Comprendre le sarkozysme

Actualités et informations diverses sur Spinoza, la philosophie en général ou regards spinozistes sur l'actualité.
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sescho
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Messagepar sescho » 30 avr. 2007, 10:39

Je n’avais pas encore lu le papier de M. Onfray dans le N.O. C’est terrible… L’animal politique standard (j’ai envie d’ajouter : de droite) doit éviter le philosophe moral socrato-cynico-stoïco-épicurien aguerri comme pire que la peste : son antimatière :-)

J’ai un patron qui lui ressemble… et qui n’est pas incompatible non plus avec le descriptif de M.-F. Hirigoyen…

Cela dit, N. Sarkozy ne m’est pas antipathique non plus (ni mon patron) ; il a par exemple un franc-parler de bon-sens (au moins apparent) qui vaporise immédiatement quelque chose que je déteste (et que j’appellerais « connerie de gauche », « connerie » étant plus important que « gauche » dans mon esprit, car il s’agit pour moi de vraie connerie et de fausse bonté) : le « politiquement correct. » La vérité est quelque chose qui manque en France, et qu’il est vital de libérer. Mais bon, le côté « dangereux » du personnage n’est manifestement pas que de la propagande (et a été souligné d’ailleurs en particulier par des gens de haute valeur qui détestent la propagande en général.)

Platon avait bien raison de dire dans sa République – ouvrage de philosophie morale bien plus que politique selon moi –, que sa république idéale dirigée par les sages-philosophes ou un roi-philosophe avait peu de chance d’exister un jour…

Il faut dire qu’on a les dirigeants que l’on mérite. La passion étant largement répandue dans le peuple, il est légitime qu’un responsable politique y soit sujet, ou au mieux en tienne largement compte (ce qui nous rapproche de Spinoza.) Reste à savoir s’il pourra ou non sur cette base entraîner vers le haut la population dans le sens de la joie de vivre…

Je comprends qu’un nietzschéen ait envie de tout faire péter pour sortir de cette purée où règne le mensonge à mots couverts. Au-delà des nietzschéens, c’est assez général dans le pays, d’ailleurs. Maintenant, il me semble qu’il ne faut pas en déduire que la solution se trouve dans les extrêmes. Pour moi, un centriste « dur » qui cherche sans compromis à tout mettre au grand jour (les golden-parachutes et le copinage comme les inégalités criantes devant la productivité, le chômage et la retraite, par exemple) pour le redresser, est dans ce pays actuellement un véritable révolutionnaire.

La Démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Toutes les lois ne peuvent pas convenir à tout le monde, mais il faut les appliquer (sauf cas d’exception déjà discuté.) C’est au débat politique de discuter de la teneur de la Loi mais j’estime comme Spinoza qu’il est important de la faire respecter lorsqu’elle est décrétée. Il faut certes pour cela un minimum de consensus dans la population ; mais lorsque ce minimum est là, je considère qu’il faut combattre la soi-disant « désobéissance civique » qui, je le répète, est anti-démocratique. Quant aux oppositions entre catégories, elles se trouvent la plupart du temps déjà dans la population, et il me semble salutaire de les mettre au grand jour, ce qui déplaît évidemment à ceux qui se couvrent par la dissimulation et qui hurlent alors à la mise en opposition d’une catégorie contre une autre. Cela dit, il ne convient certainement pas, j’en suis bien d’accord, de les exciter. Maintenant si quelqu’un s’en est ouvert et est malgré tout élu, le principe démocratique doit s’appliquer. C’est à nouveau au débat politique de préparer ou non l’alternance.

Amicalement

Serge
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DGsu
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Messagepar DGsu » 30 avr. 2007, 16:15

Nicolas Sarkozy a écrit :Ce fut une campagne aux prises avec une crise morale, avec une crise d’identité comme la France n’en a peut-être jamais connu de telle dans son histoire, sauf peut-être au temps de Jeanne d’Arc et du traité de Troyes, quand la conscience nationale était encore si fragile.

Le règne de la peur. Extrait du discours de Bercy le 29 avril 2007. Le reste est du même tonneau.
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

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Messagepar Enegoid » 30 avr. 2007, 20:51

Bardamu a écrit :La part du culturel peut aller loin


Qui le nie ?

Je continue sur l'autre fil qui me parait mieux convenir.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 01 mai 2007, 01:57

Henrique a écrit :Il est vrai que je me suis surtout concentré dans ma critique sur le style - plus que sur la personnalité - de l'un et de l'autre, car cela en dit long non seulement sur leur façon de gouverner mais aussi sur les lois qu'ils feront passer (n'oublions pas que nous sommes en 5ème république où le président a ce pouvoir). Nul doute qu'une personne qui fait l'éloge d'une autorité fondée sur la seule adhésion, pour ne pas dire séduction, d'une partie de la société au détriment d'une autre fera passer de gré ou de force des lois qui iront dans ce sens. Et que celle qui entend recourir à la négociation et au dialogue social (cf. notamment la démocratie participative, balbutiante certes mais comme tout ce qui est novateur), ne pourra pas selon cette méthode faire passer des lois qui ne rencontreraient pas le consentement (pas forcément l'adhésion) de tous, ou du moins beaucoup plus difficilement.


Bonjour Henrique,
je viens de lire des parties du discours de Sarkozy à Bercy (merci à DGsu!), et c'est assez instructif de voir comment, malgré le 'ensemble' écrit en grand autour de lui, la plupart du temps il ne parle lui-même que de sa propre personne.
Sinon je ne sais pas si la valeur d'autorité qu'il prône sans cesse peut être liée à (ou fondée sur) l'adhésion passionnelle qu'il essaie de susciter lui-même. Ne s'agit-il pas plutôt d'une autorité qu'il veut imposer à tous, aussi à ceux qui défendent d'autres valeurs, et cela par la force s'il le faut?
D'autre part, s'il est clair que l'on peut attendre plus d'unité collective d'une technique de négociation que d'une technique d'imposition par la force, je me demande néanmoins jusqu'à quel point ceci soit vraiment possible. Ségolène Royal va-t-elle réellement négocier avec cette moitié des Français qui veulent ce que propose Sarkozy? Et va-t-elle infléchir ses propres idées concernant le bon gouvernement pour les affaiblir par ce que pensent les adversaires de ces idées?
Il me semble que c'est précisément cela l'éternel dilemme en démocratie: on peut appeler l'adversaire politique 'stupide' ou, plus gentiment, 'impuissant' et 'faible', in fine on revient toujours au même constat: certains se jugent plus éclairés que d'autres, et trouvent que cela justifie qu'ils imposent, d'une façon ou d'une autre, leurs idées à ces 'impuissants', qui par là et malgré leurs protestations sont censés devenir plus puissants. A cela, je ne vois qu'une seule alternative, et je crains qu'elle soit plus proche de ce que propose Spinoza que ce que je viens de dire: gouverner non pas selon ses propres idées, mais en suivant celles du peuple, et cela AUSSI quand de son propre point de vue ce peuple doit être qualifié d'impuissant'. Sinon ce n'est pas le peuple qui règne, mais une élité éclairée (qu'elle le soit réellement ou non). Et alors ce n'est plus une démo-cratie, mais une aristocratie (dans le sens spinoziste).
Or pour l'instant, il se fait que le peuple Français est entièrement divisé sur la question de ce que c'est qu'un bon gouvernement. On sait déjà que le candidat qui gagnera le 2 mai n'aura qu'une majorité de maximalement 55% (parmi ceux qui votent, en plus, ce qui fait qu'en fin de compte ce ne sera toujours qu'une minorité de Français qui se retrouve explicitement dans le programme du candidat gagnant). De facto, il est donc exclu d'avoir un président qui 'rassemble', du moins en ce qui concerne les idées qu'il/elle a cc la politique, et cela indépendamment de la technique proposée pour résoudre les conflits avec ceux qui pensent différemment.
Dans ce cas, qu'est-ce que Spinoza conseillerait? Que le candidat le plus éclairé dicte ses lois à tout le pays, vu qu'une réelle démocratie soit impossible/absente? Je n'en suis par certaine.

Henrique a écrit :J'ai parlé cependant au passage de certains projets de loi sarkozystes clairement en faveur des plus riches (suppression des droits de succession, on pourrait ajouter création d'un bouclier fiscal). Ces mesures néolibérales de défiscalisation signifient bien évidemment moins de services publics : difficultés accrues d'accès aux soins médicaux pour les plus modestes, Postes, gendarmeries ou commissariats supprimées, classes plus surchargées : autant de raisons de pousser le public qui le peut à se détourner des services publics pour aller vers des solutions privées, ce qui au final donne une partie du pays qui a les moyens d'accéder à des services de base (santé, éducation...) de qualité tandis que l'autre partie doit au mieux se contenter de services défectueux. Ce n'est pas précisément ce qui s'appelle créer du lien social, de la solidarité.

J'ai parlé aussi de la volonté sarkozienne de revenir sur la loi de 1905, en vue de permettre à l'Etat de financer des lieux de culte : dans un pays qui n'a pas du tout cette culture, il y aura alors nécessairement des dissensions entre les différentes religions qui se disputeront les deniers de l'Etat, certaines non encore reconnues voudront leur part et d'autre part, à moins d'offrir aux athées et agnostiques militants des lieux de réunion, cela créera aussi des conflits sociaux et des discordes de ce côté là.

Enfin, pour ne prendre qu'une des mesures les plus connues, il veut faciliter encore les heures supplémentaires et les défiscaliser (ce qui signifie très précisément ici un moindre financement de la sécurité sociale), cf. le slogan "travailler plus pour gagner plus", ce qui va plus que jamais accroître l'opposition entre ceux qui ont déjà un travail et ceux qui n'en ont pas ou qui n'ont que des temps partiels : il faut croire au père Noël pour imaginer que cela ne va pas accroître le nombre des chômeurs à la moindre période de crise économique, les employeurs ayant possibilité d'embaucher moins en faisant travailler plus. Cela produira logiquement toujours plus d'opposition entre les "assistés", Rmistes, chômeurs ou travailleurs précaires et "la France qui se lève tôt"...


oui, je suis tout à fait d'accord avec toi là-dessus. Mais il se fait que la moitié des Français d'aujourd'hui ne l'est pas. Pourtant, tel que tu l'expliques, cela semble être tout à fait logique de penser d'une telle façon. Dès lors, comment éviter de concevoir les 'autres' comme n'étant que des ignorants et des impuissants? Ou si tu n'as pas de problème avec cela, comment concilier cela avec l'idée d'une démocratie, où c'est le peuple (avec ses passions) qui détient le droit au pouvoir?

Henrique a écrit :Sur Royal, tu as l'air de dire qu'elle veut que les classes moins favorisées puissent plus facilement accéder au "luxe" : tu crois vraiment qu'augmenter une smicarde, mère de famille, de 100 euros, c'est du luxe ?


non, je suis au contraire tout à fait d'accord avec l'idée que cela est absolument nécessaire. Ce que je voulais dire par là (sans avoir pris le temps de le développer clairement), c'est que j'ai l'impression que le programme de Royal se concentre sur les problèmes de ceux qui n'ont pas ou peu accès aux possibilités qu'offre notre société actuelle, tandis que cette société est entre-temps déjà tombé dans le travers que prévoyait déjà Spinoza: les maux propres au temps de paix, qui constituent une nouvelle forme d'esclavage. Si probablement une petite majorité des Français qui se rendront aux urnes va voter pour Sarkozy, c'est à mon sens parce que lui, il s'attaque davantage à ces maux-là, et que la France ayant désormais une grande classe moyenne qui profite déjà de tous les biens matériels et spirituels que notre société actuelle peut offrir, elle souffre peut-être déjà majoritairement de ces maux de 'luxe' que de maux auxquels s'attaque Royal (et qui concernent plus les défavorisés).

Quels seraient alors les maux auxquels Sarkozy propose de remédier, et par rapport auxquels il n'y a qu'un grand silence du côté de Royal? C'est précisément ce que certains appellent le 'nihilisme', et ce que Sarkozy a de nouveau très très bien résumé dans son discours anti-68 de hier. On peut entre-temps trouver des blogueurs qui énumèrent tous les biens qu'a permis cette révolution sociale (notamment en ce qui concerne le statut matériel des femmes et des ouvriers), mais je ne crois pas que c'était cela que visait Sarkozy. L'image qu'il dresse de mai '68 et donc ce à quoi il déclare la guerre, ce ne sont pas ces acquis-là, c'est plutôt une certaine 'mentalité', un ensemble de valeurs qui à mon sens est très bien désigné par le mot 'nihilisme'. Je ne crois pas du tout que mai '68 était en soi un mouvement nihiliste, mais je crains que la 'morale' qu'elle a inventée ne soit finalement pas capable de remplacer celle qu'elle voulait détruire, et cela précisément parce qu'elle n'a pas permis d'évoluer vers une société 'post-luxe' (société en la possibilité de laquelle Spinoza ne semble pas avoir cru, mais qu'à mon sens il faudrait néanmoins d'urgence inventer). J'essaie de m'expliquer.

Aussi longtemps que nous sommes dans un monde capitaliste tel qu'il est actuellement, la société aura besoin d'une majorité de boulots qui ne permettent que très peu aux gens de développer des affects actifs. Souvent c'est même pire: ce sont des boulots pour lesquels un être humain ne peut qu'être très peu motivé, et qui demandent surtout des sacrifices avec seulement pas mal d'argent en retour (dans le meilleur cas). Alors il me semble que si dans cette société, on ne valorise plus collectivement le mérite, l'effort, le sacrifice, bref tout ce que l'on associait dans l'avant mai '68 au mot 'travail', ces gens-là ne peuvent que sombrer dans un état de désespoir et/ou de nihilisme.

Je n'ai pas l'impression que Sègolène Royal ait compris cela, dans le sens où je ne vois pas ce qui dans son programme est destiné à remédier à ces problèmes-là. Qu'elle aide ceux qui sont le plus victimes de l'état actuel du capitalisme (dans le sens où ils n'ont que très peu accès à ses avantages), à mieux s'en sortir est bien sûr excellent. Mais il ne s'agit plus d'une majorité de Français, il s'agit des 'marginaux'. Les autres, ceux qui gagnent déjà bien leur vie (et 'qui ne se sentent pas victimes d'inégalité', comme l'a dit zarathoustra), ce sont eux qui forment aujourd'hui la base de la société civile. Et ce sont eux qui, MALGRE tous les efforts quotidiens pour gagner leur pain ET leur télévision avec écran plasma, sont constamment confrontés à l'état d'esclavage propre au temps de paix, tel que l'a décrit Spinoza. Je ne vois pas ce que Royal propose pour aider ces gens-là à s'en sortir.

Sarkozy, en revanche, semble au moins avoir compris partiellement le problème. Dans son dernier discours, il est même prêt à pointer du doigt le capitalisme et la mondialisation comme coupables principales (outre la gauche). Seulement, ce qu'il propose comme remède, c'est à mes yeux rien d'autre qu'un retour en arrière: essayons de revaloriser collectivement le 'travail', car cela permettra aux gens de donner un sens collectif à ce qui n'a, au niveau individuel, plus aucun autre sens que de gagner plus d'argent pour pouvoir s'acheter plus de luxe etc, bref aucun sens du tout.
En revanche, si dans les 'golden sixties' les gens étaient prêts à travailler comme des fous et à espérer pouvoir acheter un jour tout ce que la merveilleuse publicité leur conseillait, c'était peut-être non seulement à cause de l'espoir d'augmentation de la puissance d'agir que ce gain de luxe leur inspirait, mais aussi parce qu'ils vivaient toujours dans un système collectif où le travail, c'était ce qu'on faisait pour l'argent, et c'était ce qui était par définition 'dur' et en tant que tel non intéressant. Celui qui le matin se levait tôt pour aller travailler à la chaîne, savait d'abord que Dieu allait récompenser tout cela par une béatitude après la mort, mais avant tout que la société allait lui donner déjà pas mal de reconnaissance dans la 'vie présente', surtout une fois qu'il pouvait commencer à étaler tout ce qu'il avait gagné par ce travail sous forme de produits de luxe. On pouvait donc accepter ce type de boulots parce que d'une part on avait l'espoir de pouvoir s'en sortir mieux au niveau matériel (espoir dorénavant tout à fait confirmé, donc devenu 'certitude', ou 'sécurité'), et d'autre part le luxe ne servait pas encore à la jouissance pure, mais avait un sens social: montrer qu'on est capable de travailler dur. Il permettait donc de s'intégrer dans la société culturelle dans laquelle on vivait, bref de se forger une 'identité'.

C'est pourquoi j'ai l'impression que la morale 'anti-profiteurs' que Sarkozy professe, est précisément celle qui règnait avant mai '68. Car mai '68 a peut-être permis de se débarrasser collectivement de ce sentiment de culpabilité 'chrétienne trop chrétienne' qu'entourait encore l'idée de jouissance (et donc aussi l'idée de dépenser de l'argent pour ce qui n'est que du luxe). Maintenant on a le droit (voir l'obligation) de jouir, et donc on ne va plus travailler pour l'argent et pour montrer sa vertu morale, on va travailler POUR pouvoir profiter du luxe que l'argent permet. Toutefois, aussi longtemps que le travail lui-même ne permet pas au travailleur d'augmenter par là même sa puissance d'agir, cette jouissance devient très vite une forme d'esclavage, car ni l'un ni l'autre permet la création d'affects actifs.

Et je ne vois pas comment mai '68 pourrait répondre à ce problème, ni comment Ségolène Royal le fait. Sarkozy l'essaie par le biais d'une revalorisation collective du travail insensé, et sans doute cela apaise-t-il certains gens (ceux qui travaillent déjà très 'dur'). Dans ce sens il crée peut-être même un 'affect utile à la République', évitant que de plus en plus de gens votent pour l'extrême-droite, tout en permettant une certaine reconnaissance collective. Mais il est clair aussi que cela ne change rien au problème évoqué par Spinoza, car qui dit plus travailler pour gagner plus, dit également - dans la société actuelle et cela aussi longtemps qu'elle est en paix - gagner plus pour acheter plus, et acheter plus pour pouvoir jouir plus du luxe.

Autrement dit: comme le 'droit à la jouissance', que nous avons acquis avec mai '68, ne peut plus être effacé, la revalorisation d'un travail qui rend impuissant ne pourra qu'apporter un peu de supplément d'âme, elle ne permettra plus jamais un retour intégral au système de valeurs d'avant mai '68 (ne fût-ce que parce qu'aujourd'hui plus aucun dieu est là pour assurer la béatitude après vie). La revalorisation du travail ne sert donc qu'à justifier ce droit à la jouissance en tant que tel (qui travaille dur, a le droit d'en récolter le seul profit qu'il peut en tirer dans notre société, et qui est celui de la jouissance du luxe; qui travaille plus, aura simplement droit à plus de luxe). Ce qui est une situation très différente de celle d'avant mai '68.

Puis rien ne dit que par là ces mêmes gens vont moins avoir l'impression d'être entouré de profiteurs, car cette catégorie de 'profiteurs' me semble précisément être faite pour incarner ce qui manque au travailleur capitaliste: la possibilité d'une vraie jouissance de la vie en tant que telle SANS devoir travailler 'dur' (c'est-à-dire une réelle augmentation de la puissance d'agir). L'un (le travailleur capitaliste) me semble être 'congénitalement' lié à l'autre (la haine pour Le Profiteur).
Voici donc une deuxième raison pour laquelle je ne vois pas comment sur le long terme Sarkozy pourrait résoudre quoi que ce soit. Déjà on est d'accord pour dire qu'il ne va pas rendre la vie plus facile aux défavorisés (troisième raison qui laisse présager son échec), mais je crains donc qu'après quelques années, ceux qui ont voté pour lui aillent également être assez déçus, la lutte contre Les Profiteurs étant une lutte sans fin.

D'autre part, Ségolène Royal pourra sans doute mieux apaiser les plus défavorisés, et pour le reste plaire à tous ceux de gauche qui trouvent cela important, mais je ne vois pas vraiment en quoi son programme pourrait résoudre le problème essentiel d'une société capitaliste en paix, tel que l'a soulevé Spinoza, et tel que le vivent maintenant les classes moyennes de manière quotidienne, et de manière de plus en plus insupportable.

Pour résumer, je dirais donc que la solution aux problèmes actuels qu'apporte Sarkozy, c'est de promettre plus de jouissance du luxe à ceux qui travaillent le plus dur, tandis que Royal essaie d'améliorer les conditions de vie de ceux qui pour l'instant n'ont aucun accès au luxe (créant par là, dans notre société de pubs, immédiatement l'espoir d'un jour pouvoir dépasser le simple niveau de survie et de pouvoir se permettre eux aussi du vrai luxe), tout en laissant la classe moyenne à leurs problèmes. Aucun des deux, il me semble, ne s'en prend au problème le plus essentiel d'une société capitaliste en paix. Au contraire, tous les deux, à leur façon, laissent l'esclavage qui le caractérise intacte. Comme déjà dit, je préfère néanmoins Royal parce qu'en apaisant la partie du peuple qui actuellement est la plus violente (voire souffre le plus), elle pourra nous faire gagner un peu de temps pour inventer une solution à ce problème spinoziste, tandis qu'en rendant les pauvres encore plus pauvres, une explosion sociale me semble être plus probable sur le court terme.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 01 mai 2007, 03:10

Pej a écrit :1. Dans le dialogue Sarkozy/Onfray, il y a un passage très intéressant qui n'a pas été relevé, masqué par la polémique sur la génétique ; c'est celui où ils réfléchissent sur le rapport liberté/loi.
Là où Onfray défend la nécessité de la loi pour vivre en société mais en même temps la limitation de celle-ci au strict mimimum (position libertaire), Sarkozy défend l'idée que la loi est nécessaire à l'affirmation de la liberté car c'est en transgressant qu'on prouve sa liberté. De la part d'un ministre de l'intérieur, cette apologie de la transgression est savoureuse. D'autant que cela révèle bien la personnalité de Sarkozy qui est constamment dans la transgression (morale, politique, etc.).
Quel est le point de vue de Spinoza là-dessus ?



J'ai répondu à cela plus ou moins directement au cours de ce fil, mais selon Spinoza, "l'homme qui se dirige d'après la raison est plus libre dans la cité où il vit sous la loi commune, que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même." (E4P73) En effet, la loi n'est pas - comme tend à le croire la philosophie libérale - un empêchement de la liberté, ni comme le voudrait Sarkozy un défi à surmonter (ce qui finalement revient au même), mais au contraire un auxiliaire de la liberté, puisqu'en définissant, même de façon hasardeuse parfois, ce qui est permis et interdit et en l'assortissant de menaces de sanctions pour qu'elle ait force de loi, elle permet de vivre ensemble et ainsi de mieux se secourir mutuellement, elle sert ainsi rationnellement l'utilité commune , sachant que selon Spinoza, la liberté concrète ce n'est certainement pas pouvoir faire n'importe quoi, à la manière du tyran obéissant au moindre de ses caprices, mais accomplir ce qui du point de vue de la raison est certainement utile pour soi comme pour autrui(E4P37S2) . En obéissant de cette façon à la raison on n'obéit en effet qu'à soi-même.

Cf. aussi ce texte fameux tiré du TP :
On pense que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire esclavage et la liberté n'est qu'à celui qui, de son entier consentement, vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l'action par commandement, c'est-à-dire à l'obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur le champ un esclave, c'est la raison déterminante de l'action qui le fait. Si la fin de l'action n'est pas l'utilité de l'agent lui-même, mais de celui qui commande, alors l'agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un État et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave, inutile en tout à lui-même, mais un sujet. Ainsi, cet État est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet État, chacun, dès qu'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire vivre de son entier consentement sous la conduite de la Raison.



On voit ainsi que la loi, comme expression de la raison, n'est pas un mal nécessaire qu'il faudrait accepter pour pouvoir vivre ensemble, c'est la condition même de ce vivre ensemble dans une plus grande liberté qu'à l'état de nature (sans quoi justement, il n'y aurait jamais eu aucune raison de ne pas le quiter ou de ne pas s'y abandonner irréversiblement). C'est pour cela qu'un peuple libre, comme disait Rousseau, n'obéit à personne dès lors qu'il se donne des lois dont la généralité permet qu'ils ne soient soumis à aucune volonté en particulier, mais à la seule volonté générale, qui par définition contient toute volonté particulière.

A ce sujet, je répondrai à Serge que la désobéissance civile peut être justifiée d'un point de vue spinoziste beaucoup plus souvent qu'il ne semble le penser. Ce qui ressort du texte que j'avais cité, c'est que si une loi est absurde notamment parce qu'elle réinstaure l'état de nature, et à terme, la guerre de tous contre tous, elle perd de ce fait même son autorité de loi en nous ramenant à cela même qu'elle devrait empêcher.

Ainsi, lorsqu'Henry Thoreau refuse de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique, il oppose la légitimité du vivre ensemble pacifiquement à la légalité inique de la guerre. Quand Bové fauche des champs d'OGM à ciel ouvert, alors que ces champs ont été imposé de façon opaque, sans débat, contre l'opinion, et surtout quand on sait qu'une dissémination de ces OGM peut être irréversible, il oppose la légitimité du droit de vivre librement de nos productions agricoles à la légalisation de la soumission aux intérêts de quelques firmes agronomiques multinationales. Quand il y va du fondement même de la vie en société, la légalité, même issue d'un processus démocratique, n'est pas nécessairement légitime, de même que les lois de discrimination raciales du régime nazi n'étaient pas légitimes malgré leur appui démocratique originel.

En revanche, quand les anti-pubs collent des autocollants détournant des pubs, il opposent de façon non-violente à la légalité d'une publicité envahissante la légitimité d'un débat public sur cette omniprésence telle qu'elle tend à substituer les choses aux humains dans l'univers de tout un chacun, mais il n'y va pas forcément de ce qui fonde la vie en société. Cela dit, si cela se résume à coller un bouton d'acné sur la bouche d'une top-model vantant un yahourt, je trouve que se rapproprier l'espace public de cette façon, je pense notamment au métro à Paris, quand de fait il a été vendu en vue du seul intérêt du capital, cela ne peut pas être qualifié d'antidémocratique du moment qu'il n'y a jamais eu de débat public sur ce choix fait par un service public (la RATP).

Par contre, quand le maire de Bègles marie des homosexuels, je ne vois pas où est l'enjeu sur les fondements du vivre ensemble. Il est clair que tout ce qui est injuste (inégalité injustifiée par l'utilité sociale) n'autorise pas la désobéissance civile. Il faut pour cela qu'il y aille du fondement même du vivre ensemble.

2. Nicolas Sarkozy propose un "bouclier fiscal" à 50%, une TVA sociale, une défiscalisation des héritages, etc. autant de mesures qui vont clairement à l'avantage des plus riches, et donc risquent de creuser les inégalités (alors qu'une politique de gauche tend à se servir de l'impôt pour redistribuer au maximum les richesses). Cela pose donc la question de la justice sociale. Là encore, Spinoza s'exprime-t-il sur le rôle que doit jouer l'impôt ?



Le TP parle de l'impôt comme de ce qui sert évidemment à collecter des fonds en vue de l'utilité publique. Et pour prouver qu'il n'est pas le libéral en matière économique que certains ont pu vouloir y voir, voici ce joli texte :

Spinoza, dans le TP, IV, 31 a écrit :Enfin, les charges de la monarchie ne dérivent pas tant de ses dépenses publiques que de ses dépenses secrètes, au lieu que les charges de l’État imposées aux citoyens pour protéger la paix et la liberté, si grandes qu’elles soient, on les supporte avec patience en vue de ces grands objets. Quelle nation paya jamais autant de lourds impôts que la nation hollandaise ? et non-seulement elle n’en fut pas épuisée, mais ses ressources restèrent si grandes qu’elle devint pour les autres nations un objet d’envie. Je dis donc que si les charges de la monarchie étaient imposées pour le bien de la paix, les citoyens ne s’en trouveraient pas écrasés ; mais ce sont les dépenses secrètes qui font que les sujets succombent sous le fardeau. Ajoutez que les rois ont plus d’occasions de déployer dans la guerre que dans la paix la vertu qui leur est propre, et aussi que ceux qui veulent commander seuls font naturellement tout ce qu’ils peuvent pour avoir des sujets pauvres



En matière d'utilisation sociale de l'impôt, Spinoza est clairement de gauche :
Spinoza, au 17ème chapitre de l'appendice d'Ethique IV a écrit :Cependant il est clair que donner secours à tous les indigents, cela va beaucoup au delà des forces et de l'intérêt d'un particulier, les richesses d'un particulier ne pouvant suffire à beaucoup près à tant de misères. De plus, le cercle où s'étendent les facultés d'un seul homme est trop limité pour qu'il puisse s'attirer l'amitié de tout le monde. Le soin des pauvres est donc l'affaire de la société tout entière, et elle ne regarde que l'utilité générale."



:arrow: La justice, pas la charité (sachant qu'il n'est pas de l'intérêt de toute la société qu'il y ait des indigents).


Pej a écrit :Je finirai en rebondissant sur les propos d'Aurobindo, en disant que son discours est très proche de ce que je peux entendre autour de moi de la part des personnes qui ont voté pour Nicolas Sarkozy : il va remettre de l'ordre. La prégnance de cette opinion est extrêmement intéressante. Cela traduit à mon avis la situation "morale" actuelle : une société de plus en plus permissive (ne serait-ce que d'un point de vue matériel, avec surabondance de biens) dans laquelle les jeunes en particulier manquent de repère. Je suis frappé de voir que parmi mes élèves qui ont voté Sarkozy, nombre sont les premiers à ne pas respecter les règles et sont en recherche d'autorité (confrontation systématique avec les professeurs, etc.).
On peut se demander si le retour à l'autorité est réellement une bonne chose, mais là n'est peut-être pas l'essentiel. La vraie question, c'est : Nicolas Sarkozy est-il la réponse à cette situation ?
Là je me permets d'exprimer mes doutes, quand je vois par exemple les réactions des automobilistes qui se font flasher et qui se glorifient de violer la loi sans s'être fait prendre (à la question "Faut-il parfois désobéir à la loi ?", rappelons qu'actuellement dans une classe de terminale, la réponse majoritaire est : "Oui, à condition de ne pas se faire prendre"...)



Oui, et cela va me permettre de répondre à Louisa qui évoque cela aussi (les vacances se terminent mais j'espère pouvoir revenir plus tard sur ses questions de fond) : ce que tu relèves est tout à fait cohérent avec ce qui a été évoqué ci-dessus sur la définition libérale de la liberté, dans son opposition à la loi. Les idées républicaines de loi et de liberté sont à reconquérir.

Mais réduire Royal au laxisme et aux mesures en faveur des plus pauvres seulement est bien sûr caricatural, même s'il est vrai que beaucoup la perçoivent comme cela pour des raisons historiques, particulières notamment le fait qu'on a un candidat à la présidentielle qui est en campagne depuis déjà 5 ans avec tous les moyens de l'Etat et de médias de masse à son service, ce qui lui a largement donné le temps d'avancer ses pièces (c'est comme si un joueur devait se battre contre un autre qui a déjà placé toutes ses pièces sur l'échiquier).
Modifié en dernier par Henrique le 01 mai 2007, 03:21, modifié 1 fois.

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Messagepar Amstel » 01 mai 2007, 03:17

Bonjour,

Je suis pleinement d'accord pour dire que le sarkozysme n'est pas compatible avec le spinozisme. Cela dit, je voudrais jouer un peu l'avocat du Diable... puisqu'il est aussi question de diabolisation.

Henrique a écrit :Enfin, pour ne prendre qu'une des mesures les plus connues, il veut faciliter encore les heures supplémentaires et les défiscaliser (ce qui signifie très précisément ici un moindre financement de la sécurité sociale), cf. le slogan "travailler plus pour gagner plus", ce qui va plus que jamais accroître l'opposition entre ceux qui ont déjà un travail et ceux qui n'en ont pas ou qui n'ont que des temps partiels : il faut croire au père Noël pour imaginer que cela ne va pas accroître le nombre des chômeurs à la moindre période de crise économique, les employeurs ayant possibilité d'embaucher moins en faisant travailler plus. Cela produira logiquement toujours plus d'opposition entre les "assistés", Rmistes, chômeurs ou travailleurs précaires et "la France qui se lève tôt"...


Pour aller à l'essentiel de l'essentiel, ce que je demande avant tout au prochain chef d'Etat, c'est le plein emploi en France. J'ai trop vu et connu les problèmes du chômage pour ne pas en faire une priorité. Le chômage est une nuisance pour ceux qui n'ont pas d'emploi et aussi pour ceux qui en ont un car cela favorise l'exploitation des cadres et des travailleurs qui sont contraints à faire de longues heures (et autres abus) pour ne pas perdre leur travail. Plus le chômage augmente, plus l'exploitation des travailleurs par le patronat augmente et vis versa. Je pense sincèrement que le plus beau cadeau que l'on puisse donner à un Rmistes ou à un chômeur c'est le plein emploi. Le plein emploi c'est la liberté de virer son patron, et ce n'est pas une utopie.

Hors, l'idée que la division du travail (les 35 heures) et l'alourdissement fiscal des employeurs et des employés puissent créer de l'emploi sur le long terme me semble être une idée illogique. De plus, l'expérience démontre que cela ne marche pas.

Par contre, tous les pays qui ont atteint le plein emploi sur le long terme prouvent clairement que c'est la croissance qui crée de l'emploi et non la division du travail. La croissance est souvent le résultat d'un allègement des charges fiscales et c'est la croissance qui permettra un plus grand financement de la sécurité sociale.

Sur ce point précis Sarkozy me semble plus logique que Royal... et Spinoza me demande d'être aussi rationnel que possible. Alors que faire?

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Messagepar Henrique » 01 mai 2007, 03:42

Amstel a écrit :
Pour aller à l'essentiel de l'essentiel, ce que je demande avant tout au prochain chef d'Etat, c'est le plein emploi en France. J'ai trop vu et connu les problèmes du chômage pour ne pas en faire une priorité. Le chômage est une nuisance pour ceux qui n'ont pas d'emploi et aussi pour ceux qui en ont un car cela favorise l'exploitation des cadres et des travailleurs qui sont contraints à faire de longues heures (et autres abus) pour ne pas perdre leur travail. Plus le chômage augmente, plus l'exploitation des travailleurs par le patronat augmente et vis versa. Je pense sincèrement que le plus beau cadeau que l'on puisse donner à un Rmistes ou à un chômeur c'est le plein emploi. Le plein emploi c'est la liberté de virer son patron, et ce n'est pas une utopie.


Tout à fait d'accord.

Hors, l'idée que la division du travail (les 35 heures) et l'alourdissement fiscal des employeurs et des employés puissent créer de l'emploi sur le long terme me semble être une idée illogique. De plus, l'expérience démontre que cela ne marche pas.



C'est faux, les 35 heures ont permis de créer 300.000 emplois selon l'insee, de 97 à 2001. Il faut sortir des slogans rabachés dans des médias qui sont les chiens de garde du pouvoir économique. ces 35 heures ont ensuite été sabotées par la droite qui a permis des heures supplémentaires à la pelle - contingent d'heures sup deux fois augmenté déjà sous la législature précédente, avec nombre d'avantages et qui est pourtant déjà largement sous-utilisé en l'état. De sorte qu'il est absurde de croire qu'en rajouter une couche à ce niveau constitue le moindre début de solution.

Par contre, tous les pays qui ont atteint le plein emploi sur le long terme prouvent clairement que c'est la croissance qui crée de l'emploi et non la division du travail. La croissance est souvent le résultat d'un allègement des charges fiscales et c'est la croissance qui permettra un plus grand financement de la sécurité sociale.



La croissance a été forte sous Jospin alors que d'autres pays voisins avaient une croissance beaucoup moins dynamique. Sous les 5 ans de droite, elle est restée atone alors qu'elle a connu de belles embellies chez les autres. Ce qui montre qu'il n'y a nullement à opposer croissance et division du travail : l'une peut parfaitement être interprétée comme le résultat de l'autre. Par ailleurs, Royal ne propose nullement de baisser encore le nombre d'heures hebdomadaires ! Et Sarkozy nullement de revenir sur leur principe.

Par contre, les heures sup de Sarkozy seront sans charges sociales : c'est justement moins d'argent pour la sécu ! Enfin, croire que permettre à ceux qui ont déjà un travail de travailler plus suffira à créer "le plein emploi", outre les "inconvénients" que je viens de signaler, voilà qui relève du doux rêve : cela ne peut avoir quelque effet partiel sur la croissance qu'en temps de croissance déjà assez forte, comme accélérateur, mais en temps de croissance faible voire de crise économique, cela aggravera comme jamais le chômage.

Sur ce point précis Sarkozy me semble plus logique que Royal... et Spinoza me demande d'être aussi rationnel que possible. Alors que faire?


La rationalité, c'est d'abord de commencer par le commencement : on ne peut pas améliorer durablement et solidement quoique ce soit dans un pays, le chômage y compris, quand on commence par opposer les uns aux autres, en stigmatisant les uns et en privilégiant les autres. Royal cherche les convergences, y compris avec certains thèmes dits de droite (demande d'autorité, responsabilisation des uns comme des autres), Sarkozy s'appuie essentiellement sur la force qu'il peut tirer de la mise en opposition d'une partie du pays contre l'autre.

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Messagepar Louisa » 01 mai 2007, 04:26

PS: ayant relu ce que je viens d'écrire, je crains que le fil rouge du raisonnement n'est pas très clair. Pour l'expliciter brièvement:

1) le problème propre à une société en paix selon Spinoza, c'est le culte du goût du luxe. Il crée une forme d'esclavage (donc des affects passions) spécifique. Et en effet, le luxe ne permet pas d'augmenter la puissance d'agir, au contraire même.
Comment y remédier? En créant des affects utiles à la République.

2) Royal n'apporte pas de solution à ce problème, car il s'agit d'un problème de gens ayant déjà accès au luxe, tandis qu'elle s'intéresse surtout à améliorer le sort des plus démunis. Or la classe moyenne étant désormais devenue plus grande que celle des plus pauvres, elle a peu de chances de le remporter au second tour, c'est-à-dire de convaincre une majorité de Français.

3) Sarkozy a plus de chance de devenir président parce qu'il s'adresse précisément aux gens esclaves du luxe (ceux qu'on a tendance à appeler les 'riches', mais qui sont également les gens des classes moyennes, bref la majorité), en touchant par là directement au problème signalé par Spinoza. Or si ses remèdes peuvent de premier abord charmer ce public, je ne crois pas qu'ils puissent pour autant résoudre leur problème réellement et durablement, faute de l'analyser dans toute sa profondeur. Dans ses discours:

a) il dénonce un tas de valeurs qu'il appelle 'valeurs de mai '68'. Il s'agit avant tout de la priorité donnée à la jouissance, abolissant par là la morale antérieure, qui était une morale de devoir, où la jouissance suprême n'était prévue que pour la vie après la mort, et une chose que l'on n'obtienne qu'à condition de travailler ici-bas sans s'épargner des efforts et en faisant du sacrifice de soi-même une valeur primordiale.

b) il reprend de l'extrême-droite ET de la morale d'avant '68 la notion cruciale du 'Profiteur'. Le Profiteur est celui qui 'triche', qui 'trahit', c'est-à-dire qui laisse travailler les autres durement, et qui en tire lui-même la jouissance/le profit. Il opère donc un genre de perversion du système capitaliste, où en principe seul celui qui travaille durement a un droit à la jouissance. Il est donc le personnage qui est par excellence la cible de la Haine propre au travailleur capitaliste, cette Haine se basant sur le fait que d'une part ce travailleur ne peut pas attendre de jouir DE son travail, mais seulement APRES son travail (c'est-à-dire seulement quelques heures par semaine), et d'autre part sur le fait que ce qui reste après ce travail, c'est une jouissance très particulière, celle du luxe, qui peut bien donner un peu de gloire à celui qui la possède, mais in fine pas une réelle augmentation de la puissance. Ce qui veut dire qu'en principe, dans une telle société une réelle jouissance n'est permise qu'après avoir travaillé durement, et reste, une fois réalisée, tout à fait insatisfaisante. Seuls celui qui ne travaille PAS sans pour autant manquer des moyens de quoi vivre (le chômeur), et celui qui travaille peu tout en gagnant une quantité énorme de 'luxe' (l'aristocrate ou le grand PDG), peuvent donc potentiellement atteindre la vraie jouissance (dans ce deuxième cas du moins quand on s'imagine encore que le luxe fait le bonheur). Ce sont donc eux les Profiteurs du système, chose intolérable si on sait qu'on ne pourra pas échapper au système soi-même (pe parce qu'on a déjà trop le goût du luxe pour quitter un job bien payé, ou parce qu'on se sentira 'coupable' de vivre d'une allocation, ou parce que les enfants veulent avoir le même GSM dernière version que les enfants du voisin, etc).

c) la morale d'avant '68 permettait de se 'venger' de ces Profiteurs en se basant sur le dogme officiel que ceux-ci souffriront éternellement dans l'enfer, après leur mort, et en se basant sur le christianisme qui interdisait 'la jouissance pour la jouissance', ce qui empêchait, dans un premier temps, que l'on fasse du luxe une valeur en soi. Le travailleur capitaliste d'avant mai '68 travaillait pour gagner son pain ici-bas, et sa jouissance après la mort (avec un peu de repos de temps en temps, 'bien mérité', et où on 'ne fait rien'). Le Profiteur, lui, jouit ici bas, mais ne connaîtra jamais l'éternel repos ou la réelle béatitude après la mort.

d) la solution de Sarkozy aux frustrations de ceux qui, après '68, cherchent maintenant le luxe pour le luxe et ne trouvent ni dans leur travail, ni dans ce luxe des moyens efficaces pour augmenter leur puissance d'agir, c'est de revaloriser collectivement le concept de 'travail' d'avant mai '68. Cela a comme avantage de donner un autre sens aux mille boulots qui rendent impuissants que le (peu de) sens que leur donnait l'argent (le luxe), un sens collectif, qui plus est. Et qui permet de renouer avec une tradition du passer, donc de renforcer le sentiment d'identité, sentiment fort affaibli du fait même que l'on ne fait quasiment rien qui augmente réellement la puissance d'agir. Par là, celui qui 'travaille dur' pourra de nouveau avoir accès à une reconnaissance sociale et collective 'ici bas', ce qui n'est pas rien (et qui pourrait même être un affect-passion plus 'utile' à la République que la frustration actuelle, qui n'avait que l'extrême droite comme source de reconnaissance officielle).

e) cependant, sur le long terme, cette solution ne pourra pas tenir. Car elle ne consiste qu'à promettre aux gens qui n'ont que le luxe pour essayer de jouir, PLUS de luxe à condition qu'ils travaillent plus durement encore. D'un autre côté, il s'agit de les soulager de la haine du Profiteur en pénalisant ces Profiteurs imaginés, et cela principalement en coupant les moyens de vivre de ceux-ci (donc, en termes spinozistes, en les permettant d'imaginer détruit ce qu'ils ont en Haine). Or:
- en coupant les moyens de ceux qui dans le système capitaliste n'ont pas accès au luxe, on leur enlève tout, ce qui ne peut que donner plus de violence et d'insécurité sociale
- en promettant plus de luxe à ceux qui gagnent bien leur vie, ils n'auront que plus de bénéfices du même genre. Ce culte du luxe étant à la base même de leur sentiment de nihilisme (= de ne rien pouvoir valoriser, bref de ne rien trouver qui permet d'augmenter réellement leur puissance d'agir), leur en donner un peu plus ne peut pas remédier à ce problème à long terme, au contraire même, il ne pourra que l'aggraver.

CONCLUSION

Sarkozy s'adresse donc à ceux qui sont déjà touchés par le problème soulevé par Spinoza, mais il croît pouvoir le résoudre
1) en retournant à un système de valeurs du passé, tandis que ce système s'appuyait sur un Dieu qui désormais n'existe plus (donc en retournant à un système de valeur qui a perdu toute crédibilité) et sur un consensus morale qui n'existe plus non plus (la moitié des Français ne s'y reconnaissant plus), bref ce système de valeur a au fond irremédiablement perdu sa cohérence et son fondement;
2) en essayant d'augmenter le luxe comme récompense d'un travail sans sens intrinsèque, tandis que c'est précisément le goût du luxe qui selon Spinoza est à la base du problème.

Royal de son côté ne s'adresse même pas à ces gens, mais se limite principalement à ceux qui n'ont pas encore accès aux conditions minimales de vie. Par là, elle pourra enlever certaines tensions sociales (la violence venant 'd'en bas', thème traditionnel de la gauche), mais elle ne pourra rien faire contre le nouveau problème principal, qui touche avant tout les classes moyennes et les riches, au contraire même, elle ne propose que d'augmenter le nombre de ces soi-disant Profiteurs, ce qui ne pourra qu'augmenter la Haine chez une moitié des Français, tout en leur privant de la reconnaissance collective du travail qu'ils font et du luxe qu'ils s'achètent, deux choses que leur propose Sarkozy.

Dans l'espoir que ceci soit un peu plus clair, et pour ceux qui préfèrent des messages succincts ... désolée pour la longueur,
louisa

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Messagepar Amstel » 01 mai 2007, 04:48

Merci Henrique pour ta réponse, je vais en tenir compte.

Louisa a écrit :Aussi longtemps que nous sommes dans un monde capitaliste tel qu'il est actuellement, la société aura besoin d'une majorité de boulots qui ne permettent que très peu aux gens de développer des affects actifs.


C'est le coeur du problème: développer des affects actifs dans le monde du travail. C'est aussi l'occupation d'une vie.

Voici aussi pourquoi la philosophie de Spinoza mène naturellement au désir d'enseigner ou de partager des connaissances. Contrairement au monde de l'entreprise, le monde de l'enseignement permet davantage de développer des affects actifs. L'Ethique peu aussi se lire comme une bible pour enseignant.

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Messagepar sescho » 01 mai 2007, 10:13

Henrique a écrit :A ce sujet, je répondrai à Serge que la désobéissance civile peut être justifiée d'un point de vue spinoziste beaucoup plus souvent qu'il ne semble le penser. Ce qui ressort du texte que j'avais cité, c'est que si une loi est absurde notamment parce qu'elle réinstaure l'état de nature, et à terme, la guerre de tous contre tous, elle perd de ce fait même son autorité de loi en nous ramenant à cela même qu'elle devrait empêcher. ...

"Civile?" OK. C'est le mot qui m'est venu à l'esprit en premier, puis je me suis dit que je devais faire un lapsus car c'était une précision trop pauvre pour être la bonne (pour écarter la désobéissance militaire?), alors que "civique" permettait à ceux qui transgressent de se poser en citoyens responsables malgré cela. Mais bon ce n'est pas pire que dans "société civile" (les militaires sont exclus et les politiques ne sont pas des civils?) J'aurais dû vérifier ; allons-y pour "civile."

Disons alors que l'on peut tout si l'on consent à risquer d'en payer le prix prévu par la Loi (je ne dis pas par des bandes armées sous leurs propres lois ; et la comparaison avec le IIIème Reich, sans être totalement illégitime par extrapolation, me semble abusive néanmoins.) Ce que je conteste le plus c'est de prétendre ne pas avoir à en payer le prix (ou plutôt que l'Etat choisisse de ne pas leur en faire payer le prix), et tout spécialement en étant en opposition avec une bonne partie de l'avis de la population du pays concernée (par exemple concernant l'aide à l'immigration illégale.) Je suis tout aussi opposé à ce qu'on passe sur les dégradations opérées sur le patrimoine public par certains groupes de professionnels, et encore plus quand c'est pour demander de l'argent public, ainsi qu'aux piquets de grève (à toute destruction de bien et tout système de blocage abusif, en fait, ce qui inclut les situations de monopole et dans une certaine mesure tout le service public.) Pour José Bové et les OGM, je suis effectivement beaucoup plus compréhensif, surtout si l'alerte répétée vis-à-vis des médias de masse n'a donné aucun résultat significatif. Il y a en outre une hiérarchie d'importance dans l'usage des moyens répressifs.

Par ailleurs, il me semble difficile de faire un débat public sur tous les détails (et cela permet dans l'exemple de réduire le prix du billet), surtout en cherchant la cohérence générale. Mais bon, soyons clair, une dose mesurée de contestation marginalement illégale me semble sain... Je ne prône pas la rigidité ; ce que je conteste le plus c'est de s'opposer à la fois à la Loi et à une partie significative de la population en nous sortant tout un tas de justifications pseudo-morales pour cela, et que la force publique aille dans ce sens contre la Loi.

Mais bon, je crois qu'il n'y a pas de fin à un tel débat ; Spinoza n'approuve ni la désobéissance aux lois, c'est évident, ni les Lois qui nuisent gravement à la concorde nationale. Entre les deux, toutes les sensibilités se trouvent chez les citoyens, et c'est le vote qui dira quel système sera appliqué dans les faits (mais le candidat potentiellement le plus à même de faire régner l'ordre de fait est selon moi, non celui qui s'en pique, mais une candidate.)

Amicalement

Serge


Note : j'ai vérifié, et l'on trouve aussi pas mal "désobéissance civique" sur le net, en fait. Il semble, si l'on en croit Wikipedia, que le terme a été introduit par J. Bové lui-même et son co-auteur dans une traduction non-littérale de l'Anglais. Les conditions qu'il pose pour mériter ce nom de "désobéissance civique" me semblent honnêtes ; j'en revient donc à "désobéissance civile" pour le reste, que je critique.
Modifié en dernier par sescho le 01 mai 2007, 17:46, modifié 2 fois.
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