CHRONIQUES SPINOZIENNES (III)

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AUgustindercrois
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CHRONIQUES SPINOZIENNES (III)

Messagepar AUgustindercrois » 03 oct. 2006, 18:56

Chers amis,

L’infâme Loulou Ferdinand Céline est de retour. Il a l’audace insigne et totalement hors de propos d’aller aux cours de Bernard Pautrat, à Normale Sup’.

C’est la rentrée. Aurélien Prémant assiste désormais aux cours. Il va rencontrer son pote, Aurélien Prémant, à la fin du cours, tous deux grillant une clope sous la pluie fine, non loin du Panthéon mal dépêtré de ses oripeaux républicains.

Mais d’abord : le transport, le cours de Pautrat.

I – Métro/ RER

A) Métro

Aurélien Prémant (l’avocat toujours aussi blond, toujours aussi désabusé):

- Et voilà. Métro. Le crissement suraigu des freins lorsque la rame freine. Lieu de la consternation stellaire. Cadres moyens qui font la gueule, employés qui pensent à leur supplice quotidien, attendant déjà la fin de la journée et la délivrance du labeur.
Dans ma sacoche marron, bientôt vingtenaire, la partie du tapuscrit que je dois à Pautrat. J’ai décidé la lui remettre. Pourquoi ? Sentiment vague de la reconnaissance. Quelque chose de l’admiration. Pas sûr de lui remettre aujourd’hui. Trop de monde. Les Normaliens sont encore là.(…)

Sur le pavement de granit empluvié, je chantonne l’Anamour, de Gainsbourg : « Je cherche en vain la porte exacte/ Je cherche en vain le mot exit . »Exit ? En latin : il meurt. Mourir, sortir. Tout le contraire du spinozisme : rester dedans, continuer de vivre.

Je repense à Zourabichvili, suicidé il y a si peu de temps. Spinoza, comme Anamort : refuge contre la fin du conatus.

B) RER

Loulou Ferdinand Céline (le gars un peu gras, double menton, lard de bière au bide, lunettes rondes et accent parigot) :

- Ma chronique avait désormais une audience internationale…On me lisait de San Francisco à Liège, de Bruxelles à Paris, paraît – il… Putain, j’y crois pas, Loulou à l’international… Et revoir le Pautrat, quoi, merde… Aller voir Pautrat, c’est comme aller voir Spinoza il y a trois cents ans… Une douche morale, quoi… Voir Pautrat, c’est comme te laver les dents après avoir bu trop de caïpirinha : tu ressors avec l’haleine fraîche… C’est comme te passer du fil dentaire après avoir trop mâché une tranche de rôti de porc : les scories de ta vie ont dégagé…Pas très frais ce matin, le Loulou Ferdinand, d’ailleurs… Pas eu le temps d’avoir pris mon café…C’est ça vagabonder dans les nuits parisiennes…Après, ta vie ressemble à un rêve… Dans la tête, petit air de Sporto kantès, qu’une copine virtuelle ma filé : voix indiennes et chants sud-afs, mixes ultra-accélérés…


II) Cours

A) Délocalisation du désir

Loulou Ferdinand Céline :

- J’arrive en retard.. merde… je connais pas la nouvelle salle… Je me pointe… Je me plante de porte… Putain, c’est tout moi ça… Je me glisse au fond de la salle… Y ‘a de la Normalienne dans l’air… Au programme cette année : amour de Dieu et béatitude… Vas – y mon pote…Rien que ça, mec… Ca c’est de la bonne… Ganja man… Métaphysique à bloc … Tiens, au premier rang, y’a Aurélien… Sympa de le revoir… Faudra qu’on s’retape une discut’ à la fin du cours… Le Pautrat s’est fait ratiboiser les tifs… C’est la rentrée… On sent la tondeuse… Moi, j’le préfère avec ses cheveux bien bouclés… Ca fait plus conatique… Conatique, mec, le staïle quoi…Bon, il reprend la fin du cours de l’année dernière… J’aurais pas dû venir… Tout ça c’est pour les chtis nouveaux…Et hop, j’te rebalance la division quadripartite de la connaissance dans le Court Traité, la réévaluation de la raison dans l’Ethique… Et là, le Pautrat, il nous balance la phrase de la mort de mourir de périr dans l’Ethique… uppercut dans ta face intellectuelle, man… Le scolie de II 47 : « nous voyons que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont connues de tous »… ouahou… Yo man give me five… on est tous des voyants, mecs… On est tous des saints potentiels… Gonflé le Spino, comme y dit Pautrat…

- Et là il enchaîne… V23 peinard, comme d’hab’, le numéro de la dernière fois… Bien rôdé… Et il nous rajoute un truc énorme… La délocalisation du désir… Ca c’est plus fort que papy Freud ou papa Lacan… Le troisième genre de connaissance, l’amour intellectuel de Dieu, c’est l’allégresse… L’état du corps affecté de partout positivement… un Nirvana matériel… ouhahou… Finie la jouissance locale des papilles, exit la jouissance partielle et instantanée du sexe… Surmultiplication de la jouisssannnnnnnnceeeeeeeeee… Mmmmmmmmmmmmm

B) Au – delà de la temporalité

Aurélien Prémant

- Oser penser. Audere putare. Lui, Pautrat, n’écrit pas. Un nouveau Socrate. Philosopher, c’est d’abord parler. Immense humilité qui tranche avec la volonté du discours surnuméraire. Philosopher, ce n’est pas discourir. Laissons cela aux littérateurs et aux professeurs. Philosopher, c’est aller vers l’au – delà. Oser dire qu’il faut s’inscrire dans l’infini et l’éternité. La seule chose que nous sentons et expérimentons, matérialistes ou spiritualistes, c’est que l’univers est infini et éternel. Réalisant cette synthèse, Spinoza offre la possibilité de la vision en Dieu. Aller au – delà de la peur de la mort. Convertir son regard. Apprendre à voir, comme l’écrivait Rilke.

- Toujours cette ironie socratique, et qui pourtant, ne dissimule pas l’essentiel, cette immense dimension de Spinoza : la recherche de l’absolu, disait Balzac, « la joie continuelle et éternelle, totale, par l’union avec la substance ». Et Pautrat d’enchaîner : « Rien que ça, le petit gars… » Aller au – delà de la temporalité.

III) Après le cours

Loulou : - Ca faisait longtemps.
Aurélien : - Ca fait du bien de te revoir, l’ami.
Loulou : - T’as vu… Pautrat demande à la fin du cours de voir le bougre blogueur…
Aurélien : - J’étais déjà parti fumer une clope.
Loulou : - Il me dit qu’il a lu tous mes coms de l’année dernière… Démasqué, je suis démasqué… Prodeo non larvatus…
Aurélien : - Pro deo non larvatus !
Loulou (riant jaune) : - Et tu sais ce qu’il me balance, le Bernard ? « J’ai lu votre blog… » Je rigole : « Ca vous a fait rire ? »… Il me répond : « Oui. Je tenais à vous dire quelque chose. Je n’ai pas de montre de prix. Je l’ai achetée il y a dix ans. Elle valait deux cent cinquante francs à l’époque. »… Putain, là, il faut que j’assume… Comment t’interprètes ça ?
Aurélien : - Il refuse l’intégration à la gauche caviar. Il s’inscrit dans la lignée de Spinoza. Sobriété, modération du désir. Il fustige implicitement tes préjugés.
Loulou : - OUé.. C’est bien ce que je me disais…Les boules…
Aurélien : - Tu vas continuer ton blog ?
Loulou : - Oué.

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Messagepar Miam » 08 oct. 2006, 11:29

C'est chouette ! Enfin moi j'aime bien... Un peu d'humour, c'est un peu plus d'oxygène.

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merci Miam!

Messagepar AUgustindercrois » 09 oct. 2006, 12:15

Tant que l'humour ne tire pas à la raillerie, tout va bien :D

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Chroniques spinoziennes (VI)

Messagepar AUgustindercrois » 10 janv. 2007, 15:05

NB: lire en écoutant http://www.myspace.com/chateaumarmont : leur chanson"Bride Wore black": l'expérience la plus space depuis Woodstock

CHRONIQUES SPINOZIENNES (VI)

HYPERBOLE ET PARADOXE

Aurélien Prémant (devant une assiette translucide de colin léger, un petit verre de vin, sourire aux lèvres) :
- Cela faisait longtemps que je ne t’avais pas vu, cher Loulou. Je suis très heureux de ton retour parmi nous.

Loulou Ferdinand Céline (devant une assiette de cœur de rumsteack sur lit de patates sautées au beurre) :
- Moi aussi. Retrouver comme ça Pautrat, tout bronzé, sourire aux lèvres, nous proposer les vœux les plus philosophiques qui soient… Pautrat : le physique de Tom Hanks, le cerveau d’Einstein.

Aurélien : - Vœux dénués de cette raillerie habituelle chez lui.

Loulou : - Qui souvent est mienne, et que je chéris tant…

Aurélien : - Il est vrai que les vœux dans leur formalisme, se vident de sens, et le philosophe se défie de l’absence de contenu.

Loulou : - Tu as vu ? Les Normaliens s’étaient débinés. On s’est retrouvés entre nous…. Les vieux, les zozos…

Aurélien : - Ceux qu’intéressent réellement l’éternité.

Loulou : - Indulgence pour ces jeunes potaches, qui pensent plus à l’agrég qu’autre chose, absorbés par la contrainte actuelle et éternelle qui consiste à devoir croûter…

Aurélien : - Que veux – tu, l’essence du monde, c’est le paradoxe…

Loulou : - L’oxymore…

Aurélien : - La contrainte interne que rien ne résout…

Loulou : - Penser le paradoxe, comme Diderot. Voilà peut – être la véritable filiation entre Diderot et Spinoza. Non pas ce matérialisme duquel le Français se réclame, non… Bien plutôt : la centralité de la contradiction, envisagée en tant que principe producteur.

Aurélien : - Toujours ce tamen…

Loulou : - Amen.

Aurélien : - Une affaire d’éternité et d’infinité.

Loulou: - Paradoxe, pourtant, qui ne doit pas nuire à cette constatation de la réalité de l’infini, de l’effectivité de l’éternité.

Aurélien: - C’est peut – être là le génie de Spinoza : poser d’abord que Dieu est une res, à la fois une réalité et une chose, et non un sujet susceptible de subjectivité. Aliquid ; quelque chose.... (Moment de rêverie)
Penser le paradoxe : voilà ce à quoi Kant a renoncé avec sa fable sur les noumènes, à quoi il convient de ne jamais renoncer.

Loulou : - D’où la fausse trivialité de Pautrat, identique à la stratégie de Spinoza : insister sur la trivialité de la pensée, du troisième genre de connaissance…

Aurélien : - Immense hyperbole…

Loulou : - Munificence de la banalité !

Aurélien : - Fécondité de la quotidienneté…

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Chroniques spinoziennes (VII)

Messagepar AUgustindercrois » 16 janv. 2007, 19:37

Aurélien (devant une assiette de soupe de poisson fumante) : Bon, comme ça, Pautrat, aujourd’hui, a décidé de parler de l’amour… Comme Spinoza, d’ailleurs. Cette phrase issue de la partie 5 proposition 34 corollaire : « De là suit qu’aucun Amour, à part l’Amour Intellectuel (de Dieu) n’est éternel »…

Loulou (Devant une salade de gésiers aux lardons) : Quel imposteur, ce Spinoza : moi qui le croyais joyeux, tout entier refusant la tragédie de la vie…

Aurélien (souriant) : Tu dormais lorsque Pautrat parlait de la proposition ?

Loulou (mi – figue, mi – raisin) : Nan, mais hier j’ai écrit jusqu’à plus d’heure…Mon esprit divaguait…

Aurélien : Bon, alors je détaille le raisonnement. Tout Amour est amour de quelque chose. Il y a une intentionnalité de l’amour. Or, cet objet de l’amour, nécessairement, est périssable.

Loulou : L’amour, c’est bien, surtout au début. A la fin, ça lasse.

Aurélien : Pas l’amour intellectuel de Dieu. Et pourquoi ? Parce que là, tu aimes la part éternelle de toi – même. Absolument hors du temps, a – temporelle…

Loulou : Oué… Tu t’aimes toi – même quoi…

Aurélien : En quelque sorte.

Loulou : Spinoza disciple d’Onan ?

Aurélien : Pourquoi ce manque de sérieux ?

Loulou : Par manque de sérénité. L’ironie comme seul rempart.

Aurélien : Dommage, Loulou ; le super – comique de la vie doit céder le pas, parfois, à l’esprit de sérieux.

Loulou : Mangeons, ami !

Aurélien : Allez, je trinque avec toi. A l’éternité !

Loulou : A l’infini, et au – delà !

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Messagepar Miam » 17 janv. 2007, 13:17

Salut Augustin

Je me suis toujours demandé si Spinoza se branlait, lui qui stigmatise toute "titillatio". A ton avis ?

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A mon avis?

Messagepar AUgustindercrois » 19 janv. 2007, 14:41

Non.

Mais la joie intellectuelle de la pensée n'est - elle pas, en quelque sorte, une forte suprême de la jouissance?

Reprens par exemple la fin de l'EThique (c pas moi qui le dis, c Pautra donc c vrai): Sinoza insiste sur la délocalisation de la jouissance procurée par le 3ème genre de connaissance: il écrit "delectamur" (5 P 32), que traduit Pautrat par "nous donne du plaisir", de la jouissance.

Ou encore le "gaudet" d5 32 démonstration: "Dei natura gaudet infinita perfectione": la nature de Dieu tire contentement (au sens propre, jouit)....

Bref, je crois que l'affect le plus grand est celui de l'intelligence en acte. Chose que Nietzsche écrit très bien aussi dans une lettre.

Penser rend joyeux, affecte positivement.

As - tu quelque notion, cher Mima, sur l'acquiescientia dont parle SPinoza dans 5 32, démonstration? Pautra l'a évoquée, mais vite... il me semble qu'il y a une parenté avec l'amor fati des stoïciens, intuition que je possède, sans approfondissement. Connais - tu d'autres indices textuels?

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Messagepar Louisa » 19 janv. 2007, 16:44

Miam a écrit :Je me suis toujours demandé si Spinoza se branlait, lui qui stigmatise toute "titillatio". A ton avis ?


je ne vois pas vraiment pourquoi il ne le ferait pas, au contraire même. Au XVIIe on n'avait pas encore démontré 'more geometrico' que cette activité augmentait le taux des endorphines dans le cerveau (ces molécules qui font que l'on sent moins la douleur et qu'il y a un sentiment de bien-être général plus grand), mais Spinoza ne dit-il pas que le Corps existe tel que nous le sentons? Alors comment n'aurait-il pas ressenti ce genre d'augmentation du bien-être ou de Joie?
En plus, il appartient aussi à cette classe d'hommes qui ressentent qu'ils sont éternels. Plus de peur de la mort donc, ni a fortiori de peur de châtiments infernals après la mort. Alors qu'est-ce qui pourrait encore l'empêcher de de temps en temps se donner une petite dose 'extra' d'endorphines?
Enfin on sait que pour lui, qui a un Corps apte à un plus grand nombre de choses, et à être affecté d'un plus grand nombre de choses, est plus puissant, et a donc également un Esprit plus puissant. Raison en plus pour ne pas manquer cette possibilité d'affection, surtout qu'il ne s'agit même pas d'un Amour (car pas de cause extérieure), et que donc en tant que tel il y a peu de chance que la Joie qu'elle procure tourne mal (induit une Tristesse).

A mon avis il est donc seulement contre l'idée de faire de ce genre d'activités quelque chose qui occupe la plus grande partie de l'Esprit, et cela avant tout parce qu'alors on n'est affecté que d'une seule manière, au détriment d'un tas d'autres types d'affections possibles. Il faut donc s'y appliquer dans la mesure où l'effet aide à augmenter notre puissance d'agir, et pas plus.
Idem d'ailleurs en ce qui concerne la beauté en matière d'amour sexuel: là aussi, il ne semble pas être contre. Mais il convient avec la raison (chap. 20 E4) de ne pas commencer à se marier juste sur cette base-là, car la raison nous dicte de bien tenir compte des conséquences (au XVIIe: avoir des enfants) et de faire les choses maximalement en fonction de la liberté de l'âme et "non seulement" à cause d'une belle forme.
Donc voici pourquoi je peux bien m'imaginer un Spinoza qui de temps en temps se permet une 'delectatio' de ce genre ... :-).
Louisa

PS: merci à AUgustindercrois pour ces chroniques!

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Messagepar Henrique » 20 janv. 2007, 11:43

Pour répondre d'abord sur l'acquiescentia, la proposition centrale dans l'Ethique à son sujet est E4P52. "C'est la joie qui naît pour l'homme de la contemplation de soi-même et de sa puissance d'agir (par la Déf. 25 des pass.)"

Bien sûr, apprendre à s'aimer soi-même intellectuellement, autrement dit aimer Dieu intellectuellement va bien au delà de l'onanisme dans la mesure où je ne me limite pas dans un tel amour à mon individualité finie, je la dépasse absolument. Il y est bien question d'autoaffection en même temps, mais ce qui fait le propre de la masturbation, ce n'est pas l'autoaffection, car au fond, deux corps qui copulent, ce n'est jamais encore que Dieu qui s'autoaffecte, je veux dire par là que dans la pratique sexuelle avec partenaire, il y a encore autoaffection au sens où c'est soit une masturbation avec les organes de l'autre quand c'est "que pour le sexe" ou bien c'est une façon de se découvrir un dans l'étreinte, ce qui fait bien qu'on est encore dans l'autoaffection en ce qui concerne le plaisir éprouvé. Le propre de la masturbation donc, ce n'est pas l'autoaffection mais la finitude de l'individualité sur laquelle s'exerce cette puissance, d'où la nécessité de ne pas s'y limiter. Du "Dei natura gaudet" au "Gaude mihi", ancêtre du godemichet, il n'y a qu'un iota, mais c'est celui d'infinitum !

Pour le reste, je suis sur la même ligne que Louisa.

Pour ce qui est de la titillatio, elle peut être mauvaise en tant que plaisir d'une ou de quelques parties du corps de préférence aux autres si et seulement si elle fait oublier l'ensemble du corps, si elle s'exerce au détriment des autres parties (E4P43). A cet égard, la douleur peut être bonne indirectement comme moyen de forcer l'individu à passer à autre chose, à rééquilibrer les affects. Ainsi manger est un plaisir de la bouche et de l'estomac qui peut être excessif et mauvais pour les autres parties du corps qui ne sont pas sollicitées. A un moment intervient la nausée qui va faire cesser la titillatio excessive et va permettre finalement la survie des autres parties du corps.

En ce qui concerne la satisfaction sexuelle, Spinoza remarque au début du TRE que post coïtum, animal triste, ce qui fait qu'on ne peut en faire le bien suprême :
La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y repose comme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle toute autre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse, et si l'âme n'en est pas possédée tout entière, elle en est du moins troublée et comme émoussée.


Mais comprise comme titillatio et non plus comme bien suprême, on peut en reconnaître la valeur relative. Que le plaisir sexuel soit vécu à plusieurs ou seul, selon ce que chacun peut, il est bon tant qu'il ne s'exerce pas dans la durée au détriment des autres parties du corps. Sinon à force de stimulation, le titillement devient moins agréable et finit par devenir désagréable, voire douloureux (surtout pour l'homme quand il apprend avec l'âge à contrôler son éjaculation et ainsi à maintenir une raideur caudale sur une longue durée).

Mais pour celui dont les affects actifs permettent qu'il maîtrise suffisamment ses passions joyeuses pour ne pas se laisser entraîner à l'excès, il n'y a pas de problème. D'autant plus que cette pratique "n'éloigne tout autre pensée" que tant qu'elle est nouvelle et peu exercée : par la suite, on peut y associer différentes formes d'activités de l'imagination voire de l'intellect, ce qui n'en retire pas l'intensité mais l'augmente encore. A cet égard, apprendre à se connaître physiquement, dans sa singularité, dans le calme de l'isolement, est un moyen de mieux comprendre par la suite ce que j'ai de commun avec mon (ou mes) partenaires sexuel(s), et finalement "Celui dont le corps est propre à un grand nombre de fonctions a une âme dont la plus grande partie est éternelle." (E5P39) : mépriser les fonctions sexuelles, même quand on est seul, sous prétexte qu'il serait honteux parce que "contre-nature" d'éprouver un plaisir seul là il serait selon cette conception réservé au couple, n'est ainsi qu'une façon de se rabougrir mentalement.

Voilà pourquoi la haine ordinaire vouée à l'encontre de la pratique sexuelle solitaire ne peut pas être meilleure que toutes les autres haines de soi. On pourrait ainsi lire le fameux scolie d'E4P45 comme une apologie de la masturbation :

Entre la dérision et le rire, je reconnais une grande différence ; car le rire, comme le badinage, est un pur sentiment de joie ; par conséquent il ne peut avoir d'excès et de soi il est bon. En quoi, en effet, est-il plus convenable de soulager sa faim ou sa soif que de chasser la mélancolie ? Telle est du moins ma manière de voir, quant à moi, et j'ai disposé mon esprit en conséquence. Aucune divinité, ni qui que ce soit, excepté un envieux, ne peut prendre plaisir au spectacle de mon impuissance et de mes misères, et m'imputer à bien les larmes, les sanglots, la crainte, tous ces signes d'une âme impuissante. Au contraire, plus nous avons de joie, plus nous acquérons de perfection ; en d'autres termes, plus nous participons nécessairement à la nature divine. Il est donc d'un homme sage d'user des choses de la vie et d'en jouir autant que possible (pourvu que cela n'aille pas jusqu'au dégoût, car alors ce n'est plus jouir). Oui, il est d'un homme sage de se réparer par une nourriture modérée et agréable, de charmer ses sens du parfum et de l'éclat verdoyant des plantes, d'orner même son vêtement, de jouir de la musique, des jeux, des spectacles et de tous les divertissements que chacun peut se donner sans dommage pour personne. En effet, le corps humain se compose de plusieurs parties de différente nature, qui ont continuellement besoin d'aliments nouveaux et variés, afin que le corps tout entier soit plus propre à toutes les fonctions qui résultent de sa nature, et par suite, afin que l'âme soit plus propre, à son tour, aux fonctions de la pensée. Cette règle de conduite que nous donnons est donc en parfait accord et avec nos principes, et avec la pratique ordinaire. Si donc il y a des règles différentes, celle-ci est la meilleure et la plus recommandable de toutes façons, et il n'est pas nécessaire de s'expliquer sur ce point plus clairement et avec plus d'étendue.


D'abord la dérision dont il est question au début est souvent celle dont on use pour parler de la pratique solitaire et c'est ce faux rire là qui justement est mauvais. En revanche badiner en parlant par exemple de la "raideur caudale" de l'homme c'est user de rire comme d'un dissolvant naturel à l'égard des liens qui nous empêchent de vivre pleinement. Ensuite...

a) La volupté individuelle est un moyen évident et sans danger de "chasser la mélancolie".
b) Dans le TP, Spinoza parle aussi de la "vertu" qui consisterait à avoir une vie de vieillard : aucune divinité, c'est-à-dire aucune force, aucune vie ne peut se réjouir de mon impuissance sexuelle. Si je suis seul ou que j'ai besoin d'isolement et que je reste néanmoins assez vert pour être traversé par des pulsions naturelles, au diable les morales de vieillard impuissant (et en général de droite) !
c et d) Jouir que ce soit intellectuellement ou physiquement, tant que ce n'est pas souffrir de l'excès, ce qui n'est plus jouir, c'est participer de la nature divine !
e) La masturbation est au moins un "divertissement que chacun peut se donner sans dommage pour personne" : on est loin du rigorisme de Kant, qui voyait dans l'onanisme une pratique scandaleuse du fait que cela reviendrait, en l'universalisant, à vouloir que l'espèce humaine ne se reproduise plus, comme si quand je bois, cela voulait dire "en l'universalisant" que je voudrais par là même priver l'humanité de boisson ou boire tout le temps, forcément sans rien faire d'autre...
f) Le "besoin d'aliments variés" se comprend par rapport aux organes concernés : l'aliment de l'estomac est la nourriture, celui des yeux les couleurs de la lumière et les formes, celui du sexe et de la peau d'un corps habité par la volupté, les caresses externes ou internes adaptées plus ou moins marquées. Mais comme je le disais aussi, d'autres capacités peuvent être associées à l'activité sexuelle, l'imagination et l'intellect notamment, auquel cas il faut aussi de la variété, c'est-à-dire de la créativité.

Un nouveau-né que l'on nourrit seulement, sans jamais lui parler ni le caresser ne survit guère plus de trois mois. Sans stimulation et donc sans alimentation des différentes parties vivantes du corps, elles finissent par mourir. On comprend ainsi très bien aussi pourquoi par exemple une activité sexuelle abondante diminue largement le risque de cancer de la prostate chez l'homme. Comme une partenaire même bien disposée possède en général un appétit sexuel moindre à celui de son compagnon, la main par laquelle l'homme est intelligent reste sa bonne amie.

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Miam
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Messagepar Miam » 23 janv. 2007, 17:51

Loin de moi la pensée d'ignorer les bienfaits psychologiques et sociaux de l'onanisme. Ce serait malhonnête de ma part. Je me pose la question pour le seul homme nommé Spinoza. Aussi bien : lorsqu'il écrit "au début du TRE que post coïtum, animal triste, ce qui fait qu'on ne peut en faire le bien suprême" (dixit Henrique), cela ne pose-t-il pas question ? Peut-on encore comparer l'onanisme à l'appétit, à moins de considérer que tout appétit conduit nécessairement à la tristesse, et pas seulement pour cause d'excès, comme il arrive en cas de digestion (ou en cas qu'à force de bander longtemps on en a mal au cul) ? Je veux dire : par ce seul fait d'affirmer que, nécessairement et pas seulement pour cause d'excès, "vir tristis est post coïtum", ne manifeste-t-on pas quelque problème dans l'usage de ce plaisir ? Parce que bon : je ne vois pas pourquoi cela rend triste après. Ou bien c'est moi qui ait quelques problèmes. Devrais-je être triste après ? Et si oui, pourquoi pas alors aussi après avoir mangé ?


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