D'une Substance, deux physiques?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 05 mars 2009, 12:07

Bonjour Enegoid

Enegoid a écrit :Alors, c'est fini ?

Je propose la réflexion suivante :


1 le formalisme mathématique propre à la physique quantique est reconnu, apparemment, comme particulièrement contre intuitif

2 En conséquence il est difficile à partir de ce formalisme (2ème genre) d'aboutir à une intuition (3ème genre) du réel. Difficile donc d'atteindre à une connaissance adéquate de Dieu (le réel)

3 En conséquence : la béatitude spinoziste est une illusion puisqu'elle ignorait ce problème.


Vous résumez parfaitement les limites actuelles de ma compréhension du (adhésion au) spinozisme.
Point 1 : Pour ce qui concerne le formalisme mathématique, je ne pense pas que votre juste appréciation doive se limiter à la physique quantique ; la relativité générale, la construction géométrique de l'espace-temps, etc. nous placent devant la même situation, à savoir le caractère exclusif des mathématiques en matière de formalisation par l'entendement des lois de la physique, et ce pour la raison simple que le langage des mots ne peut s'abstraire du monde physique de nos cinq sens à partir duquel, et quelle que soit l'une des quelque six mille langues parlées sur la planète, il a été construit. Il n'est que de voir le fourre-tout subjectif que peuvent cacher les concepts de base tels que substance, attribut, essence, étendue, pensée, etc. à la lecture des commentaires et échanges. J'observe au demeurant que la variété des langues enveloppe un contenu spécifique à chacune des mêmes concepts, selon la traduction qu'ils ont dans chaque langue. J'observe en revanche que, quelle que soit sa langue natale, chaque physicien travaillera sur la même écriture du tenseur impulsion-énergie ou la même vision des cones de lumières.

Point 2 Dans ces conditions, et je l'ai déjà fait remarquer à propos simplement du nombre Pi (qui est un être de raison particulier puisque qu'il a bien pour cause génétique la définition, donc l'essence du cercle, et de ce fait a un caractère réel) je ne crois pas effectivement que la connaissance intuitive du 3ème genre, à supposer que je comprenne ce dont il s'agit, puisse prétendre aboutir aux mêmes résultats que celle du 2ème, aplliquée à la physique quantique et non à la simple recherche d'une quatrième proportionnelle, sauf à verser, ce que je crains, dans une forme de mysticisme élitiste réservé à quelques intitiés (la grâce) qui auraient le don de vision directe en Dieu. A ce jour, je ne sache pas qu'un seul être humain de génie soit arrivé à un quelconque résultat par cet accès direct, tous les savants ayant au contraire dû travailler avec acharnement, et souvent collectivement, pour déboucher sur une avancée.
En revanche, il ne s'agit pas d'écarter l'importance de l'intuition dans toute démarche. L'intuition, en effet, est présente à chaque pas d'une démonstration ou d'une recherche, comme conviction renouvelée pas à pas de l'adéquation de la démarche de calcul, ou du raisonnement.

Point 3 Il se peut en effet que la Béatitude spinoziste, si elle repose sur cette seule connaissance du 3ème genre, soit une illusion.
Mais n'est-ce pas la même illusion qui a poussé Spinoza à réintroduire le problème du salut et, à cette fin, pour pouvoir en aborder le questionnement, les essences singulières éternelles (absentes du Court traité, si je ne m'abuse, mais reprises dans l'Ethique). Or, si l'essence singulière de chaque homme, comme de chaque chose, est éternelle, comment cette éternité est-elle conciliable avec la seule définition 2 de E2, si longuement analysée, selon laquelle, comme le précise bien ensuite d'autres passages, notamment E2P10S, l'essence singulière est ce qui, sans la chose, ne peut ni être, ni se concevoir ?

Effectivement donc, le langage mathématique, ne comportant aucune dimension subjective, au sens d'émotionnelle ou de croyance, est un vecteur universel et "neutre" de progrès dans la connaissance.
Le langage courant, même enrichi du vocabulaire spécialisé du philosophe, interdit de pouvoir s'abstraire du monde des croyances associées ; il n'est que de lire les lignes enflammées écrites sub specie aeternitatis.

Amicalement

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Messagepar Enegoid » 05 mars 2009, 19:07

Rien de consistant à vous répondre (ce qui veut dire que, oui, en gros, je vous suis).
Mais, pour l'instant, je laisse tomber le débat "essence singulière" (par saturation mentale!).

Amicalement

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Messagepar bardamu » 05 mars 2009, 20:40

Bonjour Enegoid,
je reprends (faut pas être trop pressé quand c'est compliqué...).
d'abord une petite question : qu'est-ce que tu attends d'une confrontation de Spinoza aux théories physiques contemporaines ?
Peut-être que je me trompe mais j'ai l'impression que pour toi les sciences actuelles donnent la Vérité Vraie et que tout ce qui a précédé est faux si c'est différent. Newton s'est trompé parce qu'Einstein a donné une théorie qui englobe la sienne ? Spinoza s'est trompé parce que la physique actuelle englobe sa physique élémentaire ? Le concept d'"atome" de Démocrite ou celui d'Etendue de Spinoza sont faux parce que la physique actuelle ne part pas d'eux ?
Enegoid a écrit :(...)
1 La philosophie de Spinoza est entièrement fondée sur la notion de causalité. Or la notion de causalité est, semble-t-il, remise en cause par la physique quantique. Conséquences ?

J'avais écrit tout un pavé explicatif (je le garde si nécessaire) sur causalité et quantique mais comme je ne voudrais pas t'étouffer par des développements excessifs, je me contenterais de la conclusion : seule la causalité de la bille de billard en déplaçant une autre est remise en cause en quantique, et elle ne l'est que dans une certaine gamme d'expériences. On peut continuer à jouer au billard, quantique ou pas. La physique quantique n'a pas plus de conséquence pour la philosophie de Spinoza qu'elle n'en a pour l'usage habituel de la mécanique newtonienne : on envoie les sondes sur Mars en utilisant la mécanique newtonienne, elle n'est pas devenue fausse parce que dans des domaines particuliers elle ne fonctionne plus.

Pour ce que j'en ai vu, en général les scientifiques qui s'intéressent à l'histoire de leur science ne lisent pas les auteurs passés pour constater que ceux-ci ne fonctionnent pas avec les idées actuelles mais plutôt pour voir comment sont nées ces idées, le lien qu'elles ont encore avec leur origine et, parfois, pour retrouver de l'inspiration en revenant au point où une idée n'était pas encore commune, où il n'était pas acquis que l'une dominerait l'autre. Les newtoniens ont "vaincu" les cartésiens pendant 2 siècles et puis Einstein félicite l'intuition de Descartes (cf plus bas). Ou encore, dans les années 2000, B. d'Espagnat, physicien et épistémologue, écrit un paragraphe titré "de la déférence due à Spinoza" dans son "Traité de physique et de philosophie". Pourquoi ? Parce que Spinoza a opté pour une seule Substance contre les substances de Descartes d'où serait issu le "mécanisme", parce que cette Substance unique est plus dans l'esprit holiste de la quantique.

Au demeurant, même en quantique on peut toujours invoquer une causalité déterministe. Bricmont, que je qualifierais de "positiviste naïf", serait favorable à ce qu'on enseigne les théories à variables cachées de Bohm qui pourtant n'apportent rien au niveau pratique, et ceci pour conserver une représentation classique, ontologiquement déterministe même si les causalités y sont "bizarres".
Enegoid a écrit :2Spinoza récuse la notion de vide. Comment articuler celà avec le vide quantique ?

Le "vide" quantique est plutôt un plein...
Il correspond au niveau zéro du champ d'énergie à partir duquel s'effectuent les mesures. Les physiciens considèrent qu'une particule peut naître du "vide" avec une énergie inversement proportionnelle à son temps de vie. Ce sont les fluctuations du "vide". Le "vide" est un peu comme l'altitude de l'océan et nous qui ne mesurons que la hauteur des vagues. Le "plein" est d'ailleurs une idée générale de toute théorie de champ.

Et encore une fois, toutes ces notions évoluent et parfois on présentera les choses comme un vide et parfois comme un plein. La Relativité Restreinte se passait de l'éther, et quelques années plus tard, Einstein écrivait sur la Relativité Générale : "un espace vide, c'est-à-dire un espace sans champ n'existe pas. Descartes n'avait donc pas tellement tort quand il se croyait obligé de nier l'existence d'un espace vide. Cette opinion paraît absurde tant que les corps pondérables seuls sont considérés comme réalité physique. C'est seulement l'idée du champ comme représentant de la réalité, conjointement avec le principe de relativité générale, qui révèle le sens véritable de l'idée de Descartes : un espace "libre de champ" n'existe pas"

On peut apprécier son style personnel plein de convictions : "le sens véritable de l'idée de Descartes"...
Enegoid a écrit :3 Qu'est-ce qu'une étendue qui devient un espace-temps éventuellement courbe ?

Spinoza a eu la bonne idée de définir les corps par la vitesse, c'est-à-dire une variable de dimension espace-temps, et le mode infini de l'Etendue comme Mouvement. Pourquoi cela plutôt qu'un "géométrisme" plus cartésien (largeur, hauteur, profondeur) ?
Sans doute parce qu'il avait besoin d'une dynamique interne à l'Etendue, sans doute parce qu'il ne voulait pas de "moteur immobile" aristotélicien, une sorte de Dieu statique impulsant le mouvement. Le mouvement est intrinsèque à l'Etendue, il ne vient pas du dehors.
Pour ce qui concerne la courbure, qui n'est pas vraiment "éventuelle" puisqu'elle doit être prise en compte par nos GPS, elle ne change pas grand chose (rien ?) au niveau philosophique.
Enegoid a écrit :4 Que devient le "faciès totus etc." ? Une corde ?

Pourquoi une corde ?
Ce serait plutôt un mouvement conditionnant les figures, conditionnant ce qui nous apparaît.
Enegoid a écrit :5 Que se passe-t-il pour Spinoza si Einstein se trompe et si "Dieu joue aux dés" ?

Si Dieu joue aux dés, soit il est soumis à un fatum, c'est-à-dire que quelque chose d'autre que lui conditionne le monde tel qu'il nous apparaît (causalité placée dans une instance qui n'est pas appelée Dieu), soit il fait comme chez Leibniz, il lance les dés, voit l'infinité de résultats possibles et par un coup de baguette magique fait tomber le dé sur la face qui lui convient, soit par on ne sait quel mystère logique le chaos est aussi l'ordre. On entend parfois dire que de l'ordre "émerge" du chaos mais il faudrait peut-être se demander si on n'appellera pas "chaos" tout ce qui échappe à notre connaissance, si tout ceci ne se traduit pas par "l'ignorance est chaotique, la connaissance est un ordre de cause-effet".

Il se pourrait qu'à chaque fois qu'on comprend quelque chose le chaos recule, que ce soit toute l'histoire des sciences, et que préférer un chaos de principe, un chaos ontologique, ce soit préférer le mystère à la connaissance.
Enegoid a écrit :Peut-être auriez-vous des références de "philosophes des sciences" qui se sont préoccupés des impacts philosophiques de la physique quantique (à part Popper, que je connais un peu) ?

En général, je recommande "Physique quantique, une introduction philosophique" par M. Bitbol. Ca date d'une dizaine d'années, on n'y trouve pas les développements assez récents de l'informatique quantique, mais c'est la meilleure synthèse que j'ai trouvé sur les problèmes philosophiques liés à la quantique.

Sinon, un ouvrage qui à mon sens devrait être obligatoire à l'école :
"Aux contraires" de J.-M. Lévy-Leblond.
Il est physicien de profession mais se définit parfois comme philosophe tombé dans la physique, et là, il joue avec les "évidences" pour montrer que les sciences sont plus subtiles que le oui/non.

Petit extrait : "En tout état de cause, à la question : "Le Soleil tourne-t-il autour de la Terre ?", pas de réponse possible dans la dichotomie vrai/faux ; avant que de répondre, la science posera une autre question : "De quel point de vue ?" et assujettira sa réponse, prudente, à toute une série de conditions annexes qui puissent en assurer la pertinence."
Le meilleur moyen d'avoir de l'indubitable c'est d'intégrer les conditions de production d'une idée.

Spinoza, EIIp35 scolie a écrit :De même, quand nous contemplons le soleil, nous nous imaginons qu'il est éloigné de nous d'environ deux cents pieds. Or, cette erreur ne consiste point dans le seul fait d'imaginer une pareille distance ; elle consiste en ce que, au moment où nous l'imaginons, nous ignorons la distance véritable et la cause de celle que nous imaginons. Plus tard, en effet, quoique nous sachions que le soleil est éloigné de nous de plus de six cents diamètres terrestres, nous n'en continuons pas moins à l'imaginer tout près de nous, parce que la cause qui nous fait imaginer cette proximité, ce n'est point que nous ignorions la véritable distance du soleil, mais c'est que l'affection de notre corps n'enveloppe l'essence du soleil qu'en tant que notre corps lui-même est affecté par le soleil.


Enegoid a écrit :le formalisme mathématique propre à la physique quantique est reconnu, apparemment, comme particulièrement contre intuitif

Par contre intuitif, on veut dire qu'il développe une représentation qui n'est pas celle du quotidien. C'est ce dont parle Bitbol dans l'article cité plus haut, la différence entre nos habitudes psycho-motrices qui déterminent notre représentation quotidienne et le monde abstrait du formalisme quantique.
Pour le reste, comme dit Spinoza, rapportons-nous-en aux mathématiciens qui ne se sont jamais laissé arrêter par des arguments de cette qualité, quand ils avaient des perceptions claires et distinctes.
Le formalisme est clair, ce n'est que les tentatives d'en faire quelque chose correspondant à notre quotidien qui échouent.
L'intuition intellectuelle de Spinoza n'est pas une capacité à s'imaginer les choses, c'est plutôt une capacité à penser les choses sans avoir besoin d'images, penser en "mathématicien". Poincaré est d'ailleurs intéressant sur ce rôle de l'intuition en mathématiques.
Au passage, même un jeu télévisé peut impliquer des choses particulièrement contre intuitives : cf le problème de Monty Hall
Enegoid a écrit :3 En conséquence : la béatitude spinoziste est une illusion puisqu'elle ignorait ce problème.

Tu crois vraiment que la béatitude dépend de la connaissance de la physique quantique ?
Ou bien, peut-être penses-tu qu'il faut une connaissance sans condition, ou une connaissance qui se dirait vraie parce qu'elle prétendrait à un absolu, à l'arrivée à un terme de l'ordre de l'infini, que c'est ça connaître une vérité, et que les sciences donneraient une telle connaissance ?
Cf la citation plus haut de Lévy-Leblond pour mieux voir à quelle condition les sciences peuvent affirmer des choses.

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Messagepar sescho » 05 mars 2009, 21:40

Bonsoir Sinusix

Sinusix a écrit :... je ne crois pas effectivement que la connaissance intuitive du 3ème genre, à supposer que je comprenne ce dont il s'agit, puisse prétendre aboutir aux mêmes résultats que celle du 2ème, aplliquée à la physique quantique et non à la simple recherche d'une quatrième proportionnelle, sauf à verser, ce que je crains, dans une forme de mysticisme élitiste réservé à quelques initiés (la grâce) qui auraient le don de vision directe en Dieu. A ce jour, je ne sache pas qu'un seul être humain de génie soit arrivé à un quelconque résultat par cet accès direct, tous les savants ayant au contraire dû travailler avec acharnement, et souvent collectivement, pour déboucher sur une avancée.
En revanche, il ne s'agit pas d'écarter l'importance de l'intuition dans toute démarche. L'intuition, en effet, est présente à chaque pas d'une démonstration ou d'une recherche, comme conviction renouvelée pas à pas de l'adéquation de la démarche de calcul, ou du raisonnement.

En approche directe - je crois que nous en étions d'accord ici (et suivants) - la connaissance du troisième genre suit celle du deuxième, exactement sur le même objet : ce que la logique dégage comme conclusion (deuxième genre) - qui reste encore à un plan plus ou moins verbal, puisque ce qui est vu en vérité c'est alors la logique de la démonstration avant tout et non immédiatement la conclusion - passe progressivement dans le domaine intuitif, vu en action dans le monde réel. En Physique, pour moi, cela se rapproche du "sens physique", où l'on "sent" les choses directement, disant par exemple : "non, cela ne tient pas debout", "oui cela c'est logique, c'est consolidé..." Il reste plus ou moins de raisonnement logique sous-jacent.

Concernant la Physique, toutefois, nous ne nous tenons pas dans la rigueur Mathématique (qui n'est pas à proprement parler une science pour un certain nombre de penseurs) : le résultat expérimental reste le critère suprême (avec les incertitudes qui le caractérisent.) Il s'agit de modéliser les lois de la Nature extérieure, pas seulement exprimer celles de l'entendement (clair) humain. La question de savoir ce qui dans la Physique relève inéluctablement du premier genre, et ni du deuxième, ni a fortiori du troisième, se pose. Pour reprendre l'exemple de Spinoza, nous n'aurons jamais de vision intuitive de la distance Terre-Soleil. Quant à ce que nous la déterminons (approximativement, mais bien plus précisément quand-même) par ailleurs par un mélange de mesures et de calculs, cela reste je pense largement de l'ordre du premier genre. Il me semble exclu de prétendre que seul le deuxième genre est à l'œuvre. Et si l'on veut bien lire Spinoza dans le texte, il dit explicitement - les notions communes ou axiomes étant perçus ; c'est sur ces prémisses qu'on peut éventuellement ergoter - que la droite marche de l'entendement ne doit rien à l'expérience (alors même que l'expérience produit immédiatement les notions communes, d'une part, et est à l'autre bout le "lieu d'exercice" de celle du troisième, d'autre part.)

Sinusix a écrit :Il se peut en effet que la Béatitude spinoziste, si elle repose sur cette seule connaissance du 3ème genre, soit une illusion.

Non. Il la vivait lui-même, et ce sans connaître la distance au soleil et la Mécanique quantique. Cela n'a aucune espèce d'importance en l'espèce, comme une infinité d'autres choses (ou du moins ce ne sont que des cerises sur le gâteau.) La béatitude vient d'une seule chose, en fait, pour l'essentiel : vivre réellement dans la conscience que tout se produit dans l'être parfait, qui s'impose en tout et est cause de soi : Dieu - la Nature.

Cela suffit, mais il est très très rare en réalité de vivre véritablement, pleinement, dans cette conscience intuitive (qui exclut en particulier tout ego, toute accusation, toute émotion, mis à part l'amour intellectuel de Dieu et de sa manifestation.)

Sinusix a écrit :Mais n'est-ce pas la même illusion qui a poussé Spinoza à réintroduire le problème du salut...

Certes non : le problème éthique est aussi éternel chez l'Homme que l'Homme lui-même (et peut se détecter aussi chez les animaux.) Il s'agit des lois de la psyché humaine. Automate spirituel...

Sinusix a écrit :... et, à cette fin, pour pouvoir en aborder le questionnement, les essences singulières éternelles (absentes du Court traité, si je ne m'abuse, mais reprises dans l'Ethique). Or, si l'essence singulière de chaque homme, comme de chaque chose, est éternelle, comment cette éternité est-elle conciliable avec la seule définition 2 de E2, si longuement analysée, selon laquelle, comme le précise bien ensuite d'autres passages, notamment E2P10S, l'essence singulière est ce qui, sans la chose, ne peut ni être, ni se concevoir ?

Point déjà discuté, par exemple ici (et suivants.) "ëtre" ne veut pas dire "exister en acte." Les choses ne peuvent être ni être conçues sans Dieu, et pourtant Dieu n'appartient pas à leur essence. Donc : ce qui fait l'essence d'une chose c'est ce qui est dans la chose et n'est pas l'attribut (je laisse de côté le mode immédiat) : la forme dans l'attribut. La forme est la chose, mais l'attribut n'appartient pas à son essence. Conclusion : par exemple, l'Etendue ne fait pas partie de l'essence d'un corps, qui est une forme DANS l'Etendue (d'où : "mode".)

Amicalement

Serge
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Messagepar Enegoid » 05 mars 2009, 22:01

A Bardamu
ok je salue la consistance de la réponse, et, comme pour l'autre fil, je prends le temps d'un peu de réflexion avant de continuer.

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Messagepar Sinusix » 06 mars 2009, 15:12

A bardamu

Enegoid a écrit :A Bardamu
ok je salue la consistance de la réponse, et, comme pour l'autre fil, je prends le temps d'un peu de réflexion avant de continuer.


Je m'associe à cette appréciation.
Et, pour ce qui me concerne, que les choses soient claires : l'esprit critique s'exerce majoritairement dans deux directions, sur fond d'adhésion au paradigme de Spinoza : 1/ Extraire de la gangue historique le contenu "adéquat" et "atemporel" de sa pensée ; 2/ Isoler la perspective subjective et personnelle sous-jacente, qui reste malgré tout, (comme me l'a fait remarquer Sescho et ce qui justement m'indispose) attachée à une expérience vécue individuelle, par définition incommunicable.

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Messagepar sescho » 06 mars 2009, 20:33

Sinusix a écrit :... 1/ Extraire de la gangue historique le contenu "adéquat" et "atemporel" de sa pensée ; 2/ Isoler la perspective subjective et personnelle sous-jacente, qui reste malgré tout, (comme me l'a fait remarquer Sescho et ce qui justement m'indispose) attachée à une expérience vécue individuelle, par définition incommunicable.

Sur ces points je dirais deux choses :

1) La "gangue historique" est faible : il s'agit essentiellement des lois éternelles de la psyché humaine. Je ne pense donc pas que ce soit bien utile de commencer par chercher des os supposés... Conjointement, le progrès continu de la sagesse humaine (d'où une association automatique de caducité avec l'antériorité) me semble être un préjugé pur : il y a longtemps que tout a été dit ; le parallèle avec les progrès (finissant) de la Physique est erroné.

2) L'expérience vécue individuelle n'est prétendument incommunicable qu'en vertu d'un présupposé, qui n'est pas vérité : que le strictement individuel résume tout. Rien ne me semble plus opposé à Spinoza, et à la vérité : il n'y a fondamentalement qu'une seule nature humaine ; ce qui est individuel c'est précisément ce qui meurt avec le corps : la mémoire de l'histoire individuelle, qui est un hybride entre l'essence de l'Homme et des essence extérieures. Or, ce qui est effectivement inconnaissable absolument, ce sont les essences extérieures.

A partir du moment où pour l'essentiel il n'y a qu'une nature humaine, tout ce qui est fondamental est communicable. Toutefois, rien ne remplace la connaissance du troisième genre, autrement dit la connaissance vraie, vraiment vécue. Les mots du Maître sont des pointeurs, le raisonnement juste est une voie sûre mais partiellement réalisée : une autre forme de pointeur. En parcourant la voie (dernière proposition de l'éthique : E5P42S) indiquée par Spinoza, la béatitude inhérente à la nature humaine peut être atteinte. Encore faut-il passer au ressenti personnel : c'est là que la communication a vraiment lieu. En en restant au plan de la lecture et du raisonnement, on ne fait que stagner ; il faut s'interroger intérieurement : est-ce mon ressenti profond, est-ce vrai ? Les mécanismes psychiques décrits par Spinoza qui sous-tendent les passions, pourrissant la vie, sont-ils les bons, sont-ils effectivement à l'œuvre chez moi ? Voilà ce qui se communique et est libératoire. Rien ne sert de classer en "ressenti personnel" la béatitude ; soyons francs : c'est juste quelque chose que nous ne reconnaissons pas. Il faut alors - comme toujours en fait - se contenter de ce que l'on peut effectivement voir en son état du moment : les mécanismes des passions.

Amicalement

Serge
Modifié en dernier par sescho le 07 mars 2009, 09:30, modifié 1 fois.
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Messagepar Louisa » 07 mars 2009, 04:27

Sinusix a écrit :Et, pour ce qui me concerne, que les choses soient claires : l'esprit critique s'exerce majoritairement dans deux directions, sur fond d'adhésion au paradigme de Spinoza : 1/ Extraire de la gangue historique le contenu "adéquat" et "atemporel" de sa pensée ; 2/ Isoler la perspective subjective et personnelle sous-jacente, qui reste malgré tout, (comme me l'a fait remarquer Sescho et ce qui justement m'indispose) attachée à une expérience vécue individuelle, par définition incommunicable.


Bonjour Sinusix,
si je suis d'accord avec l'idée que la condition de pouvoir faire quelque chose d'utile avec le texte de Spinoza, c'est d'essayer de reconstruire une pensée cohérente sur base de ce texte (ce qui implique inévitablement discuter de ses propres interprétations chaque fois que quelqu'un propose de les mettre en question (sans se réfugier derrière les prétendues bonnes ou mauvaises "intentions" de celui qui met en question ce qu'on pense, et sans ériger quoi que ce soit en "dogmes" indiscutables)), je suis moins convaincue de la pertinence de l'idée d'"adhérer" au spinozisme.

Ce serait quoi, adhérer au spinozisme, sinon ... l'ériger en dogme, en article de foi, bref en ce qui est exactement à l'opposé de ce que Spinoza a voulu créer?

Spinoza lui-même ne prétend pas nous donner la "vérité ultime" sur le monde. Il dit plutôt avoir créé un "modèle" (exemplar), une idée de comment devenir plus heureux, de comment acquérir une autre nature que la nature humaine - alors que nous savons pertinemment que cela n'est pas possible, seulement, on ne peut pas s'empêcher de le désirer (voir le début du TIE). Jamais il ne dit nous donner les "lois de la psychè humaine". Il dit plutôt que connaître l'esprit ne peut se faire qu'en connaissant davantage le corps, et pour connaître le corps, il faut faire des expériences scientifiques, ce qui ne relève pas du domaine de la philosophie. Raison pour laquelle il ne faut pas chercher des "lois psychiques" dans l'Ethique. Il s'agit bien plutôt d'une spéculation concernant la vie heureuse, sachant que puisque nous la désirons, nous avons bel et bien besoin de ces spéculations.

A partir de ce moment-là, il me semble que la pire chose que l'on peut faire, c'est de prendre cet exemplar pour la réalité, c'est de croire que nous avons là la vérité ultime sur le monde et sur l'âme. A mon avis, ce à quoi nous invite Spinoza est beaucoup plus "pragmatiste", si je peux me permettre cet anachronisme: il s'agit de penser les choses différemment, et de voir quel est le résultat de cette pensée dans sa propre vie quotidienne, sachant que selon Spinoza, le résultat devrait être intéressant.

Autrement dit, à mon sens Spinoza nous invite à l'expérimentation, et non pas à l'adhésion. Il ne s'agit pas de se réfugier dans l'une ou l'autre "doctrine" ultime, fixée une fois pour toutes, mais d'essayer de toujours comprendre davantage, sachant que mieux comprendre signifie en règle générale accepter que nos savoirs antérieurs soient de temps en temps radicalement bousculés. Si "vérité" il y a, dans ce processus, elle se situe plutôt dans ce processus lui-même que dans l'un ou l'autre résultat, toujours provisoire. Désirer toujours comprendre davantage, c'est être prêt à supposer que tout ce qu'on pense être vrai aujourd'hui puisse demain se révéler faux, que tout ce qu'on pense être vrai demain puisse être considéré comme ne témoignant que d'une simple absence de doute, et non pas de vérité éternelle. C'est l'inverse de la recherche de vérités ultimes, inébranlables, en lesquelles on pourrait "croire" éternellement. Il s'agit plutôt de cultiver le désir proprement humain de toujours vouloir en savoir plus, de toujours vouloir comprendre davantage, et d'être prêt à payer le prix nécessaire (= abandonner demain ce dont aujourd'hui on ne doutait pas). Il s'agit d'essayer de rendre ce désir toujours plus puissant, toujours plus grand.
Amicalement,
L.

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Messagepar Sinusix » 07 mars 2009, 11:01

Louisa a écrit :
Bonjour Sinusix,

Ce serait quoi, adhérer au spinozisme, sinon ... l'ériger en dogme, en article de foi, bref en ce qui est exactement à l'opposé de ce que Spinoza a voulu créer?


Bonjour Louisa,

Le plaisir de vous lire de nouveau ne me fait pas oublier votre penchant à l'interprétation détournée de la pensée d'autrui. Je suis d'accord avec tout ce que vous dîtes et par adhésion au paradigme je n'ai pas entendu autre chose que la vision engagée et vivante à laquelle vous me conviez vous-même d'adhérer, et comment pouvez-vous faire autrement : il ne peut être d'action individuelle que sur la base d'une adhésion à ce que l'on est, ou croît être, et au désir d'être que l'on cultive. Il ne s'agit donc pas, effectivement, d'accepter une parole explicative déjà mâchée mais de ressentir la pertinence d'un processus dynamique de recherche personnelle. L'adhésion, en l'occurrence, ne signifie donc pas application et militantisme de recettes. Il s'agit bien d'une adhésion à la force de proposition sous-jacente, celle de l'expérimentation.

Telle est d'ailleurs la raison pour laquelle je m'inscris personnellement en faux contre deux présupposés sous-jacents à la réponse que me fait Sescho, à savoir celui d'une soi-disant vérité éternelle de la psyché humaine et, en corollaire, la présence d'invariants auxquels la philosophie aurait de tous temps eu accès indépendamment du mouvement de l'histoire.
Non, le mouvement de la philosophie n'est pas celui de la pensée pure, mais celui de la vie réelle et je m'efforce personnellement de garder en arrière plan, en essayant de les débrouiller, les rapports effectifs entre la Philosophie et l'ensemble du mouvement historique, eux-mêmes conditionnés, selon les croyances de chacun, au développement de la production matérielle et des rapports sociaux, eux-mêmes inséparables de l'avancement des sciences.
Ce faisant, il ne s'agit pas de faire injure à l'éminence du philosophe, en inscrivant sa discipline dans le champ humain du "progrès", mais néanmoins d'attirer son attention, même si le sujet peut sembler éculé, sur la liberté et l'air frais qu'ont apportés les avancées de la science dans un domaine essentiel de la pensée, trop longtemps obscurci, ce que ne cesse de rappeler Spinoza, par les pseudo-vérités, d'adhésion obligatoire celles-là, de l'obscurantisme religieux et du dogme.

Amicalement

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sescho
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Messagepar sescho » 07 mars 2009, 11:13

Spinoza a écrit :TRE : 85. … la véritable science procède de la cause à l'effet ; seulement ils n'ont jamais, que je sache, conçu, comme nous l'avons fait ici, l'âme agissant selon des lois déterminées et comme un automate spirituel.

E1App : … Les hommes ont donc tenu pour certain que les pensées des dieux surpassent de beaucoup la portée de leur intelligence, et cela eût suffi pour que la vérité restât cachée au genre humain, si la science mathématique n’eût appris aux hommes un autre chemin pour découvrir la vérité ; car on sait qu’elle ne procède point par la considération des causes finales, mais qu’elle s’attache uniquement à l’essence et aux propriétés des figures. Ajoutez à cela qu’outre les mathématiques on peut assigner d’autres causes, dont il est inutile de faire ici l’énumération, qui ont pu déterminer les hommes à ouvrir les yeux sur ces préjugés et les conduire à la vraie connaissance des choses.

E2Intro : Je passe maintenant à l’explication de cet ordre de choses qui ont dû résulter nécessairement de l’essence de Dieu, l’être éternel et infini. Il n’est pas question de les expliquer toutes ; car il a été démontré (dans la Propos. 16 de la première partie), qu’il doit y en avoir une infinité, modifiées elles-mêmes à l’infini, mais celles-là seulement qui peuvent nous mener, comme par la main, à la connaissance de l’âme humaine et de son souverain bonheur.

E2App : … je termine ici ma seconde partie. Je crois y avoir expliqué avec assez d’étendue et, autant que la difficulté de la matière le comporte, avec assez de clarté, la nature de l’âme humaine et ses propriétés : je crois y avoir donné des principes d’où l’on peut tirer un grand nombre de belles conséquences, utiles à la vie, nécessaires à la science, et c’est ce qui sera établi, du moins en partie, par la suite de ce traité.

E3Pré : … la nature est toujours la même ; partout elle est une, partout elle a même vertu et même puissance ; en d’autres termes, les lois et les règles de la nature, suivant lesquelles toutes choses naissent et se transforment, sont partout et toujours les mêmes, et en conséquence, on doit expliquer toutes choses, quelles qu’elles soient, par une seule et même méthode, je veux dire par les règles universelles de la nature. …

Je vais donc traiter de la nature des passions, de leur force, de la puissance dont l’âme dispose à leur égard, suivant la même méthode que j’ai précédemment appliquée à la connaissance de Dieu et de l’âme, et j’analyserai les actions et les appétits des hommes, comme s’il était question de lignes, de plans et de solides.

E4P52 : La paix intérieure peut provenir de la raison, et cette paix née de la raison est la plus haute où il nous soit donné d’atteindre.

E5Pré : Je passe enfin à cette partie de l’Ethique qui a pour objet de montrer la voie qui conduit à la liberté. J’y traiterai de la puissance de la raison…

E5P42S : l’âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être ; et la véritable paix de l’âme, il la possède pour toujours. La voie que j’ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu’il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j’avoue qu’un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s’il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu’il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.

TTP1 : … Ainsi donc, puisque notre âme, par cela seul qu’elle contient en soi objectivement la nature de Dieu et en participe, est capable de former certaines notions qui lui expliquent la nature des choses et lui enseignent l’usage qu’elle doit faire de la vie, nous pouvons dire que l’âme humaine considérée en elle-même est la première cause de la révélation divine ; car, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, tout ce que nous concevons clairement et distinctement, c’est l’idée de Dieu, c’est la nature qui nous le révèle et nous le dicte, non par des paroles, mais d’une façon bien plus excellente et parfaitement convenable à la nature de notre âme : j’en appelle sur ce point à l’expérience de tous ceux qui ont goûté la certitude de l’entendement. …

TTP7 : … dans l’étude de la nature on commence par les choses les plus générales et qui sont communes à tous les objets de l’univers, c’est à savoir, le mouvement et le repos, leurs lois et leurs règles universelles que la nature observe toujours et par qui se manifeste sa perpétuelle action, descendant ensuite par degrés aux choses moins générales …

… pour les choses que l’entendement peut atteindre d’une vue claire et distincte, et qui sont concevables par elles-mêmes, on a beau en parler obscurément, nous les entendons toujours sans beaucoup de peine … les principes de la véritable piété, étant communs à tous, s’expriment dans les termes les plus familiers à tous, et il n’est rien de plus simple ni de plus facile à comprendre ; d’ailleurs, en quoi consiste le salut et la vraie béatitude, sinon dans la paix de l’âme ? Or l’âme ne trouve la paix que dans la claire intelligence des choses. Il suit donc de là de la façon la plus évidente que nous pouvons atteindre avec certitude le sens de l’Écriture sainte en tout ce qui touche à la béatitude et au salut. Et s’il en est ainsi, pourquoi nous mettre en peine du reste ? Comme il faut beaucoup d’intelligence et un grand effort de raison pour pénétrer jusqu’à ces matières, c’est un signe assuré qu’elles sont plus faites pour satisfaire la curiosité que pour procurer une utilité véritable.

TTP13 : … si l’on prétend qu’il n’y a pas besoin à la vérité de connaître les attributs de Dieu, mais de croire tout simplement et sans démonstration, c’est là une véritable plaisanterie. Car les choses invisibles et tout ce qui est l’objet propre de l’entendement ne peuvent être aperçus autrement que par les yeux de la démonstration ; ceux donc à qui manquent ces démonstrations n’ont aucune connaissance de ces choses, et tout ce qu’ils en entendent dire ne frappe pas plus leur esprit ou ne contient pas plus de sens que les vains sons prononcés sans jugement et sans aucune intelligence par un automate ou un perroquet. …

Lettre 37 à Bouwmeester : ... Je viens à votre question, que vous posez de cette manière : Existe-il, peut-il exister une méthode capable de nous conduire d’un pas ferme et sûr à la connaissance des objets les plus relevés ; ou bien nos âmes sont-elles, comme nos corps, livrées aux chances du hasard, et est-ce la fortune, plutôt que l’art, qui a la conduite de nos pensées ?
Il me paraît que j’aurai satisfait à cette question si je fais voir qu’il doit nécessairement y avoir une méthode par laquelle nous pouvons conduire et enchaîner nos perceptions claires et distinctes, et que l’entendement n’est pas, comme le corps, sujet aux chances du hasard. Or c’est ce qui résulte de ce seul point, savoir : qu’une perception claire et distincte ou plusieurs ensemble peuvent être cause par elles seules d’une autre perception claire et distincte. Je dis plus : toutes nos perceptions claires et distinctes ne peuvent naître que de perceptions de même espèce, lesquelles sont primitivement en nous et n’ont aucune cause extérieure. D’où il suit que toutes ces perceptions ne dépendent que de notre seule nature et de ses lois invariables et déterminées ; en d’autres termes, c’est de notre seule puissance qu’elles dépendent et non point de la fortune, je veux dire des causes extérieures, qui sans doute agissent suivant des lois déterminées et invariables, mais nous demeurent inconnues, étrangères qu’elles sont à notre nature et à notre puissance propre. Quant aux autres perceptions, j’avoue qu’elles dépendent le plus souvent de la fortune. …

Je crois donc avoir expliqué et démontré en ce peu de mots la nature de la vraie méthode, et en même temps marqué le chemin qui y conduit. Il me reste cependant un avertissement à vous donner : c’est que la pratique de la méthode dont je parle demande une méditation assidue, un esprit attentif, une résolution ferme ; et pour satisfaire à ces conditions, il est nécessaire avant tout de se faire une règle de conduite invariable et de se proposer une fin bien déterminée. ....

Lettre 76 à Burgh : … Vous semblez pourtant vouloir user encore de votre raison, et vous me demandez comment je sais que ma philosophie est la meilleure entre celles qu’on a autrefois professées dans le monde, qu’on y professe encore, et qu’on y professera un jour. C’est une question que je puis vous faire à mon tour et avec beaucoup plus de raison ; car je ne me flatte point d’avoir trouvé la meilleure philosophie, je sais seulement que je comprends la vraie. Vous me demanderez comment je sais cela. Je réponds que je le sais de la même façon que vous savez vous-même que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits. Et tout le monde reconnaîtra le droit que j’ai de répondre de la sorte, excepté les cerveaux malades qui rêvent de certains esprits immondes dont la fonction consiste à nous donner des idées fausses qui ressemblent tout à fait aux vraies. Ce sont là des visions, et le vrai est à soi-même sa propre marque et la marque du faux.
Modifié en dernier par sescho le 08 mars 2009, 09:44, modifié 1 fois.
Connais-toi toi-même.


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