Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 15 déc. 2008, 15:43

Enegoid a écrit :
Louisa a écrit :on voit que Spinoza ne reprend que la première partie de ce qui sera par après la définition de ce qui constitue une essence dans l'Ethique: ce qui dans le CT constitue une essence est ce sans quoi la chose ne peut être. On a ici la définition traditionnelle de l'essence, que Spinoza ne fait que reprendre telle quelle (comme le fait Sescho).


Avez-vous lu le §5 de la préface de la 2ème partie du CT ?

Il me semble qu'on y retrouve la même définition que celle donnée dans l'Ethique. J'avais pris pour argent comptant votre théorie d'un changement de concept d'essence entre le CT et l'Ethique. Je ne suis pas sûr, finalement, que vous ayez raison sur ce point.


Bonjour Enegoid,
je viens d'aller voir le paragraphe en question sur ce site. Je le recopie d'abord:

Court Traité préface 2e partie par. 5 a écrit :(5) Et, quant à la règle fondamentale qu'ils invoquent, à savoir : que ce sans quoi une chose ne peut ni subsister ni être comprise appartient à la nature de cette chose, nous ne la nions pas, car nous avons déjà prouvé que, sans Dieu, aucune chose ne peut ni subsister ni être comprise ; c'est-à-dire que Dieu doit exister et être compris avant que les choses particulières existent et soient comprises. Nous avons aussi montré que ce qui appartient à la nature de la définition, ce ne sont pas les concepts génériques (genus et species), mais ce sont les choses qui peuvent exister sans d'autres et être conçues sans elles. Cela étant, quelle règle poserons-nous pour savoir ce qui appartient à la nature d'une chose ? Celle-ci : nous disons appartenir à la nature d'une chose ce sans quoi cette chose ne peut ni exister ni être comprise, mais de telle façon que la réciproque soit vraie, c'est-à-dire de telle sorte que le prédicat ne puisse lui-même ni exister ni être conçu sans cette chose.


je crois qu'ici nous avons effectivement exactement la même chose que dans l'E2D2. Il dit même explicitement que les concepts de genre et d'espèce ne peuvent appartenir à la nature de la définition. C'est à mon sens ce qui confirme encore une fois que dire que Socrate est un homme c'est ne rien dire de son essence, pour Spinoza.

Or la première note du CT que vous aviez soulevée (et que je venais de citer ci-dessus) semble tout de même se limiter à la première partie de la définition seule, ce que Spinoza ici appelle la "règle générale", puisque toute montagne a une vallée (on pourrait dire que cela appartient à l'essence du genre "montagne" que d'avoir une vallée).

Par conséquent, on aurait dans le CT la même "évolution" que ce qu'on pourrait trouver dans l'Ethique: Spinoza semble d'abord utiliser le mot "essence" au sens traditionnel, jusqu'à ce qu'il donne dans un deuxième temps sa propre définition de l'essence, qui y ajoute la proposition inverse ou "réciproque".

Merci beaucoup pour la remarque!!
L.

PS: précisément parce que les commentateurs préviennent qu'il y ait des changements de position entre le CT et l'Ethique, je n'ai pas encore trop étudié en détail le CT pour l'instant, essayant d'abord d'approfondir l'Ethique et le TIE (en ce qui concerne les oeuvres non politiques) en tant que tels, donc il est certain qu'à ce sujet il ne faut pas prendre ce que j'écris pour de l'argent comptant (d'ailleurs je crois qu'en général le pire service qu'on peut rendre à un interlocuteur dans une discussion philosophique, c'est le croire sur parole).

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Messagepar hokousai » 15 déc. 2008, 22:52

à Enégoid et à Louisa


Celle-ci : nous disons appartenir à la nature d'une chose ce sans quoi cette chose ne peut ni exister ni être comprise, mais de telle façon que la réciproque soit vraie, c'est-à-dire de telle sorte que le prédicat ne puisse lui-même ni exister ni être conçu sans cette chose.


Si je comprends bien :"" Socrate est blanc"" , le blanc est de la nature de Socrate si c’est ce blanc là et non le blanc en général .
Appartient à la nature de Socrate le blanc de sa peau et non le blanc du mur d’ en face .

Si l’espèce de couleur blanche appartenant au genre couleur ne peut entrer dans la définition de la nature de Socrate comment définissez- vous Socrate ?

Certainement pas en tant qu’il est blanc , car Socrate n’est pas blanc ,il est d’une couleur socratique ,et encore est-il dune couleur ? non il est socratiquement socratique sous tous les aspects (et certainement, par suite,impossible à plus définir par aucune de ses qualités autres ).

Reste une définition basique Socrate c’est Socrate (rien à redire )

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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 16 déc. 2008, 11:32

Bonjour,

Je rebondis brièvement sur ce dernier message d'Hokousai, lequel est frappé du bon sens conclusif de nos échanges précédents, à savoir qu'en terme de définition de chose singulière la "restriction" de l'essence à laquelle aboutit Spinoza est tautologique, et ne peut être autre, à savoir que la nature de Socrate est sa Socracité.
En clair, et sinon il y a problème, l'essence de Socrate ne "préexiste" pas à son existence, bien qu'elle soit, par construction, possible parce que "présente" en Dieu.
Mais, si Socrate n'est pas "définissable" a priori selon la terminologie classique de la recherche de sa nature, il est connaissable par deux approches, complémentaires selon moi, à savoir :
1/ une approche "scientifique" au terme de laquelle, via les notions communes, nous allons ranger Socrate parmi les hommes, de peau blanche, sachant écrire et philosopher, etc, et,
2/ au travers du contact direct pour ses contemporains, au travers de la mémoire qu'il a laissée chez d'autres et qu'ils nous ont transmise, une approche "intuitive" de ce qu'il fut, propre à chacun, approche rendue possible par les oeuvres orales de l'esprit qu'il a laissées à ses contemporains et que certains de ces derniers ont transmises par écrit à la postérité, faute desquelles oeuvres de l'esprit, "l'essence" particulière de Socrate aurait été définitivement perdue.
Tout cela devient intéressant et me titille du côté Proustien encore une fois (l'Art, la littérature, la musique, la peinture et la recherche du temps perdu).........
Amicalement

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Messagepar Louisa » 16 déc. 2008, 12:23

Hokousai a écrit :Si l’espèce de couleur blanche appartenant au genre couleur ne peut entrer dans la définition de la nature de Socrate comment définissez- vous Socrate ?

Certainement pas en tant qu’il est blanc , car Socrate n’est pas blanc ,il est d’une couleur socratique ,et encore est-il dune couleur ? non il est socratiquement socratique sous tous les aspects (et certainement, par suite,impossible à plus définir par aucune de ses qualités autres ).


cher Hokousai,
d'abord je ne suis pas certaine que pour Spinoza donner une définition d'une chose singulière soit possible. Si les essences sont l'objet du troisième genre de connaissance, elles relèvent d'une connaissance intuitive, et non pas d'une connaissance rationnelle ou "scientifique" (tandis qu'une définition appartient par excellence à une connaissance more geometrico).

Puis qu'est-ce qui pourrait constituer l'essence d'un Corps humain? Spinoza le dit-il quelque part? Il dit en tout cas de quoi est constituée l'essence de l'Esprit: de ses idées adéquates et inadéquates (début E3). Faudrait-il en conclure que ce qui constitue l'essence du Corps, ce sont toutes ses affections? Cela ne m'est pas encore très clair.

En attendant, je dirais donc que Socrate n'est certainement pas "socratiquement socratique sous tous les aspects", puisque sous pas mal d'aspects, Socrate a des propriétés communes avec d'autres choses singulières. Ce n'est que sous l'aspect de son essence qu'on a quelque chose de tout à fait singulier, et par là même indéfinissable (c'est-à-dire non connaissable par une définition, non connaissable en appliquant une définition à la chose singulière). Raison pour laquelle Spinoza dit que ce qui cause l'essence d'un mode fini ce n'est jamais Dieu en tant qu'il est un autre mode fini, mais toujours Dieu en tant que cause immanente (car si l'essence de Pierre pouvait causer l'essence de Paul, non seulement Pierre et Paul doivent avoir quelque chose en commun (ce qui est le cas), mais l'essence de Pierre devrait avoir quelque chose en commun avec l'essence de Paul, ce qui est impossible, en vertu de l'E2D2 et du CT II préface 5). A mon sens c'est également cela qu'il appelle dans le TIE la "force native" (vis nativa) d'une chose : "Par force native, j'entends ce qui n'est pas causé en nous par des causes extérieures (...)" (TIE B31-G14 note k).
L.

PS à Sinusix: une réponse à votre dernier message arrive sous peu.
Modifié en dernier par Louisa le 16 déc. 2008, 12:48, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 16 déc. 2008, 12:28

(PS: mon dernier message a croisé celui de Sinusix)

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Messagepar hokousai » 16 déc. 2008, 14:13

à LOuisa


mais l'essence de Pierre devrait avoir quelque chose en commun avec l'essence de Paul, ce qui est impossible, en vertu de l'E2D2 et du CT II préface 5).


Mais alors l’essence de la main gauche de Paul n’ a rien de commun avec l’essence de la main droite de Paul .
Sauf si la main gauche n’ a pas plus d’essence que la main gauche !!

Mais au fait quelles sont les choses qui ont une essence ? Il y a t-il un domaine réservé et des choses qui donc auraient une essence et d’autres non ?
Est-ce qu’un balai brosse a une essence mais ni la brosse ni le manche ?

La statégie de définition de Spinoza ( exposée dans le traité de l’entendement(51 et suivante ) devrait être productive .Vous ne devriez avoir aucune difficulté à définir l’ homme (puisque vous refusez de définir Socrate )
Essayez de me donner une définition de l’homme dont toutes les propriétés puisse être conclues .
Ou bien une du carré (exemple de figure simple ).Une définition du carré d’ où peut être conclue que sa diagonale est un irrationnel. Ce après avoir intuitionné par la connaissance du troisième genre ce que c’est qu’un carré .

Hokousai

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Messagepar Louisa » 17 déc. 2008, 00:01

Hokousai a écrit :Mais alors l’essence de la main gauche de Paul n’ a rien de commun avec l’essence de la main droite de Paul .
Sauf si la main gauche n’ a pas plus d’essence que la main gauche !!

Mais au fait quelles sont les choses qui ont une essence ? Il y a t-il un domaine réservé et des choses qui donc auraient une essence et d’autres non ?
Est-ce qu’un balai brosse a une essence mais ni la brosse ni le manche ?


à mon avis dans le spinozisme tout ce qui peut produire un effet doit avoir une puissance, et donc une essence. Les Individus qui composent d'autres Individus ont deux eux aussi une essence. Bien sûr, cela implique qu'il faut concevoir l'expression "avoir quelque chose en commun" autrement que par le sens commun du terme, sinon cela devient absurde.

Hokousai a écrit :La statégie de définition de Spinoza ( exposée dans le traité de l’entendement(51 et suivante ) devrait être productive .Vous ne devriez avoir aucune difficulté à définir l’ homme (puisque vous refusez de définir Socrate )


en effet, à condition que l'Homme a une essence, c'est-à-dire est un Individu qui peut produire un effet. Or l'Homme n'est qu'une abstraction, ce qui dans un nominalisme signifie qu'il n'existe que dans l'entendement humain. On pourrait alors donner une définition de cet être de raison, mais même cela, pour autant que je sache (à vérifier) Spinoza ne fait pas.

Hokousai a écrit :Essayez de me donner une définition de l’homme dont toutes les propriétés puisse être conclues .
Ou bien une du carré (exemple de figure simple ).Une définition du carré d’ où peut être conclue que sa diagonale est un irrationnel. Ce après avoir intuitionné par la connaissance du troisième genre ce que c’est qu’un carré .


je ne crois pas que le troisième genre de connaissance précède le deuxième. Spinoza dit qu'il peut naître du deuxième, pas l'inverse. Sinon il donne dans le TIE la définition du cercle qui permet d'en déduire toutes ses autres propriétés, donc je ne vois pas pourquoi cela serait impossible en ce qui concerne le carré. Il suffit de tenir compte du fait que ce soit une définition génétique, c'est-à-dire une définition qui caractérise le carré par sa cause prochaine, par ce qu'il faut faire pour produire un carré.
L.

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Messagepar Louisa » 17 déc. 2008, 00:42

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :Or pour Spinoza, la connaissance de l'essence et donc du singulier est tout à fait possible. C'est même exactement le rôle du troisième genre de connaissance. Et celui-ci n'est pas secondaire dans le projet de Spinoza, dès le TIE c'est le but même de toute sa philosophie, c'est celui qui nous donne accès à la Liberté, à l'Amour intellectuel de Dieu, au Salut, au Bonheur suprême, bref à tout ce que Spinoza a cherché dès le début, dès qu'il a commencé à écrire de la philosophie. Bien sûr, cette connaissance n'est plus "scientifique", elle n'est plus "rationnelle", elle est appelée par Spinoza "intuitive", c'est-à-dire elle ne se fonde plus sur les propriétés communes des les choses, mais sur l'essence de l'attribut, pour obtenir une connaissance de l'essence des choses. Si l'E2D2 nous oblige à n'accepter que des essences singulières, alors il faut dire que la Liberté spinoziste consiste en la connaissance - intuitive et non pas scientifique ou rationnelle - des esssences singulières d'un maximum de choses.


Louisa, Hokousai, bonjour

Je me réfère, pour rebondir, à ce dernier message de Louisa, auquel j'associe son précédent et celui d'Hokousai, et en particulier son ouverture existentialiste.
Je précise en premier lieu que j'acquiesce totalement au paragraphe ci-dessus seul conservé de Louisa, lequel est en phase avec une de mes avancées précédentes selon laquelle le 2ème genre était le domaine de la connaissance "scientifique" (l'intelligible) et le 3ème genre celui de l'accès "intuitif" aux essences individuelles, à partir duquel notamment nous pourrions comprendre des particularités humaines, notamment les particularités artistiques, lesquelles sont une forme de communication entre êtres humains de l'incommunicable, à savoir la perception des "essences individuelles".
Ceci précisé, j'observe que notre longue discussion m'a permis de fonder "rationnellement" ce qui n'était qu'intuition timide au départ.
Nous assistons bien à un "éreintement" de la notion d'essence, lequel m'apparaît somme toute logique. En effet, à partir du moment où, chez Spinoza, il y a immanence entre Dieu/Nature et les choses singulières, même par modes interposés, il ne peut y avoir place à aucune "transitivité" entre ce que devraient être lesdites choses (en puissance = essence réalisée) et ce qu'elles sont effectivement en acte.


Bonjour Sinusix,
si vous voulez appeler cette immanence un "éreintement" de la notion de l'essence, je crois qu'on peut le faire, mais en tenant compte du fait que Spinoza ne détruit pas uniquement la notion classique de l'essence, il propose également une autre notion de l'essence. Ce n'est donc pas la notion d'essence elle-même que l'on perd, puisque fidèle à sa méthode Spinoza rend plutôt l'idée traditionnelle et selon lui inadéquate de l'essence plus "vraie" en y ajoutant quelque chose. Il le reprend entièrement (c'est la première condition de l'E2D2), pour y ajouter la proposition inverse (ou puisque "inverse" semble choquer Hokousai, "réciproque" (il s'agit du vice versa de l'E2D2, que Pautrat traduit par "inversement")). Il la complète, pourrait-on dire. A mon sens, cela signifie qu'il lui donne plus de poids encore, et le fait que le troisième genre de connaissance, celui qui nous donne la Liberté et la Béatitude, est précisément connaissance des essences me semble confirmer l'idée que chez Spinoza la notion d'essence devient plus centrale encore que dans d'autres philosophies.

Sinusix a écrit :En un sens, il y a bien existentialisme dans la mesure tautologique où la chose est ce qu'elle est, autrement dit, comme Durtal, que sa nature est ce par quoi la chose est ce qu'elle est.


je ne crois pas que dans le spinozisme l'essence d'une chose est ce par quoi la chose est ce qu'elle est. Toute chose ne se conçoit que par et en Dieu, du moins lorsqu'il s'agit d'un mode. Seuls les attributs sont par eux-mêmes. Et Dieu a bel et bien une autre essence (car une essence de substance) que l'essence d'un mode, donc même si Dieu est cause immanente et non transitive, il faut tout de même en passer par Dieu pour pouvoir connaître ou produire une essence. Raison pour laquelle Spinoza définit la connaissance du troisième genre comme un ensemble d'idées qui déduisent de la connaissance adéquate d'un attribut la connaissance adéquate de l'essence des choses. Sinon on obtiendrait précisément ce que Sescho craint: que poser des essences singulières, c'est en faire des "causes de soi", des choses qui ne sont que par elles-mêmes.
Mais je vous ai peut-être mal compris, vous ne vouliez peut-être pas dire que l'essence d'une chose singulière est "par soi", mais autre chose?

Sinusix a écrit :Autrement dit encore, la notion "normative" liée à l'essence d'une chose, dans sa lecture classique, a complètement disparu


oui, cela je crois aussi, et cela me semble être très important, dans le spinozisme.

Sinusix a écrit : pour laisser place au simple constat, de la même manière qu'en Dieu il n'y a pas d'idée des choses qui soit pensée, au sens de logiquement antérieure, à leur existence constatée. Nous sommes donc bien devant une construction "sui generis" de chaque chose singulière, à laquelle il est impossible d'adosser une quelconque réalisation d'essence singulière clairement circonscrite et préexistante (au sens de volontarisme de réalisation d'une essence déterminée).
Ceci admis, puisque, pour la chose pensante que nous sommes, l'intelligible de l'existant ne se réfère plus à l'ex ante mais à l'ex post, deux voies, complémentaires et non alternatives de mon point de vue, sont offertes pour connaître Pierre, la montagne ou l'escargot : 1/ la voie "scientifique" qui débouche sur lois et notions communes, raison raisonnante qui est la base du fonctionnement collectif des sociétés ; 2/ la voie "mystique ou intimiste" de la connaissance de l'autre en particulier et de "l'adhésion" en Dieu/Nature, c'est-à-dire son respect, c'est-à-dire son amour.

Il y aurait donc bien chez Spinoza une forme d'existentialisme larvé, il y aurait donc bien une forme d'éreintement de la notion d'essence dans son sens classique devenu inopérationnel, il y a bien un renversement révolutionnaire des concepts, toutes choses qui peuvent expliquer la coïncidence des bases de certains philosophes contemporains, spinozistes, matérialistes, Nietzschéens, etc.


je ne suis pas certaine d'être d'accord avec vous. Je ne connais pas très bien l'existentialisme, mais son "slogan" n'est-ce pas "l'existence précède l'essence"? Est-ce à cela que vous référez lorsque vous dites que l'intelligible de l'existant réfère à un ex post?

Si oui: je crois qu'il est important de tenir compte des deux sens dans lesquels Spinoza veut utiliser le mot "existence": une chose est dite exister actuellement d'une part lorsqu'elle est dite "durer", ou existe dans un temps et un lieu précis (E2P8, E5P29 scolie) (ce qui correspond à l'acceptation traditionnelle du terme "existence" à l'époque), et d'autre part en tant qu'elle est éternellement contenu en Dieu. C'est ce qui fait que quelque chose de l'Esprit (son essence) subsiste après la mort du Corps, c'est-à-dire continue à exister même lorsque la chose ne dure plus, n'existe plus dans aucun lieu ou temps précis. C'est aussi ce qui fait que nous existons déjà avant d'exister au sens propre du terme, donc avant de naître. Bien sûr, y ajoute Spinoza, nous n'avons plus de souvenir de cela, mais cela est précisément dû au fait que la part essentielle de l'Esprit, c'est ce qui n'est pas tout ce qui relève de l'imagination et de la mémoire. De même, dire que notre Esprit est éternel ne signifie pas que ce qui subsistera de nous, c'est notre imagination ou notre mémoire. Spinoza dit exactement l'inverse: "Si nous prêtons attention à l'opinion commune des hommes, nous verrons qu'ils sont, certes, conscients de l'éternité de leur Esprit; mais qu'ils la confondent avec la durée, et l'attribuent à l'imagination ou à la mémoire, qu'ils croient subsister après la mort."

Dans ce cas, l'existence temporelle s'ajoute à l'existence éternelle en Dieu. L'existence temporelle ne peut pas "changer" l'essence, car tout ce qui est éternel est immuable. Cela ne veut pas dire que l'existence temporelle n'a pas d'effet sur qui nous sommes, car justement, lorsque ce qui constitue l'essence d'un Esprit, ce sont des idées adéquates et inadéquates, il faut nécessairement dire que dès que nous avons une nouvelle idée, adéquate ou inadéquate, nous changeons d'essence (ce n'est pas l'essence elle-même qui change, c'est notre Corps qui commence à effectuer une autre essence, plus ou moins puissante que celle d'avant).

Autrement dit, il me semble que l'existence temporelle, dans le spinozisme, est bel et bien logiquement postérieure à l'existence éternelle de l'essence. Seulement, l'essence, comme vous le dites, ne peut plus jouer le rôle de "norme" à atteindre (et donc l'existence temporelle n'est plus ce qui "corrompt" l'essence, ce qui "aliène" etc.), elle n'est plus un possible, "existentiellement" neutre, puisqu'elle ne peut pas ne pas exister, du moins en Dieu, où elle existe éternellement. L'immanentisme spinoziste signifie donc ni l'un ni l'autre, ni que l'essence précède l'existence, comme on le dit traditionnellement, ni que l'existence précède l'essence, comme le dit l'existentialisme. Dans le spinozisme, l'existence éternelle de l'essence précède son existence dans le temps. J'ai l'impression qu'on a ici une position "tièrce", ni chrétienne, ni existentialiste. A vérifier. En tout cas essayer de rapprocher le spinozisme et l'existentialisme me semble être un exercice tout à fait intéressant.
Amicalement,
L.

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Messagepar Louisa » 17 déc. 2008, 01:39

A Enegoid

je viens de répondre en détail à votre message concernant les essences posté dans le fil de Bruno, mais un problème de connexion internet a fait que j'ai tout perdu .. . Je le reprends le plus vite possible.
L.

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Messagepar Enegoid » 17 déc. 2008, 10:42

hokousai a écrit :Reste une définition basique Socrate c’est Socrate (rien à redire )


Rien à redire effectivement.

Celà me fait penser à une situation de la vie courante : on vous demande de parler de quelqu'un que vous connaissez bien, et vous en êtes réduit à dire " aah, untel, eh bien...c'est untel !" voulant signifier par là une personnalité tout à fait spécifique, non dicible en termes communs.

Remarquez bien que vous dites "Socrate, c'est Socrate", et non pas "Socrate, c'était Socrate". Seule l'essence éternelle de Socrate vous permet d'écrire cette phrase au présent sans choquer personne.


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