En quoi le Dieu de Spinoza n'est-il qu'immanence ?!

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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En quoi le Dieu de Spinoza n'est-il qu'immanence ?!

Messagepar recherche » 17 août 2011, 23:37

Bonjour,

L'ontologie de Spinoza est bien souvent décrite comme strictement immanentiste. Or, elle admet l'existence d'une substance infini aux attributs eux-mêmes infinis. Que manque-t-il pour y placer ce que d'aucuns appellent "transcendance" ?

Après tout...

Merci

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Henrique
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Messagepar Henrique » 23 août 2011, 00:19

Spinoza a écrit :Ethique I, Proposition 18

Dieu est la cause immanente, et non transitive, de toutes choses.

Démonstration : Tout ce qui est, est en Dieu et doit être conçu par son rapport à Dieu (en vertu de la Propos. 15), d'où il suit (par le Coroll. 1 de la Propos. 16) que Dieu est la cause des choses qui sont en lui ; voilà le premier point. De plus, si vous ôtez Dieu, il n'y a aucune substance (par la Propos. 14), c'est-à-dire (par la Déf. 3) aucune chose qui, hors de Dieu, existe en soi ; voilà le second point. Donc, Dieu est la cause immanente et non transitive de toutes choses. C. Q. F. D.


La première partie de la démonstration, sur le fait que Dieu est cause de toutes choses, est facile à comprendre il me semble ; la seconde, sur le caractère immanent de cette causalité, un peu moins je pense. Mais il suffit de voir que si Dieu était cause transitive, et donc transcendante, les choses seraient extérieures à Dieu et non de simples modes de celui-ci. Si donc les effets la causalité divine lui étaient extérieurs, ils ne dépendraient plus de lui. Alors soit ce seraient des substances, soit des modes d'une autre substance. Mais si c'était les modes d'une autre substance, Dieu ne serait pas cause de tout. Ce devrait donc être des substances. C'est au passage la représentation commune dans la croyance religieuse, dont découle aussi la croyance au libre arbitre, notamment quand une chose créée est capable de conscience de soi. Mais c'est absurde : si les choses produites par Dieu étaient des substances, elles ne pourraient être produites, puisqu'une substance est ce qui doit se concevoir par soi. Comme il n'y a qu'une seule substance, tout ce qui existe n'est qu'une façon d'être de Dieu, jamais des êtres sur lesquels il agirait ou non, à distance, extérieurement.

Dans l'expérience commune, un être produit par un autre peut devenir indépendant de celui-ci, comme l’œuvre de l'artiste. Mais ce sont des modes qui peuvent être extérieurs les uns aux autres parce qu'ils subsistent au moyen de l'ensemble de la nature et non nécessairement au moyen des causes modales dont ils sont les effets. Si on considère les modes en général par rapport à l'ensemble de la nature, aucun ne peut subsister par soi. En conséquence la substance agit non comme cause extérieure sur les objets, comme le peintre sur le tableau, mais comme cause immanente, plutôt comme le peintre sur le geste de peindre. (Le geste de peindre ne peut se concevoir de manière autonome par rapport au peintre.)

Le fait que Dieu soit infini et que les choses soient finies n'empêche pas que Dieu opère de façon immanente sur elles. D'abord parce que les choses ne sont pas séparées les unes des autres, elles ne peuvent se comprendre sans les causes qui les ont fait être, ni sans leurs effets nécessaires : leur finitude s'inscrit ainsi dans la totalité de la nature qui est infinie (d'où le fait que Spinoza ne parle pas de "modes finis" : une façon d'être de Dieu n'est pas plus séparable de sa totalité infinie que le peintre du geste de peindre). Ensuite, une façon d'être de quelque chose est toujours ontologiquement moindre que la totalité de la chose : le geste de peindre pour le peintre n'est qu'un des aspects de son être. Il n'y a pas transcendance entre le peintre et l'activité de peindre (mais entre le peintre et son œuvre).

La différence entre Dieu et un peintre par rapport à leur œuvre, c'est que Dieu est à la fois le peintre, l'acte de peindre et le tableau.

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Messagepar recherche » 24 août 2011, 21:26

Henrique a écrit :
Spinoza a écrit :Ethique I, Proposition 18

Dieu est la cause immanente, et non transitive, de toutes choses.

Démonstration : Tout ce qui est, est en Dieu et doit être conçu par son rapport à Dieu (en vertu de la Propos. 15), d'où il suit (par le Coroll. 1 de la Propos. 16) que Dieu est la cause des choses qui sont en lui ; voilà le premier point. De plus, si vous ôtez Dieu, il n'y a aucune substance (par la Propos. 14), c'est-à-dire (par la Déf. 3) aucune chose qui, hors de Dieu, existe en soi ; voilà le second point. Donc, Dieu est la cause immanente et non transitive de toutes choses. C. Q. F. D.


La première partie de la démonstration, sur le fait que Dieu est cause de toutes choses, est facile à comprendre il me semble ; la seconde, sur le caractère immanent de cette causalité, un peu moins je pense. Mais il suffit de voir que si Dieu était cause transitive, et donc transcendante, les choses seraient extérieures à Dieu et non de simples modes de celui-ci. Si donc les effets la causalité divine lui étaient extérieurs, ils ne dépendraient plus de lui. Alors soit ce seraient des substances, soit des modes d'une autre substance. Mais si c'était les modes d'une autre substance, Dieu ne serait pas cause de tout. Ce devrait donc être des substances. C'est au passage la représentation commune dans la croyance religieuse, dont découle aussi la croyance au libre arbitre, notamment quand une chose créée est capable de conscience de soi. Mais c'est absurde : si les choses produites par Dieu étaient des substances, elles ne pourraient être produites, puisqu'une substance est ce qui doit se concevoir par soi. Comme il n'y a qu'une seule substance, tout ce qui existe n'est qu'une façon d'être de Dieu, jamais des êtres sur lesquels il agirait ou non, à distance, extérieurement.

Dans l'expérience commune, un être produit par un autre peut devenir indépendant de celui-ci, comme l’œuvre de l'artiste. Mais ce sont des modes qui peuvent être extérieurs les uns aux autres parce qu'ils subsistent au moyen de l'ensemble de la nature et non nécessairement au moyen des causes modales dont ils sont les effets. Si on considère les modes en général par rapport à l'ensemble de la nature, aucun ne peut subsister par soi. En conséquence la substance agit non comme cause extérieure sur les objets, comme le peintre sur le tableau, mais comme cause immanente, plutôt comme le peintre sur le geste de peindre. (Le geste de peindre ne peut se concevoir de manière autonome par rapport au peintre.)

Le fait que Dieu soit infini et que les choses soient finies n'empêche pas que Dieu opère de façon immanente sur elles. D'abord parce que les choses ne sont pas séparées les unes des autres, elles ne peuvent se comprendre sans les causes qui les ont fait être, ni sans leurs effets nécessaires : leur finitude s'inscrit ainsi dans la totalité de la nature qui est infinie (d'où le fait que Spinoza ne parle pas de "modes finis" : une façon d'être de Dieu n'est pas plus séparable de sa totalité infinie que le peintre du geste de peindre). Ensuite, une façon d'être de quelque chose est toujours ontologiquement moindre que la totalité de la chose : le geste de peindre pour le peintre n'est qu'un des aspects de son être. Il n'y a pas transcendance entre le peintre et l'activité de peindre (mais entre le peintre et son œuvre).

La différence entre Dieu et un peintre par rapport à leur œuvre, c'est que Dieu est à la fois le peintre, l'acte de peindre et le tableau.

Merci beaucoup !

En lisant votre réponse, je n'ai pu m'empêcher de déplorer à nouveau que Spinoza se soit contenté, vis-à-vis de la mystique juive, d'apostrophes assez grotesques, là où nous aurions pu concevoir un dialogue absolument passionnant.
Car ce sont là des considérations et difficultés qui jalonnent son étude.

Si cela n'avait été pour lui, au moins l'aurait-ce été pour ceux qui, comme moi, restent interpellés par ces divers systèmes.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 27 août 2011, 04:18

Bonjour Recherche,

étant d'accord avec la réponse d'Henrique, serait-il possible d'expliquer en quoi le spinozisme refuserait sur ce point le dialogue avec la mystique juive?

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Messagepar Krishnamurti » 27 août 2011, 10:37

Bonjour Louisa,

Qu'est-ce que le spinozisme a à faire avec le mysticisme. On ne dialogue pas avec des mystères.

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Messagepar recherche » 27 août 2011, 23:00

Bonjour,

Louisa a écrit :étant d'accord avec la réponse d'Henrique, serait-il possible d'expliquer en quoi le spinozisme refuserait sur ce point le dialogue avec la mystique juive?

Je ne parlais pas du spinozisme, que je conçois sur ce point, en tant que doctrine philosophique, nécessairement plus ouvert que Spinoza.
Dans le TTP, Spinoza a eu des mots très durs à l'endroit des kabbalistes, vis-à-vis desquels il se contente de préjugés me laissant penser qu'il en ignorait vraisemblablement la pensée, ou n'y avait eu accès que par de lointaines caricatures.
Or ce qu'avance Henrique (via Spinoza) nous donne du grain à moudre dans son étude. Le dialogue eût été passionnant.

Krishnamurti a écrit :Bonjour Louisa,

Qu'est-ce que le spinozisme a à faire avec le mysticisme. On ne dialogue pas avec des mystères.

Cher inconnu,

Plutôt que de mystique juive, j'aurais pu parler d'ontologie juive.

Quant à l'association rapide entre "mysticisme" et "mystères", ne nous arrêtons pas à ces effets de manche s'il vous plaît.
Si la vie n'était porteuse de "mystères", je ne verrais aucune raison de chercher à les élucider. Mais peut-être n'avez-vous jamais eu l'occasion de vous trouver face à un corps mort, ou bien vivant, mais que la conscience avait déserté.

Affront suprême qu'il me fut donner de vivre face à la récusation a priori de toute énigme.

Merci.

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Messagepar recherche » 01 sept. 2011, 20:49

Soyons simples s'il vous plaît :

Soit le système de Spinoza, panthéiste naturaliste. Si la distinction est conceptuellement intéressante, je ne parviens plus à voir d'une manière claire quel serait, par rapport à un système panenthéiste (*), les distinctions majeures en termes de conséquences. Dès lors que Spinoza parle d'une substance infinie nous échappant en grande partie (comprenant donc, cette "puissance de pensée infinie" pensant le monde (et donc se pensant elle-même !)), je crains que la distinction entre "transcendance" et "immanence" relève, quelque part, de la simple rhétorique (philosophique et/ou théologique).

(*) j'entends ici par "panenthéisme" que l'on postule l'existence d'une "transcendance" abreuvant une "immanence", est-ce en "s'amoindrissant" (via les "séfirot", les "chakras", ou tout ce que l'on voudra).

Merci

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Messagepar Henrique » 03 sept. 2011, 15:57

recherche a écrit :Soyons simples s'il vous plaît :

Soit le système de Spinoza, panthéiste naturaliste. Si la distinction est conceptuellement intéressante, je ne parviens plus à voir d'une manière claire quel serait, par rapport à un système panenthéiste (*), les distinctions majeures en termes de conséquences. Dès lors que Spinoza parle d'une substance infinie nous échappant en grande partie (comprenant donc, cette "puissance de pensée infinie" pensant le monde (et donc se pensant elle-même !)), je crains que la distinction entre "transcendance" et "immanence" relève, quelque part, de la simple rhétorique (philosophique et/ou théologique).

(*) j'entends ici par "panenthéisme" que l'on postule l'existence d'une "transcendance" abreuvant une "immanence", est-ce en "s'amoindrissant" (via les "séfirot", les "chakras", ou tout ce que l'on voudra).


Il me semble que c'est assez simple : on peut concevoir une transcendance entre le peintre et sa peinture comme, dans la théologie chrétienne classique, entre un Dieu créateur et sa créature, mais si le principe d'existence d'un être n'est pas externe mais interne, comme chez Spinoza, il y a immanence. Dire que les êtres naturels finis sont des façons d'être d'une seule substance, qu'on appelle Dieu, et qui est infini, n'est pas introduire une transcendance car il n'y a pas d'opposition absolue entre le fini et l'infini. Le fini, comme le rappelle E1D8, scol. 1 est affirmation partielle tandis que l'infini est affirmation totale. Le fini n'est donc qu'une partie de l'infini ou mieux un degré de l'infini. En ce sens, l'infini ne transcende pas le fini mais l'enveloppe et constitue l'essentiel de son être : l'affirmation de soi.

Quant à ce que vous semblez suggérer avec les sephirots ou les chakras, il y aurait si je comprends bien une matière grossière qui serait animée, vitalisée par ces centres d'énergie en contact avec une divinité transcendante. C'est une perspective dualiste qui correspond à la philosophie hindoue dite samkhya encore qu'il y ait eu semble-t-il des évolutions non-dualistes de cette école. Il y aurait une matière première de nature féminine animée par un principe masculin de nature spirituelle. Il n'y a bien sûr rien de tel chez Spinoza qui pose une seule substance faisant notamment du masculin et du féminin, ou encore de la matière et de l'esprit, de simples modalités d'un seul et même être.

Quant à parler de panenthéisme, l'éminent commentateur Martial Guéroult, le propose pour qualifier le système de Spinoza, remarquant que si tout ce qui est, est en Dieu (E1P15), tout n'est pas forcément Dieu. Il y aurait alors schématiquement "tout ce qui est" englobé par un cercle supérieur qui serait Dieu. Mais est-ce à dire que Dieu n'est pas ? Non, Dieu est en lui-même, c'est justement le sens du terme de substance. La différence entre Dieu et ses modes, c'est seulement que le premier peut se concevoir par lui-même, tandis que les modes ne peuvent se concevoir qu'en Dieu (E1P29S). C'est ce qui fait que l'ontologie spinozienne est possible : s'il fallait connaître toutes choses de la nature naturée avant de pouvoir prononcer quelque chose sur la nature naturante, on n'y parviendrait jamais.

Mais alors il n'y a pas un grand ensemble qui serait Dieu et un sous-ensemble qui serait l'ensemble de ses modes, il n'y a que ce qui est que l'on peut concevoir soit par soi, soit en autre chose. Et du fait que tout ce qui est de la puissance de Dieu existe nécessairement (E1P35), Dieu n'est pas une potentialité d'où émaneraient des êtres en acte : du point de vue de l'éternité, tout ce qui peut exister est aussi bien ce qui existe car dans ce cadre il n'y a pas de passé ou de futur. Il n'y a pas alors un Dieu qui pourrait exister uniquement comme ensemble infini d'attributs infinis et dont les modes pourraient demeurer en suspens d'on ne sait quelle décision mystérieuse. Nature naturante et nature naturée totale sont alors strictement inséparables ontologiquement, même si on peut les distinguer pour mieux les comprendre. Dire que ce qui est, est en Dieu n'est pas faire de Dieu un être extérieur, transcendant les modes, encore une fois et par analogie seulement comme le peintre ne transcende pas les gestes qui font précisément de lui un peintre. En dehors de l'activité de peindre, il n'y a pas de peintre.

Enfin, sur ce que dit Spinoza dans le TTP sur la kabbale, pourriez vous m'indiquer la référence exacte ? Dans l'Ethique, il y a ce passage : "un mode de l'étendue et l'idée de ce mode ne font qu'une seule et même chose exprimée de deux manières. Et c'est ce qui paraît avoir été aperçu, comme à travers un nuage, par quelques Hébreux qui soutiennent que Dieu, l'intelligence de Dieu, et les choses qu'elle conçoit, ne font qu'un." (E2P7S). Je ne trouve pas cela si violent, au contraire cela semble plutôt un hommage, quoique mesuré vu que ces hébreux ne procédaient guère avec méthode.

Sur le mysticisme, il y a effectivement une incompréhension courante de ce terme. Le terme de mystère a été envisagé par la pensée chrétienne pour désigner une vérité qu'il serait vain de chercher à comprendre. Mais au départ, ce terme désigne fort différemment dans la pensée grecque une connaissance qui était réservée à des initiés, certes incompréhensible pour le commun des mortels mais qui pouvait l'être par ceux qui subissent l'initiation. Dans la pensée grecque, il y avait donc un enseignement exotérique destiné au plus grand nombre et un enseignement ésotérique réservé à quelques uns. Si ceux qui ne connaissaient que l'enseignement exotérique ne pouvaient pas comprendre des points d'ordre ésotérique, il n'y avait pas pour autant de doctrines réputées incompréhensibles pour qui que ce soit. C'est un peu comme lorsqu'on dit encore aujourd'hui que tel langage scientifique n'est pas compréhensible pour les non-initiés, cela n'empêche nullement de s'initier.

Par la suite et selon le cheminement sinueux de l'évolution des langues, le terme de mystère, notamment avec Me Eckhart, en est venu à désigner une connaissance directe et affective du divin, vérité des vérités. Qualifier par ailleurs cette expérience d'inexprimable avec les termes issus de l'expérience ordinaire ne signifie pas qu'elle soit obscure pour celui qui la vit, bien au contraire. L'Eglise on le sait a plutôt combattu le "mysticisme" qui en a découlé : s'il devenait possible d'accéder à Dieu sans passer par la révélation des textes sacrés et l'autorité de ses interprètes dûment formés et assermentés qu'était les prêtres, toute son influence risquait d'être remise en cause.

En ce sens de connaissance directe du divin, et non de dogmes réputés incompréhensibles, on peut parler de mysticisme à propos de la pensée des upanishads, du bouddhisme etc. Mais on retrouve aussi cette notion chez Spinoza. Le troisième genre de connaissance qui va de l'idée des attributs de Dieu à l'essence des choses rend possible le fait que "le mental humain a une connaissance adéquate de l'infinie et éternelle essence de Dieu" du fait notamment que "toute idée d'un corps ou d'une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu." (E2P45 à 47).

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Messagepar recherche » 04 sept. 2011, 15:43

(re)Bonjour,

J'espère que mes messages ces derniers temps assez nombreux ne vous ennuient pas trop... un ennui que dissimilerait alors la générosité de vos réponses.

Henrique a écrit :Il me semble que c'est assez simple : on peut concevoir une transcendance entre le peintre et sa peinture comme, dans la théologie chrétienne classique, entre un Dieu créateur et sa créature, mais si le principe d'existence d'un être n'est pas externe mais interne, comme chez Spinoza, il y a immanence. Dire que les êtres naturels finis sont des façons d'être d'une seule substance, qu'on appelle Dieu, et qui est infini, n'est pas introduire une transcendance car il n'y a pas d'opposition absolue entre le fini et l'infini. Le fini, comme le rappelle E1D8, scol. 1 est affirmation partielle tandis que l'infini est affirmation totale. Le fini n'est donc qu'une partie de l'infini ou mieux un degré de l'infini. En ce sens, l'infini ne transcende pas le fini mais l'enveloppe et constitue l'essentiel de son être : l'affirmation de soi.

Pourriez-vous s'il vous plaît m'indiquer ce que vous pensez de cette "puissance de pensée infinie" dont parle Spinoza ? (lettre 32 à Oldenburg : merci hokousai !)
Nous sommerions toutes les puissances de pensée de tous les individus humains peuplant la terre, nous ne parviendrions pour autant à une "puissance infinie de penser".

Henrique a écrit :Quant à ce que vous semblez suggérer avec les sephirots ou les chakras, il y aurait si je comprends bien une matière grossière qui serait animée, vitalisée par ces centres d'énergie en contact avec une divinité transcendante. C'est une perspective dualiste qui correspond à la philosophie hindoue dite samkhya encore qu'il y ait eu semble-t-il des évolutions non-dualistes de cette école. Il y aurait une matière première de nature féminine animée par un principe masculin de nature spirituelle. Il n'y a bien sûr rien de tel chez Spinoza qui pose une seule substance faisant notamment du masculin et du féminin, ou encore de la matière et de l'esprit, de simples modalités d'un seul et même être.

Je ne l'entends pas tout à fait ainsi, mais crains de me perdre en tentant de m'y étendre...

Henrique a écrit :Quant à parler de panenthéisme, l'éminent commentateur Martial Guéroult, le propose pour qualifier le système de Spinoza, remarquant que si tout ce qui est, est en Dieu (E1P15), tout n'est pas forcément Dieu. Il y aurait alors schématiquement "tout ce qui est" englobé par un cercle supérieur qui serait Dieu. Mais est-ce à dire que Dieu n'est pas ? Non, Dieu est en lui-même, c'est justement le sens du terme de substance. La différence entre Dieu et ses modes, c'est seulement que le premier peut se concevoir par lui-même, tandis que les modes ne peuvent se concevoir qu'en Dieu (E1P29S). C'est ce qui fait que l'ontologie spinozienne est possible : s'il fallait connaître toutes choses de la nature naturée avant de pouvoir prononcer quelque chose sur la nature naturante, on n'y parviendrait jamais.

Mais alors il n'y a pas un grand ensemble qui serait Dieu et un sous-ensemble qui serait l'ensemble de ses modes, il n'y a que ce qui est que l'on peut concevoir soit par soi, soit en autre chose. Et du fait que tout ce qui est de la puissance de Dieu existe nécessairement (E1P35), Dieu n'est pas une potentialité d'où émaneraient des êtres en acte : du point de vue de l'éternité, tout ce qui peut exister est aussi bien ce qui existe car dans ce cadre il n'y a pas de passé ou de futur. Il n'y a pas alors un Dieu qui pourrait exister uniquement comme ensemble infini d'attributs infinis et dont les modes pourraient demeurer en suspens d'on ne sait quelle décision mystérieuse. Nature naturante et nature naturée totale sont alors strictement inséparables ontologiquement, même si on peut les distinguer pour mieux les comprendre. Dire que ce qui est, est en Dieu n'est pas faire de Dieu un être extérieur, transcendant les modes, encore une fois et par analogie seulement comme le peintre ne transcende pas les gestes qui font précisément de lui un peintre. En dehors de l'activité de peindre, il n'y a pas de peintre.

Donc, "ce qui n'est pas forcément Dieu", qu'est-ce ?

Henrique a écrit :Enfin, sur ce que dit Spinoza dans le TTP sur la kabbale, pourriez vous m'indiquer la référence exacte ?

Dans l'Ethique, il y a ce passage : "un mode de l'étendue et l'idée de ce mode ne font qu'une seule et même chose exprimée de deux manières. Et c'est ce qui paraît avoir été aperçu, comme à travers un nuage, par quelques Hébreux qui soutiennent que Dieu, l'intelligence de Dieu, et les choses qu'elle conçoit, ne font qu'un." (E2P7S). Je ne trouve pas cela si violent, au contraire cela semble plutôt un hommage, quoique mesuré vu que ces hébreux ne procédaient guère avec méthode.

TTP, chapitre IX.
"J’ai voulu lire aussi et j’ai même vu quelques-uns des kabbalistes ; mais je déclare que la folie de ces charlatans passe tout ce qu’on peut dire."

Henrique a écrit :En ce sens de connaissance directe du divin, et non de dogmes réputés incompréhensibles, on peut parler de mysticisme à propos de la pensée des upanishads, du bouddhisme etc. Mais on retrouve aussi cette notion chez Spinoza. Le troisième genre de connaissance qui va de l'idée des attributs de Dieu à l'essence des choses rend possible le fait que "le mental humain a une connaissance adéquate de l'infinie et éternelle essence de Dieu" du fait notamment que "toute idée d'un corps ou d'une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu." (E2P45 à 47).

Objections :

1) L'absence, pour le bouddhisme, de "cause première" me paraît tout aussi dogmatique que le postulat inverse.

2) L'affirmation, chez Spinoza (et chez les monothéismes), du concept même d'essence est tout aussi dogmatique que la récusation, par le bouddhisme, de ce même concept.

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Messagepar Henrique » 04 sept. 2011, 17:16

recherche a écrit :J'espère que mes messages ces derniers temps assez nombreux ne vous ennuient pas trop... un ennui que dissimilerait alors la générosité de vos réponses.

C'est un plaisir pour moi, mais je vais devoir désormais intervenir beaucoup plus succinctement si je peux intervenir.

Pourriez-vous s'il vous plaît m'indiquer ce que vous pensez de cette "puissance de pensée infinie" dont parle Spinoza ? (lettre 32 à Oldenburg : merci hokousai !)
Nous sommerions toutes les puissances de pensée de tous les individus humains peuplant la terre, nous ne parviendrions pour autant à une "puissance infinie de penser".


Ce ne sont pas les hommes qui pensent, ils ne sont pas des substances. C'est la substance qui fait qu'ils pensent. D'ailleurs n'avez vous jamais remarqué que vous n'avez jamais eu à apprendre à penser et que c'est quelque chose qui se fait le plus souvent sans même votre illusion de contrôle. La pensée au sens large (pas seulement la pensée rationnelle et abstraite) appartient à la substance parce que rien a priori ne permet de la limiter (seule des pensées se limitent les unes, les autres). Si donc c'est la substance divine qui est pensante, rien n'interdit de concevoir que pour chaque corps ou individu, il y a une idée qui lui correspond, autrement dit ce que Spinoza appelle un mental (mens). D'ailleurs aussi vous pouvez constater que la conscience d'exister vous est venue naturellement et non à la suite d'un apprentissage de votre part. Dieu ou la nature est ce qui pense en nous, ce qui fait qu'il y a de la pensée, à commencer par la pensée fondamentale de notre corps dont les autres idées découlent. Si pour chaque corps dans la nature il y a un esprit, l'ensemble de cela correspond à ce que Spinoza appelle l'intellect infini de Dieu, qui est un mode et non un attribut de la substance. La pensée en tant qu'attribut, c'est la puissance d'avoir des idées, comme l'étendue est affirmation pure du pouvoir de s'étendre. Cette puissance est infinie parce que seule une pensée peut en limiter une autre, il n'y a donc pas d'en dehors de la pensée pour la pensée, les corps n'étant pas hors de la pensée, mais les pensées mêmes en tant qu'elles sont étendues, l'affirmation de la pensée par elle-même est donc absolue. Mais évitons de trop nous éloigner du sujet ici.

Donc, "ce qui n'est pas forcément Dieu", qu'est-ce ?

Dans l'optique "panenthéiste" que nous évoquions, ce serait les choses singulières, qui sont des modes de Dieu et non Dieu en tant que tel.

TTP, chapitre IX.
"J’ai voulu lire aussi et j’ai même vu quelques-uns des kabbalistes ; mais je déclare que la folie de ces charlatans passe tout ce qu’on peut dire."

Il faudra que j'aille voir le contexte. Mais ici il est bien question de "quelques uns des kabbalistes" et non de tous.


1) L'absence, pour le bouddhisme, de "cause première" me paraît tout aussi dogmatique que le postulat inverse.

2) L'affirmation, chez Spinoza (et chez les monothéismes), du concept même d'essence est tout aussi dogmatique que la récusation, par le bouddhisme, de ce même concept.


Au sens premier "dogme" signifie un jugement présenté comme certain. Il est évident que le système de Spinoza pourrait être qualifié par un sceptique de dogmatisme au sens où il postule des vérités indubitables. La différence importante qui demeure entre le dogmatisme philosophique et le dogmatisme religieux, c'est premièrement et justement que le dogme philosophique est posé comme compréhensible, clair et rationnel alors que le dogme religieux peut être incompréhensible, obscur et irrationnel sans que cela ne pose de problème, au contraire. Ensuite, pour le philosophe, si une vérité du type "le tout est plus grand que sa partie" est considérée comme indiscutable en fait, rien n'interdit en droit à qui le veut de chercher à en discuter. Au contraire, les dogmes religieux sont discutables en fait, du simple fait qu'ils sont mystérieux, mais ils sont présentés comme indiscutables en droit, car sinon vous êtes exclu du salut.


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