Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 13 déc. 2008, 15:41

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :On appelle sensation l'effet psychologique immédiat d'une impression produite sur le corps.


Bonjour Sinusix,
merci pour ces précisions. On peut certainement trouver des ressemblances entre ce texte et l'E2P16. Mais en quoi consistent-elles plus précisément?

Spinoza y dit que le Corps humain peut être affecté par un corps extérieur, et que l'Esprit forme une idée de cette affection. Alors en effet, on peut se dire que ce qui s'appelle ci-dessus "impression" pourrait être appelé "affection", et ce qui s'appelle "sensation" "idée".

Or comme le montre bien le texte que vous avez envoyés: les mots ne sont pas innocents, ils portent avec eux toute une pensée très spécifique. Car lorsqu'on parle d'impression et de sensation telles que définies ci-dessus, on voit qu'il y a un rapport de cause à effet entre les deux: d'abord il y a impression, et cette impression cause la sensation. Dès qu'on dit cela, on peut y opposer la théorie spinoziste à ce sujet, qui dit que jamais une affection du Corps ne peut causer une idée. Ou on peut reprendre la question que pose Spinoza à une telle conception: quelque chose touche mon Corps, y laisse une impression, cette impression va via les nerfs vers le cerveaux, et là, de façon miraculeuse, devrait s'opérer la transformation de l'Etendue en de l'Inétendue. Pour Spinoza cela n'est pas très crédible. L'idée de l'affection, ou si vous voulez la sensation, se produit chez lui tout à fait simultanément ou "parallèlement" à l'impression ou l'affection elle-même. Il n'y a pas de délai temporel entre les deux. L'impression n'est pas la cause prochaine de la sensation.

Deuxième divergence: ce que l'E2P16 dit essentiellement, c'est que l'idée d'une affection (une sensation) doit "envelopper" la "nature" du corps extérieur. Nous sommes ici dans ce qui sera la base de la théorie des idées confuses et mutilées, donc inadéquates. C'est pourquoi cette proposition a une portée épistémologique et non seulement "psychologique", aspect qui également est absent dans le texte ci-dessus.
Pour ces deux raisons, j'aurais tendance à dire que certes on peut, si l'on veut, retraduire les termes d'une philosophie dans ceux d'une autre, mais est-ce qu'on gagne quelque chose ce faisant, ou est-ce qu'on risque plutôt de réduire la deuxième philosophie à la première, et par là même de rester avant tout dans la première? Dans ce cas-ci, il me semble qu'on perd des choses essentielles, puisque chez Spinoza l'impression ne cause pas la sensation tandis que la sensation enveloppe la nature du corps extérieur.


Bonjour Louisa,

En premier lieu, il ne s'est pas agi d'opposer deux philosophies mais, changeant de méthode avec vous, de m'appuyer sur un large extrait d'un texte particulièrement clair, pédagogique, et à mon sens décomposant parfaitement le processus physique et psychologique en cause, afin de mieux comprendre la pensée de Spinoza sur ce point fondamental pour moi. Car, que vous le vouliez ou non (et je conteste, sans développer pour ma tranquillité provisoire d'esprit, votre vision de la philosophie développée il y a peu et de ses relations avec les sciences physiques), la puissance de l'Ethique, pour ce qui concerne les parties 3, 4 et 5, compte tenu de leur portée pratique excipée, est à analyser au regard de sa pertinence "opérationnelle" concernant notre mode de fonctionnement biologique et psychologique.

Ceci étant précisé, je crois que tout ce que vous dîtes sur ce point est faux et je me contenterai, par lassitude, de vous renvoyer au chapitre 5, paragraphe V (pages 108 à 110) du tome II du Spinoza de M. Guéroult, dont j'extrais le passage suivant :
La théorie physique de Spinoza fait, toutefois, justice de cette objection.
En effet, selon l'Axiome 1 (après le Lemme 3, dans le scolie de la proposition XIII), "toutes les manières dont un corps est affecté par un autre suivent de la nature du corps affecté en même temps que de celle du corps qui l'affecte". Ce qui signifie, étant donné l'identité de sequi et de causari, que le corps affecté est tout autant que le corps affectant cause de la nature de l'affection qu'il éprouve. Il l'est même davantage selon le Corollaire 2 de la proposition 16.


Simultanément, et comme je vous l'ai déjà fait remarquer, vous me semblez confondre la réplication idée/objet fondement du monisme avec une relation causale, ce qui ne fait qu'accroitre la confusion.

Je ne répondrai pas au reste, qui me laisse pantois, mais, en vous faisant une concession importante, je fais une ultime tentative de changement de méthode.
Je vais suivre ce conseil du Diable, certes boiteux en l'occurrence, et qui s'y connaissait, selon lequel : En renonçant à l'impossible honneur de n'avoir aucun tort, la manière la plus honnête de réparer ses erreurs est d'avoir le courage de les reconnaître.
J'admets donc votre lecture de E2D2, mais ce faisant, me retrouve, à mon âge avancé, pris au piège de devoir jeter au panier une construction qui m'a pris tant d'années (je ne jette pas Bergson ni Proust néanmoins, lesquels au moins me consolent). Je vous sais donc gré de m'aider à recoller les morceaux que voici.

Selon E2Axiome2, L'humain pense (Je corrige un peu le texte pour respecter l'air du temps et ne pas me mettre en contradiction logique du fait de mon appel à vos lumières),
Or Louisa est humaine,
Donc Louisa pense.
Si Louisa pense, j'en déduis qu'à l'Essence singulière de Louisa appartient de penser. Il ne peut s'agir de la "propriété générale" de penser, qui appartiendrait à la "nature humaine" (ou à "l'hommerie", version Montaigne), comme je le défendais jusqu'ici, faute de quoi, selon E2D2, à la disparition de Louisa, que chacun souhaite repousser au plus tard, la "propriété générale" de penser disparaîtrait de la Terre, ce qui est épouvantable.
Il s'agit donc obligatoirement d'un mode singulier de la pensée, à nul autre pareil, mais alors, sans ironie aucune, je ne m'étonne pas que nous ne puissions communiquer si nos pensées distinctes n'ont rien de commun entre elles.
Mes propos ayant des conséquences absurdes, sont donc absurdes, et doivent donc trouver en Spinoza leur remise à l'endroit.
J'attends donc avec fièvre votre lumière.

Et puisque j'y suis, sur ce même sujet de l'essence singulière de Pierre, Paul, Jacques et Louisa, et en relation avec le propos plus haut concernant la capacité du corps affecté d'être cause de ...., je vais abuser, car du même coup se sont envolés des pans entiers de ce que je croyais avoir compris, et notamment de E3P4. D'après cette proposition, dixit M. Guéroult, "le mode ne diffère de la substance qu'en ce qu'il n'exclut pas, comme celle-ci, de par sa définition, un principe externe de négation. Bref, toute chose (une chose quelconque) est toujours infinie par sa cause."
Or, notre commun destin est de mourir, majoritairement, de mort faisant suite à vieillesse (pour ne pas dire naturelle). La vieillesse et les affections du corps qui lui sont associées sont-elles externes ou internes à la chose singulière que nous sommes, les progrès de la science pourraient-ils nous mener à la sempiternité post naissance ?
C'est peu dire qu'une construction est fragile et que le déplacement d'un cube met tout l'édifice en l'air.
Je préfère donc penser, dans un premier temps, ne rien avoir compris plutôt que passer Spinoza au rang des souvenirs.

Merci pour votre aide.

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Messagepar Louisa » 14 déc. 2008, 05:37

Bonjour Sinusix,
d'abord merci de votre message. Je crois qu'il m'a permis, pour la première fois, de mieux comprendre en quoi consiste pour vous l'enjeu de cette discussion. Dans ce cas, il faut d'urgence que moi-même aussi je change de méthode. Je ne sais pas encore très bien comment m'y prendre autrement, donc il se peut que la façon dont je vous réponds ci-dessous ne vous convient pas encore très bien, mais disons que "j'y travaille".

Sinusix a écrit :En premier lieu, il ne s'est pas agi d'opposer deux philosophies mais, changeant de méthode avec vous, de m'appuyer sur un large extrait d'un texte particulièrement clair, pédagogique, et à mon sens décomposant parfaitement le processus physique et psychologique en cause, afin de mieux comprendre la pensée de Spinoza sur ce point fondamental pour moi. Car, que vous le vouliez ou non (et je conteste, sans développer pour ma tranquillité provisoire d'esprit, votre vision de la philosophie développée il y a peu et de ses relations avec les sciences physiques), la puissance de l'Ethique, pour ce qui concerne les parties 3, 4 et 5, compte tenu de leur portée pratique excipée, est à analyser au regard de sa pertinence "opérationnelle" concernant notre mode de fonctionnement biologique et psychologique.


en tout cas, je crois que chacun a le droit d'organiser sa vie en fonction des idées qui lui semblent importantes et vraies, ou qui lui semblent garantir le plus de bonheur. Si vous avez trouvé un ensemble d'idées capables de vous assurer une certaine tranquillité d'esprit, c'est déjà énorme. Je n'ai aucune envie (même si mes messages précédents sans doute vous ont donnés l'impression inverse) de venir bousculer ce genre de "constructions", comme vous l'appelez ci-bas. Mon problème se trouve ailleurs: je ne peux pas accepter qu'on me demande de tenir pour vrai ce dont je n'ai pas encore compris la vérité. Par exemple, pour moi essayer de mieux comprendre Spinoza à travers une grille de lecture qui est celle de Bergson ou de la psychologie contemporaine, c'est rater très problablement la pensée spinoziste elle-même. Or en disant cela, je ne dis que ceci: pour l'instant j'ai plus d'arguments pour considérer cette idée comme étant vraie que d'arguments pro la thèse opposée, mais si je veux la vérité, alors je ne peux que souhaiter entendre davantage d'arguments qui confortent la thèse opposée.

Sinon je n'avais pas immédiatement compris qu'en citant Bergson vous étiez en train de changer de méthode (pourtant c'est vrai que c'est le cas), probablement parce que pour moi commenter Spinoza sans le citer est un exercice fort périlleux, et le danger ne devient pas moindre lorsqu'on cite d'autres philosophes. En tout cas merci d'avoir voulu essayer ce changement de méthode. Comme déjà dit, je l'essayerai moi-même aussi, mais pour moi ceci est assez nouveau, donc je n'ai pas encore trop d'idées quant à adopter une autre méthode. J'y réfléchis.

Sinusix a écrit :Ceci étant précisé, je crois que tout ce que vous dîtes sur ce point est faux et je me contenterai, par lassitude, de vous renvoyer au chapitre 5, paragraphe V (pages 108 à 110) du tome II du Spinoza de M. Guéroult, dont j'extrais le passage suivant :
La théorie physique de Spinoza fait, toutefois, justice de cette objection.
En effet, selon l'Axiome 1 (après le Lemme 3, dans le scolie de la proposition XIII), "toutes les manières dont un corps est affecté par un autre suivent de la nature du corps affecté en même temps que de celle du corps qui l'affecte". Ce qui signifie, étant donné l'identité de sequi et de causari, que le corps affecté est tout autant que le corps affectant cause de la nature de l'affection qu'il éprouve[. Il l'est même davantage selon le Corollaire 2 de la proposition 16.


je ne vois pas vraiment le lien entre ce que j'ai dit et cette citation. De prime abord, j'aurais tendance à être d'accord avec Gueroult sur ce point. En quoi serait-ce alors contradictoire avec ce que je viens de dire ... ? Mais ne vous sentez surtout pas obligé de répondre à cette question si cela ne vous convient pas.

Sinusix a écrit :Simultanément, et comme je vous l'ai déjà fait remarquer, vous me semblez confondre la réplication idée/objet fondement du monisme avec une relation causale, ce qui ne fait qu'accroitre la confusion.


de mon point de vue, pour l'instant c'est plutôt l'inverse. Je viens de vous dire que pour moi la version bergsonienne de l'idée/objet (l'idée étant la sensation, l'objet l'impression) n'est pas spinoziste précisément parce que chez lui l'objet semble causer l'idée. Or si vous dites que l'idée est une représentation ou "réplique" de l'objet, on aboutit à mon sens au même problème: si l'idée représente l'objet, alors il faut bel et bien d'abord avoir l'objet, qui ensuite cause la représentation ou l'idée. Inversement, dans votre exemple du sculpteur, l'idée causerait son objet (la statue). A mon avis, les deux sont exclus, chez Spinoza, en vertu même du parallélisme.

Sinusix a écrit :Je ne répondrai pas au reste, qui me laisse pantois, mais, en vous faisant une concession importante, je fais une ultime tentative de changement de méthode.
Je vais suivre ce conseil du Diable, certes boiteux en l'occurrence, et qui s'y connaissait, selon lequel : En renonçant à l'impossible honneur de n'avoir aucun tort, la manière la plus honnête de réparer ses erreurs est d'avoir le courage de les reconnaître.
J'admets donc votre lecture de E2D2, mais ce faisant, me retrouve, à mon âge avancé, pris au piège de devoir jeter au panier une construction qui m'a pris tant d'années (je ne jette pas Bergson ni Proust néanmoins, lesquels au moins me consolent). Je vous sais donc gré de m'aider à recoller les morceaux que voici.


supposons que mon interprétation de l'E2D2 soit vraie (ce qui est à prouver, au sens où pour l'instant ce n'est que vous, sur ce forum, qui dites que c'est le cas, les autres intervenants n'ont pas encore donné leur avis à ce sujet, donc il se peut que quelqu'un un beau jour trouve un argument qui nous permet de comprendre en quoi cette interprétation est fausse). Cela ne signifie pas encore que l'E2D2 en elle-même soit vraie! Car personne ne peut obliger qui que ce soit de comprendre ceci ou cela par le mot "essence". Par conséquent, si cette définition ne vous convient pas, si elle vous oblige de rejetter des idées fort importantes pour votre bonheur, je ne vois pas pourquoi vous devriez la tenir pour vraie, car [i]rien
ne prouve que sur ce point c'est Spinoza qui a eu raison, et non pas Bergson ou Proust tels que vous les lisez. Autrement dit: à mon sens ce n'est pas parce que Spinoza a dit x que x est nécessairement vrai.

Sinusix a écrit :Selon E2Axiome2, L'humain pense (Je corrige un peu le texte pour respecter l'air du temps et ne pas me mettre en contradiction logique du fait de mon appel à vos lumières),
Or Louisa est humaine,
Donc Louisa pense.
Si Louisa pense, j'en déduis qu'à l'Essence singulière de Louisa appartient de penser. Il ne peut s'agir de la "propriété générale" de penser, qui appartiendrait à la "nature humaine" (ou à "l'hommerie", version Montaigne), comme je le défendais jusqu'ici, faute de quoi, selon E2D2, à la disparition de Louisa, que chacun souhaite repousser au plus tard, la "propriété générale" de penser disparaîtrait de la Terre, ce qui est épouvantable.
Il s'agit donc obligatoirement d'un mode singulier de la pensée, à nul autre pareil, mais alors, sans ironie aucune, je ne m'étonne pas que nous ne puissions communiquer si nos pensées distinctes n'ont rien de commun entre elles.
Mes propos ayant des conséquences absurdes, sont donc absurdes, et doivent donc trouver en Spinoza leur remise à l'endroit.
J'attends donc avec fièvre votre lumière.


je ne suis pas certaine de pouvoir vous donner la tranquillité d'esprit que vous cherchez, mais voici au moins une tentative (car nous sommes d'accord pour dire qu'avoir une telle tranquillité est très importante, dans la vie de tous les jours).

D'abord, rappelons qu'en général, les axiomes pour Spinoza sont des "notions communes", c'est-à-dire des idées de propriétés communes (n'hésitez pas à me demander des références précises si vous ne voyez pas immédiatement sur quelle(s) proposition(s) je me base). Que tout homme pense est donc une propriété commune aux hommes. En vertu de l'E2D2, il faut dire que "penser" ne peut donc constituer l'essence d'aucune chose singulière. Est-ce que cela pose problème? A mon avis non, il suffit de dire que ce qui constitue mon essence singulière, ce n'est pas le fait que je pense (cela, tout le monde le fait), mais ce que je pense. En effet, au début de l'E3 Spinoza dit bel et bien que ce qui constitue mon essence, ce sont les idées adéquates et inadéquates qui composent mon Esprit. Donc oui, ce qui appartient à mon essence à tel ou tel moment, ce sont telles ou telles pensées précises, tels ou tels modes de la Pensée précis, et non pas le fait "abstrait" de pouvoir penser.

Est-ce que cela rend la communication entre les hommes impossibles? La question mérite d'être posée. Je crois que non, seulement il faut être extrêmement prudent, car très souvent on ne comprend qu'à moitié ce que l'autre veut dire. En tout cas, on dirait que chez Spinoza on a au moins tous la même idée des propriétés communes (puisqu'on a tous les mêmes propriétés communes, donc on en a tous la même idée adéquate). Sinon je crois qu'effectivement, le fait que parfois il y a tellement de malentendus voire de tensions sur un forum comme celui-ci, c'est sans doute parce que les mots ne communiquement que très imparfaitement les idées, à ce point que Spinoza a pu dire que la source de la majorité des controverses entre les hommes, c'est le fait qu'on associe des idées différentes aux mêmes mots (E2P47 scolie). Morale de cette histoire: il faut être prêt à reformuler beaucoup si l'on veut qu'un jour quelqu'un d'autre saisit réelleement ce qu'on essaie de dire ... .

Sinusix a écrit :Et puisque j'y suis, sur ce même sujet de l'essence singulière de Pierre, Paul, Jacques et Louisa, et en relation avec le propos plus haut concernant la capacité du corps affecté d'être cause de ...., je vais abuser, car du même coup se sont envolés des pans entiers de ce que je croyais avoir compris, et notamment de E3P4. D'après cette proposition, dixit M. Guéroult, "le mode ne diffère de la substance qu'en ce qu'il n'exclut pas, comme celle-ci, de par sa définition, un principe externe de négation. Bref, toute chose (une chose quelconque) est toujours infinie par sa cause."


je dirais: par sa cause immanente (Dieu). Mais non pas par sa cause transitive, qui n'est qu'un autre mode fini (la cause de mon existence dans un temps et un lieu précis, ce sont mes parents, deux autres modes finis).

Sinusix a écrit :Or, notre commun destin est de mourir, majoritairement, de mort faisant suite à vieillesse (pour ne pas dire naturelle). La vieillesse et les affections du corps qui lui sont associées sont-elles externes ou internes à la chose singulière que nous sommes, les progrès de la science pourraient-ils nous mener à la sempiternité post naissance ?


ah mais voici encore une excellente question!! Si la science peut augmenter notre durée de vie, dans quelle mesure cette durée appartenait-elle vraiment à notre "essence" ... ? Si demain un médicament peut faire que vous vivez 50 ans en plus, est-ce que du coup votre essence aura changé, ou est-ce que vous êtes toujours "vous-même", seulement vous vivez plus longtemps?

A mon sens, l'E3P4 nous oblige à dire que pour Spinoza, la mort vient toujours de dehors, elle a toujours une cause externe. Bien sûr, cela ne nous oblige en rien d'être d'accord avec lui. Mais supposons que demain la science découvre "le gène de la vieillesse" (ce qui me semble être peu probable, mais supposons-le un instant). La question restera toujours la même: est-ce notre génome qui définit notre essence singulière ou non? Si en changeant ce gène-là vous vivez 50 ans en plus, est-ce qu'on a changé votre essence même? Ou est-ce que votre essence est plutôt constituée de toutes vos idées, adéquates et inadéquates, indépendamment de la durée de vie que votre corps parcourt? A mon avis, la science ne nous permettra jamais de répondre à ces questions (ce sont donc des questions méta-physiques). C'est aux philosophes, aux métaphysiciens, de proposer à ce sujet un choix, et à justifier ce choix: ou bien on appelle "essence" ce qui enveloppe une durée déterminée, ou bien on appelle "essence" ce qui enveloppe une durée indéfinie (comme le propose Spinoza).

Sinusix a écrit :C'est peu dire qu'une construction est fragile et que le déplacement d'un cube met tout l'édifice en l'air.


en effet. Je crois que fréquenter des philosophes, c'est s'habituer à cela, apprendre à accepter cela, et donc ne pas identifier les constructions conceptuelles par lesquelles nous nous orientons dans la vie (et il en faut!!) à la vérité ultime. C'est apprendre à être prêt à revoir sans cesse les idées qui nous constituent. Seulement, s'il faut reconnaître son tort, je crois que ces derniers temps le mien a été de ne pas trop tenir compte de l'idée que les idées que défendent certains gens sur ce forum ne sont pas juste des idées, ou des idées "neutres", elles constituent en même temps leur essence singulière à eux. Si ceci est correcte, alors cela expliquerait pourquoi pas mal de gens se sentent personnellement ou "existentiellement" attaqués/menacés lorsque je formule quelques objections. Et alors c'est à moi d'apprendre à devenir un peu plus prudente ... . C'est en tout cas ce que votre message m'a fait penser, raison pour laquelle je tiens à vous remercier.

Sinusix a écrit :Je préfère donc penser, dans un premier temps, ne rien avoir compris plutôt que passer Spinoza au rang des souvenirs.


en ce qui me concerne, il m'est très difficile de penser que la "valeur" d'un philosophe dépendrait de l'écart ou non que sa pensée entretiendrait avec ce qu'on pense soi-même être vrai. Puis n'oublions pas, comme Durtal l'a déjà fait remarquer dans un autre fil, que c'est précisément Bergson qui a dit que tout philosophe a deux philosophies, celle de Spinoza et la sienne. Pour moi, cela signifie que l'un n'exclut absolument pas l'autre. Les philosophes donnent des perspectives différentes sur le réel, et ainsi nous ouvrent ce réel dans toutes ses facettes, dans toutes ses "possibilités". En cela ils se complètent mutuellement, plutôt que de s'exclure les unes les autres. Mais vous avez déjà dit que nous n'avons pas la même conception de la philosophie .. je ne peux que vous dire que je suis curieuse d'entendre en quoi consiste la vôtre, mais puisque vous avez dit ne pas avoir trop envie, pour l'instant, de l'expliciter, je ne vais pas insister.
Amicalement,
L.

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Messagepar hokousai » 14 déc. 2008, 12:50

Sinusix dit à Louisa J'admets donc votre lecture de E2D2,

Mais que vouliez- vous tirer l’un et l’autre et de conséquent sur telle ou telle chose de la définition 2 de partie 2 ?

N’importe quoi de présent pose la chose (et pose n’importe quelle chose ) et la suppression de n’importe quoi supprime la chose .
Puisque tout se tient "en spinozisme " il n’y a pas une causes perdue aux confins de l’univers qui ne soit moins nécessaire que les cause proches,pas moins nécessaire à tous les effets possibles et même actuels .
Cette définition est d’une telle généralité qu’on en peut rien tirer d’intéressant sur l’essence d’une chose singulière particulière .

La def 2 partie 2 ! Voila le genre de machine métaphysique qui fonctionnent à vide .(ce qui n’est pas le cas de deux autres définition qui l’encadrent)
D’ où le ratissage tous azimut à la recherche de l’essence de l’homme, par d’autres moyens que celui de cette définition multifonctionnelle (.pour ne pas dire qu’elle sert à tout et à personne )

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Messagepar Sinusix » 14 déc. 2008, 15:15

hokousai a écrit :Sinusix dit à Louisa J'admets donc votre lecture de E2D2,

Mais que vouliez- vous tirer l’un et l’autre et de conséquent sur telle ou telle chose de la définition 2 de partie 2 ?

N’importe quoi de présent pose la chose (et pose n’importe quelle chose ) et la suppression de n’importe quoi supprime la chose .
Puisque tout se tient "en spinozisme " il n’y a pas une causes perdue aux confins de l’univers qui ne soit moins nécessaire que les cause proches,pas moins nécessaire à tous les effets possibles et même actuels .
Cette définition est d’une telle généralité qu’on en peut rien tirer d’intéressant sur l’essence d’une chose singulière particulière .

La def 2 partie 2 ! Voila le genre de machine métaphysique qui fonctionnent à vide .(ce qui n’est pas le cas de deux autres définition qui l’encadrent)
D’ où le ratissage tous azimut à la recherche de l’essence de l’homme, par d’autres moyens que celui de cette définition multifonctionnelle (.pour ne pas dire qu’elle sert à tout et à personne )


Bonjour Hokousai,

Personnellement, démarche professionnelle ancienne et réfléchie, quand je me place en situation de compréhension "empathique" de l'autre et de recherche thématique, j'essaie d'oublier mes "a priori" et d'approfondir le point de difficulté rencontré. Parallèlement, et vous avez raison sur ce point, afin d'éviter l'enlisement inutile ou coûteux, il est judicieux, pour celui qui cherche, de garder à l'esprit la pertinence de l'importance de sa recherche par rapport au problème posé (dimension politique ou économique). Je ne vous apprends pas qu'il s'agit là d'un arbitrage qu'il faut faire quotidiennement dans une vie professionnelle.

Je n'ai fait qu'appliquer le plus honnêtement possible cette méthode au différend qui nous opposait à Louisa sur E2D2, sans chercher à le limiter préventivement au regard d'une prétendue importance de fond que je n'avais pas analysée. En effet, tant du point de vue historique qu'épistémologique, vous observez que ce genre de censure a priori de la recherche libérée, toujours pour des motifs supérieurs, a été le bouclier de la pensée établie.

Ceci dit, il est loisible de vous entendre, sinon de vous suivre dans votre affirmation péremptoire, quoique un peu "hexagonale" pour moi. Car au terme de cette discussion, que j'envisageais comme hypothèse de travail, que devons-nous conclure sinon que la notion d'essence, chez Spinoza, du fait du bouleversement qu'il lui apporterait, est d'une importance secondaire et contribue marginalement à la compréhension de son projet.
En effet, la lecture combinée de E2D2 et de E2P37 a conduit finalement Louisa, que je suis prêt à suivre, à cantonner l'essence de Pierre à ce qui le caractérise singulièrement (la mèche de cheveux rebelle, la fossette, son amour exagéré des automobiles, son point de vue sur Claire Chazal, etc.) et jamais par ce qui l'apparente à tous ses "semblables" et donc révèle presque intégralement son comportement.

A ce point donc, compte tenu de son "énormité" philosophique et pratique, la conclusion serait dérangeante si elle était importante.
Vous nous affirmez pérempoirement qu'elle ne l'est pas au regard des deux définitions qui encadrent E2D2.
Compte tenu de l'autorité que vos interventions révèlent, je suis enclin à conclure qu'il me faut travailler pour vous entendre mieux et effectivement mettre définitivement de coté un débat que vous jugez inutile. J'ai du mal néanmoins à penser que Spinoza a glissé incidemment des définitions d'une telle généralité qu'elles seraient inutiles.
Avant donc de présupposer une incohérence locale de la pensée de Sinoza, il m'apparaît plus judicieux, sans humilité exacerbée, de penser que je n'ai pas bien compris, comme vous peut-être, et par conséquent de chercher à mieux comprendre.
En tout état de cause, c'est ce que je viens de faire sous l'aiguillon de Louisa, et je continue d'abreuver, avec béatitude, ma soif de comprendre ce texte et mes semblables.
Amicalement

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Messagepar hokousai » 14 déc. 2008, 19:03

cher Sinusix

Pour ce que j 'ai lu de ces longs débats sur l'essence

Sescho a bien lu le traité de la réforme de l'entendement (par ex de 50 à la fin )Spinoza s'y montre plutôt aristotélicien,voire platonicien ,enfin grec ou alors scolastique

Louisa a bien lu l' éthique ( Serge aussi d'ailleurs ) Spinoza semble infléchir sa position vers une sorte d' existentialisme .(""" l'essence de l' homme est une manière (un mode ) qui exprime la nature de dieu de manière précise et déterminée "")

Comparez avec le traité (57) ""cette essence intime des chose doit être acquise des chose fixes éternelles et aussi des lois ""

je réitère que je ne sais pas trop quoi tirer de la def2 partie 2 , je la comprends plus ou moins comme une exécution de l'essence scolastique ..sinon comme une exécution tout court de la question de l'essence .

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Messagepar Louisa » 15 déc. 2008, 04:39

Hokousai a écrit :Pour ce que j 'ai lu de ces longs débats sur l'essence

Sescho a bien lu le traité de la réforme de l'entendement (par ex de 50 à la fin )Spinoza s'y montre plutôt aristotélicien,voire platonicien ,enfin grec ou alors scolastique

Louisa a bien lu l' éthique ( Serge aussi d'ailleurs ) Spinoza semble infléchir sa position vers une sorte d' existentialisme .(""" l'essence de l' homme est une manière (un mode ) qui exprime la nature de dieu de manière précise et déterminée "")

Comparez avec le traité (57) ""cette essence intime des chose doit être acquise des chose fixes éternelles et aussi des lois ""


Cher Hokousai,

pour autant que je sache, ceux qui défendent l'idée d'une essence singulière se basent en général aussi bien sur l'Ethique que sur le Traité de la réforme de l'entendement, puisque dans ce dernier ouvrage Spinoza distingue explicitement Pierre en tant qu'essence formelle de l'"essence particulière" qu'est l'idée que Pierre est (= son essence objective) (TIE B34-G14). Si dans l'Ethique jamais Spinoza n'utilise l'espression "essence particulière" ou "essence singulière" (il faut donc la déduire si l'on adhère à la thèse que dans l'Ethique toute essence est singulière), en ce qui concerne le Traité de la réforme de l'entendement ou TIE elle y figure littéralement.

En revanche, ceux qui défendent l'idée que dans le spinozisme le terme "essence" désignerait exactement ce qu'il désigne pour Aristote et pour une majorité de la scolastique, se basent bien plutôt sur le Court Traité, ouvrage dont on sait qu'il préfigure l'Ethique mais où sur pas mal de points Spinoza prend une position différente (et moins originale) que ce qu'il proposera plus tard dans son oeuvre majeure. C'est le cas pour la notion de l'essence (on a pu le découvrir grâce à une remarque d'Enegoid, voir l'un de ses messages ci-dessus).

En effet, comme l'a signalé Enegoid, Spinoza utilise également la notion d'essence dans le CT, et cela dès le premier chapitre de la première partie, où une note en bas de page explique dans quel sens il comprend le mot "essence":

"Entendez: cette nature déterminée par quoi la chose est ce qu'elle est, et qui ne peut en être en aucune façon séparée, sans que la chose elle-même soit aussitôt anéantie; c'est ainsi qu'il apparait par exemple à l'essence d'une montagne d'avoir une valée, ou que l'essence d'une montagne consiste en ce qu'elle a une valée, ce qui est une vérité éternelle et immuable et doit toujours être dans le concept d'une montagne, même si elle n'a jamais existé ni n'existe".

Ici, on voit que Spinoza ne reprend que la première partie de ce qui sera par après la définition de ce qui constitue une essence dans l'Ethique: ce qui dans le CT constitue une essence est ce sans quoi la chose ne peut être. On a ici la définition traditionnelle de l'essence, que Spinoza ne fait que reprendre telle quelle (comme le fait Sescho). Socrate est un homme parce que ce qui le constitue, c'est le fait d'être rationnel et le fait d'être un animal (si l'on accepte un instant l'idée de définir l'humanité par le fait d'être un animal rationnel). Mais, comme l'a bien compris Sinusix, ceci implique que lorsque Socrate meurt, l'humanité ne meurt pas. Les propriétés "être un animal" et "être rationnal" continueront toujours à exister, puisqu'elle constituent l'essence de milliers d'autres hommes.

Ce que la définition de l'Ethique y ajoute, c'est l'inverse: ce qui constitue une essence, c'est ce qui sans la chose ne peut être. C'est alors qu'on abandonne toute "essence de genre", pour aller rejoindre un nominalisme proche de celui d'Ockham (mais différent néanmoins): toute essence devient singulière. Car supposons que ce soit toujours "être un animal rationnel" qui constitue l'essence de Socrate. Si ce qui constitue cette essence doit disparaître dès que Socrate disparaît, comme l'exige la deuxième partie de l'E2D2, alors plus personne ne serait un animal rationnel après la mort de Socrate. Si l'on définit l'essence de l'Homme par ces deux critères, alors il faudra dire qu'il n'y a plus d'hommes après Socrate. Ce qui est absurde. Par conséquent, ce qui constitue l'essence de Socrate ne peut constituer que cette essence-là et aucune autre essence, dès qu'on dit que ce qui constitue une essence c'est ce qui sans cette chose ne peut être. Tout ce qui caractérise l'Homme en général devient donc une "propriété commune" aux Individus qui possèdent ces critères, tandis que l'essence de chaque Individu ne contient plus que ce qui lui appartient en propre, que ce qui n'appartient qu'à lui. C'est là que s'opère une véritable révolution conceptuelle, qui a pas mal de conséquences pour notre façon habituelle de penser, si l'on veut la prendre au sérieux. Bien sûr, personne n'est obliger de définir l'essence ainsi, on peut très bien s'en tenir à la définition aristotélico-scolastique. Seulement, il faudra bien proposer une autre analyse de l'E2D2 si l'on adhère à la thèse que pour le Spinoza de l'Ethique (ou du TIE), les essences ne sont pas singulières mais "de genre". Ce que pour l'instant personne ici n'a fait (mais dont on ne peut a priori exclure la possibilité, bien sûr).

Hokousai a écrit :je réitère que je ne sais pas trop quoi tirer de la def2 partie 2 , je la comprends plus ou moins comme une exécution de l'essence scolastique ..sinon comme une exécution tout court de la question de l'essence .


si vous voulez absolument définir l'essence par sa définition aristotélicienne, alors il faut en effet dire que l'E2D2 n'est plus une définition d'essence, puisqu'elle la modifie radicalement. Mais bon, Ockham, Spinoza et d'autres ont bel et bien parlé d'une "essence" singulière, donc pour moi cela signifie qu'il ne s'agit pas d'une exécution de la question de l'essence (cela on l'aura plutôt chez Deleuze et autres), mais d'une autre conception de l'essence.

Vous avez dit ci-dessus que pour vous tenir compte de cette E2D2 n'est pas très important. Je crois qu'il s'agit d'une erreur, et cela pour deux raisons (hormis celles déjà mentionnées par Sinusix):

1. Dans le TIE Spinoza dit qu'il nous faut une nouvelle méthode, et que cette méthode consistera en deux choses: d'abord essayer de comprendre ce que c'est qu'une perception vraie, puis essayer de savoir ce que c'est qu'une bonne définition. Cela montre que pour Spinoza, les définitions sont importantes. En effet, dans tout traité more geometrico, les définitions sont la base de toute vérité (et non pas les propriétés communes ou axiomes, qui ne viennent qu'en deuxième lieu, comme on le constate aussi bien chez Euclide que chez Spinoza).

2. L'E2D2 est la seule chose sur laquelle la démonstration de l'E2P37 se base. Or l'E2P37 nous parle des notions communes, c'est-à-dire du fondement même du deuxième genre de connaissance. Sans l'E2D2, le deuxième genre de connaissance ne serait pas possible. Or on sait que le troisième genre de connaissance (= liberté ou béatitude) ne naît que du deuxième (ou d'autres idées adéquates produites par le troisième). Par conséquent, l'E2D2 est la base même de toute connaissance adéquate, chez Spinoza. Et donc à mon sens cela vaut la peine de s'y attarder un instant, afin de bien comprendre toute sa portée.

Enfin, dans ce fil on se demande ce que pourrait être le "sentiment même de soi" dans le spinozisme. S'interroger sur ce qu'est chez Spinoza la singularité et l'essence est assez inévitable, je crois, si l'on veut pouvoir trouver une réponse à cette question.
L.
Modifié en dernier par Louisa le 15 déc. 2008, 06:19, modifié 1 fois.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 15 déc. 2008, 05:21

Sinusix a écrit :Car au terme de cette discussion, que j'envisageais comme hypothèse de travail, que devons-nous conclure sinon que la notion d'essence, chez Spinoza, du fait du bouleversement qu'il lui apporterait, est d'une importance secondaire et contribue marginalement à la compréhension de son projet.


Bonjour Sinusix,
étant en gros d'accord avec votre dernier message, je voulais juste revenir un instant sur ceci. A mon avis, le fait même que Spinoza a voulu révolutionner le concept d'essence nous oblige à prendre cela au sérieux au lieu de supposer que cela n'a qu'une importance secondaire.

Car justement, d'abord Spinoza et l'opinion commune contemporaine semblent être d'accord pour dire que jamais la science ne nous donnera accès à la singularité, puisqu'elle ne peut parler que de l'universel ou du général, autrement dit des propriétés communes (à mon sens que, l'on pense à ses propriétés en général ou qu'on les applique à tel ou tel Individu n'y change rien, on reste dans les propriétés communes et donc on reste hors de l'essence ou de la singularité).

Or pour Spinoza, la connaissance de l'essence et donc du singulier est tout à fait possible. C'est même exactement le rôle du troisième genre de connaissance. Et celui-ci n'est pas secondaire dans le projet de Spinoza, dès le TIE c'est le but même de toute sa philosophie, c'est celui qui nous donne accès à la Liberté, à l'Amour intellectuel de Dieu, au Salut, au Bonheur suprême, bref à tout ce que Spinoza a cherché dès le début, dès qu'il a commencé à écrire de la philosophie. Bien sûr, cette connaissance n'est plus "scientifique", elle n'est plus "rationnelle", elle est appelée par Spinoza "intuitive", c'est-à-dire elle ne se fonde plus sur les propriétés communes des les choses, mais sur l'essence de l'attribut, pour obtenir une connaissance de l'essence des choses. Si l'E2D2 nous oblige à n'accepter que des essences singulières, alors il faut dire que la Liberté spinoziste consiste en la connaissance - intuitive et non pas scientifique ou rationnelle - des esssences singulières d'un maximum de choses.

Or il se fait qu'aujourd'hui, spontanément on ne travaille plus avec le concept de "connaissance intuitive" ou d'"intellection intuitive". Kant a rejeté de tels genres de connaissance, disant qu'elles sont impossibles, des "illusions métaphysiques" (ils témoigneraient même de la "hubris" humaine, d'une surestimation de la puissance de penser de l'homme, etc.). Pour autant que je l'aie compris, c'est la même idée que Sescho défend ici: non seulement il n'y aurait pas d'essences singulières dans le spinozisme (dans le monde?), mais défendre l'idée d'une connaissance du singulier, ce serait donner trop d'importance à son "ego" (être "orgueilleux") etc. Bref, on retrouve le même rejet kantien et "moralisant" (c'est-à-dire renvoyant à une faute d'ordre morale) de l'idée qu'une connaissance du singulier serait possible.

Cette idée kantienne, comme toute idée, mérite bien sûr d'être respectée en tant que telle (on sait que Kant a été l'un des plus grands philosophes de l'histoire de la philosophie, un philosophe absolument génial). La seule question qui se pose, à mon sens, est plutôt: est-ce la seule idée possible de la connaissance et de l'essence? Et là il me semble que l'E2D2 et l'E5 nous obligent à reconnaître que non, d'autres idées sont possibles aussi, Spinoza (notamment) les a proposées.

Par conséquent, qu'aujourd'hui l'opinion commune soit beaucoup plus kantienne que spinoziste (puisqu'elle travaille avec l'idée du libre arbitre, avec l'idée de l'impossibilité de l'intellection intuitive etc.) ne garantit en rien qu'elle soit plus "vraie" que le spinozisme (comme vous venez de le rappeler vous-même, parfois il faut avoir le courage de remettre en question des idées reçues, si ce que l'on veut obtenir c'est la vérité). Dès lors, on ne peut pas a priori écarter la possibilité que chez Spinoza une connaissance de l'essence singulière est concevable sur base du simple constat qu'on a tendance à croire aujourd'hui que cela n'est pas possible, ou que ce n'est pas ce dont s'occupe la science. Il faut pouvoir réellement montrer que pour Spinoza une autre connaissance, à côté de la science (= 2e genre de connaissance) était impossible ou inconcevable. Ce que non seulement pour l'instant personne ne l'a fait (si j'ai bien compris, à vérifier), mais qui plus est, l'E2D2 plus la définition même du troisième genre de connaissance (E2P40 scolie II) à mon sens indiquent explicitement l'inverse (à savoir que dans le spinozisme la connaissance du singulier et d'une essence singulière soient possible; seulement elle est "intuitive" et non plus "rationnelle" ... à nous donc d'essayer de découvrir de quel type d'"intuition" il pourrait s'agir).
L.

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Messagepar Enegoid » 15 déc. 2008, 12:38

Louisa a écrit :on voit que Spinoza ne reprend que la première partie de ce qui sera par après la définition de ce qui constitue une essence dans l'Ethique: ce qui dans le CT constitue une essence est ce sans quoi la chose ne peut être. On a ici la définition traditionnelle de l'essence, que Spinoza ne fait que reprendre telle quelle (comme le fait Sescho).


Avez-vous lu le §5 de la préface de la 2ème partie du CT ?

Il me semble qu'on y retrouve la même définition que celle donnée dans l'Ethique. J'avais pris pour argent comptant votre théorie d'un changement de concept d'essence entre le CT et l'Ethique. Je ne suis pas sûr, finalement, que vous ayez raison sur ce point.

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Messagepar Sinusix » 15 déc. 2008, 14:07

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Car au terme de cette discussion, que j'envisageais comme hypothèse de travail, que devons-nous conclure sinon que la notion d'essence, chez Spinoza, du fait du bouleversement qu'il lui apporterait, est d'une importance secondaire et contribue marginalement à la compréhension de son projet.


Bonjour Sinusix,
étant en gros d'accord avec votre dernier message, je voulais juste revenir un instant sur ceci. A mon avis, le fait même que Spinoza a voulu révolutionner le concept d'essence nous oblige à prendre cela au sérieux au lieu de supposer que cela n'a qu'une importance secondaire.

Or pour Spinoza, la connaissance de l'essence et donc du singulier est tout à fait possible. C'est même exactement le rôle du troisième genre de connaissance. Et celui-ci n'est pas secondaire dans le projet de Spinoza, dès le TIE c'est le but même de toute sa philosophie, c'est celui qui nous donne accès à la Liberté, à l'Amour intellectuel de Dieu, au Salut, au Bonheur suprême, bref à tout ce que Spinoza a cherché dès le début, dès qu'il a commencé à écrire de la philosophie. Bien sûr, cette connaissance n'est plus "scientifique", elle n'est plus "rationnelle", elle est appelée par Spinoza "intuitive", c'est-à-dire elle ne se fonde plus sur les propriétés communes des les choses, mais sur l'essence de l'attribut, pour obtenir une connaissance de l'essence des choses. Si l'E2D2 nous oblige à n'accepter que des essences singulières, alors il faut dire que la Liberté spinoziste consiste en la connaissance - intuitive et non pas scientifique ou rationnelle - des esssences singulières d'un maximum de choses.
L.


Louisa, Hokousai, bonjour

Je me réfère, pour rebondir, à ce dernier message de Louisa, auquel j'associe son précédent et celui d'Hokousai, et en particulier son ouverture existentialiste.
Je précise en premier lieu que j'acquiesce totalement au paragraphe ci-dessus seul conservé de Louisa, lequel est en phase avec une de mes avancées précédentes selon laquelle le 2ème genre était le domaine de la connaissance "scientifique" (l'intelligible) et le 3ème genre celui de l'accès "intuitif" aux essences individuelles, à partir duquel notamment nous pourrions comprendre des particularités humaines, notamment les particularités artistiques, lesquelles sont une forme de communication entre êtres humains de l'incommunicable, à savoir la perception des "essences individuelles".
Ceci précisé, j'observe que notre longue discussion m'a permis de fonder "rationnellement" ce qui n'était qu'intuition timide au départ.
Nous assistons bien à un "éreintement" de la notion d'essence, lequel m'apparaît somme toute logique. En effet, à partir du moment où, chez Spinoza, il y a immanence entre Dieu/Nature et les choses singulières, même par modes interposés, il ne peut y avoir place à aucune "transitivité" entre ce que devraient être lesdites choses (en puissance = essence réalisée) et ce qu'elles sont effectivement en acte. En un sens, il y a bien existentialisme dans la mesure tautologique où la chose est ce qu'elle est, autrement dit, comme Durtal, que sa nature est ce par quoi la chose est ce qu'elle est. Autrement dit encore, la notion "normative" liée à l'essence d'une chose, dans sa lecture classique, a complètement disparu, pour laisser place au simple constat, de la même manière qu'en Dieu il n'y a pas d'idée des choses qui soit pensée, au sens de logiquement antérieure, à leur existence constatée. Nous sommes donc bien devant une construction "sui generis" de chaque chose singulière, à laquelle il est impossible d'adosser une quelconque réalisation d'essence singulière clairement circonscrite et préexistante (au sens de volontarisme de réalisation d'une essence déterminée).
Ceci admis, puisque, pour la chose pensante que nous sommes, l'intelligible de l'existant ne se réfère plus à l'ex ante mais à l'ex post, deux voies, complémentaires et non alternatives de mon point de vue, sont offertes pour connaître Pierre, la montagne ou l'escargot : 1/ la voie "scientifique" qui débouche sur lois et notions communes, raison raisonnante qui est la base du fonctionnement collectif des sociétés ; 2/ la voie "mystique ou intimiste" de la connaissance de l'autre en particulier et de "l'adhésion" en Dieu/Nature, c'est-à-dire son respect, c'est-à-dire son amour.

Il y aurait donc bien chez Spinoza une forme d'existentialisme larvé, il y aurait donc bien une forme d'éreintement de la notion d'essence dans son sens classique devenu inopérationnel, il y a bien un renversement révolutionnaire des concepts, toutes choses qui peuvent expliquer la coïncidence des bases de certains philosophes contemporains, spinozistes, matérialistes, Nietzschéens, etc.
Resterait donc à comprendre le principal, le plus obscur mais le plus riche, le 3ème genre, que je ne peux m'empêcher d'associer à ceci : Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'éfifice immense du souvenir.
Amicalement

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Messagepar hokousai » 15 déc. 2008, 14:27

à Louisa


Ce que la définition de l'Ethique y ajoute, c'est l'inverse:


j"adore !

""Ajouter l'inverse"" , c'est soit se contredire , soit tourner casaque .


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