La première chose est assez évidente, me semble-t-il: lorsqu'on a une idée inadéquate, par définition celle-ci est en partie causée par une nature hors de nous, nature confondue avec la nôtre (d'où la notion d'idée "confuse"). Donc oui, toutes nos idées inadéquates ne nous appartiennent qu'en partie, et donc en tant que nous avons des idées inadéquates, notre faculté de juger n'est pas libre. C'est d'ailleurs exactement ce qu'explique la suite de la citation:

Spinoza dans le TPII/11 a écrit :La faculté de juger peut aussi relever du droit d'autrui dans la mesure même où l'âme peut petre trompée par autrui: d'où suit que l'âme relève entièrement de son droit, dans la mesure même où elle peut user correctement de la raison. (...) Et ainsi j'appelle un homme "libre" sans réserve dans la mesure où il est conduit par la raison, parce que dans cette mesure même il est déterminé à agir, quoique nécessairement, par des causes qui peuvent être comprises adéquatement à partir de sa nature seule.


Donc: si X dit à Y que Spinoza est un philosophe du XVIe siècle et Y est convaincu par les arguments de X, Y aura une idée inadéquate, et dans cette mesure même il n'est pas libre.

2. Ici la question n'est pas de savoir si Y est libre ou non, la question est de savoir si, une fois que Y croit en l'idée que Spinoza est un philosophe du XVIe siècle, on peut lui obliger par la force ("imposer") de croire exactement l'inverse. Spinoza répond à cette question dans le TP III.8, lorsqu'il dit que personne ne peut "croire quelque chose de contraire à ce qu'il sent ou à ce qu'il pense". Cela est impossible. Que Y ait une idée inadéquate et en ce sens précis une faculté de juger qui n'est pas libre, n'y change rien.

Conclusion.
La liberté de juger, chez Spinoza, ne consiste pas en la possibilité de croire faux ce qu'on croit être vrai, mais en la possibilité d'avoir des idées adéquates, en la puissance de comprendre (voir la discussion que nous avons eu à ce sujet avec Jvidal). Autrement dit, que l'on ne soit pas capable de penser faux ce qu'on croit être vrai n'a rien à voir avec notre liberté, chez Spinoza. Que je ne sois pas capable de croire que mon idée adéquate A est fausse, ne diminue en rien ma liberté, et inversément. La liberté se définit différemment.

Illustration.
On pourrait penser à ce qui se passe aujourd'hui en Iran: le pouvoir officiel prétend que le résultat de l'élection a été la victoire de X, le peuple est convaincu que c'était non X. Ahmadinejad a essayé d'imposer son idée, c'est-à-dire son interprétation des résultats à lui (en utilisant de la force), mais cela n'a pas du tout réussi à faire croire à une majorité du peuple que c'était bel et bien lui qui avait gagné. Au contraire même, je crois qu'on peut voir dans la suite des événements ce que Spinoza dit dans le TPIII/9: "(...) appartient le moins au droit de la Cité ce qui indigne le plus grand nombre. Il est certain en effet que les hommes sont naturellement conduits à se liguer, soit en raison <d'une espérance ou> d'une crainte commune, soit dans l'impatience de venger quelque dommage subi en commun; et puisque le droit de la Cité se définit par la puissance commune de la multitude, il est certain que la puissance et le droit de la Cité sont amoindris dans la mesure exacte où elle offre elle-même à un plus grand nombre de sujets des raisons de se liguer."
Remarquons que dans toute cette histoire, il s'agit uniquement de ce que le peuple croit, ce qu'ils ont en commun peut être simplement une crainte, ou une autre idée inadéquate. Seulement, cette idée inadéquate, on ne pourra pas les éviter d'y croire juste en essayant d'imposer l'idée contraire, c'est-à-dire en utilisant de la force (au contraire même, les images de Basij qui notamment détruisent des voitures garées dans la rue (= vandalisme) créent précisément le sentiment d'un dommage subi en commun), donc augmentent la puissance et donc le droit de la multitude et diminuent la puissance réelle de ceux qui détiennent le pouvoir officiel (= le droit de la Cité).
L.


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