Enegoid a écrit :Oui vous êtes plus claire : exit Spinoza, bonjour Spinoza 1(CT) et Spinoza 2 (Ethique). Nous parlons donc de Spi2.
(Je suppose que votre assertion se discute, mais je passe).
Cher Enegoid,
disons qu'à mon sens
chacune de mes assertions (et d'ailleurs chaque assertion tout court) se discutent. Si donc vous avez l'impression que la distinction que je viens de faire au sujet de la définition de l'essence entre le CT et l'
Ethique n'est pas tout à fait correcte, toute critique est la bienvenue.
Enegoid a écrit :Si je vous ai bien compris vous refusez l’essence de genre.
je crois effectivement que chez Spinoza toute essence est singulière, et que le genre n'est qu'une abstraction, qui ne réfère à rien de réel hors de l'Esprit humain. Je viens d'expliciter les raisons pour lesquelles je pense cela, j'espère que maintenant ceux qui défendent l'idée d'une essence de genre chez Spinoza vont montrer en quoi je me trompe, c'est-à-dire en quoi ces raisons ne sont pas valables.
Enegoid a écrit : Comment interprétez-vous les formules de Spînoza2 telles que « essence de l’homme » (ou du cheval etc.) ?
c'est bien que vous posez la question, car justement, pour autant que je l'aie compris, ceux qui défendent l'idée que dans le spinozisme il y aurait réellement des essence de genre ne se basent
que sur cet argument seul: le fait que dans l'
Ethique Spinoza parle à de nombreux endroits de l'essence de l'homme.
Or un nominalisme n'interdit absolument pas de
parler de genres ou d'espèces (après tout, le livre de Darwin s'intitule bel et bien
De l'origine des ESPECES). Il souligne simplement que ces idées ne sont que des abstractions, des idées dans l'Esprit humain, auxquelles rien de réel ne correspond en dehors de cet Esprit. Cependant, un nominalisme ne nie absolument pas que l'homme a besoin de ces abstractions pour pouvoir vivre, pour pouvoir acquérir une connaissance (toujours humaine) de la nature etc. La seule erreur, pour un nominaliste, consiste dans le fait de prendre les idées ou les mots pour les choses.
Enegoid a écrit :Pour moi l’essence de l’homme est ce que tous les hommes ont en commun et qui ne concerne que les hommes. Chez Spi2 toujours. Pour vous, c’est quoi ?
(Je suis curieux de voir quel lapin vous allez sortir de votre chapeau cette fois-ci. Mais je vous fais confiance)
merci de votre confiance (hélas un peu "relativisée" par le fait que vous présupposez déjà que personne ne peut sérieusement penser différemment que vous, ou que cela ne peut que relever d'une pensée "magique"
... mais passons).
D'abord, moi-même je n'en pense rien. Je ne suis ni nominaliste, ni réaliste. Je sais que pour l'instant il y a pas mal de gens sur ce forum pour qui cela semble être impossible, chacun "devrait" avoir "sa propre philosophie". Pour moi, en tout respect de cette position, cela est absurde. Or Sinusix a à mon sens très bien formulé cette position il y a quelques jours, et dès que j'ai un peu le temps de systématiser ce que son message me fait penser, je soumettrai le résultat à vos critiques (vu que la question revient sans cesse, faire cela est un peu urgent, je sais ..).
Quant à Spinoza, pour moi c'est clair: la définition même que l'
Ethique donne de l'essence le rend impossible de croire que l'essence spinoziste est une essence de genre et non pas une essence singulière. La preuve en est notamment qu'il n'a besoin
que de cette définition pour dire dans l'E2P37 que ce qui est commun ne peut constituer une essence.
Or je viens d'expliquer pourquoi à mon avis Spinoza peut tirer l'E2P37 directement de cette définition seule. Puisque vous (ni quelqu'un d'autre qui défend l'idée d'essence de genre chez Spinoza) n'avez toujours pas dit en quoi selon vous cette explication serait erronée, je suppose que je ne me suis pas exprimée très clairement. Autre tentative donc.
Voici encore une fois la définition (E2 Déf.2):
"
Je dis appartenir à l'essence d'une chose ce dont la présence pose nécessairement la chose, et dont la suppression supprime nécessairement la chose; ou encore, ce sans quoi la chose, et inversement ce qui sans la chose, ne peut être ni se concevoir."
D'abord, remarquons que Spinoza revient sur cette définition déjà dans l'E2P10 (scolie du corollaire, toute dernière phrase (phrase assez longue, qui commence par "Car mon intention ici..."). Il dit qu'il y donne la raison pour laquelle il n'a pas "
dit qu'appartient à l'essence d'une chose ce sans quoi la chose ne peut être ni se concevoir". Autrement dit, il donne la raison pour laquelle la définition traditionnelle de l'essence (= la définition aristotélicienne, repris notamment par le thomisme) n'est
pas celle qu'il a donné lui-même. En effet, dire que l'homme se définit par "animal rationnel", c'est définir une espèce ou un genre, par les propriétés que tous les individus de cette espèce ont en commun
et qui sont telles que si l'on en enlève une, le résultat n'est plus un homme. Supposons par exemple un homme qui ne serait plus un animal: cela est inconcevable. Donc être un animal et être rationnel est ce sans quoi l'homme ne peut ni être ni se concevoir. Pour la définition traditionnelle de l'essence, c'est ce qui permet de dire qu'être rationnel et être un animal doit appartenir à l'essence de tout homme. Mais donc voilà, Spinoza dit ici explicitement que lui il ne dit
pas cela, qu'il a donné une
autre définition de l'essence.
En effet, on lit dans sa définition un deuxième élément encore: appartient à l'essence d'une chose ce qui sans la chose ne peut être ni se concevoir (la première définition disait l'inverse: ce sans quoi la chose ne peut ni être ni se concevoir).
C'est ici que s'opère le passage d'une essence de genre à une essence singulière. Une propriété qui constitue une essence doit à partir de maintenant être telle que si la chose qui a cette essence périt, la propriété elle-même ne peut plus ni être ni être conçue. C'est cela qui oblige Spinoza à éliminer toutes les propriétés communes de l'essence, puisque justement, si tout homme a en commun le fait d'être un animal, en effet, on ne peut que dire que lorsque moi-même un jour je mourrai, il y aura toujours des animaux sur terre (et même des animaux rationnel). Donc la propriété "être un animal" n'est
pas supprimée lorsque une chose qui l'a est supprimée. C'est pourquoi cette propriété ne correspond pas à ce que la deuxième partie de la définition spinoziste de l'essence impose comme condition nécessaire. Et c'est pourquoi toute essence réelle nécessairement doit être singulière, puisque seule cette propriété qui appartient à la chose singulière seule, et à aucune autre chose singulière, sera supprimée définitivement au moment même où la chose est supprimée.
A mon sens, il faudrait dire en quoi ce que je viens d'écrire ici contient une erreur avant de pouvoir dire qu'il est clairement démontré que dans le spinozisme il y a réellement des essences de genre, que le spinozisme n'est pas un nominalisme. Juste dire que Spinoza parle de l'essence de l'homme n'est pas suffisant, parce qu'un nominaliste ne bannit pas l'idée même du genre ou d'espèce de son vocabulaire, il lui donne juste un autre statut, et l'enjeu du nominalisme versus réalisme concerne précisément ce statut. Je peux par exemple parler du film
Matrix, et on peut dire plein de choses tout à fait vraies par rapport à ce film. Cela ne nous fera jamais donner à ce film un autre statut qu'une simple fiction, et non pas quelque chose qui correspond à la réalité. Il en va de même avec la position nominaliste concernant les espèces et genres.
Or si vous avez l'impression que ce n'est toujours pas clair, n'hésitez pas à le dire. Si je n'arrive pas à l'expliquer clairement moi-même, je peux toujours essayer de reprendre l'argumentation de l'un ou l'autre commentateur à ce sujet, afin de permettre plus facilement une critique ou des objections par rapport à cette interprétation.
Enegoid a écrit :Concernant l'opinion etc.
Je pense que nous serions d’accord avec la formulation suivante : Spinoza2 considère que plusieurs choses poussent à admette que l’essence d’un corps peut changer dans le courant de sa vie.
je dirais plutôt que "un Corps peut changer d'essence" (c'est sur la différence entre les deux que portait l'échange que j'ai eu avec Durtal à ce sujet, il y a quelques jours).
Enegoid a écrit : Cependant il ne va pas jusqu’à l’affirmer positivement.
Vous imaginez qu’il ne l’a pas affirmé à cause des superstitions. C’est possible.
Il n’en reste pas moins que, quelle qu’ en soit la raison, il ne l’a pas affirmé. Ce que je me suis contenté de dire.
« Rien ne permet d’affirmer que l’on se trompe en disant que l’essence ne change pas… »
Mêmes les doutes de Spi2 ne permettent pas de l’affirmer. « Je n’ose nier » n’est pas équivalent à « j’affirme ».
Cependant je reconnais que "rien" est un peu exagéré. J'aurais mieux fait d'écrire : "On ne peut affirmer absolument...".
ici aussi, j'ai l'impression de ne pas m'être expliqué très clairement. Car nous sommes d'accord pour dire que
dans le scolie de l'E4P39, un doute subsiste, il ne va pas jusqu'à l'affirmer positivement. C'est ce que j'ai immédiatement reconnue lorsque vous l'avez très justement remarqué (il s'agissait effectivement d'une rectification importante par rapport à la façon dont je venais de formuler les choses). Or dans le même message (que je viens de recopier hier), j'ai également dit pourquoi selon moi il suffit de tenir compte d'
autres passages dans l'
Ethique pour pouvoir dire que dans le spinozisme, c'est effectivement le cas qu'un Corps change d'essence. C'est pourquoi juste vous contenter de dire que pour vous dans le scolie de l'E4P39 il ne l'affirme pas explicitement pour moi n'est pas vraiment suffisant, puisque dès le début mon raisonnement se basait sur d'autres passages, vous voyez? Une façon de reformuler ce même raisonnement se trouve dans ce que je viens de répondre à Hokousai aujourd'hui dans le fil qu'il a récemment créé à ce sujet. Si vous avez toujours l'impression que ce raisonnement n'est pas clair, il suffit de le dire et j'essayerai de le dire autrement encore. Mais aussi longtemps que vous ne me dites pas où selon vous se trouve l'erreur dans ce raisonnement, je ne peux que constater qu'à ce sujet nous avons des opinions différentes, sans plus. Ce qui serait peut-être un peu dommage.
Enegoid a écrit :Mais ce que je voulais surtout faire remarquer, c’est qu’il y a des choses qui changent et qui sont diverses dans les essences de genre. Et que donc le changement n’est pas un argument suffisant. Mais il faut pour cela admettre l’essence de genre. Ce que vous ne faites pas. Donc, impasse.
à mon sens l'impasse est plutôt dû au fait que ce que je dis ne semble pas être très clair, pour l'instant. Car il est évident que dès qu'on travaille avec la notion d'essence de genre, on doit admettre une certaine forme de changement (en effet, dans cette optique l'homme ou individu A est une autre variation sur l'essence de l'Homme que l'homme B). La notion d'essence de genre est même faite
pour pouvoir subsumer différents cas particulier sous une seule et même notion. Le problème se situe pour moi en amont de tout cela: y a-t-il réellement des essences de genre chez Spinoza ou non? Pour le savoir, il me semble qu'il faut commencer par analyser la définition d'essence de Spinoza. C'est pour ça que j'espère que ceux qui défendent l'idée d'une existence réelle des essences de genre dans le spinozisme vont me dire en quoi l'analyse que je propose de cette définition serait erronée.
Cordialement,
L.