Durtal a écrit :NONNNNNNNN
PAS la discussion sur les "modes infinis médiats"!!!!!
Quel est vraiment le problème sérieusement? Si c'est pour colmater le trou qu'on a fait entre Dieu et les choses finies: alors les modes médiats infinis, que Spinoza en parle ou non, ne nous tirerons pas du tout d'affaire .
Le "trou" (le "second" entre les modes infinis et les modes finis) n'est pas acquis selon moi. Nous en discutons et c'est pourquoi je pense qu'il faut "nettoyer" le contexte de toute élucubration, autant que possible.
Durtal a écrit :... si l'on admet l'existence des modes médiats infinis mais aussi qu'il n'y a pas de "trou" entre Dieu et les choses finies, alors le problème n'a plus le caractère crucial qu'il semble revêtir pour les parties en présence.
Certes : si... Mais nous en discutons, justement.
Tout est en Dieu, c'est acquis, mais le statut des choses singulières est encore largement en débat malgré tout. Maintenant si l'on considère que la
facies totius universi suit du mode infini immédiat, est la mosaïque de modes finis en interdépendance à un instant donné sur tout l'attribut et change (évidemment) avec le temps, c'est aussi ce que je dis.
Durtal a écrit :... je ne vois pour ma part pas de différence entre a) la pensée de Dieu (l'attribut), b) la totalité des pensées que Dieu forme (ce qui suit de cet attribut: ou l'intellect absolument infini), c) la totalité de ce qui est pensé par ces pensées (ou la face totale de l'univers en tant qu'elle s'explique sous l'attribut de la pensée). Ce sont il me semble trois niveaux de conceptualisation de la même chose ni plus ni moins.
Mais j'ai peut être tort.
Pour moi tu as raison (même si l'entendement infini est un mode de l'attribut pensée et non cet attribut même, il est éternel et infini)... sauf que je ne vois pas la face de l'univers entier là-dedans. Elle est dite changer par Spinoza. Qu'est-ce qui change dans ce que tu décris ?
As-tu une bonne raison pour parler de "face totale" (latiniste de formation ancienne et de très courte durée je suis...) ?
Je reviens sur l’analyse précise de texte :
A) E2L7S : …
la nature tout entière est un seul Individu, dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières sans que change l’Individu tout entier. …
Nous en tirons :
1) Ce qui ne change pas = Individu = la nature tout entière.
2) Ce qui varie d’une infinité de manières = les parties = tous les corps.
On peut préciser que, les corps étant en acte (et l’ensemble des « corps possibles » étant éternel et immuable, donc sans changement), « tous les corps » doit être entendu comme « la mosaïque de corps qui couvre l’étendue
à un instant donné, variant d’une infinité de manières au cours du temps. »
B) Lettre 64 : …
la face de l’univers entier, qui reste toujours la [le] même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. … (Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.)
Note : quelqu’un peut-il me dire à partir du texte d’origine de la lettre si l’on pourrait alternativement mettre ce « le » à la place de « la » (ou remplacer l’ « univers » par un mot de genre féminin – comme « Nature » - ce qui revient au même) ; sinon il y a une incohérence (ce qui change ne peut être toujours le même, et le parallèle obligé avec E2L7S ne fonctionne plus, car ce qui conserve sa nature c’est l’Individu, pas ses parties.) Quoique si j’en crois
ce livre, ce n’est pas forcément gagné pour autant…
Denique exempla, quae petis, primi generis sunt in cogitatione intellectus absolute infinitus, in extensione autem motus et quies; secundi autem facies totius universi, quae quamvis infinitis modis variet, manet tamen semper eadem, de quo vide schol. lem. 7. ante prop. 14. P. 2.
Source
La locution « face de l’univers » - « face » voulant dire « visage, » « apparence » - distingue bien deux choses : 1) l’univers lui-même et 2) sa face.
Le rapport à E2L7S indique donc :
L’Univers = la Nature (= l’Individu qui ne change pas.)
Ceci est consolidé par l’ajout d’ « entier » dans les deux cas : « nature tout entière » / « univers entier. » Ceci semble pour le moins naturel.
Ce qui change = les parties = tous les corps (à un instant donné) = la face de l’Univers (ce qui semble aussi naturel.)
Il reste par ailleurs cette évidence :
ce qui est éternel ne change pas dans une perspective temporelle (« sempiternel » le dit par lui-même.) Ce qui change n’est donc pas éternel, ce qui exclut dans tous les cas « la face de l’univers » comme soi-disant mode infini et éternel « médiat. »
La difficulté tient toujours dans le même fait : le changement est
dans la Nature mais la Nature ne change pas. C’est ce qui est et est néanmoins en quelque part impensable (d’où une série de difficultés qui n’en sont que des versions.)
Lien avec la lettre 32 à Oldenburg : … tous les corps sont environnés par d’autres corps, et se déterminent les uns les autres à l’existence et à l’action suivant une certaine loi, le même rapport du mouvement au repos se conservant toujours dans
tous les corps pris ensemble, c’est-à-dire dans
l’univers tout entier ; d’où il suit que tout corps, en tant qu’il existe
d’une certaine façon déterminée, doit être considéré comme une partie de l’univers, s’accorder avec le tout et être uni à toutes les autres parties. Et
comme la nature de l’univers n’est pas limitée comme celle du sang, mais absolument infinie, toutes ses parties doivent être modifiées d’une infinité de façons et souffrir une infinité de changements en vertu de la puissance infinie qui est en elle. …
Une difficulté par rapport à ce qui précède se présente dans l’équivalence, au moins apparente (il faudrait là-aussi reconsidérer finement la traduction) :
Tous les corps pris ensemble = l’univers tout entier.
Autrement dit, il manque la référence à parties / individu (ou la référence à la « face… » en considérant la lettre 64.)
La suite du texte (qui est importante : elle affirme la nécessité de l’interdépendance et de l’impermanence) parle de la nature de l’univers qui est absolument infinie et est une puissance infinie. Il est donc hors de question qu’il ne s’agisse pas intégralement de la Nature.
Puisqu’il est question de « conservation » (de la quantité de mouvement), il est forcément aussi question de changement dans le temps. D’un autre côté, la quantité de mouvement est bien une constante de l’univers, indépendamment du temps et des changements qui interviennent en permanence dans la nature des corps, cette valeur étant la somme de celles de tous les corps existant à un instant donné, quelconque.
Quoiqu’il en soit, l'écart dans l’expression avec E2L7S est un fait. Je pense que nous pouvons conclure que l'équivalence ci-dessus n’est qu’apparente et qu'il s'agit d'une écriture plus sommaire dans la lettre.
Après compléments :
Dans la traduction Appuhn, les choses sont quelque peu différentes (c’est effectivement un souci, la traduction …) :
Lettre 32 : … Nous pouvons et devons concevoir tous les corps de la nature en même manière que nous venons de concevoir le sang ;
tous en effet sont entourés d'autres corps qui agissent sur eux et sur lesquels ils agissent tous, de façon, par cette réciprocité d'action, qu'un mode déterminé d'existence et d'action leur soit imposé à tous, le mouvement et le repos soutenant dans l'univers entier un rapport constant. De là cette conséquence que tout corps, en tant qu'il subit une modification, doit être considéré comme une partie de l'Univers, comme s'accordant avec un tout et comme lié aux autres parties. Et comme la nature de l'Univers n'est pas limitée ainsi que l'est celle du sang, mais absolument infinie, ses parties subissent d'une infinité de manières la domination qu'exerce sur elles une puissance infinie et subissent des variations à l'infini. Mais je conçois l'unité de substance comme établissant une liaison encore plus étroite de chacune des parties avec son tout. Car, ainsi que je vous l'écrivais dans ma première lettre, alors que j'habitais encore Rijnsburg, je me suis appliqué à démontrer qu'il découle de la nature infinie de la substance que chacune des parties appartient à la nature de la substance corporelle et ne peut sans elle exister ni être conçue.
Amicalement
Serge
Connais-toi toi-même.