Déterminisme et anarchisme moral

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Alexandre_VI
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Déterminisme et anarchisme moral

Messagepar Alexandre_VI » 15 juin 2010, 06:37

Le déterminisme mène-t-il à l'anarchisme moral?

Comment arriverait-on à s'imposer des devoirs si de toute façon on n'est pas à blâmer pour avoir échoué?

Est-ce que notre réputation est une raison suffisante pour nous convaincre de bien agir dans un monde déterminé? Et si on a affaire à de parfaits étrangers?

D'ailleurs le bien et le mal signifient-ils quelque chose objectivement dans un monde déterminé...?

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sescho
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Re: Déterminisme et anarchisme moral

Messagepar sescho » 04 juil. 2010, 15:19

Alexandre_VI a écrit :Le déterminisme mène-t-il à l'anarchisme moral?

Comment arriverait-on à s'imposer des devoirs si de toute façon on n'est pas à blâmer pour avoir échoué?

Est-ce que notre réputation est une raison suffisante pour nous convaincre de bien agir dans un monde déterminé? Et si on a affaire à de parfaits étrangers?

D'ailleurs le bien et le mal signifient-ils quelque chose objectivement dans un monde déterminé...?

Sujet archi-classique, très bien exposé par Spinoza, en particulier dans les lettres à Blyenbergh – et à Oldenburg –, et déjà largement traité sur le forum, mais qui reste tout en même temps d’une portée essentielle, en particulier parce qu’il y a très généralement un très grand espace entre les dires et les comportements (et donc la compréhension profonde)…

En toute logique, n’est-ce pas l’indétermination qui devrait « être » anarchisme absolu ? Quelle différence entre indétermination et « chaos » (non déterministe, donc ; « Rien », en fait, puisqu’un être absolument indéterminé ne se conçoit même pas) ?

Quant à l’Être auto-déterminé il n’y en a qu’un : Dieu – Nature (et en même temps d’une nature immuable, éternelle, car il ne saurait se rendre lui-même indéterminé, ou « changer de détermination », ce qui est équivalent.)

L’hypothèse d’un individu humain auto-déterminé ne tient pas la route, en particulier parce qu’il est mortel (et plus généralement dans l’impermanence) et donc ne saurait être une substance, qui seule se comprend par elle-même. Aussi parce que la « nature humaine » existe manifestement (sinon « humain » ne veut rien dire d’ailleurs), étant donc partagée entre de nombreuses manifestations humaines qui ne sauraient en conséquence être considérées auto-déterminées. Encore parce que l’interdépendance est de toute évidence la règle dans le monde manifesté, humains compris.

Par ailleurs, comment parler d’un « Bien » (donc supposé commun à tous) si chaque être est auto-déterminé ? C’est incohérent. La notion de « Bien » implique celle de « nature humaine » déterminée pour tous les individus humains.

C’est l’occasion de contredire une erreur paradigmatique fondamentale très souvent faite :

Non seulement elle ne s’y oppose pas, mais la Liberté ne se conçoit QUE dans la détermination (le « chaos absolu » n’est pas la liberté.)

« L’esclavage parfait est la liberté parfaite » disent Swämi Prajnanpad et Arnaud Desjardins ; « nous sommes dans les mains de Dieu comme la glaise dans les mains du potier, et c’est notre gloire et liberté ultimes que d’en avoir parfaite conscience » dit en substance Spinoza. C’est dire exactement la même chose. L’action juste prend alors place spontanément, ce qui est le parfait contraire de « de façon erratique. » Et c’est cela la liberté.

- Le « Bien » – qui est la Liberté, en fait – implique lui-aussi la détermination.

Encore une fois, par exemple, exercer la pure Logique (supposé « avec quelque aisance ») donne un sentiment de liberté, alors même qu’elle est parfaitement déterminée et commune aux hommes (« c’est ou ce n’est pas logique. »)

Pour revenir à la base :

- « Bien » et « Mal » sont des concepts qui traduisent une loi de la Nature (ils n’y ajoutent rien, mais cette substantivation présente le danger de les prendre pour des êtres réels : ce qui est réel est la loi.) Cette loi est celle de la liberté-servitude humaine et elle s’applique tout le temps, quel que soit l’état de l’individu particulier réel en l’instant.

- Evidemment, et en conséquence, si le « souverain Bien » n’était pas exactement le « souverain bien pour soi » (qui est aussi l’état de béatitude), il n’y aurait aucune pertinence à ce concept. Comment en effet admettre comme « bien » supérieur ce qui ne serait pas ressenti profondément comme « bien » supérieur pour soi, en soi… ? Donc le souverain bien est souverain bien pour soi, ou plus justement est être ce souverain bien même. Tout en même temps (ce n’est donc pas du tout contradictoire, comme les considérations insuffisantes, et donc marquées de servitude, tendent à le poser) ce souverain bien pour soi comprend indissociablement la générosité pour l’autre : l’ « égoïsme conséquent » (Paul Diel) est indissociable de la générosité (ou compassion.)

- Personne ne choisit son mal contre son bien, toutes circonstances prises en compte ; c’est une loi fixée par la nature, qui s’apparente à la première. Donc personne ne manque le bien ni ne fait le mal en connaissance de cause. La notion de « culpabilité » basée sur la croyance au libre-arbitre est donc parfaitement imaginaire, comme cette croyance même. La seule vraie culpabilité tient dans l’ « émotion de culpabilité » (tristesse selon Spinoza) qui est la sanction immanente automatiquement comprise dans l’erreur (« servitude », « écart au bien ») elle-même et indissociable de celle-ci. « Personne ne fait rien qu’en vue du bien » (il s’agit alors non du souverain Bien, mais de l’idée – généralement très erronée, donc – que chacun se fait du bien en son état du moment.)

- Plus généralement, tout se produit en vertu des lois de la Nature et il n’y a donc aucun « bien » ni « mal » dans un fait quel qu’il soit ; y compris, donc, les « pires » des actes humains.

Pour autant, comme le dit Spinoza, la vie du méchant n’est pas du tout celle du sage : le premier se fait d’abord « du mal à lui-même » et la vie est pour lui une punition, le second fait du bien aux autres et en même temps sa béatitude.

- La détermination exclurait-elle la pertinence de toute « sanction » ? Pas du tout. On peut faire là la même erreur qui conduit à considérer que la conscience (tronquée, en fait) de la détermination conduit à l’inaction. De même que l’inaction est une forme particulière d’action et donc tout aussi déterminée (cela ne change donc strictement rien à l’affaire), la « sanction » est elle-aussi totalement déterminée (ne changeant donc rien du tout non plus.)

Diogène Laërce, au sujet de Zénon de Kition : « Son esclave volait, il lui donna le fouet. L’autre lui dit : « C’est mon destin qui m’a poussé à voler. » — « Et à être battu aussi, dit-il. »

- La sagesse n’est ni faiblesse ni complaisance, au contraire (la vigueur de l’esprit implique sa fermeté, ceci étant entendu sans agressivité), mais elle implique d’agir suivant la nature du souverain Bien : avec vigueur ET avec générosité, toute circonstances actuelles prises en compte. Elle exclut tout ce qui pose le libre-arbitre, comme la vengeance, par exemple, mais elle peut en même temps admettre jusqu’à l’exécution capitale (la mort même n’est pas une torture en soi, et c’est par humanisme que la guillotine a été inventée, ou que l’on a pu décider en pleine conscience d’abréger des souffrances…), dans l’hypothèse où elle serait la solution optimale en vue du Bien.


Pour les questions :

- Celui qui s’abstient du mal par crainte d’une sanction n’est pas libre (mais il peut néanmoins être conduit à faire moins de mal à lui-même et aux autres comme cela que s’il laissait s’exprimer tous ses mauvais penchants – « mauvais » par référence à la loi du bien pour soi et pour les autres, précisément.)

- On peut se tromper mais on ne peut pas refuser le véritable bien pour soi s’il se présente clairement. Il est de notre intérêt de le rechercher, tout simplement.

- Le Bien est une manifestation particulière, la plus gratifiante qui soit sur le plan existentiel lorsque effectivement vécue (béatitude), de la loi de liberté-servitude.
Connais-toi toi-même.

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Messagepar AUgustindercrois » 23 juil. 2010, 00:10

Etre libertaire, c'est avoir la liberté de la vertu.

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Messagepar Miam » 23 juil. 2010, 14:08

Sans quoi on n'est qu'un pauv' névrosé.

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Messagepar ChiaroscurO » 26 juil. 2010, 20:44

Très bonne question

Le déterminisme débouche t'il sur l anarchisme moral ?

Je réponderais avec le peu de ce que je connais de Spinoza, oui...

C est peut etre là la force et la faiblesse de Spinoza.

Le bien et le mal n existe plus dans un monde qui cherche a comprendre au lieu de s emouvoir.

Hitler ou Staline ne serait alors qu une resultante de cause et d actions...

Impossible a juger pour un déterministe absolu...
Hitler par exemple est un artiste frustre qui arrive dans une allemagne frustre et humilie par la defaite de 18.


Mais surement que Spinoza n etait pas autant betement deterministe ???

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Messagepar Ulis » 27 juil. 2010, 13:30

Dans la lettre à Oldenburg, Spinoza répond: "Qui devient enragé par la morsure d'un chien doit être excusé à la vérité et cependant, on a le droit de l'étrangler"
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