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Messagepar PhiPhilo » 12 juin 2009, 08:26

Les lois d'identité, d'appartenance, d'inclusion, etc. légifèrent le multiple, mais ne disent pas ce qu'il faut tenir pour un multiple ni quel est le premier multiple. D'où la question de l'origine radicale de toute multiplicité.
On peut défendre soit que cette origine est le UN, soit que c'est le 0.
Or la théorie des ensembles promeut l'ensemble vide au rand de premier ensemble EXISTANT, l'ensemble qui est tel qu'aucun multiple ne lui appartient et qui est pourtant l'énoncé existant de cette asbence de multiple.
Son énoncé est le suivant: il existe un ensemble, l'ensemble vide, tel qu'il n'existe pas d' a lui appartenant.
Ce qui, remarquez bien, ne signifie pas que l'ensemble vide n'existe pas.
Tout au contraire !
La théorie des ensembles se donne un multiple vide initial qui n'appartient pas à la matière ou à l'existence déterminée d'aucun ensemble de multiple. Cet ensemble existe en tant que soustrait à toute détermination; il désigne la pure possibilité d'un ensemble quelconque sans référence à aucune qualité précise (propriété) d'un ensemble déterminé.
La production des ensembles déterminés à partir de l'ensemble vide se fait comme suit:
0
{0}
{0,{0}}
etc


La proposition fondamentale de la théorie des ensembles énonce: si l'ensemble vide n'existe pas, x n'existe pas, et par suite non plus aucune fonction f(x) n'est concevable.
L'énoncé de la théorie des ensembles est plus fondamental que celui qui rapporte la possibilité de propriétés de choses déterminées à l'existence d'au moins un élément d'un ensemble donné.
Tout x (d'un ensemble quelconque non vide) présuppose l'existence de l'ensemble vide.
On ne peut se contenter de dire que tout x présuppose un ensemble dont x serait élément (sous entendu un ensemble non vide) puisque l'ensemble vide est inclus dans tout ensemble donné (c'est une propriété universelle de l'ensemble vide).
L'ensemble vide existe en l'absence de toute matière déterminée, et aucun nombre déterminé n'existe qui ne comprennen dans sa définition l'ensemble vide.

Toute la question est alors de savoir si l'énoncé: je suis, je pense (véritable formulation cartésienne définitive) est un énoncé matériel, ou l'énoncé du vide dont se soutient toute vérité matérielle.


a) l'ensemble vide existe et son existence est première par rapport à tout ensemble matériel
b) tout ensemble déterminé est tissé de vide

On ne peut donc réduire l'existence à l'appartenance à un ensemble, puisqu'il existe au moins un ensemble auquel rien n'appartient et que cet ensemble est inclus dans tout ensemble déterminé.
Tout ceci est resté complètement inaperçu de Frege, et cela a donc au moins à cet égard certaines conséquences.


Les exemples caricaturaux que je viens de reproduire sont extraits de http://www.spinozaetnous.org/ftopic-794-days0-orderasc-20.html et de http://www.spinozaetnous.org/ftopic-794-days0-orderasc-30.html. L'incapacité à replacer la théorie des ensembles de Cantor dans son contexte historique, les copier-coller wikipédiesques intempestifs et mal maîtrisés ("il existe un ensemble, l'ensemble vide, tel qu'il n'existe pas d' a lui appartenant"), les confusions grossières entre "multiple" et "entier", entre "ensemble" et "cardinal", entre logique et physique (" l'ensemble vide existe et son existence est première par rapport à tout ensemble matériel"), les analogies abusives ("tout ensemble est tissé de vide", "la production des ensembles déterminés à partir de l'ensemble vide"), les non-sens manifestes ("La proposition fondamentale de la théorie des ensembles énonce: si l'ensemble vide n'existe pas, x n'existe pas, et par suite non plus aucune fonction f(x) n'est concevable", "L'énoncé de la théorie des ensembles est plus fondamental que celui qui rapporte la possibilité de propriétés de choses déterminées à l'existence d'au moins un élément d'un ensemble donné"), inventaire auquel il ne manque guère que le raton laveur, tout cela, affirmé sur un forum prétendument philosophique, manifeste une profonde méconnaissance de la culture scientifique, de la pensée rigoureuse et de la philosophie. Bien entendu, comme le souligne Bouveresse,
Il faudrait, bien entendu, être tout à fait naïf pour croire que l'ignorance de la science ou le manque total de sérieux et la désinvolture avec lesquels sont traités certains de ses résultats constituent la source principale de la mauvaise philosophie. Les sources de la mauvaise philosophie sont en réalité beaucoup plus nombreuses, beaucoup plus diversifiées et probablement aussi beaucoup plus triviales que cela. Au nombre d'entre elles figure, bien entendu, en premier lieu le besoin de prestige et de pouvoir. Et, comme dirait Musil, écrire d'une façon qui fait si sérieux qu'un non-mathématicien se persuade immédiatement que seul un mathématicien peut parler ainsi, n'est qu'un des nombreux moyens d'obtenir le prestige et le pouvoir que l'on cherche. (Bouveresse, qu'appellent-ils "penser" ?)


Malgré tout le propos de Bouveresse vise des écrits qui, pour être abracadabrantesques, n'en sont pas moins assumés par des auteurs identifiés et, par ailleurs, dignes de respect (Régis Debray, Julia Kristeva, Jacques Derrida, etc.). On pourrait, à ce titre, considérer les tentatives malheureuses de leurs auteurs pour s'aventurer imprudemment sur le terrain logico-mathématico-scientifique comme des excroissances présomptueuses d'un ego quelque peu surdimensionné, mais néanmoins cohérent en terme d'une identité objective connue et reconnue. En revanche, je soutiens que l'auteur des propos reproduits supra n'assumerait pas ses affirmations : il rougirait de honte s'il ne se dissimulait pas derrière le pseudonymat protecteur d'Internet. Bref, je prétends que celui qui écrit "la théorie des ensembles promeut l'ensemble vide au rand [sic] de premier ensemble EXISTANT, l'ensemble qui est tel qu'aucun multiple ne lui appartient et qui est pourtant l'énoncé existant de cette asbence [re-sic] de multiple", celui-là se mépriserait profondément s'il était doté d'une identité objective (un "caractère" comme dirait Ricoeur) cohérente. A contrario, c'est uniquement à la faveur de la disparition d'une telle identité, disparition encouragée, sinon engendrée par Internet, que l'on peut proférer, sans entamer l'estime de soi-même, de tels borborygmes sémantiques. Je ne puis me résoudre à croire qu'une personne, qui a probablement une culture philosophique non négligeable (ce que montre, à l'évidence, la teneur de certaines interventions dudit contributeur) aurait déployé autant d'arrogance, d'insolence, de suffisance si je l'avais eue en face de moi. Et même si l'exemple que j'analyse est, certes, caricatural, il confirme néanmoins ma thèse selon laquelle en général, on ne peut pas faire de philosophie sur Internet.

Philippe Jovi (professeur de philosophie).

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Messagepar Henrique » 12 juin 2009, 13:12

Bonjour Philippe,
Alors que vos précédents arguments avaient été largement déconstruits et qu'on vous avait opposé des contre-arguments sérieux, auxquels vous n'avez pas il me semble répondu, vous revenez sur votre propos en le simplifiant : plus besoin de parler de cette mystérieuse identité narrative, en gros votre argument est le suivant : "dire de grosses bêtises avec arrogance n'est pas penser, or Internet permet d'en dire d'énormes sans honte puisqu'on n'a pas à y assumer comme dans la vie civile la responsabilité de ses propres paroles, donc Internet empêche de penser".

Mais premièrement, ill suffit de voir les réactions passionnelles qui se rencontrent sur ce forum même : le fait d'utiliser un pseudonyme ne préserve pas contre les atteintes à l'image de soi, dont vous semblez pourtant faire un ressort essentiel de la pensée proprement dite. Si donc un propos est effectivement bête et que la démonstration en est faite, rien n'empêchera les remises en question, même si elles ne sont pas visibles immédiatement. Et pour ce qui est de la mauvaise foi qu'on peut trouver ici parfois dans le déni de l'évidence pourtant clairement établie, Internet et plus précisément l'anonymat n'y sont pour rien, ce sont les passions naturelles qui sont en cause, comme on le voit tout aussi bien dans certaines réactions parfaitement renseignées civilement dans l'affaire Sokal ou encore plus nettement sur le terrain politique en général. Et s'il est par nature difficile de voir sa propre mauvaise foi, les autres la voient facilement quand l'erreur est dûment démontrée, ce qui permet d'éviter l'erreur collective que vous semblez vouloir dénoncer.
Il n'y a donc pas à accuser Internet d'empêcher qu'on pense sérieusement.

Ensuite, vous vous bornez à dénoncer des erreurs relevant de l'approximation dans le domaine scientifique. Mais qui peut prétendre n'en jamais commettre ? Vous dites qu'Internet facilite le fait de penser confusément, n'ayant pas à vérifier ce que l'on dit du fait qu'on n'a pas à protéger sa réputation de sérieux. J'ajouterais même pour aller dans votre sens que sur un forum comme celui-ci, il y a une tendance mécanique à la réaction quasi-immédiate, d'abord parce que c'est possible et qu'ensuite, ceux qui se saisissent de cette possibilité entraînent les autres à les suivre sur cette voie. Du coup, le temps de la réflexion, des vérifications qui s'imposent n'est pas pris. Seulement, penser mal n'est pas ne pas penser. Il faut voir aussi que la liberté de ton qu'implique ce type d'échange facilite l'audace, dans laquelle vous voyez du haut de votre autorité institutionnelle insolence, arrogance, au fond "mauvaise pensée" plutôt qu'absence de pensée. Mais il n'y a pas non plus de pensée sans cette audace qui passe toujours pour déplacée quand on est installé dans la place. N'a-t-il pas fallu à Descartes, à Spinoza, à Hegel une grande audace pour remettre en cause les autorités instituées de leur temps ? Vous me direz qu'ils l'ont fait en leur nom, ce qui les a conduit à tourner 7 fois leur langue dans leur bouche avant de l'ouvrir. Mais pas Spinoza comme je vous l'avais déjà signalé. Et Hegel, cela ne l'a pas empêché d'écrire à propos de la philosophie de la nature des propos qui feraient passer Sokal pour un modèle de rigueur. Quant à Descartes, il n'a pas toujours pensé sans précipitation et sans prévention malgré ses percées essentielles. Pas besoin donc d'Internet pour se tromper, s'abuser soi-même.

Enfin, vous voyez de l'arrogance dans le fait de faire des rapprochements hasardeux entre science et philosophie. Mais au lieu de dénoncer de façon argumentée in situ ces rapprochements ou si cela s'éloigne trop du sujet initial, au lieu de créer un nouveau sujet pour cela, vous vous contentez de condamner ici la chose en appelant la risée sur le propos qui vous disconvient. Pour le coup, ce n'est pas trop de la pensée au sens hegelien mais plutôt une réaction d'ordre éristique. Je ne sais pas si c'est Internet qui vous y conduit, mais rien n'autorise à faire de votre cas une généralité.

Et pourquoi inviter vos étudiants à fuir ce genre de lieu où la parole vous paraît trop irrémédiablement libre, pour ne pas dire licencieuse ? Je ne sais plus si je l'avais dit mais je trouve assez surprenant de votre part de citer leur réaction allant bien sûr dans votre sens comme une garantie de la vérité de votre thèse. N'avez vous pas pensé qu'ils avaient intérêt à fayoter, tout simplement ? Je vous le demande qu'est-ce qui est préférable : le maintien d'une situation sous contrôle académique où les esprits trop novateurs sont le plus souvent mal vus, sclérosant la pensée plutôt qu'elle ne l'invite à la rigueur méthodique ou bien une situation où à côté de ce contrôle, la pensée peut prendre le risque d'errer mais aussi d'innover sans avoir à se faire ridiculiser en son nom propre ?

Il ne faut tout simplement pas attendre de ce forum plus qu'il ne peut apporter. Certes vous n'y trouverez pas des échanges où chaque mot est pesé, chaque référence vérifiée et revérifiée. Mais des idées peuvent y être lancées, essayées, testées beaucoup plus facilement que lorsqu'il faut jouer la comédie des moeurs académiques ainsi que Bardamu l'avait relevé. Et personne n'a dit qu'il suffisait de fréquenter ce forum pour se constituer un corps de pensées sérieuses et irrévocables. D'abord on vient ici avec des lectures, des interrogations et des expériences de pensée préalables à discuter, ensuite personne n'est encouragé à s'y cantonner.

Il ne s'agit donc pas de rejeter tout ce qui est académique. Même pesantes et infiniment plus lentes, les conditions de l'expression académique permettent une stabilisation de la pensée, sans laquelle celle-ci ne serait jamais qu'agitation sans lendemain de vents contraires. Mais pourquoi vouloir mettre de la concurrence partout ? Pourquoi ne pourrait-il pas tout simplement y avoir concours d'approches variées de la même discipline, les qualités de l'une palliant les défauts de l'autre ?

Ce forum n'en est pas moins amendable, je ne doute pas en ce qui me concerne qu'il y aurait beaucoup à gagner si les participants prenaient davantage le temps de la réflexion. Je suis le premier responsable des lenteurs qu'il peut y avoir à ce sujet. D'autres affaires me détournent régulièrement de ce forum mais de toutes façons, quels que soient les dispositifs qui pourraient améliorer les choses, rien ne sera obtenu tant qu'une majorité ne sera pas convaincue pour soi-même d'éviter les réactions précipitées et passionnelles afin de privilégier l'échange d'arguments assez sérieux pour que tout le monde puisse en tirer profit.

Henrique Diaz, internaute.

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Messagepar hokousai » 12 juin 2009, 16:39

En accord avec le texte d'Henrique

petite remarque
je relève les confusions grossières entre "multiple" et "entier"

tout nombre entier est multiple de 1 et multiple de lui même (à minima dans le cas des nombres premiers )

l'ensemble des nombres premiers comme :

{ p ∈ N | p > 1 et ∀ x ∈ N [x divise p ⇒ (x = 1 ou x = p)] }


Cela dit il apparait clairement que pour Cantor lui même les nombres transfinis seraient des instruments d'élucidation philosophiques .
On peut déplorer que le mauvais exemple est donné par l' un des plus grands mathématiciens , le fait est là .

Ou bien on peut suivre le cheminement de Cantor .Il faut avouer que la tentation est grande, l'introduction de Cantor dans le spinozisme ne relèvant pas du farfelu .

En revanche la question de l'introduction ne relève pas vraiment de (contexte historique ) l'étude des conditions socio-culturelles d'époque de la pensée de Cantor .

Si les philosophes , et Platon Aristote au premiers chef eurent toujours un pied dans les mathématiques , Cantor y met les deux pieds pour ne pas dire les pieds dans le plat .

Si cela a pour effet de révéler les collusions hasardeuses et héritées des deux grecs , encore faut il le montrer , ce qui n'est si facile .

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Messagepar PhiPhilo » 12 juin 2009, 18:07

Bonsoir Henrique.

Il est vrai que je n'ai pas pris le soin de répondre aux objections, sérieuses et argumentées, que vous m'avez adressées et j'en suis fort marri. Je dirai en guise de plate et banale défense que, contrairement à d'aucuns qui postent plus vite que leur ombre, je "fréquente" ce site de manière très irrégulière, discontinue et rare. Souffrez donc que je commence à le faire en répondant à votre présent post.

Henrique a écrit :Vous revenez sur votre propos en le simplifiant : plus besoin de parler de cette mystérieuse identité narrative, en gros votre argument est le suivant : "dire de grosses bêtises avec arrogance n'est pas penser, or Internet permet d'en dire d'énormes sans honte puisqu'on n'a pas à y assumer comme dans la vie civile la responsabilité de ses propres paroles, donc Internet empêche de penser".
Je ne simplifie rien. J'exemplifie. Et l'exemple est tellement caricatural qu'effectivement, il se passe presque de commentaire. Ce qui est le propre de l'exemple, n'est-ce pas : il montre ce qui ne nécessite pas d'être dit. C'est pourquoi ce n'est qu'in fine que je fais retour sur l'absence de cette "mystérieuse" (sic !) identité narrative qui, de toute évidence, caractérise l'auteur des propos incriminés :
PhiPhilo a écrit :Je prétends que celui qui écrit "la théorie des ensembles promeut l'ensemble vide au rand [sic] de premier ensemble EXISTANT, l'ensemble qui est tel qu'aucun multiple ne lui appartient et qui est pourtant l'énoncé existant de cette asbence [re-sic] de multiple", celui-là se mépriserait profondément s'il était doté d'une identité objective (un "caractère" comme dirait Ricoeur) cohérente. A contrario, c'est uniquement à la faveur de la disparition d'une telle identité, disparition encouragée, sinon engendrée par Internet, que l'on peut proférer, sans entamer l'estime de soi-même, de tels borborygmes sémantiques.


Henrique a écrit :Si donc un propos est effectivement bête et que la démonstration en est faite, rien n'empêchera les remises en question, même si elles ne sont pas visibles immédiatement.
Vous avez tort. On ne répond pas aux propos outranciers. On corrige l'erreur. Devant le non-sens, on se tait. Or, précisément, les propos que j'ai mis en exergue sont tellement grossiers qu'ils échappent à toute remise en question. Je prends souvent, pour mes élèves et étudiants, l'analogie suivante pour montrer qu'on ne peut pas tout dire sous prétexte qu'on fait de la philo : si un joueur d'échecs utilise sa tour comme un cavalier, vous lui faites remarquer que ce n'est pas comme cela qu'on joue ; si le même joueur jette une boule de pétanque sur l'échiquier, vous partez en courant !

Henrique a écrit :Et pour ce qui est de la mauvaise foi qu'on peut trouver ici parfois dans le déni de l'évidence pourtant clairement établie, Internet et plus précisément l'anonymat n'y sont pour rien, ce sont les passions naturelles qui sont en cause, comme on le voit tout aussi bien dans certaines réactions parfaitement renseignées civilement dans l'affaire Sokal ou encore plus nettement sur le terrain politique en général. [...] Il n'y a donc pas à accuser Internet d'empêcher qu'on pense sérieusement.
Dans mes propos, il n'est jamais question de "mauvaise foi", encore moins de "passions", qui sont des formes de relations sociales réelles entre des "moi" bien réels et identifiés comme tels, mais d'incohérence du moi, d'Ichspaltung, comme disent les psychanalystes, ce qui, précisément, interdit toute relation autre que virtuelle. D'ailleurs, vous confondez l'anonymat, qui soustrait l'acte commis à l'identification (ce qui peut permettre de sauvegarder une intégrité personnelle menacée par un ou des identificateur-s- mal intentionné-s-), et le pseudonymat qui a pour fonction d'indexer l'acte à une fausse identité, comme le dit l'étymologie, bref, de l'assigner à une personnalité fantasmée. Or je soutiens (cf. mes précédents posts) qu'avec une personnalité fantasmée, on peut chatter mais on ne peut pas dialoguer.

Henrique a écrit :Ensuite, vous vous bornez à dénoncer des erreurs relevant de l'approximation dans le domaine scientifique. Mais qui peut prétendre n'en jamais commettre ?
Le problème n'est pas là. Comme le dit Wittgenstein,
S’il se peut que quelqu’un, dans un jeu, fasse un coup incorrect, il est impossible que tous les hommes, dans tous les jeux, ne fassent que des coups incorrects. (Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §345)
Autrement dit, tant que l'erreur, l'approximation, voire le non-sens, demeurent exceptionnels, tout va bien. Cependant, je maintiens que, sur un "forum philosophique virtuel" (pardon pour l'oxymore !), de tels manquements aux exigences fondamentales de la philosophie ne sont pas l'exception mais la règle. C'est en ce sens qu'il est, en règle générale, presque impossible de penser philosophiquement sur Internet.

Henrique a écrit :Vous dites qu'Internet facilite le fait de penser confusément, n'ayant pas à vérifier ce que l'on dit du fait qu'on n'a pas à protéger sa réputation de sérieux. J'ajouterais même pour aller dans votre sens que sur un forum comme celui-ci, il y a une tendance mécanique à la réaction quasi-immédiate, d'abord parce que c'est possible et qu'ensuite, ceux qui se saisissent de cette possibilité entraînent les autres à les suivre sur cette voie. Du coup, le temps de la réflexion, des vérifications qui s'imposent n'est pas pris. Seulement, penser mal n'est pas ne pas penser.
Là dessus, je suis d'accord avec vous.

Henrique a écrit :Il faut voir aussi que la liberté de ton qu'implique ce type d'échange facilite l'audace, dans laquelle vous voyez du haut de votre autorité institutionnelle insolence, arrogance, au fond "mauvaise pensée" plutôt qu'absence de pensée. Mais il n'y a pas non plus de pensée sans cette audace qui passe toujours pour déplacée quand on est installé dans la place. N'a-t-il pas fallu à Descartes, à Spinoza, à Hegel une grande audace pour remettre en cause les autorités instituées de leur temps ?
Là encore, vous commettez une confusion entre d'une part l'audace de celui qui se révolte et l'insolence de celui qui se rebelle. Comme le dit excellement Albert Camus, se révolter, c'est (étymologiquement) faire face. Et, en effet, Descartes et Spinoza, ont dû faire face à des dangers qui menaçaient rien moins que leurs vies respectives. D'où, comme je le disais supra, la nécessité de l'anonymat pour publier le Traité Théologico-Politique. Quant à Hegel, il a mis en jeu son statut philosophique en rompant avec le kantisme triomphant. Mais, dites-moi un peu : quel risque prennent les gros nuls qui signent d'un pseudonyme ronflant et affichent un avatar affligeant ? Car, contrairement au révolté, le rebelle ne fait pas face au monde réel. Bien au contraire, il montre ses fesses à tous les passants ! Il est dans la régression infantile qui le ramène au principe de plaisir. Où est leur audace ? L'audace consisterait, au minimum, à assumer les affirmations, éventuellement iconoclastes, en termes de risques éthiques concernant l'estime de soi, accepter l'objection, au lieu de faire un gros caprice, souffrir la correction, au lieu de faire une grosse colère. Elle consisterait aussi, comme vous le soulignez vous-même, à prendre le temps de réfléchir, de peser/penser ses propos, à fouiller ses références, bref, à dialoguer : dialoguer avec soi-même (mais encore faut-il être doté d'un soi cohérent), dialoguer avec autrui (mais encore faut-il reconnaître autrui comme un autre soi-même), dialoguer avec les auteurs (mais encore faut-il en reconnaître l'autorité). Je crains qu'on en soit assez loin.

Henrique a écrit :Enfin, vous voyez de l'arrogance dans le fait de faire des rapprochements hasardeux entre science et philosophie. Mais au lieu de dénoncer de façon argumentée in situ ces rapprochements ou si cela s'éloigne trop du sujet initial, au lieu de créer un nouveau sujet pour cela, vous vous contentez de condamner ici la chose en appelant la risée sur le propos qui vous disconvient. Pour le coup, ce n'est pas trop de la pensée au sens hegelien mais plutôt une réaction d'ordre éristique. Je ne sais pas si c'est Internet qui vous y conduit, mais rien n'autorise à faire de votre cas une généralité.
De toute évidence, vous avez, vous aussi, un problème avec la notion d'autorité. A cet égard, je vous recommande la lecture d'Hannah Arendt, d'une part dans la Crise de la Culture, iii, d'autre part dans du Mensonge à la Violence, iii. Il m'arrive de fréquenter des forums d'échecs (vous voyez, rien n'est perdu : on peut aussi jouer aux échecs, sur Internet !). Lorsqu'un GM ou un GMI y fait une rare et courte apparition, les internautes se battent pour solliciter ses conseils. Tandis que, sur ce forum prétendument philosophique, lorsque quelque "spécialiste" ose relever quelque incongruité,
les plus ardents discourent et s’agitent, les autres, près de la tribune bourdonnent et ferment la bouche au contradicteur, de sorte que [...] les affaires sont réglées par eux. (Platon, République, VIII, 564e)


Henrique a écrit :Et pourquoi inviter vos étudiants à fuir ce genre de lieu où la parole vous paraît trop irrémédiablement libre, pour ne pas dire licencieuse ? Je ne sais plus si je l'avais dit mais je trouve assez surprenant de votre part de citer leur réaction allant bien sûr dans votre sens comme une garantie de la vérité de votre thèse. N'avez vous pas pensé qu'ils avaient intérêt à fayoter, tout simplement ? Je vous le demande qu'est-ce qui est préférable : le maintien d'une situation sous contrôle académique où les esprits trop novateurs sont le plus souvent mal vus, sclérosant la pensée plutôt qu'elle ne l'invite à la rigueur méthodique ou bien une situation où à côté de ce contrôle, la pensée peut prendre le risque d'errer mais aussi d'innover sans avoir à se faire ridiculiser en son nom propre ?
Ah, la la ... Malgré l'immense respect que j'ai pour les difficiles fonctions que vous exercez, je crains que nos positions soient inconciliables. Je laisse le mot de la fin à l'un de mes maîtres (il va de soi que c'est moi qui souligne) :
Que chaque être humain [soit] libre de choisir d'où il veut tirer ses convictions et où il veut placer sa foi [...], une telle conception passe pour particulièrement distinguée, tolérante, compréhensive et libre de préjugés étroits. [...] Il est évident que la vérité ne peut être tolérante, qu'elle n'admet ni compromis ni restriction, que la recherche considère tous les domaines de l'activité humaine comme les siens propres et qu'il lui faut devenir inexorablement critique lorsqu'une autre puissance veut en confisquer une part pour elle-même. (Freud, Nouvelles Conférences sur la Psychanalyse, xxxv)

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Messagepar bardamu » 12 juin 2009, 18:58

PhiPhilo a écrit :(...) Bref, je prétends que celui qui écrit "la théorie des ensembles promeut l'ensemble vide au rand [sic] de premier ensemble EXISTANT, l'ensemble qui est tel qu'aucun multiple ne lui appartient et qui est pourtant l'énoncé existant de cette asbence [re-sic] de multiple", (...)

C'est la faute à Badiou...

alcore ne pourrait-il pas tenir exactement le même discours, publiquement, si il avait le statut de professeur des universités ?

Avec des exemples et contre-exemples on risque d'en rester à l'anecdotique, mais bon...

Apparemment, Badiou dit dans ses cours, des choses comme :
Badiou a écrit :En théorie des ensembles, un objet, ultimement, c’est des occurrences du vide, tissées par des opérations et des ponctuations.

Donc, un objet mathématique, c’est une multiplicité dont il y a sens à dire qu’elle est tissée du seul vide. Raison fondamentale pour laquelle les objets sont sans qualité, radicalement.


Ou bien :
Badiou a écrit :On appellera ouvert tout ensemble qui est identique à son intérieur.
(...)
Je voudrais suspendre à cette définition un examen de l’importance extrême de la notion d’ouvert dans la pensée contemporaine.
Quelle est la signification de cette opposition ? Quelques références :
—Bergson qui oppose la société close à la société ouverte.
— Importance de la notion d’ouvert dans l’herméneutique de Heidegger.
— C’est un attribut fondamental de toute multiplicité pour Deleuze, que d’être ouverte. Il n’y a pas de multiplicité exclusivement sous le signe de l’Un.
— Question de l’ouverture à l’autre dans la philosophie morale.
— Pour Popper, les sociétés démocratiques sont des sociétés ouvertes. L’ontologie de la démocratie est ouverte.
— Il est de l’essence du marché d’être « ouvert ».


Sa définition d'un ouvert me semble particulière et passer des ensembles ouverts à l'essence du marché me laisse songeur. Je me demande ce que ça peut donner auprès d'étudiants n'ayant pas de notions de math.

Qui va juger que ce que dit alcore est plus abscons que ce que dit Badiou ?
Et est-ce que l'engagement de alcore est moins sincère que celui de Badiou même si son usage des mathématiques est approximatif ?

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Messagepar PhiPhilo » 12 juin 2009, 19:00

hokousai a écrit :tout nombre entier est multiple de 1 et multiple de lui même (à minima dans le cas des nombres premiers )
Le problème est que les axiomes de Peano ne définissent pas le nombre entier à partir de la fonction "multiple" (loi de composition multiplicative) mais à partir de la fonction "successeur" (loi de composition additive).

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Messagepar PhiPhilo » 12 juin 2009, 19:13

...
Modifié en dernier par PhiPhilo le 13 juin 2009, 07:18, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 12 juin 2009, 21:32

Philophilo a écrit :D'ailleurs, vous confondez l'anonymat, qui soustrait l'acte commis à l'identification (ce qui peut permettre de sauvegarder une intégrité personnelle menacée par un ou des identificateur-s- mal intentionné-s-), et le pseudonymat qui a pour fonction d'indexer l'acte à une fausse identité, comme le dit l'étymologie, bref, de l'assigner à une personnalité fantasmée. Or je soutiens (cf. mes précédents posts) qu'avec une personnalité fantasmée, on peut chatter mais on ne peut pas dialoguer.




Votre problème l’ami est que toute votre histoire est une grossière pétition de principe. C’est vous qui confondez les deux choses. Et c’est là en gros ce que les gens qui vous ont répondu ( sur ce fil) se sont efforcés de souligner.

Votre grosse généralité « On ne peut pas penser sur Internet » n’avait que ça (je veux dire : l’argument de « l’anonymat ») pour elle. Il s’agissait d’un critère évidemment très faible, mais du moins était-ce un critère…. Si maintenant vous admettez un distinguo entre « bon anonymat » et « mauvais anonymat » de quoi diable parlez vous donc?

On en arrive semble-t-il à cette conclusion faramineuse… que les gens irresponsables dans la vie le seront aussi sur Internet !!!!

Car les gens « responsables » s’y exprimeront en effet « anonymement », (pour se protéger etc. ) tandis que les gens irresponsables s’y exprimeront ‘pseudonymiquement » (pour fantasmer etc…).

Dans un cas comme dans l’autre Internet en tant que medium de communication ne semble plus avoir grand-chose à voir avec la question…

Mais il n’était peut être pas besoin de remuer pour cela Ricœur, Wittgenstein, Hegel, Kant, Descartes, Arendt, Camus…et tous les autres…. (car si personne ne vous arrête, nul doute « qu’ils y passeront tous »)


Vous me permettrez de vous faire part, pour conclure, d’une idée qui m’est apparue soudain: Pourquoi ne fondriez-vous votre propre forum Internet ?

Je vous propose l’intitulé suivant : « PHILIPPE JOVI (alias PHILOPHILO) PENSE SUR INTERNET »…. N’y seraient (naturellement) admis que vos élèves….

D’ une part vous y trouveriez votre compte….


Mais figurez vous….. Pas seulement vous !


D.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 12 juin 2009, 23:46

à Phiphilo

Le problème est que les axiomes de Peano ne définissent pas le nombre entier à partir de la fonction "multiple" (loi de composition multiplicative) mais à partir de la fonction "successeur" (loi de composition additive).


je comprends bien ,alors il faut mieux citer Presburger ,
car l'arithmétique de Peano a des axiomes pour la multiplication.

Je ne pense pas que les mathématiciens soient nécessairement les mieux placés pour comprendre les entiers naturels
.................................................................

je vous cite le perspicace Rémy Droz

"""""Personne ne se souvient que le grand Herbart (1835/1894, para. 252 sq.) fondait sa psycho-pédagogie du calcul sur une idée du nombre comme opérateur : selon lui, l'idée de douze chaises ne suppose pas la représentation mentale d'une douzaine de chaises (cela encombrerait, d'ailleurs, l'esprit autant que les décors d'une pièce d'Ionesco), mais la représentation d'une chaise et du nombre douze qui agit alors comme opérateur (x 12) sur la quantité « chaise » et son unité cardinale, « une chaise »."""""""""" .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 13 juin 2009, 00:17

Phiphilo a écrit :D'ailleurs, vous confondez l'anonymat, qui soustrait l'acte commis à l'identification (ce qui peut permettre de sauvegarder une intégrité personnelle menacée par un ou des identificateur-s- mal intentionné-s-), et le pseudonymat qui a pour fonction d'indexer l'acte à une fausse identité, comme le dit l'étymologie, bref, de l'assigner à une personnalité fantasmée. Or je soutiens (cf. mes précédents posts) qu'avec une personnalité fantasmée, on peut chatter mais on ne peut pas dialoguer.


Bonjour Phiphilo,

en ce qui me concerne je "pense" toujours que cela vaut la peine d'essayer d'approfondir la question de la possibilité de penser en discutant sur un forum électronique par le biais des concepts que vous avez proposés il y a quelque temps (identité narrative etc.). En attendant, juste ceci.

On peut bien sûr distinguer l'anonymat du pseudonymat, mais si l'on veut le faire de façon "neutre", on peut seulement dire que l'anonymat concerne la situation où quelqu'un ne dévoile pas son identité ou des aspects de sa vie privée ou professionnelle, alors que le pseudonymat ne signifie rien d'autre que l'usage d'un pseudonyme.

Votre thèse est alors: le fait même d'utiliser un pseudonyme (ce qui devient bien évidemment inévitable dès que l'on veut se lancer dans une activité collective ou sociale de manière anonyme) IMPLIQUE NECESSAIREMENT (du moins "en général") que celui qui l'utilise va s'inventer une toute nouvelle identité, une identité dont il sait qu'elle est fausse.

Je pourrais vous répondre que de toutes les personnes que je connais et qui fréquentent des forums de discussion philosophique sur internet, pas une ne s'amuse à inventer une fausse identité (moi-même y compris), même pas "un peu".

Vous me répondrez sans doute que vous ne parlez que "en général", et que donc si mon expérience est vraie, il doit s'agir d'exceptions qui ne peuvent que confirmer la règle.

Supposons que cette réponse soit correcte. Il reste alors à démontrer l'idée même de la règle: un forum électronique de discussion philosophique attire principalement des gens qui s'intéressent à inventer une fausse identité. Puisque personne d'entre nous n'est capable de fournir une preuve empirique d'une telle thèse, on ne peut qu'essayer d'en vérifier la cohérence en examinant les arguments susceptibles de l'étayer.

Et c'est là que j'ai toujours des problèmes à vous suivre. Pourquoi serait-il faux de dire que "en général", un forum électronique de philosophie attire avant tout des gens qui s'intéressent réellement à la philosophie?

En effet, lorsqu'on cherche un forum électronique qui se veut philosophique, n'est-ce pas "en général" pour y parler de philosophie, voire d'essayer d'apprendre à mieux la pratiquer soi-même (tout comme ceux qui aiment la course à pied vont plutôt s'intéresser réellement aux forums consacrés à ce sujet)? Et justement, de ce point de vue, ne faut-il pas dire qu'il est totalement non pertinent de savoir qui est l'interlocuteur (un "arrogant", un "ignorant", un "expert", un "je suis un autre" ...), puisque dans ce cas, ce à quoi on s'intéresse, ce sont les idées qu'on y trouve (tout comme je ne vais pas d'abord me demander qui "se cache" derrière tel ou tel pseudo sur d'autres types de forums, puisque lorsque je me rends par exemple sur un forum de marathon, ce que j'y cherche ce sont des idées concernant le type de chaussettes adaptées au marathon etc., idées que je vérifierai moi-même par après pour pouvoir savoir ce qu'elles valent)?

Vous répondrez peut-être que si l'on lit, de fait, les échanges sur des forums à vocation philosophique, alors on ne voit pas trop de discussions qui portent réellement sur des idées. Le diriez-vous aussi de ce forum-ci? Si oui, personnellement je ne partage pas cette impression. Ce qu'il y a plutôt, c'est qu'on rencontre ici comme ailleurs lorsqu'on fréquente des endroits où se rassemblent des gens qui, d'une manière ou d'une autre, s'intéressent à la philosophie,

1) des gens de tout "niveau" (d'"amateurs" aux "professionnels", de débutants aux experts)
2) tout un éventail de conceptions divergentes quant à ce que c'est que la philosophie et comment la pratiquer.

Par conséquent, en ce qui me concerne pour l'instant j'ai le même problème avec votre thèse qu'avec celle que Bouveresse semble défendre au sujet de la pratique de la philosophie en général: on risque de n'admettre a priori qu'une seule conception de la pratique philosophique (la sienne), et d'évacuer la difficile question de la diversité factuelle en passant illico à des arguments qui "psychologisent" le débat (on suppose alors que sa propre conception de la pratique philosophique ne relève que du "bon sens" ou est "évidemment" la meilleure, et on "explique" le fait que d'autres ne sont pas d'accord là-dessus en présumant pour cette raison même qu'ils doivent manquer cruellement, eux, de ce même "bon sens", être "arrogant", "prétentieux" etc.).

A mes yeux, cela a comme désavantage de laisser l'un des problèmes fondamentaux propres au domaine de la philosophie totalement "non pensé": le fait qu'ici, contrairement à ce qui est en général le cas en science, on n'a qu'un corpus d'écrits philosophiques sur lequel une majorité de philosophes est plus ou moins d'accord, mais aucun consensus quant à ce que devrait être la seule et véritable pratique philosophique.

Conclusion: lorsqu'on fréquente un forum électronique consacré à la philosophie, on peut faire deux choses. Si l'on constate qu'on y trouve pas mal de discussions qui ne volent pas encore très haut, entamées par des gens qui sont là précisément pour apprendre à mieux philosopher (ce qui commence par essayer d'exprimer par écrit sa pensée, se laisser interroger par les idées que l'on peut lire en guise de réponses à ce qu'on a écrit etc.) et/ou si l'on constate que beaucoup de ce qu'on peut y lire ne correspond pas à sa propre conception de ce que devrait être, idealiter, la pratique philosophique, on peut:

1) ne pas utiliser ce constat comme "occasion de penser", et simplement supposer que seuls des "défauts psychologiques" peuvent "expliquer" la différence entre ce qu'on espère y trouver et ce qu'on y trouve. Alors de tels forums seront sans intérêt (on ne pourra que les déplorer; position du rebelle?).

2) avoir envie de s'exercer soi-même davantage à penser, en s'obligeant à ou en s'imposant comme contrainte de ne chercher que des idées dans ce qu'on peut y lire, et en essayant de formuler en quoi et pourquoi on croit, le cas échéant, ne pas être d'accord avec telle ou telle idée avancée. Si l'on est assez certain de mieux connaître la philosophie que son interlocuteur, on pourra toujours utiliser l'intervention de l'autre pour repenser pour soi-même de manière active ce qu'on avait déjà pensé avant (ce qui était "sédimenté" en devenant "du pensé"), et alors aussi bien celui qui "explique" que celui qui est censé être "l'élève" apprennent à mieux penser (position de celui qui se révolte?).

D'ailleurs, toute "discussion rationnelle" (Habermas) et même toute pensée ne commencent-t-elles pas par la présupposition que rien ne soit évident, et que tout est toujours à repenser? N'est-ce pas là que la "véritable" pratique philosophique ou pensée a son origine et sa condition de possibilité?

Si oui, se concentrer sur la personne même de son interlocuteur n'a pas d'intérêt, et si l'on trouve que "en général" cela ne vole pas très haut, il faut aller chercher des explications "techniques" plus profondes que le simple anonymat (les failles dans l'enseignement de la philosophie à l'école, l'idée peu pertinente que dans notre culture les non philosophes ont tendance à se former des philosophes, la grande variété de pratiques philosophiques présentes au sein même de la communauté des philosophes "professionnelles", et ainsi de suite ... mais alors on peut difficilement nier qu'intervenir soi-même activement dans des forums publics de philosophie pourrait précisément constituer une manière (certes modeste) de commencer à remédier à ce type de problème (philosophia militans, au sens de révolte...), non?).
L.
Modifié en dernier par Louisa le 13 juin 2009, 00:33, modifié 2 fois.


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