SPINOZA et le droit des animaux

Actualités et informations diverses sur Spinoza, la philosophie en général ou regards spinozistes sur l'actualité.
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ChiaroscurO
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SPINOZA et le droit des animaux

Messagepar ChiaroscurO » 06 janv. 2008, 21:12

Voila ce qui a ete communique sur un autre forum...

E4p37 scolie 2 : (...) la loi qui défend de tuer les animaux est fondée bien plus sur une vaine superstition et une pitié de femme que sur la saine raison ; la raison nous enseigne, en effet, que la nécessité de chercher ce qui nous est utile nous lie aux autres hommes, mais nullement aux animaux ou aux choses d'une autre nature que la nôtre. Le droit qu'elles ont contre nous, nous l'avons contre elles. Ajoutez à cela que le droit de chacun se mesurant par sa vertu ou par sa puissance, le droit des hommes sur les animaux est bien supérieur à celui des animaux sur les hommes. Ce n'est pas que je refuse le sentiment aux bêtes. Ce que je dis, c'est qu'il n'y a pas là de raison pour ne pas chercher ce qui nous est utile, et par conséquent pour ne pas en user avec les animaux comme il convient à nos intérêts, leur nature n'étant pas conforme à la nôtre, et leurs passions étant radicalement différentes de nos passions (voy. le Schol. de la Propos. 57, part. 3).

Y a de quoi accabler SPINOZA quand on vit aujourd hui et qu on lit ca...
Je ne suis pas touche par sa recherche rationnelle d utilité mais par le fait qu il affirme que la nature des animaux est differente de la notre

Je sais que c est une idee moderne et que la science de l epoque ne pouvait montrer les liens entre les especes cependant SPINOZA dit clairement ici qu il y ait des choses d une autre nature que la notre...

Etes-vous vous aussi déçu par ce passage???

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Ulis
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Messagepar Ulis » 07 janv. 2008, 08:59

Et que faites-vous des végétaux ? Eux aussi sont des êtres vivants ! Qui vous dit qu'ils n'ont pas d'âme ?
Nous connaissons si peu la nature.
Il n'en reste pas moins que si nous ne mangeons ni animaux, ni végétaux ce sera dur !
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Faun
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Messagepar Faun » 07 janv. 2008, 14:40

C'est un discours moins pire que celui de Descartes, qui niait que les bêtes puissent sentir, éprouver de la douleur ou de la joie, et c'est surtout le cartésianisme qui a fait que l'homme moderne, depuis le XVIIe siècle, a utilisé les animaux, les plantes, et la Nature en général sans la moindre prudence. Avec les effets que nous connaissons aujourd'hui. Au moins Spinoza reconnaît et affirme que les bêtes peuvent éprouver des sentiments.

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Pej
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Messagepar Pej » 10 janv. 2008, 14:00

Faun a écrit : c'est surtout le cartésianisme qui a fait que l'homme moderne, depuis le XVIIe siècle, a utilisé les animaux, les plantes, et la Nature en général sans la moindre prudence.


Le fait de nier l'existence d'un droit des animaux, et de les utiliser comme simples moyens, remonte à mon avis bien plus loin, Descartes ne faisant que systématiser une conception caractéristique de la pensée occidentale.
Rappelons le texte fondateur de la Genèse, qui est on ne peut plus explicite :

"1.25
Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.
1.26
Puis Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.
1.27
Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme.
1.28
Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre."

Spinoza n'est donc pas original. Il n'est qu'un représentant parmi d'autres de la pensée de son époque sur le sujet.

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Messagepar vlcp » 10 janv. 2008, 20:06

Spinoza et le droit des animaux.

Les attentions portées jusqu'à présent sur ce forum, me semble loin d'une determination spinoziste du droit des animaux mais plutôt proche d'états d'âme bardotistes. Donc, comment peut être abord le thème: « Spinoza et les animaux »?

Nous pouvons voir que Spinoza stipule deux sorte de droit, le droit civil et le droit naturel. Pour ce qui est du premier, il intervient dans le seul cas où les Hommes sont suffisament raisonnables pour se rendre compte qu'ils sont sujets aux affects passionels, donc ils mettent en place un état civil pour qu'ils «...puissent vivre dans la concorde et s'aider..., et s'assurent mutuellement de ne rien faire qui puissent tourner au détriment d'autrui .» (E4, scolie II, prop.XXXVII). Mais, au contraire, en vertu du second, le droit naturel, Spinoza nous explique que que c'est celui par qui tout être existe : « Chacun existe par le souverain droit de nature, et par conséquent c'est par le souverain droit de nature que chacun fait ce qui suit de la nécessité de sa nature;... »(idem).Donc que le droit des animaux est seulement inscrit dans la necéssité de leur nature et absolument pas dans le droit civil. Ce qui fait que la phrase tant polémique: « la loi interdisant d'immoler les bêtes est plus fondée sur une vaine superstition et une pitié de femme que sur la saine raison. »,(dans E4, scolie I, prop.XXXVII) est totalement justifiée dans le cadre déterminé d'une loi seulement civil, et que l'Homme de raison produirait tel où tel acte seulement par la nécessité de sa nature.

Cependant les relations Homme/animal chez Spinoza peuvent s'entrevoir sous d'autres termes. C'est-à-dire quelles distinctions pouvons nous faire entre l'Homme et l'animal ? Et surtout quel parti doit tenir l'Homme envers les animaux?

Spinoza (dans E4, scolie I, prop.XXXVII) nous dit a propos des bêtes que nous pouvons: « user d'elles à notre guise, en les traitant de la manière qui nous convient le mieux ». Pourquoi ? Comme il dit plus haut, « car le principe qui consiste à rechercher ce qui nous est utile nous enseigne bien la nécessité de nous unir aux hommes, mais pas aux bêtes,... ». Ce principe, la Raison, enseigne comme c'est defini dans E4, cor.I, prop.XXXV, que, « IL n'y a pas dans la nature des choses, de singulier qui soit à l'homme plus utile que l'homme,...Car le plus utile à l'homme, c'est ce qui convient le plus avec sa nature, c'est-à-dire (comme il va de soi) l'homme. ». L'Homme est-il de même nature que les animaux ? Pour cela, nous pouvons observer que dans E3, scolie, prop.LVII, spinoza nous dit que « ...les affects des animaux que l'on dit privés de raison (car que les bêtes sentent, nous ne pouvons absolument plus en douter, maintenant que nous connaissons l'origine de l'Esprit) diffèrent des affects des hommes autant que leur nature diffère de la nature humaine. ». De plus, Spinoza affirme dans E4, scolie I, prop.XXXVII, que « ...les hommes ont un droit bien plus grand sur les bêtes que celles-ci n'en n'ont sur les hommes. ». Cela « ...parce que le droit de chacun se définit par sa vertu et sa puissance,... ». Ce dont l'expérience peut nous faire preuve quotidiennement. Cela nous amène donc a affirmer une réelle distinction entre les animaux et les Hommes. Mais, nous pouvons voir plus loin, si nous suivons cela, Spinoza montre que seulement les Hommes raisonables conviennent nécessairement en nature (E4, prop.XXXV), et que contrairement : « En tant que les hommes sont sujets aux passions, on ne peut dire qu'ils conviennent en nature. »(E4, prop.XXXII).Cette différence « pas mince » étant aussi posée avec l'exemple de l'ivrogne et du philosophe dans E3, scolie, prop.LVII. Et de plus comme entre les animaux et les hommes, de manière évidente d'après Spinoza l'Homme de raison à une plus grande vertu et puissance que l'Homme sujet aux passions. Nous pouvons donc penser, en posant cela en relation avec le corollaire I, E4, prop.XXXV, et E4, scolie I, prop.XXXVII que l'Homme doté de Raison pourrait user à sa guise, et traiter de la manière qui lui convient le mieux, l'Homme sujet aux passions. Mais Spinoza nous dit par ailleurs que l'Homme de Raison « désire... de s'attacher tous les autres d'amitié »(E4, scolie I, prop.XXXVII) . Ce fait, nous amène à penser qu'il existe un point plus fort de concordance entre tous les Hommes qu'entre les hommes et les animaux. Nous pouvons l'expliquer par les possibles de l'Homme, tout Homme peut atteindre la raison, donc l'Homme déjà doté de raison doit s'efforcer de comprendre et de respecter l'Homme passionné afin d'augmenter sa puissance.

La question dans ses termes pragmatiques semble autrement mieux posée qu'auparavant, mais ce qui reste de manière plus complexe à préciser est la question du nominalisme chez Spinoza : le concept même d'éspèce est-il compatible avec ce qu'il notifie(dans E2, scolieI, prop.XL) à propos des notions « universelles » construitent par le seul language?
Modifié en dernier par vlcp le 11 janv. 2008, 16:56, modifié 1 fois.

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Jus naturae...

Messagepar ShBJ » 11 janv. 2008, 09:31

L'intervention de vlcp me semble poser correctement, autrement dit concrètement, la question du droit des animaux chez Spinoza. Mieux encore, elle laisse entrevoir tout ce que la conception spinoziste, contrairement à ce qui a été dit, a de révolutionaire : il s'agit de ne pas confondre ce que dit un auteur (sa thèse, si l'on veut, qui en effet paraît banale à l'époque) et le cadre conceptuel au sein duquel il le dit (la raison de son affirmation). Soyons donc aussi spinoziste que Spinoza, et au lieu de nous attacher aux mots, tâchons de connaître par la cause prochaine (E, II, 40, sc.), c'est-à-dire par le système de lois (conceptuelles) qui régit l'Ethique, l'affirmation selon laquelle nous pouvons user des animaux à notre convenance.

Le droit naturel, identifié dans l'Ethique (mais aussi dans le Traité politique, II, § 4) à la puissance d'un corps est une rupture complète avec toute la tradition jusnaturaliste jusqu'à Hobbes : rupture qui consiste à substituer la description (détermination des essences) à la prescription.

Pour Hobbes, par exemple, dont Spinoza se démarque clairement dans la lettre L à Jelles, les lois de nature me prescrive de faire ceci ou cela, c'est-à-dire relèvent du devoir-être, et supposent pour être efficaces la garantie du contrat social (magnifique circularité si on lit de près le ch. XIV du Léviathan) ou au minimum l'intelligence, c'est-à-dire le calcul rationnel, des hommes à l'état de nature. En d'autres termes, la raison prescrit des commandements allant à l'encontre de la passion, et est supposée pouvoir vaincre les passions. Pour Spinoza à l'inverse, "un affect ne peut être contrarié ni supprimé que par un affect contraire et plus fort que l'affect à contrarier" (E, IV, 7), affect qui dépend de mon pouvoir actuel d'être affecté, identifié à ma puissance actuelle d'agir et de penser (le conatus est effectivement conatus singulier de la chose, qu'elle agisse ou pâtisse) c'est-à-dire à mon essence. Cette vérité est valable autant à l'état de nature qu'à l'état civil : affirmer qu'existent des droits, identifiés à des prescriptions, indépendants de la puissance (comme c'est la mode depuis le retour en grâce de Léo Strauss), c'est se condamner à ne rien comprendre aux affirmations de Spinoza et en faire, ainsi qu'il a été écrit, un sujet de scandale, de déception, ou pire encore une banalité.

Je laisse de côté la question posée par vlcp du nominalisme spinoziste, en effet cruciale (vide e.g. E, II, 13, lemme 2, qui semble remettre en question la différence entre les corps humains et les autres corps) pour tirer une conséquence politique : c'est le cadre conceptuel nouveau de Spinoza qui lui permet de légitimer la peine de mort (E, IV, 43, corollaire, sc.) sans tomber sous la célèbre objection de Beccaria, en vertu de laquelle le contrat social ne saurait contenir une clause prévoyant ma mort violente, puisque je ne contracte, justement, que pour éviter cette éventualité. C'est qu'une fois identifiés droit naturel et puissance, et déterminé le droit civil comme une conséquence ou un effet du droit naturel, l'idée même de contrat social n'a plus aucun sens. L'homme n'est pas un empire dans un empire (E, III, préface). La politique et par suite le droit civil relèvent de la physique.

Loin donc de s'offusquer que notre philosophe puisse affirmer la légitimité de la peine de mort, ou de citer je ne sais quelle source afin de montrer que oui tout à fait bien sûr c'est regrettable, mais à l'époque tout le monde pensait comme ça parce qu'on ne savait pas, on comprendra cette légitimation de la même manière que l'affirmation selon laquelle nous pouvons (pas au sens où nous en aurions "le droit", comme on dit de nos jours, mais au sens où nous en avons la puissance ou en sommes capables) user des bêtes à notre convenance : la multitude qui fonde le souverain est plus puissante que l'individu qu'elle estime nuisible, et donc, etc.

Efforçons-nous donc à une issue spinoziste à ce qui pourrait choquer le vulgaire : il faut et il suffit de montrer en quoi abuser des animaux, en lieu et place d'en user (e.g. les massacres de nos modernes abattoirs), diminue notre puissance et ne relève donc pas de l'utile - comme de montrer en quoi la peine de mort produit plus de tristesse qu'elle n'assure de régulation des passions, et qu'elle est par conséquent, non seulement directement, mais aussi indirectement mauvaise (E, IV, 43). Ou - c'est la même chose - qu'existent des conditions de compositions entre hommes, et entre hommes et animaux, telles que l'on peut se passer de décimer les espèces et de guillotiner les criminels, conditions qu'il nous appartient de réaliser, parce qu'elles conviennent avec la raison. Ce qui est parfaitement faisable dans les termes de l'Ethique. Dès lors, on évite les clichés.

Ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre...

Mon salut sur vous.

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Messagepar sescho » 12 janv. 2008, 13:42

Eh bien ! Le sujet a des développements d'une qualité inattendue en ce qui me concerne... Souvent, on ne répond pas lorsque cela atteint ce niveau. Je vais pourtant ajouter quelques mots (triviaux peut-être.)

Spinoza se base sur la communauté de nature, laquelle détermine la puissance potentiellement obtenue en mutualisant, en limitation partielle librement consentie (raisonnée) du potentiel d'action brut (droit de nature.) Dans ce sens, effectivement, les hommes sont les plus utiles aux hommes, sauf à proportion de leur part passionnelle (ce qui justifie effectivement que certains soient l'objet de coercitions, voire éliminés dans les cas extrêmes.)

Je ne vois pas néanmoins que Spinoza fasse en aucune façon une apologie de la torture des animaux. Ce serait totalement opposé à sa philosophie. Car la communauté de nature existe là-aussi nécessairement, toute partielle qu'elle soit. Il est un fait, par ailleurs, que tout animal est prédateur de vivant (les champignons aussi) et qu'il y a parmi eux un certain nombre de carnassiers.

Finalement, quelle différence avec la situation actuelle ? Nous abattons bien en masse des animaux pour notre subsistance, et ce en vertu de notre nature omnivore, et non des hommes (à cette fin tout du moins, car cela se fait suivant plus ou moins certains codes de guerre.)

Amicalement

Serge
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Messagepar ChiaroscurO » 15 janv. 2008, 12:33


Contrairement a ce qui est sous entendu je ne pense pas que dans ce forum quelqu un fasse du sentimentalisme ou du Bardotisme

Je pense raisonnablement que Spinoza en a manque(de la raison) lorsqu'il dit que les animaux ne sont pas de notre nature

Il aurait du dire tout simplement qu il n en savait rien...

C est vrai qu il ne pouvait pas savoir a l epoque en effet que nous (=les hommes)sommes cousins des chiens des puces et des rosiers de ma grand mere

C est vrai qu il faut attendre Darwin et malheureusement encore aujourd'hui je trouve qu'il est encore trop peu reconnu

peut etre que ce qu'il souleve est trop dur a accepter En effet c est pas une elucubration plus que des singes, nous sommes vraiment cousin des chiens par exemple
C est vrai que cette simple phrase souleve une somme de chaos et de lumiere enorme dans la facon de penser le monde

Je suis cependant d accord avec celui qui a dit que Spinoza par rapport aux animaux c est moins pire que Descartes
Je suis d accord avec celui qui a dit que dans la bible c est pas glorieux non plus (meme s il faut un tout petit peu nuancer puisque le commandement de Dieu est "qu il cultive et garde le jardin" )


Il dit quand meme explicitement dans le passage du depart de ce forum que les animaux ont une autre nature que la notre

Merci pour vos commentaires en tout cas

Je pose une autre question

Darwin Spinoza même combat???

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Spinoza et Darwin...

Messagepar ShBJ » 15 janv. 2008, 14:24

J'aimerais apporter quelques éclaircissements, et en demander quelques autres, suite à l'intervention de ChiaroscurO, dont je ne reprends pourtant pas l'ordre d'exposition. Il est encore question des animaux...

1) Pour ce qui est de Descartes, la lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646 pose tout de même des problèmes d'interprétation. En effet, s'il affirme explicitement que les animaux sont dépourvus de pensée, il n'en parle pas moins de crainte, d'espérance, de joie, et de ceci que "bien que les bêtes ne fassent aucune action qui nous assurent qu'elles pensent, toutefois, à cause que les organes de leurs corps ne sont pas fort différents des nôtres, on peut conjecturer qu'il y a quelque pensée jointe à ces organes". Ce qui le chagrine, c'est qu'il faudrait dès lors leur attribuer une âme immortelle, et qu'attribuer une âme aux éponges ou aux huîtres est rien moins que raisonnable. Or, dans la Méditation Seconde, la res cogitans est définie aussi comme chose qui imagine et qui sent. Si bien que, d'une part, Descartes admet qu'il y a des sentiments dans les animaux (ce n'est pas Malebranche, qui lui pourra sans sourciller massacrer une chienne en gésine à coups de pieds) et que, d'autre part, il prétend que ces sentiments ne sont pourtant pas un mode de la pensée - ce qui est cependant le fondement de la déduction de la nature de la chose pensante, juste après le cogito. Je ne suis donc pas persuadé que la lettre soit compatible avec le reste de la doctrine.

2) Pour ce qui est de Spinoza, et pour me répéter, il dit peu ou prou la même chose que Descartes (dans la lettre citée), en effet, mais pour des raisons totalement différentes : si tous les exemples de la lettre au marquis de Newcastle figurent dans l'Ethique, ils sont pourtant repris de façon novatrice... à avancer sans plus de justification interne que deux auteurs disent la même chose, ou des choses différentes, on énonce un jugement de valeur ou un truisme. Mais assez là-dessus, je me suis déjà fort longuement expliqué.

3) Pour ce qui est de la différence de nature entre hommes et animaux, je répète qu'elle n'est pas claire : d'une part, elle n'est pas réelle, puisque cette distinction est réservée aux attributs de la substance (il y a donc unité des corps sous de mêmes lois, qui sont les lois de l'étendue, et composition de tous les corps composés à partir des mêmes corps simples) et, d'autre part, elle relève de l'expérience : "De même aussi les Désirs et les Appétits des insectes, des poissons et des oiseaux doivent être chaque fois différents". Je ne sache pas que Darwin prétende que, sous prétexte de cousinage, terme que par ailleurs il n'emploie nulle part dans son oeuvre, les poissons se comportent comme des oiseaux, ni même des poissons de deux espèces différentes de la même manière, ni les hommes comme des chiens ou des singes. Nous pouvons tous appartenir à une même nature, et par suite deux corps aussi éloignés qu'on les puisse penser toujours convenir en quelque chose (E, II, 13, lemme 2) sans pour autant tout confondre dans une masse indifférenciée.

4) La véritable difficulté est autre, qui fut soulevée mais non résolue par vlcp, et qui touche au concept même d'espèce chez Spinoza, qui en tant que terme transcendantal est une abstraction, une idée vague et confuse de l'imagination (E, II, 40, sc. 1). Comment peut-il alors la considérer comme suffisamment valable pour étayer les textes dont nous parlons ? N'y a-t-il pas une différence d'affects non seulement "pas mince" entre l'ivrogne et le philosophe, mais encore que l'on peut penser plus grande qu'entre l'ivrogne et un chien ? Et entre le bébé qu'on prétend que je fus et l'adulte que je suis (E, IV, 39, sc.) ? Je me borne à poser une nouvelle fois la question du nominalisme de Spinoza et espère une explication. Pour ma part, je n'en trouve pas qui me puisse convaincre parfaitement.

5) Darwin, à l'inverse, pose la validité du concept d'espèce (il ne s'intéresse même qu'à ça). Deux individus sont de la même espèce s'ils peuvent se reproduire et que leur descendance n'est pas stérile - ce sont les espèces qui existent, dont les individus ne sont que des instantiations.

6) En conséquence, que peut bien signifier : "Darwin, Spinoza, même combat" ? J'envisage quatre voies...

a) Celle d'un accord sur le concept d'espèce (vide supra).

b) Celle d'un accord sur la variabilité des espèces, qui est parfaitement compatible, en effet avec les termes de l'Ethique, mais peut-être à raison de l'inconsistance ontologique des espèces (vide a) et de la variation des individus eux-mêmes (E, IV, 39, sc. avec l'exemple du poète espagnol amnésique) qui regroupés en un autre individu (pris sous son rapport de mouvement et de repos) formerait l'espèce.

c) Celle d'un accord sur ceci, que la variation est première par rapport à la sélection (différence fondamentale entre Darwin et Lamarck), qui en termes spinozistes serait la primauté de l'essence singulière (conatus) sur ses affections, même si l'ordre commun de la nature l'emporte en puissance sur le mode dont on considère l'essence.

d) Celle d'un accord sur les théories contemporaines héritées de Darwin, aux thèses desquelles ChiaroscurO semble plutôt faire référence qu'à Darwin lui-même, selon lesquelles la variation est stochastique, puis la sélection nécessaire, produisant l'évolution.

Si un accord sur b et c, on l'aura compris, est envisageable, l'accord sur a dépend de la résolution de la difficulté soulevée par vlcp, et l'accord sur d est impossible, puisque la thèse du hasard producteur de variations (qui fait autorité en ces temps) est incompatible avec la nécessité absolue de la substance considérée dans sa productivité. Mais peut-être la question était-elle tout autre ?

Mon salut sur vous.
Modifié en dernier par ShBJ le 26 févr. 2008, 23:55, modifié 3 fois.

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Re: Spinoza et Darwin...

Messagepar bardamu » 15 janv. 2008, 16:18

ShBJ a écrit :(...) Celle d'un accord sur les théories contemporaines héritées de Darwin, aux thèses desquelles ChiaroscurO semble plutôt faire référence qu'à Darwin lui-même, selon lesquelles la variation est stochastique, puis la sélection nécessaire, produisant l'évolution.

Bonjour,
juste un mot pour signaler que la notion d'espèce a été envisagée par ici : http://www.spinozaetnous.org/ftopict-690.html

Cordialement


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