Le philosophe François Zourabichvili, dont les travaux sur Deleuze et Spinoza ont enchanté ses lecteurs, a choisi de se donner la mort en avril 2006.
Il avait accordé, l'an dernier, à "Commentaires" un long entretien sur
Deleuze et la question de la bêtise. En hommage à son travail et à son grand talent de pédagogue, nous avons choisi de rediffuser cette émission, en lieu et place de celle sur Moby Dick, dont la diffusion est reportée au 19 mai.
A écouter donc sur le site habituel de l'émission
Informations supplémentaires sur l'émission :
Commentaires : Deleuze contre la bêtise
Avec François Zourabichvili
Lecture des extraits de Différence et Répétition par Anne Brissier
et Georges Claisse
Réalisation de Brigitte Bouvier
Diffusion sur France-Culture (93.5) vendredi 5 mai 2006, à 10h.
Une émission proposée par Raphaël Enthoven
Le philosophe qui, comme Deleuze, parle de la bêtise est toujours un peu suspect de s’exclure du discours qu’il tient. « Pour qui se prend-il ? » pense-t-on. Comme si, parlant des imbéciles, on ne parlait, pour une fois, pas de soi… Comme si la bêtise faisait exception à la règle selon laquelle, quoi qu’on dise, on ne parle jamais que de soi. Mais comment la bêtise ferait-elle exception à la règle où elle trouve justement sa source ?
La bêtise est la partie de nous-même qui, regardant l’autre comme un miroir - concave ou convexe -, traverse le monde en y cherchant son pareil, son alter ego, son frère, son ombre ou son reflet. La bêtise, c’est la réduction du monde au « Moi », de l’autre au même, de la différence à l’identité. Telle la pensée unique, la bêtise choisit de reconnaître, plutôt que de rencontrer. Elle est le contraire de l’exception, l’amie de l’ordinaire, l’antithèse du singulier, l’ennemie de la différence… Comme dit Desproges : « l’ennemi est con. Il croit que c’est nous, l’ennemi, alors qu’en fait, c’est lui ! » La bêtise vous noie dans un groupe où plus rien ne vous distingue et où c’est le courant qui vous porte. Elle surfe sur la vague, elle se répand sur les ondes, elle est affable, accueillante, hospitalière. À la bêtise, tout le monde se retrouve : c’est le lieu commun.
On la reconnaît chez les donneurs de leçons dont la conduite contredit les paroles, chez les imprécateurs athées qui croient que Dieu c’est le Diable, ou encore chez les hédonistes fervents qui jouissent non pas pour être heureux, mais pour oublier qu’ils ne le sont pas… Mais on la reconnaît aussi chez ceux qui croient la reconnaître et se donnent le beau rôle, à la façon dont l’hypocondriaque fait graver sur sa tombe « je vous l’avais bien dit. »
Bref, la bêtise a toujours le dernier mot. La bêtise a toujours raison.
On n'a pas fini de parler de la question du suicide chez les spinozistes, ou du moins chez les deleuziens...
Henrique