Qui a réussi ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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sescho
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Messagepar sescho » 10 sept. 2009, 23:12

acta93 a écrit :On peut appréhender la réalité, la connaissance juste ou Dieu par 3 voies ( si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas ... ) :
- le témoignage (la religion)
- le raisonnement (la philosophie, voie de l'occident donc ici de spinoza)
- la perception direct (voie de l'orient , c'est également la voie du bouddhisme zen, de Krishnamurti, Osho en autres).

Je dirais, de manière similaire :

- La dévotion (« je m'en remets à Dieu en toute chose. ») C'est la voie religieuse au sens fort (mais je n'y mettrais pas plus de "témoignage" que cela : c’est un ressenti personnel avant tout.)

- La science du Monde.

- La purification puis la sublimation du Mental.

- La connaissance de soi (« connais-toi toi-même ».)

- L'entraînement à la Compassion (étant entendu qu'il n'y a aucune connotation négative dans ce mot au sens bouddhiste : c'est la Générosité de Spinoza.)

Il me paraît très difficile de trancher radicalement entre les voies (c'est le contraire qui serait surprenant : l'aboutissement est le même.) Tant le Bouddhisme Mahayana que le Védanta (qui ne sont pas des religions au sens courant, en fait, mais des éthiques ; les deux à peu près confondues par les Hindous eux-mêmes, d’ailleurs) comprennent une part importante de raisonnement. Ramana Maharshi lui fait une place de choix (et encore plus au « connais-toi toi-même. ») Les quatre piliers du chemin de Swami Prajnanpad et Arnaud Desjardins sont en substance (outre une grosse boite à outils d’approches pratiques de la réalité de « soi ») : 1) La science du Monde. 2) La destruction du Mental (dans un sens restreint par rapport à l’acception de Spinoza : il s’agit essentiellement de détruire l’illusion d’être en soi et non en Dieu : l’ego.) 3) La purification de l’inconscient (connaissance de soi.) 4) L’érosion du désir (à nouveau dans un sens restreint par rapport à l’acception de Spinoza : extinction du désir passionnel, tendu, de la « soif »,… bref, des passions selon Spinoza.)

Je dirais que la voie qui se distingue le plus des autres est la dévotion. Elle est de plus peu compatible avec la culture standard occidentale, me semble-t-il (mais elle conduit bien au même résultat ultime quand-même.) L’entraînement à la Compassion est plus spécifiquement bouddhiste, mais Spinoza le conseille explicitement aussi.

Krishnamurti, Tolle, … sont incontestablement dans le vrai : quelle que soit la méthode, il n’y a de vérité / progrès réel QUE dans la vision de ce-qui-est, en l’instant (qui n’est pas soumis au temps, lui.) Si c’est une tristesse qui est, c’est elle qui est à voir. Et si je sens que je refuse de voir cette tristesse, c’est ce refus qui est à voir, etc. (je ne connaissais pas Osho, mais ce qu’il en dit me semble parfait.)

Le problème (éventuel) c’est que la force d’aveuglement du Mental est très puissante (s’il n’y avait pas un équilibre entre les forces élucidantes et les forces d’aveuglement, il n’y aurait aucun problème, et la folie ordinaire ne serait pas l’état « normal. ») Dans ce cadre, il peut être très difficile d’entendre « mais voyez donc ce qui est, au lieu de théoriser en pure perte, vous aveuglant de votre propre théorie au lieu de progresser. » Ceci même si effectivement on peut se gargariser de théorie toute sa vie en ne sortant pas d’un iota du trou : intellectualisme stérile.

C’est en butant sur cette difficulté que je suis passé personnellement (de formation scientifique et sur-entraîné, comme bien d’autres, au raisonnement) par nécessité de Krishnamurti à Spinoza (et bien d’autres auteurs à juste titre célèbres, dont les stoïciens – vis-à-vis desquels Spinoza est très proche –, Eckart Tolle, Matthieu Ricard et surtout Arnaud Desjardins.) Sans oublier le soutien hautement bénéfique de la liste spinoza.fr puis d’interventions sur le site spinozaetnous, initiatives fort heureuses de notre vénéré Maistre Henrique Diaz… ;-)

Spinoza fait bien partie de cette super-élite à mon appréciation, et il m’a convaincu d’emblée par sa tournure d’esprit, révélant en moi cette vision (pas « théorie ») qui ne peut plus me quitter : celle de Dieu – Nature (en premier lieu sans forme ; c’est le brahman du Védanta, et – plus difficile à reconnaître tel d’emblée – la vacuité (shunyata) du Bouddhisme) dont tout le « reste » est « mode », c’est-à-dire « manière d’être », ou encore « manifestation. »

Personnellement (mais y en a-t-il beaucoup ?) je ne prends pas au pied de la lettre absolu la démarche discursive de Spinoza dans l’Éthique (notons en passant qu’il n’y a pas que l’Éthique : le TTP est aussi une œuvre majeure, et les autres ne sont pas en reste.) Et conjointement, s’il me semble y trouver une faute de logique, je n’en ai cure : l’honnêteté foncière (autant que possible pas de glissements sémantiques, d’intrusions subreptices de paradigmes non explicites, d’associations d’idées gauchies, etc.) de la démarche est déjà si élevée que c’en est exceptionnel. Mais il y a manifestement de nombreux passages où la démarche logique est effectivement très efficace (la mécanique des passions, par exemple, et les mécanismes qui font qu’on s’en délivre… éventuellement dans les faits.)

Il convient d’ajouter me semble-t-il les points suivants :

- En aucun cas, donc, cette démarche discursive n’est un exercice intellectuel pris pour lui-même, comme une infinité d’autres. Rien n’est plus opposé à Spinoza que la machinerie intellectualiste et érudite qui tourne sur elle-même, ne produisant pas plus d’amendement de soi que le désert d’Atacama de pêches.

- Elle comprend (inévitablement) des prémisses (« notions communes », qui chez Spinoza fondent la plus grande connaissance accessible à l’Homme, tout aspect confondu), qui pour être vues en tant que telles demandent déjà une grande pénétration d’esprit. Tant et si bien qu’on pourrait dire que – très paradoxalement sur le plan logique, et très logiquement sur le plan pratique de l’amendement réel – l’Éthique est essentiellement dirigée vers une vision, chez le lecteur, progressivement de plus en plus nette de la principale de ses prémisses : Dieu – Nature.

- Spinoza précise bien que la démarche discursive (ou « connaissance du deuxième genre ») n’est pas la principale. Ce n’est qu’un « doigt » qui montre – de façon assurée, mais ce n’est quand-même qu’un doigt – ce qu’il y a à voir. La « connaissance intuitive » ou « du troisième genre » – non verbalisée : vision –, elle, est la véritable connaissance (de ce que le deuxième genre montre.)

- Les scholies, préfaces et appendices apportent un argumentaire complémentaire sous la forme standard, très explicite en général.

- Spinoza met clairement l’accent sur la reconnaissance en vérité des passions et désirs à l’œuvre en soi-même (ce-qui-est en soi.)

Donc : Spinoza ne peut du tout être réduit au « raisonnement » (sinon, autant faire des Maths) : il allie une science ultime du Monde, Dieu-Nature en tête, une incitation à l’entraînement à la Générosité, et la connaissance des mouvements « en soi » dans leur réalité factuelle. On peut même y trouver des parallèles avec les expressions propres à la voie de la dévotion.

acta93 a écrit :… Faire de la philosophie sans prendre conscience de la nature de la pensée, c'est comme essayer de diriger un cheval en furie vers un point donné. Malheureusement, je me suis fait avoir en terminal... !!

Si ce n’est pas une promotion du Traité de la Réforme de l’Entendement, cela… ;-)


Amicalement


Serge
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Louisa
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Messagepar Louisa » 12 sept. 2009, 21:54

Sescho a écrit :En aucun cas, donc, cette démarche discursive n’est un exercice intellectuel pris pour lui-même, comme une infinité d’autres. Rien n’est plus opposé à Spinoza que la machinerie intellectualiste et érudite qui tourne sur elle-même, ne produisant pas plus d’amendement de soi que le désert d’Atacama de pêches.


à mon sens l'idée d'une "machinerie intellectualiste et érudite qui tourne sur elle-même" est postérieure à Spinoza. C'est l'idée, ou la crainte, que la raison puisse elle-même être source d'une sorte de folie, ou que ses produits puissent avoir aucun effet voire un effet négatif sur le bien-être de celui qui se sert de la raison. Dans cette optique, la raison est comme un "pharmakon", au sens étymologique du terme, c'est-à-dire quelque chose qui peut à la fois être un remède et un poison.

Non seulement ne trouve-t-on aucun endroit chez Spinoza qui illustre une telle méfiance de la raison, mais on trouve régulièrement chez lui l'affirmation que lorsque la raison est cause d'un de nos actes, celui-ci est toujours bon. A titre d'exemple:

Spinoza dans l'E4ch.III a écrit :Nos actions, c'est-à-dire, les Désirs qui se définissent par la puissance de l'homme, autrement dit par la raison, sont toujours bons, alors que les autres Désirs peuvent être bons aussi bien que mauvais.


Cela se comprend aisément: chez Spinoza, la raison ne peut produire que des idées adéquates autrement dit vraies, et chaque fois que nous avons une idée vraie, nous éprouvons de la Joie active. Jamais une idée produite par la raison peut nous laisser indifférent ou diminuer notre puissance, alors que toute idée adéquate a nécessairement un effet positif sur notre puissance.

On peut bien sûr comprendre ceux qui disent que la raison ou l'intellect peuvent "tourner sur eux-mêmes", donc je ne suis pas en train de dire qu'il est absurde de craindre une certaine conception de la raison. Ce dont il s'agit bien plutôt, c'est le fait que Spinoza nous propose une autre conception de la raison, une conception où un effet neutre ou négatif du fait d'utiliser sa raison devient inconcevable. Pouvoir comprendre une telle conception demande donc un petit effort, puisqu'il faut un instant suspendre ce qu'on associe nous, au XXe siècle, au mots "raison" ou "intellect" ou "intellectuel". Ce qui signifie qu'il faut se poser la question: en quoi la raison pourrait-elle inévitablement être source d'un bonheur réel?

Je crois que chez Spinoza, toute méfiance par rapport à la raison est à exclure précisément parce qu'elle produit nécessairement des idées vraies, et que seule la vérité "peut nous sauver". Ce qui nous oblige de penser autrement ce qu'on ressent comme des "ratiocinations" qui n'en finissent pas: au lieu de dire qu'il s'agit d'un produit néfaste de l'exercice de la raison, celles-ci doivent être perçues comme étant des exercices rationnelles où l'on n'a pas encore réussi à aboutir à une idée vraie, à un résultat palpable. On n'est que devant les tentatives de quelqu'un qui essaie de traiter d'un sujet en se servant de sa raison, sans que ces tentatives ne donnent déjà lieu à des vérités rationnelles c'est-à-dire vérifiables par tous et par toutes. Ceci bien sûr dans le pire des cas. Dans le meilleur des cas, ce que nous percevons comme "ratiocinations" en réalité sont des raisonnements qui contiennent déjà un certain nombre d'idées vraies, mais que nous ne réussissons pas encore à comprendre nous, lecteurs de ces "ratiocinations".

Dans les deux cas, le pire aussi bien que le meilleur, le lecteur ne risque pas de perdre son temps en essayant de comprendre ces "ratiocinations", puisque justement, essayer de comprendre cela signifie produire des idées vraies, donc être Actif, augmenter son bonheur et sa béatitude. Ou bien il réussira à découvrir des vérités là où l'auteur des "ratiocinations" n'en avait pas encore trouvé, ou bien il parviendra à comprendre les vérités que de prime abord, lors d'une première lecture, il n'avait pas encore vu. Et la même chose vaut pour l'auteur lui-même (ou le penseur, le cas échéant): essayer de réfléchir et de comprendre quelque chose ne peut qu'être bon, que l'on aboutisse déjà à un résultat vrai ou non.

Ceci implique également que ceux qui ont eu une expérience négative avec ce qu'ils appellent des "raisonnements", peuvent se servir de Spinoza pour comprendre ces raisonnements autrement. Au lieu d'être la source du mal, ils étaient peut-être tout simplement trop limités à un domaine précis, sans aussi être appliqués de manière rigoureuse à la vie affective, donc sans avoir construit une théorie rationnelle (more geometrico) des Affects et sans l'avoir appliqué à soi-même. Au lieu d'avoir "trop" raisonné, on a peut-être, d'un point de vue spinoziste, trop peu raisonné.

C'est que la raison, qui comporte la mise en question systématique de toutes nos idées (non pas pour les déclarer de manière arbitraire "douteuses", mais pour en examiner toujours à nouveaux frais l'éventuelle vérité ou fausseté), est finalement la meilleure garantie contre tout dogmatisme, contre toute "immobilité" de la pensée, contre toute adhésion inconsciente à des idées fausses ou confuses. Procédant nécessairement par "objections et réponses", la raison nous permet d'avancer là où on se croyait bien installé (bien installé dans une idée à laquelle on croyait, ou bien installé dans des idées Tristes dont on ne voyait pas comment s'en sortir). C'est pourquoi Spinoza l'appelle sans hésiter la "meilleure partie" de l'homme.

Remarquons enfin qu'il y a chez Spinoza une continuité tout à fait naturelle entre la raison (deuxième genre de connaissance) et la science dite "intuitive" (troisième genre de connaissance), l'une n'étant pas du tout capable d'"empêcher" l'autre, au contraire même. Comme il le dit dans le chapitre IV de l'E4:

Spinoza a écrit :Il est donc, dans la vie, utile au premier chef de parfaire l'intellect, autrement dit la raison, autant que nous pouvons, et c'est en cela seul que consiste pour l'homme la suprême félicité, autrement dit la béatitude; car la béatitude n'est rien d'autre que la satisfaction même de l'âme qui naît de la connaissance intuitive de Dieu: or parfaire l'intellect n'est également rien d'autre que comprendre Dieu, ainsi que les attributs et actions de Dieu, qui suivent de la nécessité de sa nature. Et donc, la fin ultime de l'homme que mène la raison, c'est-à-dire son plus haut Désir, par lequel il s'emploie à maîtriser tous les autres, c'est celui qui le porte à se concevoir adéquatement lui-même, ainsi que toutes les choses qui peuvent tomber sous son intelligence.


Et comme il le dit dans le chapitre suivant: "Il n'y a donc pas de vie rationnelle sans intelligence, et les choses ne sont bonnes qu'en tant qu'elles aident l'homme à jouir de la vie de l'Esprit, laquelle se définit par l'intelligence. Et celles qui, au contraire, empêchent l'homme de parfaire la raison et de jouir de la vie rationnelle, celles-là seulement nous les disons mauvaises."

Ici Spinoza le dit donc très clairement: seul ce qui empêche la raison est mauvais. La raison elle-même ne peut donc jamais donner lieu à quelque chose de mauvais. Au contraire même, il n'y pas de vie rationnelle sans intelligence, et la vie de l'Esprit se définit par l'intelligence elle-même. Cela signifie que dès qu'il y a raisonnement, il y a vie de l'Esprit, donc il y a production de choses bonnes pour l'homme. Cela peut ne pas convenir à notre conception contemporaine de la raison, mais que cela choque ne peut pas être une raison pour nier que chez Spinoza, la raison a un autre statut que celui qu'il revêt depuis que les Romantiques et Heidegger ont marqué notre "conception collective" des choses.

Or, pourrait-on objecter, si Spinoza propose une autre "figure" de la raison que celle qui nous incite à se méfier en partie d'elle, ne faudrait-il pas dire que chez Spinoza, la raison est encore autre chose que la "logique", et que ce qu'on appelle nous des "ratiocinations" correspond plutôt à ce que lui il appelle la logique et non pas la raison?

Cela aurait pu être le cas, n'était-ce que Spinoza est très explicite sur le statut de la logique au sens de sa pensée: dans la préface à l'E5, il dit que la logique est à l'Esprit ce que la médecine est au Corps. Si la médecine soigne le Corps pour qu'il puisse s'acquitter correctement de sa tâche, la logique fait exactement la même chose en ce qui concerne l'Esprit. Encore une fois, on voit qu'on est loin de l'idée que la logique serait un instrument "froid", capable de détruire par ses mécanismes qui pourraient "tourner en rond" tout ce qui est vital et "chaud". Parfaire ses capacités logiques est donc exactement ce qu'il faut pour que notre Esprit soit en bonne forme. Ensuite, il faut parfaire l'intellect à proprement parler, car c'est lui qui sera capable d'augmenter "la puissance de l'Esprit, autrement dit de la raison". Encore une fois, le rapport spinoziste à la raison est univoque: au lieu de s'en méfier et d'y voir une quelconque "action double" (tantôt positive, tantôt négative), il s'agit d'apprendre à en augmenter toujours davantage la puissance, puisque la puissance de notre Esprit même (et donc la mesure dans laquelle nous sommes sages et non pas ignorants) se définit par la puissance de notre raison, ou notre capacité d'utiliser dans toutes les circonstances (et surtout aussi lorsque nous "pâtissons") la raison. Ce qui est une autre manière de dire que le spinozisme est un "rationalisme absolu", comme l'a déjà dit Martial Gueroult, il faut juste bien tenir compte du fait que lorsqu'on dit cela, on ne se situe pas dans un paradigme où la raison s'oppose aux Affects, mais dans une pensée où la raison est elle-même la cause de tous les Affects qui sont réellement et durablement bénéfiques pour nous (les "Joies Actives").
L.

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Messagepar Durtal » 13 sept. 2009, 00:45

ça doit être un gag...

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Messagepar Louisa » 13 sept. 2009, 15:51

Durtal a écrit :ça doit être un gag...


Non, bien au contraire, je crois que c'est le fait que Sescho et moi donnons, lorsque nous parlons de philosophie (et a fortiori de la philosophie de Spinoza) un autre statut à la raison qui explique en grande partie la divergence méthodologique entre nous deux et par là même le fait que parfois nos interprétations de Spinoza s'opposent assez radicalement et soient sur certains points incompatibles l'une avec l'autre.

Puisque tu ne sembles pas tout à fait avoir compris ce que je voulais dire, voici une tentative de l'illustrer autrement. Je prends d'abord une affirmation d'Acta93 (que Sescho a immédiatement repris pour son compte), pour citer ensuite Spinoza à ce même sujet.

Acta93 a écrit :On peut appréhender la réalité, la connaissance juste ou Dieu par 3 voies ( si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas ... ) :
- le témoignage (la religion)
- le raisonnement (la philosophie, voie de l'occident donc ici de spinoza)
- la perception direct (voie de l'orient , c'est également la voie du bouddhisme zen, de Krishnamurti, Osho en autres).


A la question "comment connaître Dieu, par la philosophie ou par la religion?" Spinoza a voulu répondre dans le Traité Théologico-Politique notamment au chapitre 14, intitulé "(...) Comment déterminer les principes de la foi, et distinguer la foi de la philosophie", où il rappelle que la "distinction de la foi et de la philosophie" était le but même du TTP. Il y dit:

Spinoza a écrit :Enfin, il nous apparaît que la foi réclame moins des dogmes vrais, que des dogmes fervents - c'est-à-dire susceptibles de disposer leurs adeptes à l'obéissance. Peu importe qu'un grand nombre d'entre ces dogmes ne contiennent point la moindre parcelle de vérité; il suffit que les hommes par qui ils sont acceptés ne sachent pas qu'ils sont faux (...). (...) la foi (...) n'exige pas des dogmes vrais en eux-mêmes, mais des dogmes indispensables à la pratique de l'obéissance; autrement dit, qui confirment les coeurs dans l'amour du prochain. (... ) Par conséquent, ne perdons point de vue qu'il faut, pour apprécier la ferveur de la foi de chacun, considérer l'obéissance ou l'insoumission dont elle rend témoignage, et non sa vérité ou sa fausseté. (...) QUANT A SAVOIR CE QU'EN SOI EST CE DIEU OU MODELE DE LA VIE VRAIE, PEU IMPORTE QU'IL SOIT FEU, ESPRIT, LUMIERE, PENSEE, ETC. LA REALITE EXACTE DE SON ETRE N'A RIEN A VOIR AVEC LA FOI. (...) J'irai plus loin: chacun (...) est dans l'obligation d'adapter les dogmes de la foi univeselle à sa mentalité propre. (...) Celui qui apporte les meilleurs arguments n'est pas nécessairement le meilleur croyant, la qualité de la croyance ne dépendant que de celle des oeuvres de justice et de charité. Une telle conception de la religion - soit dit en passant - est des plus salutaires et nécessaires au sein de la communauté publique, si l'on veut que les hommes vivent paisiblement et dans la concorde.
(...)
Il nous reste à montrer, en conclusion, qu'entre la foi et la théologie, d'une part, la philosophie de l'autre, il n'y a aucun rapport, aucune affinité. Pour ne point savoir cela, il faudrait tout ignorer du but et du principe de ces deux disciplines, radicalement incompatibles. La philosophie ne se propose que la vérité, et la foi (...) que l'obéissance, la ferveur de la conduite.


Puisque Spinoza comprend bien que beaucoup de lecteurs seront ici "dans l'embarras" (comme il le dit dans le scolie de l'E2P11), il s'arrête aussitôt, demandant aux lecteurs de relire les chapitres 13 et 14 avant de continuer. Puis il dit plus précisément quel est le lien entre la religion, la philosophie et la connaissance de Dieu dans le chapitre 15:

Spinoza a écrit :(...) la théologie ne doit pas être mise au service de la raison, ni la raison à celui de la théologie. L'une et l'auter ont leur royaume propre: la raison, comme nous l'avons dit, celui de la vérité et de la sagesse, la théologie, celui de la ferveur croyante et de la soumission. (...) Notre conclusion définitive sera donc qu'il ne faut pas essayer d'adapter l'Ecriture à la raison, ni la raison à l'Ecriture. (...) Ceux donc qui veulent prouver, par des démonstrations mathématiques, que les textes de l'Ecriture font par eux-mêmes autorité, tombent dans une erreur profonde. La garantie interne de la Bible dépend du prestige spirituel exercé par les prophètes sur les croyants, elle ne saurait être démontrée par des arguments plus forts (...). Mais quant à la vérité et la certitude, en matière de spéculation pure, nul Esprit n'en témoigne, si ce n'est la raison, seule - nous l'avons montré - a revendiquer le royaume de la vérité. (...) Je tiens maintenant, avant de poursuivre, à faire remarquer (une dernière fois) que je ne minimise pas du tout l'utilité, ni le rôle indispensable de l'Ecriture sacrée, ou révélation. La lumière naturelle ne saurait nous faire voir que la soumission à elle seule est voie de salut; la révélation se charge donc d'enseigner que Dieu, en vertu d'une grâce particulière échappant à la compréhension rationnelle, sauve les croyants dociles. De sorte que l'Ecriture a apporté aux hommes une immence consolation. TOUS, SANS EXCEPTION, PEUVENT OBEIR, TANDIS QU'UNE FRACTION RELATIVEMENT ASSEZ FAIBLE DU GENRE HUMAIN ATTEINT A LA VALEUR SPIRITUELLE, SANS AUTRE GUIDE QUE LA RAISON. Il s'ensuit, qu'à défaut du témoignage de l'Ecriture, nous douterions du salut de la majorité des hommes.


Ceci signifie que pour Spinoza, comme il le dit ailleurs, tout ce qui concerne la connaissance de l'essence divine et de ses attributs (= ce qu'il appelle le domaine de la "spéculation pure") appartient à la philosophie, c'est-à-dire ne peut être connu que par la raison, et non pas par la foi ou la religion. Et cela précisément parce que, comme le dit ci-dessus Acta93 mais comme le dit aussi Spinoza dans ce que je viens de citer, la religion se base sur le témoignage. Or depuis Platon pour la philosophie la connaissance par témoignage est une connaissance par "opinion", ce qui signifie qu'il s'agit d'une connaissance vague, confuse, mutilée, obscure.

C'est dire que pour la philosophie, du moins telle que la présente ici Spinoza (donc disons pour le spinozisme), la religion n'est pas à même de nous donner une idée vraie de l'essence de Dieu, seule la philosophie a la possibilité de nous faire vraiment connaître Dieu.

La religion n'a rien à voir avec la vérité ou fausseté, elle est purement morale, elle prescrit une règle de vie qui permet, du moins si l'on croit les témoignages de certains croyants, d'accéder à la béatitude. Et croire cela donne déjà un grand sentiment de consolation, et promeut la paix sociale, raison pour laquelle Spinoza ne veut absolument pas la mépriser.

Mais il a écrit le TTP dans le but explicite de séparer religion et philosophie, en assignant à la philosophie seule le domaine de la connaissance vraie de l'essence divine et de ses attributs, bref de la connaisance vraie de la nature. Et le domaine de la connaissance vraie, c'est celui de la philosophie, et donc celui de la raison.

Dire cela c'est donner un statut extrêmement fort à la raison. Or Spinoza ne nie pas que parfois argumenter n'a pas de sens, il dit juste que cela n'est le cas que pour les choses qui ne sont pas susceptibles de vérité ou de fausseté, ce qui est précisément ce qui relève du domaine de la religion.

C'est pourquoi c'est si important de bien distinguer deux démarches différentes: celle où l'on lit Spinoza pour y retrouver ce que chacun selon sa propre "complexion" croit être vrai (et là on peut ne pas s'en tenir "à la lettre" du texte, puisqu'il s'agit avant tout de pouvoir s'imaginer le plus vivement possible et d'"admirer" maximalement la "règle de vie" qui est l'essence même de chaque religion, ce que chacun doit faire selon sa propre mentalité (quitte à commencer à admirer aussi les "messagers", les "prophètes" ou auteurs de cette "sagesse"), afin de pouvoir l'avoir toujours à l'esprit), et celle où l'on lit Spinoza pour y découvrir ce qu'il appelle des "vérités" en matière de l'essence même de Dieu (et là on ne peut se servir que de la "lumière naturelle" c'est-à-dire de la raison, ce qui interdit également l'admiration, celle-ci n'étant du point de vue de la raison qu'une "distraction").

La première démarche est celle de la religion, la deuxième celle de la philosophie, et elles se distinguent principalement par le fait de porter sur un tout autre objet: simple règle de vie dans le cas de la religion, connaissance vraie de l'essence divine et de la réalité de la nature dans le cas de la philosophie.

Il va de soi que ceci est choquant pour tous ceux qui veulent que ce soient les religions qui peuvent nous dire quelque chose d'essentiel de Dieu. Si choquant que des croyants philosophes comme Maïmonide ont voulu adapter le texte de l'Ecriture à la religion ou à ce qu'il croyait lui-même être vrai (il essayait même de se servir de la raison pour y arriver). Or Spinoza rejette explicitement la méthode d'interprétation de textes de Maïmonide. Lorsqu'on interprète un texte en se servant de la raison, on ne peut pas invoquer des croyances que l'on a soi-même, ou des vérités qu'on trouve être rationnellement prouvées. On doit interpréter le texte par le texte lui-même, et cela en commençant par tenir compte maximalement de la langue et des mots utilisés. Le but d'une interprétation de texte est en effet de découvrir le sens du texte, et non pas de l'adapter à nos croyances ou vérités à nous.

Si j'ai voulu souligner l'importance de la raison chez Spinoza, c'était donc d'une part pour montrer que du point de vue de la philosophie spinoziste, on ne peut pas dire que la religion nous permet d'avoir une connaissance vraie de Dieu, et d'autre part pour montrer combien ne pas lire un texte "à la lettre" convient parfaitement lorsqu'on adopte une attitude religieuse, mais est tout à fait contraire à une attitude proprement philosophique, où c'est la raison elle-même qui nous oblige de ne reconstruire le sens du texte que par le texte. C'est ce qui fait qu'on ne peut pas "corriger" Spinoza lorsque ce qu'il dit ne s'accorde pas trop avec ce qu'on a lu chez un autre auteur qu'on aime bien ou lorsque cela ne s'accorde pas trop avec ce qu'on pense être le contenu de telle ou telle religion. Ou plutôt, on peut le faire, mais il faut juste assumer alors qu'on est en train d'adopter un rapport religieux au texte, et non plus un rapport philosophique, c'est-à-dire rationnel.

Or tout le TTP et ensuite l'Ethique consistent à montrer que par la lumière naturelle seule, c'est-à-dire par la raison on peut arriver à la béatitude ou le bonheur suprême, et cela en ayant même une "certitude mathématique" de la réussite de cette entreprise, tout en acquérant en même temps une connaissance vraie de l'essence de Dieu, alors que la religion ne nous dit rien de l'essence de Dieu, et nous demande de simplement croire sur base de quelques témoignages que juste appliquer dans sa vie la "règle de vie" commune à toutes les religions suffirait pour obtenir le salut. C'est pourquoi pour Spinoza la philosophie est de loin préférable à la religion, lorsqu'il s'agit d'atteindre le bonheur suprême. Lire l'Ethique d'une manière proprement philosophique est en ce sens déjà un excellent exercice pour acquérir ce type de bonheur.

On peut bien sûr ne pas être d'accord avec tout ceci. J'ai juste voulu préciser quelle était à mon sens la position de Spinoza par rapport à la raison et son utilité pour devenir plus heureux, et j'espère avoir montré en quoi un tel "projet" est fort différent d'un projet religieux ou non philosophique. Le pari de la philosophie a dès le début été de pouvoir offrir un salut beaucoup plus solide que n'importe quelle religion, et cela en se basant principalement sur la raison. Si chacun pourra décider pour soi si elle y a réussi ou non, je crois qu'il est simplement important de bien distinguer les deux approches, surtout lorsqu'il s'agit d'un philosophe comme Spinoza, qui a consacré tout un livre (à ses risques et périls) à cette distinction. Inversement, pour ceux qui n'ont pas encore lu Spinoza (ou un autre philosophe) de manière proprement philosophique, on ne peut qu'espérer qu'ils vont tenter une telle expérience avant d'en juger.
Cordialement,
L.

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Messagepar vieordinaire » 13 sept. 2009, 17:01

Or tout le TTP et ensuite l'Ethique consistent à montrer que par la lumière naturelle seule, c'est-à-dire par la raison on peut arriver à la béatitude ou le bonheur suprême


Spinoza dit bien que l'obeissance et la raison menent, chacune a leur facon, a la beatitude, c'est-a-dire la 'connaissance de Dieu'. Et a ce que je sache il n'y a pas deux beatitudes, ou saluts, ou 'connaissances de Dieu'.
Modifié en dernier par vieordinaire le 13 sept. 2009, 17:13, modifié 1 fois.

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Messagepar vieordinaire » 13 sept. 2009, 17:11

Et j'aimerais aussi faire remarquer que Spinoza semble offrir que deux 'exemples' du sage: Jesus et Salomon. D'autre part, dans l'Ethique et ses lettres, il se moque de Platon (or Socrate), Aristote et Descartes ...

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Messagepar Louisa » 13 sept. 2009, 17:30

Vieordinaire a écrit :
louisa a écrit :Or tout le TTP et ensuite l'Ethique consistent à montrer que par la lumière naturelle seule, c'est-à-dire par la raison on peut arriver à la béatitude ou le bonheur suprême


Spinoza dit bien que l'obeissance et la raison menent, chacune a leur facon, a la beatitude, c'est-a-dire la 'connaissance de Dieu'.


justement, ce qu'il dit (voir citations ci-dessus) c'est que la religion nous promet qu'elle nous mènera à la béatitude, mais sans plus. Elle ne peut pas prouver cette promesse par la raison, par des arguments. Du coup, on n'a que le témoignage de quelques prophètes pour y croire, mais on sait que pour Spinoza, tout ce qui est "connaissance par ouï-dire" appartient au premier genre de connaissance, c'est-à-dire à l'imagination. L'imagination elle même n'est ni vraie ni fausse, mais elle est source de toutes nos idées confuses et obscures, c'est-à-dire elle est la cause de toutes nos idées fausses.

Qui plus est, la seule chose que la religion en tant qu'exercice d'imagination nous permet de connaître ainsi, c'est une "règle de vie" extrêment simple: aime ton prochain. On peut appeler cette règle "divine", mais cela n'est divine qu'en tant qu'on prend ici l'image que la religion nous donne de Dieu comme "modèle" de vie pour nous, êtres humains. Cette règle ou ce modèle imaginaire ne nous permet pas du tout d'avoir une connaissance adéquate c'est-à-dire vraie de l'essence même de Dieu et de ses attributs. Or pour Spinoza seule une connaissance vraie de l'essence de Dieu peut nous offrir une "voie" certaine vers la béatitude. Et seule la philosophie est capable de juger lorsqu'il s'agit de vérité et de fausseté au sujet de la spéculation pure c'est-à-dire au sujet de l'essence divine.

Il reconnaît donc que si on lit la Bible, on y rencontre des gens qui disent qu'il y a un "salut pour les ignorants". N'ayant absolument pas les moyens de vérifier de telles idées (que nous n'obtenons que par ouï-dire), il se limite à constater que cette idée a au moins l'avantage de consoler beaucoup d'entre nous, c'est-à-dire tous ceux qui n'auront jamais la puissance de raisonner nécessaire pour pouvoir déduire cette même règle de vie (et un tas d'autres choses) d'une connaissance vraie de l'essence même de Dieu. L'espoir de pouvoir atteindre le salut tout en étant ignorant peut en effet donner du courage.

Or, susciter cet espoir est le propre de la religion. La démarche philosophique pour Spinoza est tout à fait différente: il s'agit d'obtenir une certitude "mathématique" concernant l'essence même de Dieu, au lieu d'en avoir une idée tout à fait confuse et de se limiter à une obéissance stricte à la règle de vie prônée par toutes les religions (théïstes ou non). C'est pourquoi je crois que dire ceci est tout à fait incompatible avec ce que Spinoza dit dans le TTP concernant la philosophie:

Sescho a écrit :Il me paraît très difficile de trancher radicalement entre les voies (c'est le contraire qui serait surprenant : l'aboutissement est le même.)


Spinoza me semble répondre à cela (je reprends ce que je viens de citer ci-dessus):

Spinoza a écrit :(...) qu'entre la foi et la théologie, d'une part, la philosophie de l'autre, il n'y a aucun rapport, aucune affinité. Pour ne point savoir cela, il faudrait tout ignorer du but et du principe de ces deux disciplines, radicalement incompatibles.


Il va de soi que ceci est, pour reprendre les termes de Sescho, "surprenant". C'est le moins que l'on puisse dire. A l'époque, on n'a pas hésité à dénoncer Spinoza comme le plus grand "ennemi de Dieu" à cause de ce genre d'énoncés. Car c'est dire qu'il n'y a qu'une seule voie en ce qui concerne la vraie connaissance de Dieu: la philosophie, c'est-à-dire la lumière naturelle, c'est-à-dire la raison. Dire cela est très radical, cela tranche on ne peut plus clairement entre les différents "voies" qui prétendent nous mener au salut.

Seulement, il est évident que personne n'est obligé d'être d'accord à ce sujet avec Spinoza. La seule chose qui me semble être important, c'est de ne pas lui attribuer des idées qui sont à l'opposé de ce qu'il a dit lui-même. Encore une fois, il dit explicitement que le but du seul ouvrage publié de son vivant, le TTP, c'est de séparer philosophie et foi. Pour moi, on ne peut pas dire par après que du point de vue de Spinoza, "trancher" entre ces différentes voies est difficile voire impossible (à propos, Sescho n'a pas dit explicitement que trancher est difficile d'un point de vue spinoziste, il a plutôt dit que lui personnellement il trouve qu'il est difficile de trancher, ce qui est bien sûr une opinion que je respecte; j'ai juste voulu développer ce que je venais déjà de répondre à Acta93 et qui me semble être essentiel lorsqu'il s'agit d'adopter un instant le point de vue spinoziste (que pour Spinoza, il faut trancher radicalement, du moins lorsqu'il s'agit de la connaissance vraie de Dieu)).
Cordialement,
L.

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Messagepar Louisa » 13 sept. 2009, 18:00

Vieordinaire a écrit :Et j'aimerais aussi faire remarquer que Spinoza semble offrir que deux 'exemples' du sage: Jesus et Salomon.


en effet, et ce qu'il en dit me semble être très intéressant. Je reprends le TTP ch.14:

Spinoza dans le TTP a écrit :Avant de poursuivre, nous noterons que maintenant il nous est facile, sur la base de ce que nous venons d'établir, de réfuter les objections soulevées (à notre chapitre 1) concernant les paroles adressées par Dieu aux Israélites, du haut du mont Sinaï. Sans doute, la voix entendue ne pouvait donner aux Israélites aucune certitude philosophique ni mathématique, relativement à l'existence de Dieu. Elle suffisait néanmoins à les ravir d'admiration devant ce Dieu, dont ils avaient déjà quelque connaissance et à leur faire prendre la résolution de lui obéir. Or tel était bien le but de cette manifestation. Dieu n'avait pas l'intention d'enseigner aux Israélites les attributs absolus de son Essence (il n'en révélera aucun en cette circonstance), mais il voulait briser leur insoumission et les amener à l'obéissance. C'est pourquoi il se découvrit à eux au moyen non d'arguments, mais d'éclats de trompette, de tonnerre et d'éclairs (voyez Exode, ch.XX, vers. 20).


Et Dieu utilisa la musique qui plaisait aux Israélites, sachant que "des goûts et des couleurs on ne discute pas", c'est-à-dire sachant que lorsqu'il voudrait s'adresser à d'autres peuples, il faudrait changer de trompette. Ce qui ne serait pas très efficace. Tout ceci a changé avec Jésus et ses apôtres, qui s'adressaient immédiatement à tout homme, et ne vantaient plus une Loi hébraïque mais ce que Spinoza appelle une loi "catholique" (au sens étymologique de "universel"). Or, la seule chose vraiment universelle n'étant pas l'imagination (la musique qui plaît ou pas) mais la raison, Jésus et les apôtres ont commencé à diffuser la même règle de vie (toujours aussi simple) non plus grâce à des prophétismes, mais, dit Spinoza littéralement, en n'utilisant plus que ... des arguments.

En cela, Jésus était certainement un "sage". Mais cela n'empêche que le seul contenu de sa doctrine se résume lui aussi à cette simple règle de vie, "aime ton prochain", et ne porte absolument pas sur l'essence divine en tant que telle, sujet de connaissance par rapport auquel seule la philosophie, selon Spinoza, peut apporter des idées vraies. Ou comme il le dit dans le TTP ch.13:

Spinoza a écrit :Ces déclarations se confondent avec la thèse par nous proposée, à savoir: Dieu est souverainement juste et souverainement miséricordieux, autrement dit, il est le modèle unique de la vie vraie. Par ailleurs, jamais l'Ecriture ne donne une définition expresse de Dieu, elle n'enjoint jamais aux croyants de saisir d'autre attribut de Dieu, que ceux dont nous venons de faire mention, et elle n'en recommande aussi impérativement aucun autre. Nous avons désormais le droit de formuler cette affirmation finale: La connaissance intellectuelle de Dieu atteint la nature divine en soi; or les hommes ne sauraient prendre cette nature pour règle pratique dans la vie quotidienne, ils ne sauraient lui demander un modèle de vie vraie; aussi, cette connaissance intellectuelle n'est-elle nullement l'une des conditions de la foi et de la révélation religieuse; en conséquence, les hommes peuvent demeurer dans l'erreur la plus profonde quant à la nature de Dieu, sans pour cela encourir le moindre reproche. Il n'est donc pas du tout étonnant que Dieu se soit adapté eux imaginations et préjugés des prophètes, ni que les croyants se soient ralliés à des manières de voir fort différentes concernant Dieu. (...) Il n'est pas étonnant, non plus, que les Livres sacrés parlent de Dieu en termes si impropres (...). L'Ecriture, en effet, se met à la portée de la mentalité de la foule des humains, qu'il s'agit de rendre non pas savants, mais soumis. (...) la seule connaissance exigée par Dieu se réduit à celle de sa justice et de sa charité. Or l'acceptation de la justice et de la charité divines s'impose, dans l'intérêt non du savoir scientifique, mais de la docilité de la conduite.


Si rien n'indique avec certitude que la religion nous permet d'atteindre la béatitude, ce qui est certain c'est qu'elle permet la "docilité de la conduite". Pour pouvoir obtenir cela de la "foule ignorante", il ne faut pas en passer par la connaissance vraie de la nature divine, il suffit de toucher son imagination par des images qui provoquent craintes, espoirs et admiration. Espoir d'atteindre le salut malgré le fait que l'on soit ignorant. Pour Spinoza, la seule chose qu'on peut dire c'est que hors de la philosophie on ne peut rencontrer qu'un "espoir" d'atteindre le salut. La philosophie, en revanche, nous montre avec certitude comment y arriver (en utilisant maximalement sa raison). Encore une fois, on peut ne pas être d'accord avec cela, bien évidemment, il s'agit juste de comprendre que pour le spinozisme la connaissance vraie de la nature divine est impossible hors de la philosophie, ce qui distingue la philosophie de toute autre activité humaine portant sur Dieu.
L.

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Messagepar Louisa » 13 sept. 2009, 19:05

Acta93 a écrit :On peut appréhender la réalité, la connaissance juste ou Dieu par 3 voies ( si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas ... ) :
- le témoignage (la religion)
- le raisonnement (la philosophie, voie de l'occident donc ici de spinoza)
- la perception direct (voie de l'orient , c'est également la voie du bouddhisme zen, de Krishnamurti, Osho en autres).


Une autre manière de dire que seule la philosophie nous permet d'avoir une connaissance vraie de l'essence de Dieu se trouve dans le chapitre 6 du TTP. Il y dit que nous n'avons pas de connaissance immédiate de l'essence de Dieu. Il nous faut la raison pour la connaître, donc il faut se baser d'abord sur des notions communes, puis procéder à des raisonnements ou enchaînements par la raison, afin d'aboutir en guise de conclusion à une idée vraie de l'essence divine (ce qui est exactement ce qu'il fait au début de l'Ethique, pour ensuite pouvoir déduire, de nouveau rationnellement, un tas de choses de cette idée vraie de Dieu).

Spinoza a écrit :L'existence de Dieu, n'étant pas connue par elle-même, doit nécessairement se conclure de notions dont la vérité soit si ferme et si inébranlable qu'il ne puisse y avoir ni être conçu de puissance capable de les changer. Du moins faut-il qu'à partir du moment où nous en conclurons l'existence de Dieu, elles nous apparaissent telles, si nous voulons que notre conclusion ne soit exposée à aucun risque de doute (...).

Note en bas de page: Nous doutons de l'existence de Dieu et donc de toute chose tant que nous n'avons pas de Dieu lui-même une idée claire et distincte, mais une idée confuse. De même, en effet, que celui qui ne connaît pas convenablement la nature du triangle ne sait pas que ses trois angles égalent deux droits, de même celui qui se fait de la nature divine une idée confuse ne voit pas que l'existence lui appartient. Or, pour concevoir clairement et distinctement la nature de Dieu, il nous est nécessaire de recourir à des notions très simples qu'on nomme notions communes, afin d'enchaîner avec elles ce qui appartient à la nature divine; alors seulement il devient clair pour nous que dieu existe nécessairement et qu'il est partout; et il apparaît en même temps que tout ce que nous concevons enveloppe en soi la nature de Dieu et est conçu par elle (...).


Donc non seulement la religion n'est-elle pas capable, selon Spinoza, de nous donner une idée vraie de l'essence de Dieu, il n'y a pas non plus de "perception directe" qui permettrait de voir, sans médiation de la raison, cette essence. Il faut nécessairement une procédure discursive, rationnelle, avant de pouvoir avoir une idée vraie de l'essence de Dieu (et donc aussi avant de voir que Dieu existe nécessairement, puisque cela est compris dans la définition même de cette essence).

Dans le spinozisme, ni religion, ni perception directe ne nous permettent de connaître vraiment l'essence divine, seule la philosophie ou la raison le permet, comme Spinoza le dit quelques chapitres plus loin. On comprend dès lors que Henry Oldenburgh, président de la prestigieuse Royal Society of London qui a pu lire le TTP avant sa publication, lui conseille de peut-être tout de même encore essayer d'atténuer un peu le contenu avant de diffuser publiquement une telle conception de la philosophie et de Dieu ... :D .
L.

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Messagepar vieordinaire » 13 sept. 2009, 19:24

Louisa a écrit :"La seule chose qui me semble être important, c'est de ne pas lui attribuer des idées qui sont à l'opposé de ce qu'il a dit lui-même."


Spinoza ne dit pas qu'au travers la pratique de l'obeissance nous avons seulement l'espoir du salut et pouvons imaginer un comfort dans ce fait; l'obeissance menent au salut. La revelation nous l'enseigne selon Spinoza. Voir note marginale 31 (Chp 15) du TTP. Voir aussi 5p36.

L'obeissance et la raison sont deux voies differentes qui menent au meme 'but': le salut, la connaissance de Dieu (voir TTP4), l'amour de Dieu. En ce sense, elles sont liees au travers d'une certain unite (qui est celle de Dieu apres tout). Mais comme voies, elles peuvent etre considerees comme orthogonales, avec le meme but (et origine) au centre.

Louisa a écrit :"Car c'est dire qu'il n'y a qu'une seule voie en ce qui concerne la vraie connaissance de Dieu: la philosophie, c'est-à-dire la lumière naturelle, c'est-à-dire la raison. Dire cela est très radical, cela tranche on ne peut plus clairement entre les différents "voies" qui prétendent nous mener au salut."


Le troisieme genre n'est pas le deuxieme. De plus, vous refusez de voir les nombreux problemes et inconsistences qui se rapportent au concept de 'ratio' dans les oeuvres de Spinoza. Voir Alquie (Le rationalisme ...) or Hallet (Elements of the philosophy of Spinoza).
Vous parlez de la "connaissance vraie de Dieu" comme si s'etait quelque chose dont nous savons tous ce qu'elle est. Si la philosophie aboutie a la vraie connaissance de Dieu, et bien on peut conclure qu'il y a eu tres peu de philosophes qui ne soient pas des 'failures' ... Et comment savez vous ce qu'est la vraie connaissance de Dieu?
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Louisa a écrit :Or, la seule chose vraiment universelle n'étant pas l'imagination (la musique qui plaît ou pas) mais la raison, Jésus et les apôtres ont commencé à diffuser la même règle de vie (toujours aussi simple) non plus grâce à des prophétismes, mais, dit Spinoza littéralement, en n'utilisant plus que ... des arguments.
En cela, Jésus était certainement un "sage".

Pourriez-vous me citer le texte 'litteralement'?
Le chapitre 4 ne contient que des mentions de l'esprit du Christ et verites eternelles (et n'utilisez pas ces dernieres comme evidences qui demontrent la necessite de vos speculations au sujet de la machine argumentative q'etait Jesus; il est reconnu pour la profoundeur et la force de ses arguments apres tout :) ). Je ne penses pas que Spinzoa a voulu ramener la sagess de Jesus aux arguments de son enseignement. Par ailleurs, J
ai lu les evangiles, c'est pas exactement de la grosse philosophie a mon avis ... Ou sont les mathematiques (voir chapitre 15)?

Si vous etes correcte dans votre lecture ... et bien je ne peux que conclure que Spinoza etait un pauvre idiot car franchement ... Jesus ... un sage en raison de ces arguments !!!! :) Comme Durtal a dit si bien: est-ce un gag? On sont les cameras?


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