La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 29 janv. 2009, 16:57

Bonjour,

Enegoid a écrit :La faciès serait une loi (loi d'assemblage ou de composition?), mais qu'est-ce qu'une loi sinon une pensée ? Une pensée qui informe les corps. Et le parallélisme, alors ?


La faciès n'est ni une loi d'assemblage, ni une loi de compostion, c'est la totalité de l'Existant, assemblage infini des individus existants, identifiés, à chacun des niveaux où on les analyse, par ordre de complexification croissante, par leurs rapport de mouvement et de repos, tant mécaniques propres à chacun, que dynamiques propres à leurs rencontres entre eux ; le tout relevant, comme exposé plus haut, du rapport constant propre au Tout . Nous sommes restés sous l'attribut Etendue.

Par lois, il faut donc entendre deux choses :
1/ L'infinité des rapports de mouvement et de repos en question, lesquels appartiennent au mode infini immédiat Mouvement et repos - attribut Etendue (lequel les contient tous, ou lesquels le constituent) ; il s'agit là de la logique du commerce des choses.
2/ L'infinité des équivalents de ces lois, lesquelles appartiennent au mode infini immédiat Entendement - attribut Pensée (lequel les contient toutes), auxquelles s'intéresse la Science puisque tout est intelligible (autrement dit, il y a un rapport de mouvement et de repos constant entre deux individus "planètes" sous l'attribut Etendue, lequel rapport, en l'état de notre science, se traduit par les lois de Kepler, appliquées à deux corps, sous l'attribut Pensée). Il s'agit là de la logique du commerce des idées.

Nulle pensée n'a donc informé les deux planètes de cette "loi" puisque, faisant partie des essences, elle s'impose à elles, donc s'applique, au moment même où les deux planètes sont apparues dans le système. De même, dans l'ordre de la pensée, dès lors que deux individus planètes sont passés à l'existence, et ont donc fait passer à l'existence l'essence spécifique propre au rapport "planète" de chacune (Masse critique), le rapport de mouvement et de repos propre à la "rencontre" des deux planètes, les conditions étant réunies de sa mise en jeu (distance entre les planètes, vitesses initiales, etc.), les planètes se sont mises à tourner dans un mouvement réciproque elliptique l'une part rapport à l'autre, la réalité physique de la dite mise en mouvement ayant son versant "paralléliste" en l'application des lois de Kepler dans l'entendement.

Amicalement

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Messagepar sescho » 01 févr. 2009, 11:36

Je fais un dernier tour sur facies totius universi (en accord avec Durtal sauf erreur) :

La lettre 64 fait référence explicite à E2L7S pour justifier la phrase qui précède (j’ai laissé ici le rapport des propositions suivantes à la « face » et non à l’univers seulement) :

la face de l’univers entier, qui reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. … (Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.)

En passant, puisqu'aucun latiniste ne s'est dévoué, j'ai produit une traduction à ma sauce (avec le Gaffiot) ; s'il y a une erreur merci de me la signaler :

… facies totius universi, quae quamvis infinitis modis variet, manet tamen semper eadem, de quo vide schol. lem. 7. ante prop. 14. P. 2.

La forme extérieure de l’univers tout entier, qui quoiqu’elle se diversifie d’une infinité de manières, reste cependant toujours la même.

Quoiqu'il en soit, nous avons deux formulations qui devraient être identiques du fait du renvoi, mais ne le sont pas exactement. En effet, la lettre tend à dire qu'une même chose varie et reste la même, alors que l'Ethique indique clairement ce qui varie et ce qui ne varie pas :

E2L7S : … la nature tout entière est un seul Individu, dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières sans que change l’Individu tout entier.

Soit, sans rien changer au sens :

1) Ce qui ne change pas = Individu tout entier = la nature tout entière.

2) Ce qui varie d’une infinité de manières = les parties du précédent = tous les corps.

La version latine (où l'on retrouve le infinitis modis variet) :

... totam naturam unum esse Individuum, cujus partes, hoc est, omnia corpora infinitis modis variant, absque ulla totius Individui mutatione. ...

L'individu dont il est question est clairement la Nature en tant que modifiée. Autrement dit, c'est l'infinité (dénombrable, à ne pas confondre avec l'infinitude, par nature) des modes finis (possibles si l'on se réfère à leur existence, temporelle.)

Les corps sont en acte : ils sont les manifestations à un instant donné de la Nature ; ils varient dans le temps.

En outre, la lettre indique qu’il s’agit de ce qui est produit par les modes infinis (immédiats.)

La règle qui s’impose en cas de contradiction apparente est de privilégier le texte majeur (l’Ethique ici) sur le texte secondaire (la lettre ici, d’une rédaction moins achevée en général.)

La solution me semblant la plus probante :

- La phrase de la lettre est une version condensée de E2L7S. Ce en quoi l’univers se diversifie n’est pas précisé dans la lettre, mais nous savons par E2L7S qu’il s’agit des corps.

- La face de l’univers est l’univers lui-même, mais assorti d’une précision : vu en tant que modes finis uniquement. Elle est justifiée par le fait qu’attributs et modes infinis ont déjà été décrits juste avant.

Note : c’est cela seul qui change par rapport à de précédentes lectures de ma part, où je considérais (assez logiquement) que si Spinoza faisait l’effort de préciser « face de l’univers », c’est qu’on devait distinguer la « face » de l’univers lui-même, la première n’étant qu’un aspect partiel du second. A ceci se combinait en outre le fait que normalement les corps se conçoivent exclusivement en acte (et non comme contenus « en puissance » dans l'Etendue.)

- Ce qui suit des modes infinis est l’ensemble des modes finis (indépendamment du temps, donc : tous les modes finis.) La précision au sujet des corps dans E2L7S rend cela incontournable (sinon c’est un devoir de démontrer en quoi cela ne l’est pas.)

- La question de savoir si cet ensemble est éternel et/ou infini se discute. En tant qu’il est l’ensemble il est éternel, en tant qu’il varie de fait dans l’existence il ne l’est pas. En tant qu'il couvre le continuum des essences particulières, ou en tant qu’il couvre toujours toute l’étendue de l’Etendue à chaque instant, il peut être dit infini, mais en tant qu’il est constitué dans l'existence de modes finis il ne l’est pas.

- En tant que cet ensemble peut être vu comme éternel, il ne se distingue pas de l'Etendue en mouvement (dont les corps se déduisent, ainsi que dit de manière répétée par Spinoza.)

- Il en est exactement de même pour l'infinité lorsqu'on la considère comme continuum des essences particulières. Pour le second cas, plus douteux, c'est l'Etendue elle-même qui est infinie en l'espèce (et tous les corps ne couvrent pas l'étendue en même temps.)

- Cet ensemble des choses particulières ne saurait, en tant que simple tout, être considéré comme cause. La cause c'est l'Etendue en mouvement (et en parallèle suivant la Pensée), comme Spinoza le dit clairement, encore une fois.

- Cet ensemble ne se distingue pas des choses particulières et est causé par le Mouvement. Encore une fois, la précision au sujet des corps de E2L7S est déjà claire à cet égard. Il n'y a pas de prétendus "modes infinis médiats" entre les modes infinis et les choses particulières.


Serge
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Messagepar Enegoid » 03 févr. 2009, 11:53

1
« L’assemblage infini des individus existants », le « faciès », la « nature tout entière », la « forme extérieure de l’univers ». « l’ensemble des modes finis etc.

Quelle que soit la dénomination utilisée, la question me paraît simple : l’ensemble des corps est-il un corps ?

Oui selon Spinoza : c’est un individu. Donc un corps, donc un mode. Il n’est pas immédiat, Il est infini (en son genre) car il n’est pas limité par un autre corps. Le mode médiat n’est donc pas tout à fait « prétendu » !

Et si l’ensemble des corps n’était pas un corps, que pourrait être cet ensemble sinon un pur être de raison, une imagination, dans laquelle se dissoudrait la « nature tout entière ?

2
La loi de l’invariance du rapport de mouvement et de repos (ah si quelqu'un pouvait mettre à jour la physique de Spinoza !) qu’est-ce que c’est d’autre qu’une idée, une idée du « faciès ?

Cette idée (mode) est-elle infinie ?
J’avoue que je suis perplexe. C’est un peu le même problème que celui posé par E1p21 : l’idée de Dieu est-elle infinie ou non ? Il y a eu des discussions la dessus, mais je n’en ai pas tiré une compréhension assurée !

Cordialement

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Messagepar Sinusix » 05 févr. 2009, 15:45

Bonjour à tous,

sescho a écrit :Je fais un dernier tour sur facies totius universi (en accord avec Durtal sauf erreur) :


Puisque c'est le dernier, j'en fais un dernier également.

sescho a écrit :la face de l’univers entier, qui reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. … (Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.)

En passant, puisqu'aucun latiniste ne s'est dévoué, j'ai produit une traduction à ma sauce (avec le Gaffiot) ; s'il y a une erreur merci de me la signaler :
… facies totius universi, quae quamvis infinitis modis variet, manet tamen semper eadem, de quo vide schol. lem. 7. ante prop. 14. P. 2.


Mon modeste latin m'a permis d'attirer votre attention sur la traduction erronée de E1P28S que vous nous avez citée récemment (le fameux : et alia mediantibus his primis) ; le même bagage ne m'a pas fait réagir à votre invite, et je m'en excuse. Je pense effectivement qu'il n'est pas possible de ne pas traduire "quae" par "la", et non par "le", autre version que vous proposiez. Donc, de mon point de vue, c'est effectivement bien la facies qui reste toujours la même.

sescho a écrit :La solution me semblant la plus probante :
- La face de l’univers est l’univers lui-même, mais assorti d’une précision : vu en tant que modes finis uniquement. Elle est justifiée par le fait qu’attributs et modes infinis ont déjà été décrits juste avant.
- Ce qui suit des modes infinis est l’ensemble des modes finis (indépendamment du temps, donc : tous les modes finis.) La précision au sujet des corps dans E2L7S rend cela incontournable (sinon c’est un devoir de démontrer en quoi cela ne l’est pas.)


A la lecture de ces deux paragraphes, il m'apparaît que "notre" discussion pourrait n'être qu'un faux problème.
En défendant l'hypothèse de la facies totius universi comme mode infini médiat, incessamment renouvelé dans son identité à lui-même, il ne s'agit pas de créer un "étage" supplémentaire. En effet, ce mode infini médiat n'est autre que l'ensemble des modes finis, mais vu du point de vue de la cause formelle qui les constitue en un tout, et non pas du point de vue de la cause efficiente qui en constitue le mode opératoire incessamment renouvelé.

Je m'explique en rappelant d'abord ce passage important de E2P10S : .......Ce dont la cause, je crois, fut qu'ils n'observèrent pas l'ordre du Philosopher. Car la nature divine, qu'ils devaient contempler avant toute chose, parce qu'elle est antérieure tant pour la connaissance que de nature, ils l'ont crue venir en dernier dans l'ordre de la connaissance, et que les choses qu'on appelle objets des sens étaient antérieures aux autres ; d'où vint que, tant qu'ils contemplèrent les choses naturelles, il n'y eut rien à quoi ils pensèrent moins qu'à la nature divine, et quand ensuite ils poussèrent leur esprit à contempler la nature divine, il n'y eut rien à quoi ils purent moins penser qu'à leurs premières fictions, sur lesquelles ils avaient échafaudé leur connaissance des choses naturelles, pour la raison que ces fictions ne pouvaient en rien les aider à connaître la nature divine ; et par suite il ne faut pas s'étonner s'ils se sont un peu partout contredits.......... (traduction Pautrat).

Cet extrait s'inscrit dans la démarche constante de Spinoza, rejetant les constructions analytiques a posteriori, tant scolastiques que cartésiennes, pour privilégier les constructions synthétiques a priori, à partir de l'idée vraie donnée. Dans ces conditions, et à la lumière de la lettre XII à Meyer sur l'infini, il lui est impossible de se contenter de construire l'infini existant (la facies), infini en acte, à partir de la sommation infinie des modes finis, puisqu'il récuse partout la possibilité laissée à l'entendement humain de construire l'infinité du divin à partir de la finitude.
Par ailleurs, l'existant ne peut se développer, ou être exprimé, qu'à partir des principes de son expression, lesquels sont définis, dans l'infinitude de l'essence divine et l'infinité des essences individuelles et des lois éternelles qui organiseront leurs rapports respectifs et le rapport propre à leur tout, ensemble d'un dispositif objet de E1P21.
Subséquemment, un double enchaînement causal s'ensuit au niveau du passage à l'existence, dans la mesure où le seul passage à l'existence évoqué par Spinoza (je ne parle pas de l'existence des essences, qui est déjà "réglé") est celui de choses singulières (Il y a bien un hiatus, chacun l'a relevé, mais qui est lié à notre vision temporelle "naturelle" de la causalité). En effet, l'invariance du tout, en dépit de la variance continuelle des parties, n'est pas compréhensible si elle n'a pas fait l'objet d'un "acte causal" primordial, que j'assimile effectivement à une cause formelle, à savoir la fixation de la nature du tout (invariabilité de la facies) comme mode infini médiat, qui permet de causer l'infini en acte que constitue la facies, lequel acte causal s'accompagne, en une sorte de démultiplication, en cause efficiente de la venue à l'existence de la chaîne infinie des modes finis. Ce faisant, il s'est bien agi du même "acte causal" issu de E1P21, mais dont E1P22 et E1P23 préservent la qualité d'infinitude et d'éternité "issue de Dieu", par rapport à la qualité d'infinitude et de sempiternité issue de la collection remontante des modes finis (E2Lemme7S).

sescho a écrit :- Cet ensemble ne se distingue pas des choses particulières et est causé par le Mouvement. Encore une fois, la précision au sujet des corps de E2L7S est déjà claire à cet égard. Il n'y a pas de prétendus "modes infinis médiats" entre les modes infinis et les choses particulières.


En foi de quoi, je persiste et signe le contraire de cette affirmation.

Je profite de cette discussion pour donner mon point de vue sur le débat apparu sur un autre fil quant à la qualité du forum et aux regrets que d'aucuns font devant certains départs, et/ou le ton de certains échanges.
Comme l'écrit Lucien Sève quelque part, les philosophes ont la réputation contradictoire de parler de ce qui intéresse tout le monde d'une façon qui n'est compréhensible par personne, ou peu s'en faut.
On pourrait lui donner raison à lecture de certains messages.
Il ne m'apparaît pas néanmoins qu'il faille tomber dans le piège d'une séparation entre l'académie et le commun, comme la tentation semble apparaître. Au contraire, en philosophie comme ailleurs, chaque famille est un apport essentiel pour l'autre. Moi qui ne fais pas partie de l'académie, sans fausse modestie, en ce domaine comme en d'autres, je constate une fois encore, depuis mon intérêt au site, à quel point le progrès personnel passe par le travail et la confrontation "à plus haut que soi". Ce qui devrait être une constante de toute formation, maxime spinoziste s'il en est, savoir se frotter à plus ardu, mais maxime utile partout, dans la société, à l'école et dans l'entreprise, oblige certes à un effort, mais le résultat en vaut la peine.
Mais l'effort doit être partagé, car le bénéfice est réciproque, du contact de l'académie avec le commun. Au delà de la clarification de l'expression, dans le respect des termes techniques incontournables, à laquelle l'académie doit s'efforcer pour mieux être comprise, elle trouve avantage, de mon point de vue, à ne pas se couper de modes de raisonnement plus simples, voire simplistes, lesquels souvent recèlent dans leur simplicité une vision immédiate des contradictions ou la démystification d'une phraséologie aussi pompeuse que stérile. Nos gouvernants et financiers auraient été souvent bien inspirés de recueillir auprès des troupes quelques constats pratiques qui les auraient alertés à temps.
Enfin, pour ce qui concerne l'attitude personnelle de chacun, c'est un vieux problème dont nul ne voit le terme. D'un certain point de vue, s'agissant d'un forum sur Spinoza, on pourrait s'attendre à autre chose, lui qui nous laissait espérer une évolution concomitante du statut affectif de l'homme et de son statut gnoséologique. Il est malheureusement peu d'exemples en faveur de cette thèse, dommage que nous en trouvions ici.
Mais également, et le problème est général, dans tout engagement, qu'il soit familial, politique, professionnel, etc. la situation trouvée n'est jamais conforme aux projections que chacun s'en est faite, ainsi sommes nous conformés. Il faut donc et réactualiser/temporaliser ses convictions personnelles, si tant est qu'elles soient mûrement réfléchies, et se battre sur le reste, de l'intérieur avant que de tomber dans la facilité autosatisfaisante du départ, attitude qui ici n'a pas de conséquence profondes - quoique ? - mais qui là (engagement politique par exemple) devient vite un non-sens.
Autrement dit, je regrette aussi certains départs, ou certains silences, dans la mesure où la variété des points de vue, pour autant que l'on restât sur le point de vue et ne versât pas dans l'invective, fait la richesse de l'échange ; ceux qui, comme moi, ont poursuivi leurs études à une époque où internet n'existait pas, peuvent témoigner de la chance offerte aux étudiants d'aujourd'hui de se construire dans la recherche ouverte et exponentiellement riche, ce qui impose en retour rigeur et méthode.
Enfin, le nombre des lectures de messages étant très supérieur au nombre d'interventions, j'en conclus à l'existence d'une majorité silencieuse. Qu'elle s'exprime si elle trouve à dire sur ce sujet.

Amicalement

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Messagepar Enegoid » 05 févr. 2009, 17:39

Sinusix a écrit :En effet, l'invariance du tout, en dépit de la variance continuelle des parties, n'est pas compréhensible si elle n'a pas fait l'objet d'un "acte causal" primordial, que j'assimile effectivement à une cause formelle, à savoir la fixation de la nature du tout (invariabilité de la facies) comme mode infini médiat


Cet "acte causal primordial", pourquoi ne serait-ce pas la "causa sui" ?

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Messagepar sescho » 07 févr. 2009, 18:53

D’abord, sans revenir dans le sujet tel qu’il a déjà été traité, je voudrais rappeler que je n’ai fait que discuter d’un point dur ci-dessus (associé par extrapolation du texte de Spinoza à l’existence même de E1P22) mais que j’en ai soulevé plusieurs autres qui me semblent nets et soutiennent ma compréhension. Je ne voudrais pas qu’on l’oublie. Il reste encore à y objecter simplement et clairement, ce que je n’ai nullement vu pour l’instant. Je rappelle :

Sur les passages qui excluent l’existence de soi-disant modes infinis médiats (avec d’autres passages précédant.)

Sur l’absence d’objections pour l’instant.

Sur la récurrence de E1P22 et sur le fait que les corps sont causés par le Mouvement

Il reste en outre à indiquer par quelle proposition de l’Ethique on doit déduire ce qui découlerait d’un mode infini médiat.

Sur la traduction défaillante de et alia mediantibus his primis j’avoue ne pas avoir senti l’enjeu. Celle de Saisset semble assez mauvaise, ce qui se constate dans la traduction Pautrat, mais d’une part ce « et d’autres moyennant ces premières » parle, par « premières, » des modes immédiats, d’autre part cela ne change pas la suite du scholie qui me confirme dans mon interprétation (assurée en outre par CT1Ch8 et 9 sur le même point.)

Par ailleurs, qui voudrait prouver l’existence de modes infinis « médiats » doit prouver que ce dont il parle ne peut être, d’un côté, l’Etendue en Mouvement, de l’autre, les choses singulières mêmes.

Spinoza a écrit :CTApp1P4Dm : … les choses que nous voyons autour de nous … avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos


Sinusix a écrit :… ce mode infini médiat n'est autre que l'ensemble des modes finis, mais vu du point de vue de la cause formelle qui les constitue en un tout, et non pas du point de vue de la cause efficiente qui en constitue le mode opératoire incessamment renouvelé.

Effectivement, c’est sans doute une question de mots, car je retrouve dans ce que vous dites à la fois l’Etendue en mouvement (cause efficiente) et les choses singulières (l’ensemble des modes finis.)

« Cause formelle » est très rare chez Spinoza, sauf erreur. Je l’ai trouvé dans E5P31, où Spinoza le met en synonyme de « cause adéquate. » Il y a une raison très simple à cela selon moi : « cause formelle » se réfère tout simplement à la hiérarchie dans l’essence. Mais par ailleurs, Spinoza ne reconnaît qu’une cause : l’efficiente :

Spinoza a écrit :PM2Ch10 : Ce qu’est la création. – Nous disons donc que la création est une opération à laquelle ne concourent d’autres causes que l’efficiente, c’est-à-dire qu’une chose créée est une chose qui pour exister ne suppose avant elle rien que Dieu. …

Explication de la définition adoptée. – 2° Que je dis : nulles causes en dehors de la cause efficiente ne concourent à la création. Je pouvais dire que la création nie ou exclut toutes causes sauf l’efficiente. J’ai mieux aimé dire : nulles causes ne concourent afin de n’avoir pas à répondre à ceux qui demandent si Dieu ne s’est proposé dans la création aucune fin, en vue de laquelle il ait créé les choses. De plus, pour mieux expliquer la chose, j’ai ajouté une deuxième définition, savoir : qu’une chose créée ne suppose rien avant elle sauf Dieu ; car si Dieu, en effet, s’est proposé quelque fin, cette fin n’est certainement pas extérieure à Dieu ; car il n’existe rien hors de Dieu par quoi il soit poussé à agir.

CT1Ch3 : (2) Mais, comme on a l'habitude de diviser la cause efficiente en huit parties, voyons maintenant de combien de manières Dieu est cause.

1° Il est cause émanative ou opérante, et, en tant que l'action a lieu, cause efficiente ou active, ce qui est une seule et même chose, ces deux attributs rentrant l'un dans l'autre.

2° Il est cause immanente, non transitive, puisqu'il opère tout en soi, et rien en dehors, rien n'étant en dehors de lui.

3° Dieu est une cause libre, non naturelle, comme nous le montrerons lorsque nous traiterons de la question de savoir si Dieu peut omettre de faire ce qu'il fait ; et nous expliquerons à ce sujet en quoi consiste la vraie liberté.

4° Dieu est cause par soi, et non pas contingente, ce qui deviendra plus clair quand nous traiterons de la prédestination.

5° Dieu est cause principale de ses œuvres, de celles qu’il a créées immédiatement, par exemple du mouvement dans la matière : auquel cas les causes secondes ne peuvent avoir aucune action, puisqu'elles ne se manifestent que dans les choses particulières, par exemple, lorsqu'un vent violent vient à dessécher la mer, et ainsi de toutes les choses particulières. Il ne peut pas y avoir eu une cause secondaire déterminante parce qu'il n'y a rien en dehors de lui qui puisse le contraindre à l'action. La cause initiale, ici, c'est sa perfection, par laquelle il est cause de lui-même et par conséquent de toutes choses.

6° Dieu est encore la seule cause première et initiale, comme il résulte de la précédente démonstration.

7° Dieu est aussi cause générale, mais en tant seulement qu'il produit une infinité d’œuvres variées ; en un autre sens, il ne pourrait être ainsi désigné, car il n'a besoin de rien pour produire des effets.

8° Dieu est cause prochaine des choses infinies et immuables, que nous disons immédiatement créées par lui ; mais il est aussi cause dernière, et cela par rapport à toutes les choses particulières.

On voit avec le 7° qu’il n’y a pas lieu de distinguer le « tout » (dont la pertinence en tant qu’être réel est en outre immédiatement en cause en général ; ceci s’applique donc a priori à « l’ensemble des modes finis ») de la cause efficiente. Ceci rejoint le fait qu’en Dieu l’essence ne se distingue pas de la puissance et de l’existence. Le 8° persiste en complément de CT1Ch8-9 et E1P28S à ignorer un quelconque médiateur.

Spinoza a écrit :CT1Ch2 : (19) … 1° … le tout et la partie ne sont pas des êtres réels, mais des êtres de raison : c'est pourquoi il n'y a dans la nature ni tout ni parties [6].

2° Une chose composée de diverses parties doit être telle que ses parties puissent être conçues chacune séparément : par exemple, dans une horloge composée de roues et de cordes, chaque roue et chaque corde peut être conçue séparément, sans avoir besoin de l'idée du tout que ces parties composent. De même dans l’eau, qui se compose de particules droites et oblongues, ces parties peuvent être conçues et pensées, et peuvent même subsister sans le tout. Mais quant à l'étendue, qui est une substance, on ne peut pas dire qu'elle ait des parties, parce qu'elle ne peut devenir plus petite ou plus grande, et qu'aucune de ses parties ne peut être pensée séparément et en elle-même, puisqu'elle est infinie de sa nature : or, s'il en était autrement, et qu'elle résultât de l'ensemble de ses parties, on ne pourrait pas dire qu'elle est infinie de sa nature, comme il a été dit ; car dans une nature infinie, il est impossible qu'il y ait des parties, puisque toutes les parties, d'après leur nature, sont finies.

Note [6] : Dans la nature, c'est-à-dire dans l'étendue substantielle ; car diviser cette étendue, c'est anéantir son essence et sa nature à la fois puisqu'elle consiste premièrement en ce qu'elle est une étendue infinie, ou un tout, ce qui est la même chose.

Mais, dira-t-on, n'y a-t-il point de parties dans l'étendue, avant toute modification ? – En aucune façon. – Mais, insistera-t-on, s'il y a du mouvement dans la matière, il doit être dans une partie de la matière, et non dans le tout, puisque le tout est infini : car dans quelle direction pourrait-il se mouvoir, puisqu’il n'y a rien en dehors de lui ? Donc le mouvement a lieu dans une partie. Je réponds : Il n'y a pas seulement mouvement ; il y a à la fois mouvement et repos, et dans le tout ; et il est impossible qu'il en soit autrement, puisqu’il n'y a pas de partie dans l'étendue. Affirmez-vous néanmoins que l'étendue a des parties, dites-moi alors si, lorsque vous divisez l'étendue en soi, vous pouvez séparer en réalité de toutes les autres parties celles que vous séparez dans votre entendement ? Supposons que vous le fassiez, je vous demande alors : Qu'y a-t-il entre la partie séparée et le reste ? Ou bien le vide, ou un autre corps, ou quelque autre mode de l'étendue, car il n'y a pas de quatrième hypothèse. Le premier ne se peut pas, car il n'y a pas de vide, puisqu’il y aurait quelque chose de positif et qui ne serait pas corps. Le second n'est pas non plus possible, car il y aurait un mode, là où il ne doit pas y en avoir dans l’hypothèse, puisque l'étendue comme étendue existe sans ses modes et avant tous ses modes. Reste donc le troisième cas ; mais alors il n'y a pas de partie, mais l'étendue elle-même.

Cette dernière citation est mise pour rappeler comment le fini se tient dans l’infini même (c’est-à-dire sans nullement le relativiser) par l’effet du Mouvement (et du repos), lui-même dans l’étendue.

Sinusix a écrit :… l'invariance du tout, en dépit de la variance continuelle des parties, n'est pas compréhensible si elle n'a pas fait l'objet d'un "acte causal" primordial, que j'assimile effectivement à une cause formelle, à savoir la fixation de la nature du tout (invariabilité de la facies) comme mode infini médiat, qui permet de causer l'infini en acte que constitue la facies, lequel acte causal s'accompagne, en une sorte de démultiplication, en cause efficiente de la venue à l'existence de la chaîne infinie des modes finis. Ce faisant, il s'est bien agi du même "acte causal" issu de E1P21, mais dont E1P22 et E1P23 préservent la qualité d'infinitude et d'éternité "issue de Dieu", par rapport à la qualité d'infinitude et de sempiternité issue de la collection remontante des modes finis (E2Lemme7S).

Dans l’ensemble nous disons bien la même chose, le libellé de « mode infini médiat » mis à part. Ce que je dirais déjà c’est qu’il y a danger à manier E2L7S car que quelque chose reste le même tout en changeant en permanence, ce n’est pas pensable « tel que. » Et si on ne peut le penser, il conviendrait de mettre toute chose en rapport avec un gros conditionnel.

Le changement est dans la Nature mais la Nature ne change pas. Le temps apparaît avec l’existence des choses singulières mais Dieu n’est pas soumis au temps. Voilà qui est vrai et est pourtant impensable. Ce qui est pensable, en revanche, et équivalent, c’est que les lois du Mouvement sont éternelles, dans l’étendue qui l’est aussi, et que de cela tous les corps se déduisent. Nous concevons parfaitement ce fait en simulation numérique en physique (calcul de déformation, par exemple) : les choses singulières changent en vertu de lois éternelles.

Il n’y a pas de différence d’essence entre l’Etendue en mouvement et « l’ensemble » des corps (voir en particulier le premier extrait ci-dessus.) Il n’y a pas de différence entre l’existence de l’Etendue en mouvement et l’existence des corps en évolution sur l’infinité du temps. L’existence en soi des corps est une aberration.

Toutefois, il est impossible de se passer de la considération des corps et de la durée, car la seule considération du mouvement dans l’étendue ne convient pas à la faiblesse humaine ; ou, autrement dit, en tant que mode l’homme doit nécessairement en passer par la considération des modes. C’est pourquoi Spinoza doit aussi introduire la causalité transitive avec E1P28 (utilisant E1P22 en négatif), quoiqu’elle soit imaginaire.

Ce qui est étonnant finalement, c’est qu’on ne puisse pas assurer de lien logique entre l’éternité (sempiternité) du Mouvement et la temporalité des choses singulières, alors même qu’on conçoit très bien les secondes comme causées par le premier (il s’agit ici de l’existence.) L’introduction d’autant de modes éternels et infinis « médiats » que l’on veut n’y change rien, d’ailleurs… C’est cette difficulté qui transparaît me semble-t-il dans l’usage exclusivement négatif de E1P22 et E1P23 (laquelle je le rappelle ne sert qu’à dire qu’il n’y a pas de possibilité tierce à E1P21 et E1P22 pour la production d’un mode éternel.) Mais en fait, comme dit, il n’y a pas de réelle différence entre l’étendue en mouvement et les choses singulières dans l’infinité du temps. Il faut aussi rappeler que l’introduction en bloc du mouvement (que je remplacerais bien par « énergie ») sans introduction préalable du temps, de l’espace et de la finitude est assez « osé » - mais vrai…

J’en ai personnellement fini avec les prétendus modes infinis médiats (à Durtal : alléluia ! ;-) )


Amicalement


Serge
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Messagepar Enegoid » 08 févr. 2009, 20:26

sescho a écrit :J’en ai personnellement fini avec les prétendus modes infinis médiats (à Durtal : alléluia ! )


Je suis heureux pour vous, bien que cet enthousiasme me paraisse un peu puéril.
Ayant jeté à l’eau ce qui vous gêne dans l’Ethique, vous vous réfugiez dans le CT pour asseoir votre thèse. Ouf !

Eh bien tant mieux pour vous. Cela n’empêche pas que les modes infinis médiats existent bel et bien logiquement à la suite de E1p22. Sans eux, on arrive à une absurdité que vous semblez ne pas avoir aperçue, et que je vous expliquerais volontiers dans un contexte plus détendu.
Sauf à dire que E22 n’est pas seulement formulée, comme vous dites, de façon négative, mais qu’elle est fausse.

Cordialement


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