Comprendre le sarkozysme

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Pej
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Messagepar Pej » 01 mai 2007, 10:16

La question de la "valeur travail" est centrale dans cette élection, et je partage l'essentiel de l'analyse faite par Louisa.
On voit bien où veut aller Sarkozy : travailler plus pour gagner plus, c'est évidemment ramener le travail uniquement au revenu qu'il permet d'acquérir. La valeur du travail pour Nicolas Sarkozy, c'est effectivement la valeur des biens que permet d'obtenir le travail. A aucun moment il ne pose la question du travail en lui-même, de sa pénibillité, du plaisir qu'il peut procurer, etc.
Or, et en cela je nuancerais les propos de Louisa (si j'ai tout bien compris), le travail reste encore en lui-même une valeur essentielle.
Tout le monde n'est pas prêt à sacrifier l'épanouissement dans le travail à la hauteur d'un salaire. Enormément de travailleurs considèrent qu'il est fondamental que les conditions de travail soient de bonnes conditions (cf. un documentaire comme "Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés, où l'on voit que les maladies liées au travail sont avant tout liées aux conditions du travail, et qu'une ouvrière à la chaîne peut se sentir valorisée dans son travail malgré la pénibilité parce qu'elle peut discuter avec les collègues, recevoir les encouragements de ses supérieurs, etc.)
Mais il est vrai aussi (je l'entends par exemple de la part de collègues enseignants) que certaines personnes arrivent à se moquer de leurs conditions de travail (même si par ailleurs un discours apparemment serein peut masquer une réelle souffrance)
Quand je dis que l'essentiel de ma motivation provient de l'intérêt que je peux susciter chez mes élèves, j'entends certains collègues qui me disent qu'ils font juste leur travail, et qu'ils ne sont pas affectés par une classe qui n'écouterait absolument pas leur cours, tant que le salaire tombe à la fin du mois. Je trouve cela véritablement triste.
A cet égard, Ségolène Royal manque de clarté. La question des conditions de travail n'est pas suffisamment explicitée dans son discours. Je pense toutefois que c'est aussi ainsi qu'il faut interpréter les 35h. Il ne s'agit pas seulement à mon sens d'une logique mathématique où, à quantité constante de travail, baisser le temps de travail permet d'augmenter le nombre des emplois, mais aussi de réduire un temps de travail qui, toutes les études le montrent, est ressenti comme de plus en plus pénible par une grande partie des travailleurs.
Or ce problème a bien été vu par Ségolène Royal : les 35h ont eu pour effet pervers d'intensifier les cadences, et ont donc dégradé les conditions de travail. C'est pourquoi elle propose de revenir sur l'application des 35h (mais ce sujet étant sensible, elle est forcée de nuancer son propos pour ménager son aile gauche).
L'enjeu est donc celui-ci : comment faire pour que le plus grand nombre possible de travailleurs "aiment" leur travail pour lui-même et non pour le salaire qu'il leur rapporte ? Ou pour parler en termes spinozistes, pour que le travail augmente ma puissance d'agir.

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DGsu
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Messagepar DGsu » 01 mai 2007, 10:55

Merci Louisa pour cette belle analyse des arguments qu'utilisent les prétendants au poste pour convaincre les électeurs en fonction de leurs intérêts.
J'ajouterais que Ségolène Royal, même en s'adressant aux plus démunis, ne remet pas non plus en question ce modèle de société basé sur l'acquisition du luxe.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 01 mai 2007, 13:59

Il y a Louisa une clarté dans ton explication qui montre à quel point le spinozisme peut être un instrument fécond de compréhension de la réalité actuelle, et non pas seulement pour traiter des questions éternelles de la philosophie. Même si je ne partage pas toutes tes analyses, on voit bien que l'intérêt de Spinoza, c'est de permettre d'envisager une pensée de gauche qui n'oppose pas comprendre et même interpréter (dans le sens de faire sien) à transformer.

D'abord je ne suis toujours pas d'accord en ce qui concerne Royal. Elle ne s'adresse pas qu'aux indigents, elle s'adresse à tout le pays en disant "si nous renforçons notre base sociale, nous renforçons l'ensemble de la société", autrement dit "plus juste, la France sera plus forte". D'autre part, elle ne présente pas que des mesures de facilitation sociale. Ne prenons que les 5 premières de ses 100 mesures :

1. Investir massivement dans l'innovation et la recherche : augmentation pendant le quinquennat du budget de la recherche et des crédits publics pour l'innovation de 10 % par an [...].
2. Mettre en place une politique industrielle capable de préparer l'avenir et de réduire les risques de délocalisations avec la création d'une Agence nationale de réindustrialisation.
3. Soutenir les PME avec la création de fonds publics régionaux de participation et en leur réservant une part dans les marchés publics.
4. Donner la priorité à l'investissement des entreprises avec un taux d'impôt sur les sociétés plus bas si le bénéfice est réinvesti et plus haut s'il est distribué aux actionnaires.
5. Sécuriser le parcours des jeunes créateurs en soutenant la création d'entreprises [...].



Où voit-on ici que Royal se limiterait "principalement à ceux qui n'ont pas encore accès aux conditions minimales de vie" ? Où voit-on qu'elle peut être perçue, pour un esprit honnête, comme celle qui "ne propose que d'augmenter le nombre des Profiteurs" ? Au contraire, il s'agit là non de mesures qui concernent en premier lieu telle catégorie de la population mais bien des mesures qui peuvent intéresser les riches comme les pauvres. La justice consistant non à faire qu'il n'y ait plus ni riches ni pauvres, mais à faire que le produit du travail collectif, ce qu'on appelle la croissance, profite effectivement à toute la société, et non de façon privilégiée aux actionnaires. C'est ce que montre bien Rawls dans sa théorie de la Justice. On est actuellement dans un système dans lequel les bénéfices du travail collectif sont quasi exclusivement redistribués aux actionnaires et aux patrons - tandis que lorsque ça va mal, qu'on soit un travailleur pauvre ou de la classe moyenne élevée, les sacrifices sont exclusivement demandés aux salariés (augmentation de productivité, du temps de travail sans répartie, et au final chômage quand cela permettra à quelques uns d'obtenir des retraites dorées).

En dénonçant ce genre d'injustice flagrante plus clairement dès le début, en désignant les profiteurs objectifs que sont les actionnaires, qui eux ne travaillent pas, Royal aurait pu éviter de se laisser donner le la de la campagne par les thèmes nationalistes et sécuritaires de la droite. L'erreur de Royal, et de la gauche dite de gouvernement depuis 5 ans, c'est de ne pas avoir été assez offensive sur le terrain des idées : contre une droite décomplexée, seule une gauche décomplexée peut faire le poids. Oui il faut des actionnaires pour qu'il y ait production de richesses, mais il faut répartir les bénéfices de cette production de façon équitable entre le capital et le travail pour que le pacte social soit préservé.

En ce qui concerne la "valeur travail" : comment prétendre la défendre quand de fait on refuse de la revaloriser, c'est-à-dire d'augmenter les salaires quand même lorsqu'on fait partie de la classe moyenne, être en dessous de zéro après le 20 du mois est devenu la règle ? D'autre part, valoriser le travail, c'est effectivement valoriser aussi les travaux qui n'ont pas vocation lucrative, donc de façon honorifique : pourquoi mépriser le travail accompli par des millions de français lors des débats participatifs organisés par Royal ? Travail qui aurait été beaucoup plus difficile sans les 35 h. Pourquoi mépriser le travail de ces parents qui profitent des 4 heures dégagées non pour se prélasser dans le stupre et la luxure mais pour s'occuper davantage de leurs enfants ou de leurs parents ?

Enfin, si je comprends bien ton raisonnement au fond, il y aurait une majorité de gens en France qui vivent dans le luxe et le désoeuvrement et qui attendrait un père fouettard qui viendrait siffler la fin de la récréation pour leur apporter des cadres et des repères dont ils sentent le manque. Ce qui ressort du texte que tu citais de Spinoza et des paragraphes 5 et 6 qui suivent, c'est à mon sens qu'en temps de paix durable, avec le loisir que cela implique, les hommes, soumis le plus souvent à leurs passions, deviennent mous et paresseux si on ne leur donne pas les moyens d'opposer à leur penchant au luxe et au faste le goût de l'économie et de l'autonomie financière. Ce sont la paix, le loisir et les passions humaines qui sont ici en cause, non le penchant au luxe qui n'est qu'un effet. Spinoza montre bien ici que tenter d'opposer à cela l'empêchement du luxe par la loi est parfaitement contreproductif (de l'interdiction des banquets au fait d'empêcher le droit de grève de s'exercer qu'on pourrait considérer comme un luxe propre aux pays riches).

Mais il me semble tout de même que la majorité de la population est loin de vivre dans la paresse, la mollesse et le luxe. Au contraire, les heures travaillées en France sont les plus productives au monde (cf. chiffres de l'OCDE). Réaugmenter le temps de travail ne fera que délayer cette productivité. L'omniprésence du chômage que rappelait Amstel, l'insécurité sociale et les conditions de travail qui s'ensuivent et enfin l'augmentation exponentielle du prix des produits pétroliers (surtout quand on se chauffe au fuel) font qu'il me semble bien difficile de dire qu'aujourd'hui une majorité de français qui ont la chance d'avoir un travail seraient devenus mous et paresseux.

Non, il me semble que la raison principale du succès du discours de Sarkozy reste qu'il flatte les égoïsmes dans un pays où le lien social s'est délité (en grande partie il est vrai à cause du social-libéralisme dont Mitterrand s'est fait l'instigateur mais par rapport auquel Royal a pris ses distances avec une réappropriation de gauche des thèmes de l'autorité et de l'unité nationale) et où l'individualisme est la règle : travaillez plus pour vous-mêmes (comme si ce n'était pas déjà possible d'ailleurs), vous verrez, par une main invisible magique, tout le monde en profitera et si vous avez des difficultés, c'est à cause de l'égalitarisme et de l'assistanat qu'il faut mettre à bas pour pouvoir honorer votre travail. Flatter les passions tristes de la population, propres à l'amener à se diviser a toujours été plus facile que de travailler à construire un consensus sur ce qui pourrait être juste et utile pour tous, sans exclusive (car même les riches et les classes moyennes ont gagné à la stabilisation sociale qu'ont apporté les progrès sociaux tels que les congés payés, la sécurité sociale, la retraite par répartition, l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans plutôt que le travail à partir de 6 ans dans les familles pauvres...). Mais cette difficulté a pu être surmontée à certaines époques parce que la gauche a su développer un discours critique et constructif à la fois suffisamment cohérent et assumé.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 01 mai 2007, 17:20

A Pej:

je suis tout à fait d'accord avec ce que tu ajoutes. Il est clair que pour un tas de gens aujourd'hui, leur travail est bel et bien valorisant et source de bonheur. Et même quelqu'un qui travaille à la chaîne peut se sentir valorisé par ses collègues et ses supérieurs.
Je ferais donc peut-être la distinction entre 'aimer son travail' et 'accéder au salut spinoziste par le biais de son travail'. Aimer son travail à cause de la Gloire que cela nous donne (donc à cause du fait que nous éprouvons une Joie qu'accompagne l'idée d'une de nos actions dont nous imaginons que d'autres la louent, E3 Déf des Affects XXX), c'est toujours sentir sa puissance d'agir augmentée par une cause extérieure, c'est-à-dire une Joie-passion. Se sentir apprécié par son environnement professionnel est sans doute important, mais je crains que ce ne soit pas assez pour pouvoir parler d'une société 'libre', une société non esclave. Car aussi longtemps que le travail à la chaîne ou même l'enseignement n'a pas, de par la façon même dont le travail est constitué, la capacité d'avoir comme effet nécessaire que chacun peut y apprendre à augmenter ses affects actifs, je crains que la société entière est condamnée à en rester à la passivité.
Il faudrait donc peut-être commencer à repenser les fondements non seulement de l'Etat, mais faire un pas en plus, imaginer quelques nouveaux chapitres au TP (qui après tout est resté inachevé) qui concerneraient les 'fondements du travail' (du travail et du temps libre, bien sûr, car les deux ne s'opposent qu'aussi longtemps qu'on pense le travail en termes de gagner sa vie). Spinoza a l'air de ne pas croire à la possibilité de faire de la société une société de sages, et sans doute cette idée-là était tout à fait inconcevable dans le contexte du XVIIe siècle. Or entre-temps, le niveau matériel de vie des Européens a augmenté de façon spectaculaire, et on a eu le marxisme, on a eu le stalinisme, on a eu le colonialisme, on a eu le nazisme, on a aujourd'hui la 'bellitude' des neocons - c'est-à-dire on a bien vu les désastres auxquels un régime absolu tel que la démocratie peut elle-même conduire. Je me demande donc si tout cela n'a pas tellement changé le contexte, que pour appliquer le spinozisme politique aujourd'hui, il ne faudrait pas le prolonger, en commençant à réfléchir aux questions qui au XVIIe n'étaient peut-être pas du tout déjà à l'ordre du jour.

Sinon je suis tout à fait d'accord: Sarkozy a fait de la valeur du travail un des enjeux de cette campagne. Mais donc je crains qu'il n'a pensé qu'à sa valeur en termes d'argent et en termes de luxe, pas en termes d'augmentation de la liberté au sens spinoziste.

A Henrique

merci beaucoup de tes remarques, qui m'aident vraiment à mieux penser/développer/corriger ce que je voulais dire.

Henrique a écrit :D'abord je ne suis toujours pas d'accord en ce qui concerne Royal. Elle ne s'adresse pas qu'aux indigents, elle s'adresse à tout le pays en disant "si nous renforçons notre base sociale, nous renforçons l'ensemble de la société", autrement dit "plus juste, la France sera plus forte". D'autre part, elle ne présente pas que des mesures de facilitation sociale. Ne prenons que les 5 premières de ses 100 mesures :

Citation:

1. Investir massivement dans l'innovation et la recherche : augmentation pendant le quinquennat du budget de la recherche et des crédits publics pour l'innovation de 10 % par an [...].
2. Mettre en place une politique industrielle capable de préparer l'avenir et de réduire les risques de délocalisations avec la création d'une Agence nationale de réindustrialisation.
3. Soutenir les PME avec la création de fonds publics régionaux de participation et en leur réservant une part dans les marchés publics.
4. Donner la priorité à l'investissement des entreprises avec un taux d'impôt sur les sociétés plus bas si le bénéfice est réinvesti et plus haut s'il est distribué aux actionnaires.
5. Sécuriser le parcours des jeunes créateurs en soutenant la création d'entreprises [...].

Où voit-on ici que Royal se limiterait "principalement à ceux qui n'ont pas encore accès aux conditions minimales de vie" ? Où voit-on qu'elle peut être perçue, pour un esprit honnête, comme celle qui "ne propose que d'augmenter le nombre des Profiteurs" ? Au contraire, il s'agit là non de mesures qui concernent en premier lieu telle catégorie de la population mais bien des mesures qui peuvent intéresser les riches comme les pauvres. La justice consistant non à faire qu'il n'y ait plus ni riches ni pauvres, mais à faire que le produit du travail collectif, ce qu'on appelle la croissance, profite effectivement à toute la société, et non de façon privilégiée aux actionnaires. C'est ce que montre bien Rawls dans sa théorie de la Justice. On est actuellement dans un système dans lequel les bénéfices du travail collectif sont quasi exclusivement redistribués aux actionnaires et aux patrons - tandis que lorsque ça va mal, qu'on soit un travailleur pauvre ou de la classe moyenne élevée, les sacrifices sont exclusivement demandés aux salariés (augmentation de productivité, du temps de travail sans répartie, et au final chômage quand cela permettra à quelques uns d'obtenir des retraites dorées).


oui, tout à fait d'accord. Il est bien de souligner que quand je parlais de Royal comme celle qui propose principalement de donner accès à la société aux plus démunis, c'était un peu trop simpliste. Or ce que je voulais dire par là, je crois, c'est qu'à mes yeux, SI on fait un bilan des problèmes les plus urgents d'aujourd'hui, ALORS il me semble que 1) aider les plus défavorisés et 2) s'adresser à ceux qui travaillent dur mais n'en voient pas le sens, répond le mieux à ces problèmes. Le point fort du programme de Royal, surtout aussi comparé à celui de Sarkozy, réside donc à mon sens dans cette partie qui s'adresse aux plus pauvres.

Toutefois, cela n'empêche que ce qu'elle propose à côté de ces mesures anti-précarité, ce sont des choses tout à fait intéressantes et nécessaires aussi, mais cela revient essentiellement à ce qu'on attend de la gauche depuis le XIXe siècle: redistribuer les revenues de manière juste. Aussi longtemps qu'il y a de telles inégalités dans la société, je suis tout à fait convaincue que ce genre de mesures soit crucial.
Mon problème avec le programme de Royal (et de la gauche occidentale actuelle en général, gauche centriste et extrême gauche pris ensemble) se situe donc ailleurs, et précisément là où Spinoza nous demande déjà, je crois, de regarder: il concerne l'esclavage propre au goût du luxe. Je comprends ce 'goût du luxe' comme étant le Désir de l'acquisition de biens matériels qui ne sont pas nécessaires pour maintenir la santé. On sait bien que pour Spinoza, la perfection de notre Esprit dépend de la perfection des objets de nos idées. Aussi longtemps que l'argent redistribué ne sert, à part au maintien de la santé, qu'à cultiver ce Désir (et donc à occuper notre Esprit d'idées d'objets tout à fait inutiles pour la santé), je crains que Spinoza nous explique assez bien pourquoi on pourrait peut-être bien arriver ainsi à une société riche et juste, mais on ne s'est pas encore débarrassé de la société esclave. En d'autres termes, une société juste et riche n'est pas encore une société libre.

Bien sûr que Royal ne fait rien qui essaie activement de cultiver ce Désir. J'ai donc tendance à être d'accord avec son programme sur la majorité des points qu'elle soulève (y a-t-il d'ailleurs moyen de les consulter par internet?). J'ai seulement l'impression que par ce programme, elle ne peut pas toucher au problème fondamental de ceux qui se sentent attirés par celui de Sarkozy, car ceux qui souffrent déjà le plus du goût du luxe et du nihilisme que cela entraîne, ne trouvent pour l'instant qu'un début de tentative de solution/remède chez Sarkozy. Si donc on ne se retrouve pas dans le programme de Sarkozy, je crains qu'il nous faudra inventer de meilleurs remèdes au problème auquel lui il s'attaque avec tant d'ingéniosité. Et c'est là qu'à mon sens il y a un grand silence, à gauche, silence assez logique, vu que ce problème n'a plus rien à voir avec la spécialité de la gauche (la production et redistribution justes de la richesse), mais concerne l'USAGE de la richesse et l'organisation de l'existence actuelle de chaque chose humaine. On pourrait croire que ceci n'est qu'un problème 'de luxe', c'est-à-dire tout à fait inimportant par rapport aux grandes injustices dans le monde. Eh bien non, dit Spinoza (du moins c'est comme ça que je le lis). C'est précisément cela qui rend les démocraties productrices d'esclaves, et qui peut à la longue rendre l'Etat même tout à fait fragile. C'est donc ce qui mérite d'urgence notre attention, je crains.

Henrique a écrit :En dénonçant ce genre d'injustice flagrante plus clairement dès le début, en désignant les profiteurs objectifs que sont les actionnaires, qui eux ne travaillent pas, Royal aurait pu éviter de se laisser donner le la de la campagne par les thèmes nationalistes et sécuritaires de la droite.


à mon sens c'est précisément l'idée de profiteur, imaginaire ou 'objectif', qui est le corrélat nécessaire d'une conception du travail basé sur le gain de l'argent et orienté vers l'idée de bonheur comme jouissance du luxe. La gauche peut en effet récupérer une partie de ce discours, en s'attaquant aux 'profiteurs riches', mais à mon sens ce sera toujours peu crédible aux yeux des classes moyennes, qui haissent autant les profiteurs riches que les profiteurs pauvres (et probablement ces derniers encore plus), et qui savent que la gauche ne va pas forcer les pauvres à quitter le chômage.
En d'autres termes: je ne crois pas à l'existence objective des Profiteurs. A mon sens cette croyance fait partie du discours propre à une société qui conçoit le bonheur comme jouissance du luxe et le travail comme produisant l'argent avec lequel on s'achètera ce luxe. En pratique, déjà Aristote ne nous disait au début de son 'Invitation à la philosophie' (et Spinoza le reprend), posséder beaucoup d'argent n'a rien à voir avec l'art de jouir de la vie, cet art seul étant capable de créer des affects actifs. Le PDG qui gagne des montants faramineux a donc probablement autant de difficultés de ne pas être esclave que le chômeur qui n'arrive pas à décrocher un boulot modeste, même si le type d'esclavage est très différent. Et on a beau dire que l'actionnaire ne travaille pas, souvent il doit tout de même s'occuper de la gestion de ses richesses, occupation qui en tant que tel n'a rien à voir avec l'art d'acquérir des idées vraies.

Henrique a écrit :L'erreur de Royal, et de la gauche dite de gouvernement depuis 5 ans, c'est de ne pas avoir été assez offensive sur le terrain des idées : contre une droite décomplexée, seule une gauche décomplexée peut faire le poids. Oui il faut des actionnaires pour qu'il y ait production de richesses, mais il faut répartir les bénéfices de cette production de façon équitable entre le capital et le travail pour que le pacte social soit préservé.


oui, tout à fait d'accord. Mais donc ici on parle du problème de la redistribution de la richesse. Pas du problème de l'esclavage propre à une démocratie en paix, et qui est celui lié au goût du luxe (et de l'affaiblissement des moeurs, selon Spinoza ... Sarkozy n'est donc pas le premier d'en parler ...).

Henrique a écrit :En ce qui concerne la "valeur travail" : comment prétendre la défendre quand de fait on refuse de la revaloriser, c'est-à-dire d'augmenter les salaires quand même lorsqu'on fait partie de la classe moyenne, être en dessous de zéro après le 20 du mois est devenu la règle ?


de nouveau: tout à fait d'accord, que cela existe aujourd'hui en France est tout à fait scandaleux, et je ne vois que Royal pour y remédier. Mais donc de nouveau, à part cela il me semble qu'il y ait un autre problème, soulevé par Spinoza, et de manière indirecte repris par Sarkozy: valoriser le travail, ce n'est pas seulement le payer davantage, c'est aussi lui donner un sens, une valeur sociale. La valeur sociale 'sacrifice de soi' est vraiment parfaite, à mon avis, quand il s'agit d'essayer de motiver des 'esclaves du luxe' à repartir chaque matin à un boulot sans sens intrinsèque (c'est-à-dire sans capacité d'augmenter la puissance d'agir) pour revenir le soir à passer son temps 'libre' en s'adonnant à d'autres occupations qui rendent tout sauf libre (la télévision et les 75% d'émissions qui ne créent que des Joies passives).

Henrique a écrit :D'autre part, valoriser le travail, c'est effectivement valoriser aussi les travaux qui n'ont pas vocation lucrative, donc de façon honorifique : pourquoi mépriser le travail accompli par des millions de français lors des débats participatifs organisés par Royal ? Travail qui aurait été beaucoup plus difficile sans les 35 h. Pourquoi mépriser le travail de ces parents qui profitent des 4 heures dégagées non pour se prélasser dans le stupre et la luxure mais pour s'occuper davantage de leurs enfants ou de leurs parents ?


si tu avais l'impression que c'était moi qui méprisait cela, c'est que je me suis mal exprimée. Il est clair que tout ceci a beaucoup de valeur, voire permet déjà aux gens concernés de devenir un peu plus actif, dans le sens spinoziste du mot.

Henrique a écrit :Enfin, si je comprends bien ton raisonnement au fond, il y aurait une majorité de gens en France qui vivent dans le luxe et le désoeuvrement


je me permets de couper ta phrase parce que je crois que quand Spinoza (et donc moi-même ici) parle de 'luxe', il ne veut pas dire la même chose que quand un citoyen du XXe siècle occidental parle de luxe. Dans le sens commun, le luxe est effectivement associé au désoeuvrement, au 'dolce far niente'. J'ai l'impression que par luxe, Spinoza en revanche parle plutôt de l'acquisition excessive de biens matériels. Si donc je crois qu'actuellement une petite majorité des Français vit dans le luxe, je ne veux pas du tout dire que donc ils ne travaillent pas. C'est en fait le contraire: ils travaillent comme des fous et/ou ils travaillent en exerçant des boulots qui ne permettent pas d'augmenter les affects actifs, et ils n'ont, dans la société actuelle, en règle générale que le 'luxe' comme récompense, c'est-à-dire le fait de pouvoir regarder le soir son match de foot sur un écran plasma que sur un écran ordinaire, etc.
C'est la conception du travail comme ce qui s'oppose au luxe qui me semble être le noyau du problème. Le luxe est alors conçu comme étant la récompense du travail, et le travail comme ce qui ne sert qu'à gagner sa vie et principalement à s'acheter des produits de luxe. Or, nous dit Spinoza, ni l'un ni l'autre ne garantit l'augmentation de la puissance d'agir. C'est pourquoi on peut travailler beaucoup, puis avoir tout le luxe du monde, luxe duquel on peut 'profiter' à volonté durant son temps 'libre', on se sentira toujours comme un esclave, on aura l'impression qu'on manque l'essentiel, qu'on manque des choses ayant une vraie valeur. Aller de là à l'idée que la société n'a plus de valeurs et que nous vivons une crise morale n'est qu'un petit pas en plus. A mon sens, la crise morale n'est donc pas une invention de Sarkozy, elle est vécu par des milliers voire des millions de gens. De gens qui travaillent, qui gagnent honnêtement leur pain, et qui s'occupent de ce que la société offre actuellement comme 'passe-temps'. Du coup, la peur aussi est plutôt réelle que d'être une idée sarkozyste. Sarkozy l'utilise, bien sûr, mais peut-on vraiment lui reprocher cela? N'est-ce pas Spinoza lui-même qui dit que la peur rassemble les gens, et peut permettre d'en faire un seul Corps et Esprit (tout comme une espérance partagée peut donner cet effet), bref un Etat puissant?

Henrique a écrit :et qui attendrait un père fouettard qui viendrait siffler la fin de la récréation pour leur apporter des cadres et des repères dont ils sentent le manque.


l'idée du besoin d'un père est pour moi un peu trop psychanalytique. Je crois qu'il suffise de supposer qu'on ait besoin d'une société ou d'une culture qui valorise davantage la discipline, le sacrifice de soi et la pénalisation de celui qui croît pouvoir y échapper, pour pouvoir comprendre en quoi un tel discours peut aider à motiver des gens à 'se lever tôt' pour une occupation à vie qui en tant que tel n'a aucun sens.

Henrique a écrit : Ce qui ressort du texte que tu citais de Spinoza et des paragraphes 5 et 6 qui suivent, c'est à mon sens qu'en temps de paix durable, avec le loisir que cela implique, les hommes, soumis le plus souvent à leurs passions, deviennent mous et paresseux si on ne leur donne pas les moyens d'opposer à leur penchant au luxe et au faste le goût de l'économie et de l'autonomie financière.


ce passage cc l'économie est assez difficile, j'ai l'impression. Je l'avais compris d'abord comme ça aussi, mais je crois maintenant qu'en fait, Spinoza veut dire que pour créer parmi des riches en paix un affect utile à la République, l'idéal serait qu'ils deviennent parcimonieux, c'est-à-dire qu'ils arrêtent de faire des dépenses tout à fait inutiles à leur bonheur (donc d'acheter des produits de luxe). Or ceci étant peu probable (car justement, dans ce cas ils n'auraient plus le goût du luxe, tandis que Spinoza veut changer ce goût même en affect utile), il conseille l'inverse: essayer de cultiver leur goût pour la richesse en tant que telle (l'avidité), car un désir d'accroissement de ses richesses bien compris ne peut que s'accompagner d'un désir de Gloire et d'honneurs, ce qui devrait les obliger (par cause interne: désir bien compris) d'essayer de ne pas gagner leur fortune de manière malhonnête.
Mais tu as peut-être d'autres arguments pour la façon dont tu l'interprètes?

Henrique a écrit :Ce sont la paix, le loisir et les passions humaines qui sont ici en cause, non le penchant au luxe qui n'est qu'un effet. Spinoza montre bien ici que tenter d'opposer à cela l'empêchement du luxe par la loi est parfaitement contreproductif (de l'interdiction des banquets au fait d'empêcher le droit de grève de s'exercer qu'on pourrait considérer comme un luxe propre aux pays riches).


Il dit que l'interdire par loi DIRECTEMENT est impossible, mais ne dit-il pas aussi, en 10/6, que justement, dans ce cas il faut l'interdire INDIRECTEMENT? Ce qui implique que c'est tout de même en travaillant sur les fondements de l'Etat (et donc les lois) que l'on peut créer DANS une société victime du goût du luxe des affects utiles à la République.

Henrique a écrit :Mais il me semble tout de même que la majorité de la population est loin de vivre dans la paresse, la mollesse et le luxe. Au contraire, les heures travaillées en France sont les plus productives au monde (cf. chiffres de l'OCDE).


oui oui, certainement. C'est apparamment un point sur lequel je n'étais pas très claire. Pour essayer de le dire encore autrement: à mon sens quand Spinoza parle de luxe, il ne parle pas de paresse, mais de l'achat de produits de luxe. Dans une société capitaliste, où ces produits de luxe et leur achat sont une des valeurs primordiales, et où le travail dans le meilleur des cas est capable de créer des Joies passives, mais rarement des Joies actives (sauf pe dans l'enseignement, si par hasard l'enseignant est très motivé à la base et ne se laisse pas décourager par le système), ni les heures passées au travail (en travaillent 'durement' c'est-à-dire en se motivant à fond pour une activité dont on sent qu'elle n'a aucun effet positif sur sa puissance d'agir) ni les heures passées 'librement' ne permettent d'augmenter les affects actifs. C'est donc cela, à mon sens, l'esclavage propre au luxe: jouir du luxe lui même ne nous donne rien d'essentiel dans la vie, et travailler durement seulement dans le but de l'acquérir non plus.
C'est donc toute la différence entre 'être actif' au sens commun (dans le sens où on veut pe 'activer' les chômeurs) et 'être actif' au sens spinoziste. On peut se démener 20h par jour en dépensant un tas d'énergie physique et morale, sans avoir fait aucune Action spinoziste, c'est-à-dire sans avoir pu augmenter sa puissance d'agir. C'était probablement le cas pour pas mal d'esclaves dans l'Antiquité, mais j'ai l'impression que Spinoza a pu repérer un même type d'esclavage dans la société riche et en paix. Au fond, cela revient à rappeler que liberté ne veut pas dire 'pouvoir faire ce qu'on veut', mais ne signifie rien d'autre que la béatitude ou le salut, c'est-à-dire une augmentation maximale de sa puissance d'agir. Un actionnaire peut augmenter maximalement la valeurs de ses actions, il n'aura pas pour autant commis une Action spinoziste. Il est donc autant esclave (voire plus) que le cadre d'une société qui ne trouve pas son bonheur au travail. C'est pourquoi l'appeler un 'Profiteur objectif' me semble relever autant de l'imaginaire que d'appeler un chômeur un Profiteur. Aucun des deux ne profite de rien, dans le sens où aucun des deux ne se retrouve dans ce qu'un citoyen capitaliste imagine être le 'paradis': pouvoir bien vivre SANS ne rien faire. Spinoza nous le dit bien: nous ne désirons pas seulement devenir heureux, mais même encore 'bienheureux'. Et pour cela, la Passivité ne sert à rien, il faut être Actif. Le luxe y est autant un obstacle que l'absence de moyens de base pour maintenir la santé.

Henrique a écrit :Réaugmenter le temps de travail ne fera que délayer cette productivité. L'omniprésence du chômage que rappelait Amstel, l'insécurité sociale et les conditions de travail qui s'ensuivent et enfin l'augmentation exponentielle du prix des produits pétroliers (surtout quand on se chauffe au fuel) font qu'il me semble bien difficile de dire qu'aujourd'hui une majorité de français qui ont la chance d'avoir un travail seraient devenus mous et paresseux.


tout à fait d'accord. Mais donc le 'mou' spinoziste n'est pas la même chose que la paresse capitaliste. Le mou spinoziste, c'est l'absence de rigueur, donc de puissance d'agir. La paresse capitaliste, c'est l'idée de pouvoir devenir heureux sans rien faire. La majorité des français travaillent très durement, donc ne sont pas paresseux, mais ils sont néanmoins mous, dans le sens où ils ne sont tout simplement pas heureux, mais ont l'impression de vivre, malgré le niveau de vie élevé, dans une société en crise, où les moeurs se sont affaiblis, et où l'on ne voit plus ce que la société en tant que telle valorise comme choses qui rendent réellement heureux.

Henrique a écrit :Non, il me semble que la raison principale du succès du discours de Sarkozy reste qu'il flatte les égoïsmes dans un pays où le lien social s'est délité (en grande partie il est vrai à cause du social-libéralisme dont Mitterrand s'est fait l'instigateur mais par rapport auquel Royal a pris ses distances avec une réappropriation de gauche des thèmes de l'autorité et de l'unité nationale) et où l'individualisme est la règle : travaillez plus pour vous-mêmes (comme si ce n'était pas déjà possible d'ailleurs), vous verrez, par une main invisible magique, tout le monde en profitera et si vous avez des difficultés, c'est à cause de l'égalitarisme et de l'assistanat qu'il faut mettre à bas pour pouvoir honorer votre travail. Flatter les passions tristes de la population, propres à l'amener à se diviser a toujours été plus facile que de travailler à construire un consensus sur ce qui pourrait être juste et utile pour tous, sans exclusive (car même les riches et les classes moyennes ont gagné à la stabilisation sociale qu'ont apporté les progrès sociaux tels que les congés payés, la sécurité sociale, la retraite par répartition, l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans plutôt que le travail à partir de 6 ans dans les familles pauvres...). Mais cette difficulté a pu être surmontée à certaines époques parce que la gauche a su développer un discours critique et constructif à la fois suffisamment cohérent et assumé.


j'avoue que je préfère me méfier de tout 'Blâme' par rapport à Sarkozy. Je n'ai pas du tout l'impression qu'il s'agit d'un homme qui prend la voie la plus facile, j'ai plutôt l'impression que lui aussi, il travaille durement. Comment faire la distinction entre un politicien qui 'flatte' les citoyens, et un politicien qui représente adéquatement les affects et idées d'une partie de la population? La distinction me semble être avant tout une question de point de vue: on peut prendre un point de vue moralisant, et alors celui qui représente les affects de ceux qui se sentent faibles et angoissés ne peut qu'être Le Mauvais, surtout quand les impuissants dont il s'agit ici ont déjà acquis de quoi vivre (ceux-ci devenant du coup des 'égoïstes' (mot que je n'ai pas encore rencontré chez Spinoza, à raison, il me semble), car ils se plaignent tandis qu'ils ont déjà 'tout').
Or je crois avec Spinoza que jamais moraliser nous a aidé à mieux comprendre. Comme il s'agit d'un 'adversaire' très puissant (car pour Spinoza on mesure la puissance du politicien au nombre de citoyens qui le soutiennent ...), il me semble qu'on a tout intérêt à essayer non pas de comprendre le personnage Sarkozy en tant que tel, mais la dynamique sociale qu'il représente et qui est tout à fait alarmante.

Enfin, je dirais que le discours de Sarkozy ne promet pas tellement que 'tout le monde' en profitera. Il dit justement que ceux qui ne veulent pas se discipliner et sacrifier la part belle de leur vie à des boulots qu'ils ne veulent pas, n'auront PLUS le droit de profiter de la richesse que d'autres ont durement gagné à leur place. Seul celui qui travaille aura droit au 'profit'. On veut bien donner une dernière chance aux paresseux de ce pays, mais une seule suffira, après ils ne doivent plus compter sur une société d'assistanat'. Car qui dit valoriser ce type de travail (capitaliste) dit dévaloriser celui qui ne travaille pas. Si alors il tombe dans la délinquence, la police, les juges bien sévères et les prisons privées seront là pour les écarter de la vue des gens 'honnêtes' et pour éviter qu'ils continuer à 'profiter'.

Bien sûr, Sarkozy reprend la rengaine néolibérale qui suppose que plus la richesse d'un pays accroît, plus vite la situation des pauvres s'améliorera. Là aussi, je crains que ceci ne soit PAS faux. Il est évident qu'aujourd'hui en Occident, le PNB a augmenté de façon spectaculaire par rapport au début du siècle, et le taux de pauvres a également baissé de façon spectaculaire. Il y a donc clairement un lien entre les deux. Seulement, sans mesures sociales visant à remédier tout le 'collateral damage' d'une telle augmentation de richesse en aidant maximalement les riches et les patrons d'entreprises, l'effet positif de l'augmentation de la richesse sur les pauvres risque de se produire que très tardivement, trop tard peut-être pour que ces pauvres se contentent de rester passifs.

Bref, si je ne suis pas d'accord avec Sarkozy, ce n'est donc pas parce que je trouve qu'il n'aurait pas raison ou parce qu'il serait dans le faux. J'ai plutôt l'impression que ce qu'il dit revient principalement à un tas d'idées inadéquates, idées qui sont ressenties telles quelles par de plus en plus de gens (les esclaves propre à un régime démocratique en paix), et qui dès lors sont bel et bien réelles. On sait que Spinoza souligne le fait que ces idées n'ont rien de négatif ou de faux en tant que telles. Seulement, il faut y AJOUTER pas mal d'autres idées pour que ces idées partielles puissent être comprises de façon adéquate. Et c'est cela que j'attend de la gauche: comprendre adéquatement les affects des citoyens, surtout aussi de ceux qui votent à droite. Car si la gauche a toujours voulu défendre la masse des plus faibles, il se peut que dans une société riche en paix, les 'faibles' ne sont plus vraiment les mêmes que dans une société industrielle au XIXe, qu'un nouveau type s'y est ajouté.
Dans ce cas, se concentrer sur Sarkozy pourrait revenir à tirer sur le pianiste (ce qui n'est pas illogique, car si on a toujours voulu défendre les masses, comment aujourd'hui tirer sur elle?). Et si on n'aime pas sa musique, tirer sur lui peut toujours faire du bien (la fameuse Joie triste dont parle Spinoza), mais je crains qu'il y ait toute une armée d'apprentis-pianistes qui sont prêts à se mettre sur sa chaise dès qu'il l'a quitté, pour essayer de jouer avec plus ou moins de talent la même partition. Il faut donc se demander d'où vient la partition. Et là je crains qu'elle n'est pas une invention gratuite, mais réflète bel et bien ce qui vit dans une partie de la société actuelle. Pour que celle-ci écrive une musique un peu plus agréable à l'oreille de ceux qui occupent leur temps 'libre' à penser, il faudrait peut-être d'abord comprendre ce que vit cette partie de la société. En tout cas, je ne vois pas vraiment d'autre solution.
Amicalement,
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Messagepar Louisa » 01 mai 2007, 18:39

PS: je viens de recevoir par hasard à ce moment-ci un message de pub sur mon GSM, message trop emblématique, si j'ose dire, pour ne pas l'ajouter ici:

Gagnez un Sony Plasma TV 109cm OUI au xxxx [numéro auquel il faut appeler]. Ce message est GRATUIT.


voilà pourquoi la notion de profiteur me semble être congénitalement liée à celle du profit capitaliste: dans un régime capitaliste de travail (tel qu'il existe actuellement), le 'suprême bien', c'est de pouvoir s'acquérir des produits de luxe SANS devoir 'travailler', c'est-à-dire sans devoir s'occuper pendant des années d'un boulot qui n'aide en rien l'augmentation des affects actifs. Dans ce sens, tout un chacun espère 'profiter' maximalement du système. Et ce sont précisément les pubs qui permettent d'y accéder de temps en temps. Car certaines d'entre elles donnent la possibilité réelle de se procurer un produit de luxe SANS même devoir payer - voir le 'gratuit' en majuscules - ou, pour la plupart des autres pubs, en payant MOINS que ce qu'on devrait payer. Bref de profiter.

Or il se fait que pour une majorité, les moments de profiter dans ce sens précis sont assez limités, et les montants desquels on profite, peu élevés. Il en va différemment pour les deux extrêmes que produit ce régime politico-économique: les chômeurs et les actionnaires et grands PDG. Il est facile de s'imaginer qu'eux, ils sont dans une situation où ils peuvent, comme le dit si bien Sarkozy, 'jouir sans entraves', profiter sans limites (le chômeur en disposant d'un temps libre sans limites (le temps sans travail étant, ensemble avec l'achat de produits de luxe, synonyme de 'bonheur'), l'actionnaire en disposant d'un moyen fabuleux d'augmenter ses richesses sans limites). Ce n'est donc pas le profiter en tant que tel qu'il faut éliminer, selon Sarkozy, mais le profit 'injuste', c'est-à-dire la jouissance illimitée (dans le temps et au niveau financier) de produits de luxe sans en avoir payé le prix (donc sans avoir dû se lever tôt chaque matin pour s'occuper de choses qui ne donnent pas de sens à la vie).
C'est pourquoi aussi je crois que c'est tout à fait correcte quand la droite dit que la justice n'est pas l'apanage de la gauche seule. Seulement, une fois que l'on a accepté le système actuel, devient injuste celui qui profite sans payer. Tandis qu'aussi longtemps que l'on n'accepte pas trop le système actuel, et que l'on croît qu'il soit possible de le changer, est injuste le fait même que certains gagnent beaucoup par heure de travail, et d'autres beaucoup moins voire rien.

Seulement, dans les deux cas (Sarko + Ségo) les notions de travail et de 'profiter' gardent le même sens. Tandis qu'à mon avis (humble avis ... à vous de le critiquer si vous voulez bien) la pensée spinoziste nous invite à penser le bonheur et donc la liberté et donc la politique en donnant un autre sens à ces mots, où plutôt en les remplaçant par un autre 'régime de signes': le suprême bien devient la béatitude, qui n'a plus rien à voir avec le luxe. L'activité devient non pas le mouvement physique et spirituel en vue d'une production de richesse matérielle en tant que telle, mais l'augmentation des affects actifs, c'est-à-dire de la connaissance de soi-même et du monde et de la Nature entière.

Si Sarkozy essaie de remédier au nihilisme actuel en renforçant les notions de travail et de 'profiter' proprement capitalistes, Royal ne me semble rien faire CONTRE ses notions et le mal qu'ils produisent nécessairement. C'est pourquoi j'ai l'impression que Sarkozy (et la droite néoconservatrice en général) du moins a bien compris l'endroit où se trouve un problème (mai '68 ayant affaibli sérieusement la notion capitaliste de travail, tout en augmentant la valeur de la jouissance, suscitant par là un Désir de 'profiter' beaucoup plus grand qu'avant, et que la société actuelle ne permet pas d'assouvir), mais il n'est point spinoziste en croyant que le remède se trouve dans la revalorisation du travail comme sacrifice de soi-même d'une part, et dans la pénalisation de ceux qui 'profitent' de manière un peu trop excessive par rapport à ce qui est permis au travailleur moyen d'autre part.
Je ne vois pas ce que propose Royal à ces gens qui profitent un peu et qui croient que la solution du malaise qu'ils ressentent se trouve dans l'idée de pouvoir profiter un peu davantage. Car qui dit redistribution, dit essentiellement ENLEVER une partie du profit que l'on a mérité pour la donner à ceux qui ne le méritent pas (car ils ne l'ont pas produit eux-mêmes), choses qui ne peuvent qu'angoisser ceux qui aimeraient bien PLUS profiter de leur propre travail. Et je ne crois pas que vouloir profiter plus peut être compris par l'idée d'égoïsme. C'est une simple question de conatus, il me semble. Dans une société où le suprême bien est le 'profiter', il est normal que l'on sent augmenter un peu sa puissance d'agir en profitant un peu plus. Je ne vois pas à quoi cela servirait de condamner cela moralement. On peut seulement constater qu'il ne s'agit principalement que de Joies passives, mais aussi longtemps que les fondements de l'Etat ne permettent pas la production massive de Joies actives, c'est déjà mieux que rien. En tout cas, c'est comme ça que j'aurais tendance à comprendre le vote Sarkozy pour l'instant.
louisa

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Messagepar Henrique » 02 mai 2007, 03:27

Louisa,
Tiens tu es belge, puisque tu parles de GSM et non de portable ? En tout cas, pas de ce genre de "luxe" chez moi, luexe essentiellement fait pour recevoir des pubs pour se procurer d'autres objets inutiles. :twisted:

J'aurais beaucoup de choses à discuter/préciser avec toi par rapport à tout ce que tu dis. Mais il me semble que le fond de notre divergence vient de ce que tu sembles fixer à la politique telle que l'envisage Spinoza une finalité éthique, qui serait l'accès à la béatitude. Comme tu le remarquais, Spinoza ne voit pas les choses comme cela et avec raison à mon sens, encore aujourd'hui. D'abord je ne vois pas en quoi les expériences du colonialisme, nazisme etc. changeraient quelque chose à cela. Ensuite, les conditions qui font que certains humains développent cette spiritualité philosophique sont personnelles et complexes. Elles ne peuvent relever de la loi qui est générale et faite pour cadrer les comportements extérieurs, non l'intériorité des gens. La fin de la société civile, c'est la sécurité des corps. Une loi sage telle que l'entend Spinoza dans le TP est une loi cohérente avec cette objectif, applicable par tous et utile pour tous.

En revanche, la politique reste une condition essentielle de l'éthique, sans pour autant être cause suffisante de la satisfaction de son exigence : pour qu'une société produise des esprits libres, il faut que les conditions de vie soient décentes et dignes (propres à susciter le moins de haine possible, d'autrui ou de soi-même) pour tous. Primum vivere, deinde philosophari

Tant qu'on demeure dans l'indigence matérielle ou bien dans la menace d'indigence matérielle à cause de la pression du chômage de masse (qui fait que même les cadres et salaires de la classe moyenne élevée sont concernés), on vit dans la soumission aux aléas de la fortune ou aux volontés de ceux qui vous fournissent de quoi vivre. Pour autant, ne pas être soumis à la fortune ou aux volontés d'un autre ne suffit pas à faire un homme libre au sens de l'Ethique, il faut encore ne pas être soumis à ses passions. Mais la liberté politique, telle qu'en parle le TTP, ce n'est pas encore la liberté éthique qui est aussi salut et béatitude, c'est plus modestement le fait de n'avoir à se soumettre à aucune volonté particulière en se soumettant à la seule volonté générale exprimée par la loi (cf. texte sur l'esclavage que j'avais cité). On peut donc être libre d'un point de vue éthique tout en étant asservi politiquement, mais c'est beaucoup plus difficile. C'est là la raison essentielle de l'écriture du TTP à mon sens : faciliter l'accès de ses concitoyens à l'éthique, ou à la limite contribuer à empêcher que cela ne devienne quasiment impossible, non la rendre nécessaire par quelque loi ou décret que ce soit. Inversement, on peut tout aussi bien être libre politiquement tout en étant asservi sur le plan éthique : c'est déjà beaucoup car cela demande beaucoup d'efforts collectifs (instruction, culture...) et personnels (culture du sens critique nécessaire à cette liberté politique) sans pour autant avoir à être capable de trouver de la joie ailleurs que dans des causes extérieures.

En ce sens, les concepts politiques ou utilisés dans un cadre politique, les vertus ou les passions notamment sont à comprendre dans ce cadre qui est celui de l'extériorité : paresse n'est donc pas ici impuissance à s'ouvrir à un travail intellectuel et affectif sur soi mais bien impuissance à travailler au sens de produire des biens utiles à la vie commune (au passage quand je parlais de mépris du travail non rémunéré, je visais bien sûr la droite qui effectivement considère que les 35 h auraient donné lieu à un surcroît d'oisiveté et de désoeuvrement.)

Ainsi toute proposition politique d'ordre éthique relève de la démagogie : quelle que ce soit la force de persuasion de la rhétorique d'un politique, cela restera toujours l'affaire personnelle des gens de faire ce qu'ils veulent ou plutôt ce qu'ils peuvent de la sécurité sociale et économique que leur apporte une bonne politique : tendre à se constituer une joie de vivre par des activités "autotéliques" (qui ont leur fin en soi et par conséquent ne peuvent vraiment se commander) ou bien se contenter de luxe ou de gloriole personnelle. Le fait de mélanger éthique et organisation politique de la société chez Sarkozy est probablement cependant une raison du succès de sa rhétorique. L'erreur de la gauche est manifestement de ne pas avoir assez vu venir le lascar et partant de ne pas avoir préparé de contre-offensive sur ce terrain. Que n'as tu signalé cela au parti socialiste ?!

Amicalement,
Henrique

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Messagepar Louisa » 02 mai 2007, 04:46

Henrique a écrit :J'aurais beaucoup de choses à discuter/préciser avec toi par rapport à tout ce que tu dis. Mais il me semble que le fond de notre divergence vient de ce que tu sembles fixer à la politique telle que l'envisage Spinoza une finalité éthique, qui serait l'accès à la béatitude.


oui, bien vu.

Henrique a écrit :Comme tu le remarquais, Spinoza ne voit pas les choses comme cela et avec raison à mon sens, encore aujourd'hui.


Spinoza a plutôt dit, je crois, qu'il ne croyait pas qu'une société constituée par des sages soit déjà possible bientôt. Du coup, le TP se base sur l'idée d'une société qui doit tenir compte d'une foule irrationnelle. Mais d'une part le TP n'est pas achevé, d'autre part nous sommes entre-temps trois siècles plus tard. Voici donc deux raisons pour lesquelles je ne suis pas certaine qu'il soit nécessaire, dans un système spinoziste, de séparer l'éthique et le politique.

Henrique a écrit : D'abord je ne vois pas en quoi les expériences du colonialisme, nazisme etc. changeraient quelque chose à cela.


elles ont montré que peut-être la démocratie n'est tout de même un régime si 'absolu' que ça. Alors ou bien les démocraties réelles qui ont conduit à ces atrocités ne correspondent pas vraiment à ce que Spinoza voulait appeler 'démocratie', ou bien il a sous-estimé les désastres que peut produire une démocratie.

Henrique a écrit :Ensuite, les conditions qui font que certains humains développent cette spiritualité philosophique sont personnelles et complexes. Elles ne peuvent relever de la loi qui est générale et faite pour cadrer les comportements extérieurs, non l'intériorité des gens. La fin de la société civile, c'est la sécurité des corps. Une loi sage telle que l'entend Spinoza dans le TP est une loi cohérente avec cette objectif, applicable par tous et utile pour tous.

En revanche, la politique reste une condition essentielle de l'éthique, sans pour autant être cause suffisante de la satisfaction de son exigence : pour qu'une société produise des esprits libres, il faut que les conditions de vie soient décentes et dignes (propres à susciter le moins de haine possible, d'autrui ou de soi-même) pour tous. Primum vivere, deinde philosophari.


c'est en effet une interprétation possible du spinozisme. Pour autant que je sache, Matheron (que je n'ai pas encore lu) la défend aussi. Misrahi aussi? Mais d'autres commentateurs comme Charles Ramond ou Françoise Barbaras la contestent.
En ce qui me concerne, je ne me retrouve pas dans l'argumentation de Ramond. Mais je prépare pour l'instant un mémoire en philosophie qui essaie tout de même de montrer que l'on ne peut pas 'se sauver seul', c'est-à-dire que la béatitude n'est pas une affaire individuelle, mais est au contraire tout à fait inséparable, chez Spinoza, de la politique. En tout cas, moi-même je ne crois pas en la possibilité de séparer les deux, mais bon, il faudra voir si j'arrive à démontrer cela également du spinozisme ou non.

Henrique a écrit :Tant qu'on demeure dans l'indigence matérielle ou bien dans la menace d'indigence matérielle à cause de la pression du chômage de masse (qui fait que même les cadres et salaires de la classe moyenne élevée sont concernés), on vit dans la soumission aux aléas de la fortune ou aux volontés de ceux qui vous fournissent de quoi vivre.


oui, ça c'est clair. C'est pourquoi j'ai l'impression que je suis d'accord en tout avec Ségolène Royal, mais que je crains qu'elle n'aille jamais pouvoir résoudre le problème propre d'une société démocratique en paix, problème qu'au moins Sarkozy aborde (tout en proposant des mesures qui à long terme ne peuvent qu'être contraproductives).

Henrique a écrit :Pour autant, ne pas être soumis à la fortune ou aux volontés d'un autre ne suffit pas à faire un homme libre au sens de l'Ethique, il faut encore ne pas être soumis à ses passions. Mais la liberté politique, telle qu'en parle le TTP, ce n'est pas encore la liberté éthique qui est aussi salut et béatitude, c'est plus modestement le fait de n'avoir à se soumettre à aucune volonté particulière en se soumettant à la seule volonté générale exprimée par la loi (cf. texte sur l'esclavage que j'avais cité). On peut donc être libre d'un point de vue éthique tout en étant asservi politiquement, mais c'est beaucoup plus difficile. C'est là la raison essentielle de l'écriture du TTP à mon sens : faciliter l'accès de ses concitoyens à l'éthique, ou à la limite contribuer à empêcher que cela ne devienne quasiment impossible, non la rendre nécessaire par quelque loi ou décret que ce soit.


je n'ai pas encore eu l'occasion de vraiment étudier le TTP, mais sur base d'une lecture rapide, j'ai la même impression. Or il me semble que l'Ethique et le TP vont beaucoup plus loin.

Henrique a écrit : Inversement, on peut tout aussi bien être libre politiquement tout en étant asservi sur le plan éthique : c'est déjà beaucoup car cela demande beaucoup d'efforts collectifs (instruction, culture...) et personnels (culture du sens critique nécessaire à cette liberté politique) sans pour autant avoir à être capable de trouver de la joie ailleurs que dans des causes extérieures.


en effet, tout cela est possible.

Henrique a écrit :En ce sens, les concepts politiques ou utilisés dans un cadre politique, les vertus ou les passions notamment sont à comprendre dans ce cadre qui est celui de l'extériorité : paresse n'est donc pas ici impuissance à s'ouvrir à un travail intellectuel et affectif sur soi mais bien impuissance à travailler au sens de produire des biens utiles à la vie commune (au passage quand je parlais de mépris du travail non rémunéré, je visais bien sûr la droite qui effectivement considère que les 35 h auraient donné lieu à un surcroît d'oisiveté et de désoeuvrement.)


il me semble que c'est plus compliqué que ça. Les affects sont bel et bien régis par la rencontre fortuite de la nature, et donc avec quelque chose d'extérieur, mais c'est bien MOI qui suis affecté, et qui ressens et qui SUIS mes affects. C'est pourquoi pour l'instant je travaille également sur la frontière extérieur-intérieur chez Spinoza, frontière qui apparemment selon pas mal de commentateurs est tout à fait 'floue'.

Henrique a écrit :Ainsi toute proposition politique d'ordre éthique relève de la démagogie : quelle que ce soit la force de persuasion de la rhétorique d'un politique, cela restera toujours l'affaire personnelle des gens de faire ce qu'ils veulent ou plutôt ce qu'ils peuvent de la sécurité sociale et économique que leur apporte une bonne politique : tendre à se constituer une joie de vivre par des activités "autotéliques" (qui ont leur fin en soi et par conséquent ne peuvent vraiment se commander) ou bien se contenter de luxe ou de gloriole personnelle. Le fait de mélanger éthique et organisation politique de la société chez Sarkozy est probablement cependant une raison du succès de sa rhétorique. L'erreur de la gauche est manifestement de ne pas avoir assez vu venir le lascar et partant de ne pas avoir préparé de contre-offensive sur ce terrain. Que n'as tu signalé cela au parti socialiste ?!


oui, c'est bien là-dessus que nous ne sommes pas d'accord je crois. Dans un système où il n'y a qu'une seule substance, qui ne connaît pas d'extériorité, je ne vois pas comment séparer si radicalement éthique et politique. Spinoza ne dit-il pas que l'homme est un animal social, et que sa puissance est tout à fait nulle aussi longtemps qu'il ne vit pas en société? La béatitude ne consiste-t-elle pas à s'unir à la Nature entière? Or comment faire cela quand on a un boulot de travail à la chaîne? Comment ne pas seulement s'unir à ses collègues et à la machine à laquelle on est couplé durant toute sa vie?
Donc voilà, je crains que si l'on ne s'occupe pas, en politique, du salut et donc de la liberté des citoyens, si l'on relègue cela au registre individuel ou, si un politique s'en occupe, au registre de la 'démagogie', que la démocratie 'minimale' telle qu'elle existe aujourd'hui en Occident ('minimale' parce qu'elle se limite à offrir au citoyen la possiblité d'aller voter, et c'est tout) ne puisse que conduire elle-même à sa propre fin, c'est-à-dire dégénérer en un régime pire encore. La classe moyenne, aisée (au niveau matériel) va de plus en plus être frustrée, du fait même qu'elle n'a aucun accès au 'philosophari', donc au salut et à la liberté auxquels aspire néanmoins chaque être humain. Et maintenant que les monothéïsmes ont beaucoup perdu de leur crédibilité, on ne peut même plus compter sur le 'salut des ignorants', vu qu'il n'y a plus aucune morale qui prescrit des règles de vie 'rationnelles'. Si on n'attend pas des fondements de l'Etat qu'ils permettent l'accès à la liberté, ne faudrait-il pas espérer un retour de la religion, pour 'apaiser la foule'? Si oui, voici que c'est de nouveau Sarkozy qui reprend actuellement quelques valeurs essentielles du christianisme ... .
Mais bon, tout ceci n'est qu'une intuition personnelle, il est bien sûr tout à fait possible que je me trompe.
Bonne nuit,
louisa

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Messagepar Vagabond » 02 mai 2007, 07:46

Pourquoi Nicolas Sarkozy va etre elu? Car il s'est place en resonance avec la vox populi apres un travail de preparation tres important. Son programme est aujourd'hui le seul a pouvoir etre repris par les citoyens lambdas, memorise meme. Segolene desire peut-etre le changement, mais la presence d'elephants et de dinosaures n'inspire pas vraiment la confiance. D'ailleurs que signifie un parti "socialiste" aujourd'hui?

Nous voyons que les themes que NS a choisi de porter sur la place publique et les solutions qu'il propose ont au moins le merite d'exister et d'avoir ete formulees clairement, avant l'election presidentielle. Et une election c'est avant tout le renouvellement d'un contrat. Nous voulons savoir sur quoi nous nous engageons avant de signer.

De plus avec Sarkozy, nous n'avons pas une marionnette du calibre de Bush entre les mains de conseillers de l'ombre (tels Rove, Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz, etc.). Nous n'avons pas les freres polonais non plus puisque Sarkozy vient de declarer sa "preoccupation" face a la situation politique en Pologne. Quant a Berlusconi... la comparaison est la aussi un peu rapide puisque ce dernier s'est allie avec l'extreme droite contrairement a NS.

Et puis, sur le plan du caractere personnel, je pense qu'a chaque fois qu'on a presente NS comme etant "dangereux" ou "effrayant", je pense que c'etait tout bon pour lui. En effet, les Francais semblent vouloir, i.e. desirer, un leader, c'est-a-dire quelqu'un qui a de l'autorite et du charisme. Un homme qui fait peur est donc un point plutot positif. Meme si toutes ces critiques sont je crois exagerees (des proces d'intention), comme ce fut le cas lors du retour de De Gaulle en 1958.

Enfin Nicolas Sarkozy a decomplexe la droite republicaine: durant les dernieres decennies, on ne pouvait pas dire qu'on etait de "droite". Aujourd'hui c'est un peu moins vrai. Grace a lui en partie, la pensee unique est reduite et j'ai l'impression qu'un souffle plus democratique et ouvert s'est engage en France. On peut debattre de tout... sans etre diabolise. Car l'echec social en France c'est aussi l'echec de la pensee unique de ces trente dernieres annees, alors un peu d'humilite... Il y a peut-etre aussi des idees valides et justes dans l'autre "camp".

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Pej
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Messagepar Pej » 02 mai 2007, 09:33

L'histoire dira si certains (dont je suis) avaient ou non raison de s'inquiéter de la personnalité de Sarkozy.
C'est lui-même qui a fait référence à De Gaulle pour fustiger l'entreprise de "diabolisation" à son égard. Et il est vrai que les attaques ont été violentes en 1958 contre le général. Mais, sans être spécialiste de la période, il me semble que l'animosité envers de Gaulle était beaucoup plus idéologique que l'animosite envers Sarkozy (même si celle-ci joue évidemment son rôle). Il faudrait savoir si à l'époque, De Gaulle faisait peur dans son propre camp (ce qui est le cas de Sarkozy, même si, période électorale oblige, tout le monde se tait).
Quoiqu'il en soit, Henrique a rappelé que le "diable", c'est celui qui divise, et sur ce point, il est difficilement contestable que Sarkozy divise la société française, non pas seulement sur un discours politique dans lequel certains se reconnaissent et d'autres non, mais parce que son discours divise explicitement : ceux qui se lèvent tôt/ceux qui se lèvent tard, travailleurs/assistés, etc.
Enfin, ne confondons pas autorité et autoritarisme. Nicolas Sarkozy N'A PAS d'autorité. Si tel était le cas, il n'aurait pas besoin de recourir à la violence, à la menace, à l'intimidation. Comme l'écriviat Arendt (La crise de la culture) :

"Puisque l'autorité requiert toujours l'obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l'autorité exclut l'usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l'autorité proprement dite a échoué."

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Messagepar Henrique » 02 mai 2007, 14:31

Pej a écrit :L'histoire dira si certains (dont je suis) avaient ou non raison de s'inquiéter de la personnalité de Sarkozy.


En ce qui concerne la connivence de Sarkozy vis-à-vis de sectes telles que la scientologie ou les Témoins de Jéhovah, et sa volonté de remettre en cause le principe de séparation des Eglises et de l'Etat dans la loi de 1905, il n'y a ni procès d'intention, ni crainte concernant un avenir incertain, ce sont déjà des faits avérés pour lesquels j'ai déjà donné précédemment des références. De même pour ce qui concerne le mépris de fait de la démocratie en voulant réintroduire un mini-traité par voie parlementaire. De même encore pour la stigmatisation d'une partie de la population pour se faire élire en jouant sur l'esprit de revanche. Il ne s'agit pas de crainte, de danger supposé, mais de danger réel pour la démocratie et la république héritée des Lumières (elles-mêmes héritières du spinozisme) etc. de danger et même d'atteintes effectives dores et déjà présente dans la façon dont cette campagne a été imposée dans les médias de masse, atteintes face auxquelles il y a désormais soit soumission, soit résistance.

"Que signifie un parti "socialiste" aujourd'hui ? "

Cela signifie d'abord que l'idée du socialisme reste justifiée. En l'occurrence, le socialisme c'est l'idée que la légitimité des lois qui organisent une société ne se fonde pas sur une volonté divine transcendante, ni sur je ne sais quelle main invisible qui assurerait naturellement l'intérêt de tous quand chacun agirait en pur égoïste, au mépris de toute conscience de la solidarité d'hommes qui de fait vivent sur la même planète et dans un même pays, ni sur une simple collection de volontés individuelles qui, majoritaires à un moment M, pourraient vouloir des lois qui oppriment une minorité quelconque. La légitimité des lois, du point de vue socialiste, se fonde sur l'instauration et le maintien de la société elle-même contre l'état de nature où règne la seule liberté individuelle, de sorte que les lois sont toujours conventionnelles mais pas nécessairement arbitraires si l'existence de chacun est assurée dans la société, afin que celle-ci se maintienne et qu'il y ait ainsi plus d'intérêt à obéir aux lois qu'à les transgresser (cf. E4P37S2).

A quoi bon en effet renoncer à l'usage de sa liberté naturelle de faire n'importe quoi si dans l'état de société on n'y gagne rien, mais au contraire un Etat qui se révèle simplement un loup pour l'homme, plus puissant que n'importe quel loup dans l'état de nature ?


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