Présentation Henz

Espace pour se présenter : qui êtes vous (ou pensez vous être) ? Comment avez vous découvert Spinoza ? Qu'est-ce qui vous intéresse chez lui plus particulièrement ? et tout ce qu'il vous conviendra de dire pour permettre de mieux se connaître.
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Henz
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Présentation Henz

Messagepar Henz » 11 août 2009, 23:28

Bonjour à tous,

En guise de présentation, j'aime autant vous faire part de mes croyances afin que vous puissiez m'indiquer si je me trompe une nouvelle fois de lieu :

- Je crois que l'univers n'est pas à l'échelle humaine et quels que soient les instruments que nous inventerons pour le contempler afin de dépasser les limites de notre perception, cette dernière restera soumise à notre façon humaine d'appréhender les choses. Rien ne me permet de croire que nous pourrons un jour percevoir l'univers tel qu'il se donne à lui même, il faudrait être l'univers pour cela, ne pas être soumis à des processus cognitifs humains.

- Je constate que l'homme doit conceptualiser le monde pour l'intérioriser, un concept étant une représentation mentale et abstraite, une réalité relative donc. Je constate donc à nouveau que l'homme saisit le monde d'une façon purement humaine, il sépare en choses bien distinctes ce qui se donne pourtant à lui d'un bloc. Il y a nécessairement qq chose au-delà des contingences humaines.

- Je constate cette alchimie merveilleuse de la vie, ce système formidable qui s'autogère pour faire exister ce qui existe, en une "impulsion" immanente et transcendante à toute chose. Je crois en un principe ontologique.

- J'effleure parfois et trop rarement cette impulsion en moi, en chacun et en toute chose dès lors que je crois que nous sommes tous les vagues d'un même océan, la considération pour autrui ou encore pour chaque brin d'herbe apparaît nécessairement, puisque toute chose procède du même tout et y est soumise ; L'égo se disloque ponctuellement, la mort aussi.

J'ai bien entendu cotoyé de nombreux forums de religions où je pense avoir rencontré globalement des gens davantage soucieux de revendiquer la vérité pour leur seul dogme avant même de tenter de m'en faire part. Il m'a fallu tout ce temps pour commencer à amorcer des recherches sur l'ontologie, de fil en aiguille, j'ai trouvé ce forum et m'apprête à lire l'Ethique.

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sescho
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Messagepar sescho » 12 août 2009, 10:06

Bonjour et bienvenue.


Je ne vois pas à redire à ce que vous avez écrit là, et qui est effectivement le fondement premier de l'esprit de Spinoza tel qu'il l'expose dans son œuvre (l'Ethique évidemment, mais aussi significativement dans d'autres ouvrages, ainsi qu'indiqué par exemple ici.)

J'oserais donc retirer le terme de "croyances"...

Si les limites de l'esprit humain sont indéniables (le contraire est indéfendable), il reste à découvrir ce qui dans l'esprit humain est néanmoins, quoique limité, parfaitement clair et distinct, soit purement et simplement vrai (mais on pourrait être moins strict sans perdre l'essentiel : "d'une très nette clarté et distinction.") C'est ce que se propose de mettre en lumière Spinoza. Cette lumière a, de fait, une source incontournable qui est : mettre - non en mots a posteriori, ce qui ne vaut pas grand chose, mais a priori et de fait - Dieu la Nature en amont de tout, toujours, sans faute.

Le monde relatif existe, il est réel et inscrit dans la forme, l'espace et le temps (il est fait de frontières, est changeant dans les effets de son mouvement, se meut en interdépendance et impermanence.) De ce point de vue tous les étants sont différents. Toutefois, il est déjà clair à l'esprit qu’ils peuvent être vus aussi en genre et différences, et que cette catégorisation consiste à relever une même essence manifestée selon la multiplicité au sein des étants (d’où la pertinence par exemple de l’emploi de « esprit humain », qui est une notion générale.) Mais la vue correcte est qu’ils sont les manifestations du Mouvement (de l’Énergie) sempiternel de l’Être éternel, être en soi : Dieu Nature. Dieu est en soi (aséité), le reste ne peut être et ne peut être conçu qu’en autre chose (abaliété), soit Dieu.

Ceci est commun à toute la Tradition millénaire, en particulier au Bouddhisme, au Védanta (voir Arnaud Desjardins en particulier) et au Stoïcisme (dont je considère personnellement, avec d’autres, que Spinoza est l’aboutissement.)

Par exemple, de Sogyal Rinpotché : « Imaginez une vague à la surface de la mer. Vue sous un certain angle, elle semble avoir une existence distincte, un début, une fin, une naissance et une mort. Perçus sous un autre angle, la vague n’existe pas réellement en elle-même, elle est seulement le comportement de l’eau... Si vous y réfléchissez de près, rien ne possède d’existence intrinsèque. C’est cette absence d’existence indépendante que nous appelons vacuité. »

La vanité s'empare de tout ce qui brille, y compris (du témoignage mal assimilé) de l'état sans vanité... C'est ce à quoi les religions conduisent souvent (mais il convient de voir aussi ce qui reste de bon, le cas échéant, et de supérieur à l’absence de vision spirituelle en général.) Jésus de Nazareth, par exemple, de même que Siddharta Gautama, Socrate et bien d'autres, est considéré par l'ensemble des sages des derniers siècles (en particulier Spinoza ; aujourd'hui par exemple Arnaud Desjardins ou Eckhart Tolle, hier Paul Diel) comme ayant été effectivement un éveillé ou "oint du seigneur". Le Christianisme pris en bloc en apparaît pourtant loin… Swami Prajnanpad lui-même dit que 99% de ce qui occupe l’Hindouisme est superstition… (mais le 1% qui reste pèse encore très lourd dans une société orientée spirituellement à la base.)


Donc une part de ma réponse est : Spinoza est bien un des rares auteurs de Philosophie telle que comprise en Occident depuis la Renaissance à atteindre cette ultime hauteur de vue.

L’autre part est : quoiqu’il maintienne une qualité certaine d’échange, on ne peut évidemment pas attendre de ce forum une communion permanente au sommet de la puissance de l’esprit, en profondeur et largeur. Il faut donc faire au mieux avec…


Serge
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Messagepar Henz » 12 août 2009, 14:10

Bonjour Sescho,

Merci pour votre accueil et vos premières élucidations. Je vais m'empresser de consulter les références dont vous parlez.

Toutefois, étant globalement perdu sur le chemin de la pensée ontologique, je rencontre un premier problème de compréhension quant à ceci :

"Le monde relatif existe, il est réel et inscrit dans la forme, l'espace et le temps"

Est-ce à dire que ce que je vois existe aussi en dehors de ma perception, tel que je le vois ? L'un se manifeste t-il sous le multiple et le changeant en dehors de notre "rationalisation" ? Qu'est-ce "exister" ?

Comment pouvons nous avoir l'intuition de l'unique tandis que nous percevons seulement des fragments ?

Par avance, je m'excuse pour la maladresse de mon vocabulaire et celle de ma réflexion.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 12 août 2009, 14:41

Bonjour Henz,

bienvenu sur ce forum!

Henz a écrit :En guise de présentation, j'aime autant vous faire part de mes croyances afin que vous puissiez m'indiquer si je me trompe une nouvelle fois de lieu :


ce forum est consacré à Spinoza, et donc en premier lieu à la philosophie. Ce qui à mes yeux distingue un forum de philosophie d'un forum de religion, c'est qu'ici on traite moins de croyances que d'idée. Ou disons: en philosophie les croyances sont considérées comme étant des "opinions", c'est-à-dire (du moins selon Platon, père fondateur de la philosophie) des idées qui le cas échéant peuvent être vraies, mais qui se distinguent des Idées ou concepts proprement philosophiques précisément parce qu'on ne peut pas vraiment expliquer pourquoi on y croit, on ne peut que dire qu'à ce sujet on a un fort sentiment d'absence de doute, mais on ne dispose pas des moyens pour prouver leur vérité, et donc on n'a pas les outils non plus pour pouvoir expliquer à quelqu'un d'autre pourquoi, pour quelles raisons on devrait les prendre pour vraies.

Si donc, comme vous le dites ci-dessous, sur des forums de religion vous avez l'impression de rencontrer un certain "dogmatisme", où les interlocuteurs ne savent pas vraiment expliquer rationnellement (donc de manière compréhensible pour tous) ce qu'ils tiennent pour vrai à ceux qui n'y croient pas encore, cela me semble être tout à fait normal, et pas du tout un "défaut" ou une "faiblesse" de tels forums. Dans le christianisme, c'est la figure de Thomas qui permet d'illustrer cette idée: celui qui a besoin de preuves avant de croire, n'est pas vraiment un croyant, ou, dira-t-on d'un point de vue philosophique, ne correspond pas aux critères d'un certain "concept" de la croyance, concept qui dans le cas du christianisme exige que l'on croit malgré l'absence de preuves.

Cela ne veut pas dire que la philosophie s'oppose nécessairement à la raison. Spinoza par exemple a créé un concept de la philosophie et un concept de la religion où les deux peuvent parfaitement co-exister et ont chacun leur mérite (sa pensée à ce sujet se trouve dans le Traité Théologico-Politique, livre destiné précisément à séparer religion et philosophie). Bien sûr, d'autres philosophes ont développé plutôt un concept de la philosophie et un concept de la religion où les deux s'excluent mutuellement. D'un point de vue philosophique, on ne peut pas dire que ceux-si se trompent, parce que dire cela, justement, ce serait faire de leur concept une "opinion", une simple croyance. Les deux types de concepts ont autant de qualités, du point de vue philosophique.

Ceci implique qu'à mon sens si vous vous parlez de ce que vous croyez mais sans devoir accepter quoi que ce soit qui s'y oppose et qui ne s'appuie pas sur un raisonnement qui vous a convaincu, vous êtes au bon endroit. Il faut simplement s'attendre à ce qu'on ne sera pas toujours prêt à croire ce en quoi vous croyez vous-même, du moins pas aussi longtemps que vos raisons n'ont pas encore convaincu.

Henz a écrit :- Je crois que l'univers n'est pas à l'échelle humaine et quels que soient les instruments que nous inventerons pour le contempler afin de dépasser les limites de notre perception, cette dernière restera soumise à notre façon humaine d'appréhender les choses. Rien ne me permet de croire que nous pourrons un jour percevoir l'univers tel qu'il se donne à lui même, il faudrait être l'univers pour cela, ne pas être soumis à des processus cognitifs humains.


Si j'essaie de traiter de ce que vous dites ici en tant qu'idée, plutôt que de me concentrer sur le fait que selon vous cette idée est vraie (et de vous dire si moi aussi j'y crois ou non), j'en dirais ceci.

L'idée que vous proposez ici me semble avoir été développé par un autre grand philosophe, Kant. Au cas où cela ne vous dit rien: Kant est un des plus grands philosophes du XVIIIe, philosophe allemand. Selon lui, la connaissance humaine ne concerne que les "phénomènes", c'est-à-dire les choses telles qu'elles nous apparaissent. On ne peut pas connaître les choses telles qu'elles sont "en soi", car cela nécessiterait un accès à la chose sans aucune "médiation", alors que comme vous le dites, les humains ont toujours besoin d'instruments pour pouvoir connaître le monde (les cinq sens étant les instruments les plus basiques, mais pas moins incontournable).

Aujourd'hui, je crois qu'on serait tous spontanément d'accord avec cela. Or, qu'est-ce que nous avons comme "preuve" pour croire en cela? Deux choses:

1) un grand philosophe l'a dit
2) d'autres, beaucoup d'autres même, y croient aussi.

En philosophie, cela s'appelle: "argument d'autorité". Cela signifie que l'on accepte comme preuve le fait même qu'on y croit et que des personnes en qui on croit pouvoir avoir confiance y croient aussi. Autrement dit, ce n'est pas un argument proprement philosophique, puisque comme déjà dit, un tel argument doit pouvoir expliquer et convaincre rationnellement.

On devrait donc plutôt dire qu'en matière de théorie de la connaissance, le kantisme est aujourd'hui en Occident entré dans les moeurs, il fait partie de l'opinion ou du "sens commun".

Cela n'empêche que beaucoup de philosophes ont proposé de toutes autres théories de la vérité. Spinoza en est un.

D'abord, il dit littéralement que nous pouvons comprendre les choses "telles qu'elles sont en soi". Ou plutôt, nous pouvons comprendre la "nécessité des choses" comme elle est en soi. Ce n'est pas exactement la même chose que de dire que nous pouvons comprendre les choses en soi. Mais c'est déjà très différent que de dire que nous n'avons accès qu'aux "phénomènes", aux choses telles qu'elles nous apparaissent à nous, êtres humains.

Qui plus est, Spinoza prétend que nous avons tous une idée adéquate (c'est-à-dire vraie) de l'essence même de Dieu. Or Dieu, chez Spinoza, c'est la nature entière, donc l'univers, si vous voulez. D'un point de vue spinoziste, les humains ont donc accès à l'essence même de l'univers. Qu'est-ce que cela pourrait vouloir dire?

Bien sûr, on peut se baser sur l'opinion commune d'aujourd'hui, qui n'est qu'une version "vulgarisée" d'une toute autre philosophie, le kantisme, pour rejeter ce que propose Spinoza. Aujourd'hui en effet, le sens commun dit que non, jamais on ne pourra connaître l'univers "tel qu'il est en soi". Autrement dit: les limites de notre capacité de connaître se trouve là, s'est ainsi qu'il faut les définir: nous pouvons avoir accès aux phénomènes (ou à certains phénomènes) qui se produisent dans la nature, mais jamais au coeur même de la nature ou de l'univers.

Pour Spinoza, les limites de nos connaissances se trouvent tout à fait ailleurs: on ne pourra pas tout connaître, on ne pourra jamais remonter, pour chaque chose singulière que l'on rencontre, toute la chaîne causale qui fait qu'aujourd'hui est elle déterminée de faire ce qu'elle fait. Et cela, c'est parce que nous ne savons pas penser clairement et distinctement ensemble toutes les choses singulières avec lesquelles cette chose a interagi et qui l'ont en partie influencé. L'essence de l'univers, au contraire, est accessible à tous. Parce que là, il ne s'agit que d'une seule idée (et nous pouvons avoir selon Spinoza tout de même quelques idées à la fois, donc une seule, "ça va"), qui plus est, d'une idée qui est présente dans l'esprit de toute chose, parce que, dit-il, toute chose "exprime" à sa façon cette essence de Dieu.

Bien sûr, il faut lire toute l'Ethique pour pouvoir mieux comprendre ce qu'il veut dire par là. Et après l'avoir lu et mieux compris, on n'aura certainement pas l'impression (si on écarte un instant toute croyance - alors qu'en soi, rien n'interdit de "croire" à telle ou telle philosophie, bien sûr, il suffit de reconnaître qu'il s'agit d'une croyance et c'est tout) que c'est Spinoza qui a raison et Kant qui a tort. Mais on aura compris comment notre idée spontanée (nourrie ou non par les derniers résultats des sciences) finalement n'est pas très fondée, qu'elle n'est pas nécessairement vraie, qu'il y a d'autres conceptions de l'univers possibles et tout aussi plausibles, et que l'accepter comme vraie juste parce qu'on y croit (ou parce que d'autres, grandes autorités ou non, y croient) ce n'est pas la meilleure garantie d'être dans le vrai.

Henz a écrit :- Je constate que l'homme doit conceptualiser le monde pour l'intérioriser, un concept étant une représentation mentale et abstraite, une réalité relative donc. Je constate donc à nouveau que l'homme saisit le monde d'une façon purement humaine, il sépare en choses bien distinctes ce qui se donne pourtant à lui d'un bloc. Il y a nécessairement qq chose au-delà des contingences humaines.


A mon sens (à vérifier) Spinoza propose également l'idée que l'homme a besoin d'une idée du monde pour pouvoir vivre, et pour pouvoir "bien" vivre. Il appelle cette idée un "modèle" (exemplar), une "théorie", si l'on veut, dont on se sert non pas parce que sa vérité serait prouvée, mais parce qu'elle nous donne les idées les plus efficaces pour produire notre bonheur.

Seulement, dire que cette théorie est "humaine", chez lui, ne s'oppose pas à ce qui n'est pas humain. Ou du moins faut-il nuancer, au sens où l'homme n'est pas un "empire dans un empire", comme il le dit, c'est-à-dire l'homme ne vit pas sur un genre d'ilôt perdu dans le grand océan de l'univers qui lui seul serait "la" réalité. Non, l'homme fait entièrement partie de la nature, et c'est parce qu'il en est une partie, que d'une certaine façon il y a pleinement accès. Seulement, il ne peut pas avoir accès à tout ce qui existe (c'est là qu'il faut situer les limites de l'entendement humain).

Or, encore une fois, je ne vous demande absolument pas de "croire" que ce que je dis ici de Spinoza est vrai. Pour pouvoir le vérifier, il faut que je le cite littéralement, que j'explique comment je comprends la citation, que je vous donne la référence pour que vous puissiez aller voir dans le texte et lire ce qui se trouve après et avant, afin de pouvoir reconstruire le contexte et ainsi le sens précis que Spinoza donne aux mots, etc (les mots étant les seuls outils dont dispose le philosophe, il est très important de les prendre maximalement au sérieux, en philosophie, car souvent même des mots ordinaires acquierent un tout nouveau sens, ce que l'on ne remarque pas si on n'y fait pas explicitement attention). Si je ne l'ai pas encore fait ici, c'est simplement parce que vous dites ne pas encore avoir lu Spinoza, et que je ne veux pas déjà rentrer dans des choses plus "techniques" à ce stade-ci. Mais cela n'est qu'une raison pour surtout ne pas me croire sur parole, et d'aller voir vous-même.

Henz a écrit :- Je constate cette alchimie merveilleuse de la vie, ce système formidable qui s'autogère pour faire exister ce qui existe, en une "impulsion" immanente et transcendante à toute chose. Je crois en un principe ontologique.

- J'effleure parfois et trop rarement cette impulsion en moi, en chacun et en toute chose dès lors que je crois que nous sommes tous les vagues d'un même océan, la considération pour autrui ou encore pour chaque brin d'herbe apparaît nécessairement, puisque toute chose procède du même tout et y est soumise ; L'égo se disloque ponctuellement, la mort aussi.


si en général je crois qu'il y a moyen de "retraduire" ceci en un langage spinoziste (donc de le connecter avec la pensée spinoziste), il faut tout de même déjà signaler que le terme "ego" ne s'y trouve pas. Cela signifie que Spinoza nous invite à penser l'être humain sans référer à cela. Ce qui implique qu'on ne peut pas identifier ce que "moi" je suis "essentiellement", ou dans mon essence singulière et éternelle, en pensant à tous mes défauts et faiblesses. Ce n'est pas par notre "impuissance" que se définit notre essence, dit Spinoza, mais par notre "puissance". Ce n'est pas par ce qu'on ne peut pas faire, mais par ce qu'on peut faire (on pourrait dire que voler, on peut le faire aussi, mais ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre la puissance spinoziste, il s'agit plutôt de ce qu'on sait faire et qui correspond à "la raison", il s'agit donc des actions qui sont bonnes pour nous et pour les autres).

Henz a écrit :J'ai bien entendu cotoyé de nombreux forums de religions où je pense avoir rencontré globalement des gens davantage soucieux de revendiquer la vérité pour leur seul dogme avant même de tenter de m'en faire part. Il m'a fallu tout ce temps pour commencer à amorcer des recherches sur l'ontologie, de fil en aiguille, j'ai trouvé ce forum et m'apprête à lire l'Ethique.


Bonne lecture!
L.

PS: comme vous le constaterez aisément, ce que je viens d'écrire est parfois très différent voire opposé à la première réponse qu'on vient de vous donner. Cela aussi à mon sens est tout à fait normal, sur un forum de philosophie. Si l'interprétation de Sescho et la mienne coïncident souvent, il n'empêche que sur certaines choses essentielles dans le spinozisme, on est parvenu à des interprétations très différentes voire opposées. La même chose vaut en ce qui concerne les concepts de religion et de philosophie. Puisque pour l'instant on n'a pas encore réussi à convaincre l'autre "rationnellement", il faut dire qu'en matière de spinozisme ou de philosophie, on "croit" en des choses différentes, sans plus (mais il ne sera peut-être déjà pas d'accord avec ceci ... :-) ).

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Messagepar Henz » 12 août 2009, 19:17

Bonjour Louisa,

Merci bcp pour le détail de votre intervention et la richesse des nuances soulevées.

Vous me permettez en premier lieu de reconsidérer l'avis hâtif que je me suis fait sur les forums de religion.

Pour ma part, je considère mes croyances actuelles comme un miroir à mon ignorance et suis tout prêt à les revisiter en regard de nouvelles informations, sans pour autant me soumettre à un "argument d'autorité".

Louisa a écrit :L'essence de l'univers, au contraire, est accessible à tous. Parce que là, il ne s'agit que d'une seule idée (et nous pouvons avoir selon Spinoza tout de même quelques idées à la fois, donc une seule, "ça va"), qui plus est, d'une idée qui est présente dans l'esprit de toute chose, parce que, dit-il, toute chose "exprime" à sa façon cette essence de Dieu


La "conscience" de l'essence tiendrait au fait que nous en sommes une manifestation ? Je ne puis m'empêcher de craindre (sans aucune démarche sensée donc) que l'essence elle-même pourrait être une "rationalisation" issue des contingences de notre condition.

Merci à vous.

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Messagepar survoje » 12 août 2009, 21:30

Bonjour Louisa

tu écris :
Dieu, chez Spinoza, c'est la nature entière, donc l'univers,


J'avance (péniblement :lol: mais avec joie :P ) dans l'Ethique... Petite question : dire Dieu, c'est la nature entière ou l'univers, n'est-ce pas encore et un peu "réduire" Dieu ? : la nature entière ou l'univers (même eux !) ne sont-ils pas que des modes de l'attribut Etendue ? Dieu, pour Spinoza, n'est-il pas encore un "étage au-dessus" (pardon pour la localisation spatiale :oops: ) ?

Cordialement

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Messagepar sescho » 12 août 2009, 22:02

Henz a écrit :..."Le monde relatif existe, il est réel et inscrit dans la forme, l'espace et le temps"

Est-ce à dire que ce que je vois existe aussi en dehors de ma perception, tel que je le vois ? L'un se manifeste t-il sous le multiple et le changeant en dehors de notre "rationalisation" ? Qu'est-ce "exister" ?

Comment pouvons nous avoir l'intuition de l'unique tandis que nous percevons seulement des fragments ?

Par avance, je m'excuse pour la maladresse de mon vocabulaire et celle de ma réflexion.

Je ne vois rien de tel... Ce qui importe seulement, c'est le fond.

Note : Il n’est en passant nullement nécessaire de n’employer que les mots de Spinoza ; ce qui importe c’est encore le sens, pas la lettre. Par exemple « ego » est une notion générale qui regroupe l’ensemble des produits de l’imagination qui me font considérer moi-même (et les autres hommes, voire les autres choses ; tout ceci valant ignorance de Dieu véritable) comme étant en soi, donc doté de libre arbitre, créateur de ma propre valeur, etc. Ceci se trouve clairement exposé dans E3. En découlent les passions qui éloignent du souverain bien. La pire est d’ailleurs caractéristique de l’ego au sens restreint, le plus net : la « vanité prétentieuse », l’Orgueil.

Sur le fond précisément, ces questions, pour être simples (c'est d'ailleurs souvent le cas des plus simples) ne m’apparaissent pas aisées à trancher...

S'agissant de ce que qui est vu, nous percevons par la sensation clairement les choses singulières comme telles (soit comme des choses finies en acte), indépendamment du « détail » de leur constitution. Concernant ce dernier, il est tout aussi clair qu’au contraire nous ne pouvons pas le percevoir clairement, entre autres (séquence E2P11-31.) Il n’est plus généralement pas possible d’avoir une idée claire et distincte de l’essence d’une chose singulière prise dans sa singularité (mises à part les idées des idées adéquates, qui sont elles-aussi adéquates, mais ne se distinguent pas en fait réellement de l’idée première ; E2P21, E2P43, ...) Nous pouvons dire que nous avons une connaissance confuse (ce qui ne veut pas dire « nulle », mais « floue », « impure ») par expérience vague de l’essence de cette chose. Par ailleurs nous ne pouvons pas la distinguer réellement de la matière dont elle est faite, etc. Mais nous la percevons bien clairement comme finie en acte. Par ailleurs, nous pouvons avoir l’idée adéquate d’une essence commune (« de genre » ; « essence de l’homme » tout particulièrement) dans la mesure où sa définition est de toute généralité. C’est à la fois partie de la puissance de l’entendement humain - ce qu’il y a de meilleur en l’Homme, qui ne dispose donc pas de mieux - et aucunement un étant (réel) hors de l’idée même.

Spinoza exprime par ailleurs clairement l’interdépendance et l’impermanence des choses singulières (même s’il n’emploie pas ces termes) : alors même que par nature elles tendent (par une loi générale et non propre) à persévérer indéfiniment dans leur être (principe d’inertie), elles ne peuvent s’extraire de la pression extérieure, effet comme elles-mêmes de la finitude et plus généralement du Mouvement. Les choses singulières n’ont pas d’être en soi, sont constamment modifiées (mais aussi régénérées) par d’autres connexes, ou plus généralement par l’existence même du Mouvement : elles n’ont pas d’essence propre quoiqu’elles en manifestent une à chaque instant, et qu’une grande part de celle-ci peut se maintenir manifestée quelque temps (par exemple l’essence de genre Homme durant la vie d’un homme.)

Ce qui vient à la suite est de la plus haute importance : c’est de toujours voir qu’une chose singulière est non en soi mais en autre chose : Dieu-Nature. L’erreur la plus grave est donc l’inverse : prétendre voir les choses clairement comme si elles étaient en soi (et éventuellement « plaquer » Dieu par là-dessus, mais c’est alors dérisoire.) L’important n’est pas tant de percevoir l’essence de choses singulières - heureusement -, que de percevoir Dieu comme cause immanente des choses singulières, l’existence desquelles étant par ailleurs clairement établie en général – et donc en tant que manifestation d’une essence, autrement dit une part manifestée de l’essence divine : je ne vois plus alors une chose singulière de manière floue, je vois clairement Dieu manifesté. Dieu est toujours présent de prime abord dans la conception que j’ai du monde (d’où la connaissance du troisième genre définie comme unissant dans un même mouvement la hiérarchie de toute l’Éthique depuis et en commençant par E1 ; E2P40S2, E5P36S par exemple : aller de l’idée adéquate des attributs de Dieu à l’essence des choses – en tant qu’appartenant à l’essence de Dieu.)

Pour Spinoza c’est le raisonnement qui ouvre la voie à la connaissance claire, suivant une démarche de type mathématique : l’axiomatique étant posée, le reste s’en déduit imparablement logiquement, et le tout (si tant est que cela se termine quelque part) est strictement toute la puissance accessible à l’Homme (sous la réserve de passer du discursif à l’intuitif sur le même sujet, soit du deuxième au troisième genre de connaissance.) L’axiomatique, ou « notions communes » est de l’ordre des prémisses, et donc non démontrée par nature. Spinoza explique qu’elle s’impose primitivement à l’Homme comme « extrait » sensé de la sensation (qui prise en elle-même ne l’est pas), n’expliquant l’essence d’aucune chose singulière. C’est la séquence E2P32-43. Dans ces prémisses, il faut ajouter logiquement les concepts eux-mêmes non définis entrant dans les expressions des définitions et axiomes.

Par ailleurs, Spinoza dit très clairement que l’infini ne peut pas se déduire de la considération du fini. L’idée de Dieu est donc « primitive » en nous (et aussi très généralement voilée par les produits de l’imagination.)

Le point est néanmoins délicat car Spinoza dit que l’existence (nécessaire) de Dieu n’est pas évidente et de fait il s’emploie à l’établir au début de E1 (après d’autres tels Anselme et Descartes), ce qui est sujet à caution sur le plan logique, du moins suivant la façon dont on entend les prémisses (par exemple, qu’une définition pose d’emblée l’essence de la chose comme une réalité, ce qui est a priori le mode de fonctionnement de Spinoza, voire qu’un axiome posant une alternative fasse de même avec les deux termes, tel E1A1.)

Si la démarche démonstrative de Spinoza est prise strictement au mot, tout problème, soit qu’on n’accepte pas une prémisse (il ne s’agit pas du tout d’un jeu intellectuel qui s’accommoderait de toute axiomatique complète, mais de restituer la vérité du Monde au maximum atteignable par l’Homme), soit qu’on considère qu’il y a erreur de logique, marque la fin prématurée de l’opération. Je pense qu’en fait Spinoza avait une idée intuitive de bien des choses avant de guider sa démarche démonstrative dans ce sens, et que ce serait une grosse perte que d’en rester là, compte tenu de la qualité de l’ensemble (si tant est qu’il y ait bien problème.)

Spinoza développe donc l’Éthique dans la logique mathématique, qui consiste à partir de l’amont absolu (les prémisses) puis développe le reste en conséquence logique. Prémisses + Logique. Ceci n’est pas forcément pour autant la voie la plus pédagogique (le « bon sens » ordinaire fait plutôt entrer « au milieu », les constructions se faisant ensuite à la fois vers l’amont et vers l’aval, avant que la théorie complète ne soit représentée dans l’ordre logique pur) et Spinoza revient ainsi malgré tout, en compensation, dans le cours de la démonstration sur des « justifications » a posteriori des prémisses (ce qui pourrait être jugé en soi douteux sur le plan logique d’ailleurs ; je n’ai pas vérifié en général.) Ceci permet de rasséréner ce « bon sens » commun. C’est aussi pourquoi l’Éthique porte à sa relecture en boucle.

Bref, la séquence E2P44-47 justifie a posteriori l’idée « primitive » de Dieu (il y a aussi des « consolidations » de ce type dans d’autres ouvrages.) On peut, comme l’a argumenté Shbj, sans grand dommage, faire fi des démonstrations de l’existence de Dieu et considérer que Spinoza pose Dieu (dont l’essence implique et se confond avec l’existence ; ceci se situant en amont du temps et sans donc y être subordonné bien entendu) comme simple prémisse.

Spinoza a écrit :E2P44C2 : Il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous la forme de l’éternité.

Démonstration : En effet, il est de la nature de la raison de percevoir les choses comme nécessaires et non comme contingentes (par la Propos. précédente). Or, cette nécessité des choses, la raison la perçoit selon le vrai (par la Propos. 41, partie 2), c’est-à-dire (par l’Axiome 6, partie 1) telle qu’elle est en soi. De plus (par la Propos. 16, partie 1), cette nécessité des choses est la nécessité même de l’éternelle nature de Dieu. Il est donc de la nature de la raison d’apercevoir les choses sous la forme de l’éternité. Ajoutez à cela que les fondements de la raison, ce sont (par la Propos. 38, partie 2) ces notions qui contiennent ce qui est commun à toutes choses, et n’expliquent l’essence d’aucune chose particulière (par la Propos. 37, partie 2), notions qui, par conséquent, doivent être conçues hors de toute relation de temps et sous la forme de l’éternité. C. Q. F. D.

E2P45 : Toute idée d’un corps ou d’une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l’essence éternelle et infinie de Dieu.

Démonstration : L’idée d’une chose particulière et qui existe en acte enveloppe nécessairement tant l’essence que l’existence de cette chose (par le Corollaire de la Propos. 8, partie 2). Or les choses particulières (par la Propos. 15, partie 1) ne peuvent être conçues sans Dieu ; et comme elles ont Dieu pour cause (par la Propos. 6, partie 2), en tant que Dieu est considéré sous le point de vue de l’attribut dont elles sont les modes, l’idée de ces mêmes choses (par l’Axiome 4, partie 1) doit envelopper le concept de l’attribut auquel elles se rapportent, et par conséquent (en vertu de la Déf. 6, partie 1) l’essence infinie et éternelle de Dieu. C. Q. F. D.

Scholie : Je n’entends pas ici par existence la durée, c’est-à-dire l’existence conçue d’une manière abstraite, comme une forme de la quantité. Je parle de la nature même de l’existence qu’on attribue aux choses particulières, à cause qu’elles découlent en nombre infini et avec une infinité de modifications de la nécessité éternelle de la nature de Dieu (voir la Propos. 16, partie 1). Je parle, dis-je, de l’existence même des choses particulières, en tant qu’elles sont en Dieu. Car, quoique chacune d’elles soit déterminée par une autre d’exister d’une certaine manière, la force par laquelle elle persévère dans l’être suit de l’éternelle nécessité de la nature de Dieu. (Sur ce point, voyez le Corollaire de la Propos. 24, partie 1.).


Pour finir, le terme « réel » est assez délicat à utiliser car son acception varie énormément suivant les auteurs. Pour Spinoza, « réalité » est synonyme d’ « être » (E1P10 par exemple). En première approche c’est ce qui est en acte, soit Dieu et ses modes (corps et pensées individuels) uniquement. Dans ce cadre, il ne considère pas les notions générales, qui sont pourtant indispensables au raisonnement - lequel encore une fois est la voie de la vérité pour l’Homme, et qu’il utilise en toute conséquence dans la moindre ligne de ses œuvres (le particulier en tant que particulier ne permet d’ailleurs tout simplement aucun raisonnement) - comme des réalités. Quant aux lois (les axiomes et propositions de l’Éthique), leur statut ontologique est sujet à interrogation. Par ailleurs, Spinoza associe réalité et action par exemple dans E2D6 et E5P40. Il signifie par-là qu’une chose singulière exprime de la réalité (« vue par elle-même ») quand elle agit, et non quand elle pâtit (auquel cas c’est une puissance étrangère qui agit.)

Pour moi, mais je ne vois pas d’autre hypothèse sensée concernant Spinoza lui-même, les notions générales et lois expriment aussi des réalités (donc en partie l’essence divine), mais ce ne sont pas des étants (tout en étant, encore une fois, les seules vérités, avec les autres notions communes, accessibles à l’Homme.) Spinoza est à juste titre très ferme sur ce point, et c’est cela qui l’occupe quand il en parle : ne pas faire, des êtres de raisons qui sont les auxiliaires (incontournables) du raisonnement, des étants, des entités réelles s’interposant entre Dieu et ses modes, ce qui ruine la bonne philosophie.


Serge

P.S. Bon, j’ai fait assez lourd et trop vite ; dans l’ensemble l’idée y est, mais il ne faut pas se peiner de souffrir de l’exposé... ;-)
Modifié en dernier par sescho le 12 août 2009, 22:21, modifié 1 fois.
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Messagepar Louisa » 12 août 2009, 22:17

survoje a écrit :
louisa a écrit :Dieu, chez Spinoza, c'est la nature entière, donc l'univers,


J'avance (péniblement :lol: mais avec joie :P ) dans l'Ethique... Petite question : dire Dieu, c'est la nature entière ou l'univers, n'est-ce pas encore et un peu "réduire" Dieu ? : la nature entière ou l'univers (même eux !) ne sont-ils pas que des modes de l'attribut Etendue ? Dieu, pour Spinoza, n'est-il pas encore un "étage au-dessus" (pardon pour la localisation spatiale :oops: ) ?


Bonjour Survoje,

chouette d'entendre que tu avances! :D

Ne faudrait-il pas dire que la célèbre formule Deus sive natura indique plutôt qu'il faut vraiment identifier Dieu à tout ce qui existe, et donc à l'univers entier?

Si dans le spinozisme la nature entière ne serait qu'un mode, à ton sens qu'est-ce qu'il faudrait y ajouter et qui ne serait pas cette nature?

Si tu réponds "ben justement, Dieu!", j'aurais tendance à penser (à vérifier) que tu ne tiens pas suffisamment compte du fait que chez Spinoza, il n'y a qu'une seule Substance, dont les choses singulières sont les modifications ou affections ou modes. Ce qui me semble être propre à une manière de penser qui identifie Dieu à la substance dont les choses sont les modes, c'est qu'on abolit toute possibilité de "transcendance": Dieu n'est pas "hors" les choses (ni au-dessus, ni en-dessous), il est à l'intérieur de chaque chose, tandis que chaque chose n'est pas hors de Dieu (pas en-dessous non plus donc), puisque hors de Dieu (= hors la substance) il n'y a rien. C'est cela la différence, il me semble, entre un monde créé par un Dieu, création qui reste extérieure à son créateur et ne s'y identifie pas, et un monde qui est Dieu, où les choses ne peuvent plus se trouver "hors" de Dieu, et donc deviennent elles aussi, comme le dit Bernard Pautrat, "du Dieu".

Est-ce que cela signifie que Dieu n'est "que" toutes les choses singulières rassemblées, comme le sac dans lequel on rassemble des pommes et des oranges ? Quelque part non, puisque précisément, c'est Dieu lui-même qui est une substance et lui seul, et qui donc est à la fois et l'essence de cette substance et tous les modes. Si les pommes et les oranges ne sont que des modes (et non pas des substances), cela signifie que Dieu ne peut pas être le sac, puisque les pommes et les oranges ne modifient en rien le sac, et ne sont pas produites non plus par ce sac, autrement dit, on ne peut pas dire que les pommes et les oranges sont des "modifications" du sac. Elles n'expriment pas l'essence du sac. Le sac se trouve en dehors d'elles, même si elles se trouvent elles-mêmes dedans. Dieu est comparable à ce sac au sens où les modes se trouvent "en" Dieu, mais la comparaison s'arrête là.

Bref, je dirais que chez Spinoza la distinction fondamentale à faire au niveau ontologique, c'est celle d'entre l'essence de la substance et les modes ou affections de cette essence. C'est une autre façon de concevoir le rapport Dieu - choses singulières que lorsqu'on le pense en termes de créateur - créatures, où là Dieu lui-même est toujours quelque part "au-dessus" du monde.

Mais tu ne seras peut-être pas d'accord?
Cordialement,
L.

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Messagepar Louisa » 12 août 2009, 22:38

Sescho a écrit :Note : Il n’est en passant nullement nécessaire de n’employer que les mots de Spinoza ; ce qui importe c’est encore le sens, pas la lettre. Par exemple « ego » est une notion générale qui regroupe l’ensemble des produits de l’imagination qui me font considérer moi-même (et les autres hommes, voire les autres choses ; tout ceci valant ignorance de Dieu véritable) comme étant en soi, donc doté de libre arbitre, créateur de ma propre valeur, etc. Ceci se trouve clairement exposé dans E3. En découlent les passions qui éloignent du souverain bien. La pire est d’ailleurs caractéristique de l’ego au sens restreint, le plus net : la « vanité prétentieuse », l’Orgueil.


oui peut-être. Mais je continue à avoir un problème avec ce raisonnement. Supposons un instant que les mots n'ont pas trop d'importance, et que ce n'est dû qu'au hasard qu'après la grande invention de l'ego cartésien, Spinoza n'en parle plus du tout.

Encore faudrait-il pouvoir montrer en quoi toutes nos idées inadéquates (l'illusion du libre arbitre etc.) pourraient dans le spinozisme être identifiées à ce qu'on est véritablement, alors que justement, Spinoza dit que notre essence singulière éternelle, c'est l'ensemble de nos idées adéquates. Pourquoi introduire une notion, absente dans le texte, celle du moi, et lui attribuer tout ce qui est "mal", alors que Spinoza nous dit que jamais une "impuissance" ne peut définir une chose, le manque n'étant qu'une privation, et pas quelque chose de réel?

A moins qu'il faudrait passer à un niveau "méta", où le moi serait l'ensemble d'idées inadéquates que quelqu'un identifie abusivement à soi-même, à ce qu'il est réellement (alors mon "moi", c'est ce qui en moi pense que j'ai un libre arbitre). Or même ainsi mon problème reste entier: car dans ce cas on admet de nouveau que ce "moi", c'est une idée inadéquate, l'idée inadéquate que j'ai de moi-même. Pourquoi appeler "moi" ce qui n'est qu'une idée fausse que j'ai sur moi-même? A quoi bon le faire? Et comment créer une cohérence entre cette idée et le spinozisme? C'est ce que pour l'instant je ne vois pas.

Autre possibilité: Spinoza ne parle pas du moi, mais il parle bel et bien de la connaissance de "soi-même" (se ipso). Ne pourrait-on pas dire que ce soi-même, c'est le moi, cela montre que Spinoza parle du "moi"? Je répondrais: non, parce que par "connaissance de soi-même", Spinoza veut dire connaissance de qui on est réellement, et non pas identification de soi-même à ses propres idées inadéquates.

Bref, pour l'instant je ne vois pas vraiment de solution satisfaisante.

Enfin, dernier problème. Quand tu dis que "je" ne suis pas le "créateur de ma propre valeur", n'est-ce pas contraire à la définition même des Affects-actions? Un Affect actif se définit chez Spinoza par le fait que celui qui l'éprouve en est la "cause adéquate", c'est-à-dire en est la seule cause prochaine, alors qu'un Affect-Passion se définit par le fait qu'on n'est que cause partielle de cet Affect. Exemple: lorsque mon ami m'apporte des fleurs, je serai Joyeux, mais ce sera une Joie passive, parce que la moitié de la cause de cette Joie, c'est l'acte que vient de poser mon ami. Alors que lorsque je fais effort pour comprendre quelque chose et que du coup j'ai compris, là c'est bel et bien moi qui ai compris, moi toute seule. "Toute seule" ici ne veut pas dire que je l'ai compris en me situant par miracle "hors" de Dieu (hors de la substance), ce qui par définition est totalement impossible. Toute seule veut dire: sans que je dépende d'autres choses singulières pour y arriver. Mais je n'en demeure pas moins un mode de la substance, donc entièrement "en Dieu".

Autrement dit: je crois que la solution de penser le rapport "choses singulières - Dieu" en termes de modes - substance le rend précisément pensable d'accorder à chaque chose singulière un véritable "degré" de réalité (puisqu'on est "du Dieu"), sans tomber dans le piège que tu signales régulièrement, et qui serait d'ou bien s'identifier à l'essence même de la substance (qui elle est infiniment réelle), ou bien s'imaginer totalement hors de la substance. A mes yeux on trouve dans le spinozisme une façon de penser une réelle "consistance" à chaque chose, sans que cela s'oppose au fait d'être totalement "en Dieu".

Enfin, voici donc quelques idées supplémentaires, dans l'espoir qu'elles puissent nourir le débat.
L.

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Messagepar Louisa » 12 août 2009, 22:50

Henz a écrit :
louisa a écrit :
L'essence de l'univers, au contraire, est accessible à tous. Parce que là, il ne s'agit que d'une seule idée (et nous pouvons avoir selon Spinoza tout de même quelques idées à la fois, donc une seule, "ça va"), qui plus est, d'une idée qui est présente dans l'esprit de toute chose, parce que, dit-il, toute chose "exprime" à sa façon cette essence de Dieu


La "conscience" de l'essence tiendrait au fait que nous en sommes une manifestation ? Je ne puis m'empêcher de craindre (sans aucune démarche sensée donc) que l'essence elle-même pourrait être une "rationalisation" issue des contingences de notre condition.


je ne crois pas que Spinoza parle d'une "conscience" de l'essence de Dieu (au sens où nous aurions tous "conscience" de l'essence de Dieu). A mon sens il utilise le mot "conscience" dans un sens très différent du nôtre, qui sommes déjà passé par Freud et autres.

On peut certes "devenir conscient" de Dieu, selon Spinoza (voir la toute dernière proposition de l'Ethique, par exemple). Mais qu'est-ce que cela signifie? Pour moi, cela n'est pas encore très clair.

En tout cas, il dit bien que nous "avons" tous une idée adéquate de l'essence de Dieu (notamment dans la 47e proposition de la deuxième partie, celle qui s'intitule "De l'esprit"). Ce qu'il dit aussi, c'est que la plupart des gens n'ont tout de même pas une connaissance entièrement "claire" de cette essence. Cela n'est pas la même chose, il me semble, que de dire qu'ils ont l'idée de cette essence mais qu'elle se trouve dans "l'inconscient". Spinoza ne parle pas d'une instance psychique qui serait "l'inconscient". Il parle plutôt de l'inconscience au sens où l'on ne sait pas quelque chose. Or il dit qu'en ce qui concerne l'essence de Dieu, là on sait, tous. Mais de quel type de savoir s'agit-il?

Mon hypothèse (à vérifier) c'est qu'on a tous l'idée adéquate de l'essence de Dieu, mais que notre esprit n'y fait pas attention, qu'il se concentre en général sur autre chose, et qu'ainsi nous n'intégrons pas activement cette idée dans les idées que nous nous formons de nous-même et du monde. Alors que c'est précisément ce qu'il faudrait faire, selon Spinoza, pour pouvoir devenir plus heureux.

Henz a écrit :Merci à vous.


merci à vous de vos remarques et de vos questions!
L.


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