Bonjour à tous,
sescho a écrit :Je fais un dernier tour sur facies totius universi (en accord avec Durtal sauf erreur) :
Puisque c'est le dernier, j'en fais un dernier également.
sescho a écrit : … la face de l’univers entier, qui reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. … (Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.)
En passant, puisqu'aucun latiniste ne s'est dévoué, j'ai produit une traduction à ma sauce (avec le Gaffiot) ; s'il y a une erreur merci de me la signaler :
… facies totius universi, quae quamvis infinitis modis variet, manet tamen semper eadem, de quo vide schol. lem. 7. ante prop. 14. P. 2.
Mon modeste latin m'a permis d'attirer votre attention sur la traduction erronée de E1P28S que vous nous avez citée récemment (le fameux :
et alia mediantibus his primis) ; le même bagage ne m'a pas fait réagir à votre invite, et je m'en excuse. Je pense effectivement qu'il n'est pas possible de ne pas traduire "quae" par "la", et non par "le", autre version que vous proposiez. Donc, de mon point de vue, c'est effectivement bien la facies qui reste toujours
la même.
sescho a écrit :La solution me semblant la plus probante :
- La face de l’univers est l’univers lui-même, mais assorti d’une précision : vu en tant que modes finis uniquement. Elle est justifiée par le fait qu’attributs et modes infinis ont déjà été décrits juste avant.
- Ce qui suit des modes infinis est l’ensemble des modes finis (indépendamment du temps, donc : tous les modes finis.) La précision au sujet des corps dans E2L7S rend cela incontournable (sinon c’est un devoir de démontrer en quoi cela ne l’est pas.)
A la lecture de ces deux paragraphes, il m'apparaît que "notre" discussion pourrait n'être qu'un faux problème.
En défendant l'hypothèse de la facies totius universi comme mode infini médiat, incessamment renouvelé dans son identité à lui-même, il ne s'agit pas de créer un "étage" supplémentaire. En effet, ce mode infini médiat n'est autre que l'ensemble des modes finis, mais vu du point de vue de la cause formelle qui les constitue en un tout, et non pas du point de vue de la cause efficiente qui en constitue le mode opératoire incessamment renouvelé.
Je m'explique en rappelant d'abord ce passage important de E2P10S :
.......Ce dont la cause, je crois, fut qu'ils n'observèrent pas l'ordre du Philosopher. Car la nature divine, qu'ils devaient contempler avant toute chose, parce qu'elle est antérieure tant pour la connaissance que de nature, ils l'ont crue venir en dernier dans l'ordre de la connaissance, et que les choses qu'on appelle objets des sens étaient antérieures aux autres ; d'où vint que, tant qu'ils contemplèrent les choses naturelles, il n'y eut rien à quoi ils pensèrent moins qu'à la nature divine, et quand ensuite ils poussèrent leur esprit à contempler la nature divine, il n'y eut rien à quoi ils purent moins penser qu'à leurs premières fictions, sur lesquelles ils avaient échafaudé leur connaissance des choses naturelles, pour la raison que ces fictions ne pouvaient en rien les aider à connaître la nature divine ; et par suite il ne faut pas s'étonner s'ils se sont un peu partout contredits.......... (traduction Pautrat).
Cet extrait s'inscrit dans la démarche constante de Spinoza, rejetant les constructions analytiques a posteriori, tant scolastiques que cartésiennes, pour privilégier les constructions synthétiques a priori, à partir de l'idée vraie donnée. Dans ces conditions, et à la lumière de la lettre XII à Meyer sur l'infini, il lui est impossible de se contenter de construire l'infini existant (la facies), infini en acte, à partir de la sommation infinie des modes finis, puisqu'il récuse partout la possibilité laissée à l'entendement humain de construire l'infinité du divin à partir de la finitude.
Par ailleurs, l'existant ne peut se développer, ou être exprimé, qu'à partir des principes de son expression, lesquels sont définis, dans l'infinitude de l'essence divine et l'infinité des essences individuelles et des lois éternelles qui organiseront leurs rapports respectifs et le rapport propre à leur tout, ensemble d'un dispositif objet de E1P21.
Subséquemment, un double enchaînement causal s'ensuit au niveau du passage à l'existence, dans la mesure où le seul passage à l'existence évoqué par Spinoza (je ne parle pas de l'existence des essences, qui est déjà "réglé") est celui de choses singulières (Il y a bien un hiatus, chacun l'a relevé, mais qui est lié à notre vision temporelle "naturelle" de la causalité). En effet, l'invariance du tout, en dépit de la variance continuelle des parties, n'est pas compréhensible si elle n'a pas fait l'objet d'un "acte causal" primordial, que j'assimile effectivement à une
cause formelle, à savoir la fixation de la nature du tout (invariabilité de la facies) comme mode infini médiat, qui permet de causer l'infini en acte que constitue la facies, lequel acte causal s'accompagne, en une sorte de démultiplication, en
cause efficiente de la venue à l'existence de la chaîne infinie des modes finis. Ce faisant, il s'est bien agi du même "acte causal" issu de E1P21, mais dont E1P22 et E1P23 préservent la qualité d'infinitude et d'éternité "issue de Dieu", par rapport à la qualité d'infinitude et de sempiternité issue de la collection remontante des modes finis (E2Lemme7S).
sescho a écrit :- Cet ensemble ne se distingue pas des choses particulières et est causé par le Mouvement. Encore une fois, la précision au sujet des corps de E2L7S est déjà claire à cet égard. Il n'y a pas de prétendus "modes infinis médiats" entre les modes infinis et les choses particulières.
En foi de quoi, je persiste et signe le contraire de cette affirmation.
Je profite de cette discussion pour donner mon point de vue sur le débat apparu sur un autre fil quant à la qualité du forum et aux regrets que d'aucuns font devant certains départs, et/ou le ton de certains échanges.
Comme l'écrit Lucien Sève quelque part,
les philosophes ont la réputation contradictoire de parler de ce qui intéresse tout le monde d'une façon qui n'est compréhensible par personne, ou peu s'en faut.
On pourrait lui donner raison à lecture de certains messages.
Il ne m'apparaît pas néanmoins qu'il faille tomber dans le piège d'une séparation entre l'académie et le commun, comme la tentation semble apparaître. Au contraire, en philosophie comme ailleurs, chaque famille est un apport essentiel pour l'autre. Moi qui ne fais pas partie de l'académie, sans fausse modestie, en ce domaine comme en d'autres, je constate une fois encore, depuis mon intérêt au site, à quel point le progrès personnel passe par le travail et la confrontation "à plus haut que soi". Ce qui devrait être une constante de toute formation, maxime spinoziste s'il en est, savoir se frotter à plus ardu, mais maxime utile partout, dans la société, à l'école et dans l'entreprise, oblige certes à un effort, mais le résultat en vaut la peine.
Mais l'effort doit être partagé, car le bénéfice est réciproque, du contact de l'académie avec le commun. Au delà de la clarification de l'expression, dans le respect des termes techniques incontournables, à laquelle l'académie doit s'efforcer pour mieux être comprise, elle trouve avantage, de mon point de vue, à ne pas se couper de modes de raisonnement plus simples, voire simplistes, lesquels souvent recèlent dans leur simplicité une vision immédiate des contradictions ou la démystification d'une phraséologie aussi pompeuse que stérile. Nos gouvernants et financiers auraient été souvent bien inspirés de recueillir auprès des troupes quelques constats pratiques qui les auraient alertés à temps.
Enfin, pour ce qui concerne l'attitude personnelle de chacun, c'est un vieux problème dont nul ne voit le terme. D'un certain point de vue, s'agissant d'un forum sur Spinoza, on pourrait s'attendre à autre chose, lui qui nous laissait espérer une évolution concomitante du statut affectif de l'homme et de son statut gnoséologique. Il est malheureusement peu d'exemples en faveur de cette thèse, dommage que nous en trouvions ici.
Mais également, et le problème est général, dans tout engagement, qu'il soit familial, politique, professionnel, etc. la situation trouvée n'est jamais conforme aux projections que chacun s'en est faite, ainsi sommes nous conformés. Il faut donc et réactualiser/temporaliser ses convictions personnelles, si tant est qu'elles soient mûrement réfléchies, et se battre sur le reste,
de l'intérieur avant que de tomber dans la facilité autosatisfaisante du départ, attitude qui ici n'a pas de conséquence profondes - quoique ? - mais qui là (engagement politique par exemple) devient vite un non-sens.
Autrement dit, je regrette aussi certains départs, ou certains silences, dans la mesure où la variété des points de vue, pour autant que l'on restât sur le point de vue et ne versât pas dans l'invective, fait la richesse de l'échange ; ceux qui, comme moi, ont poursuivi leurs études à une époque où internet n'existait pas, peuvent témoigner de la chance offerte aux étudiants d'aujourd'hui de se construire dans la recherche ouverte et exponentiellement riche, ce qui impose en retour rigeur et méthode.
Enfin, le nombre des lectures de messages étant très supérieur au nombre d'interventions, j'en conclus à l'existence d'une majorité silencieuse. Qu'elle s'exprime si elle trouve à dire sur ce sujet.
Amicalement