E5P40S : signification ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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E5P40S : signification ?

Messagepar sescho » 09 mars 2012, 19:35

L’objet de ce fil est de mettre la signification de E5P40S à l’examen. Certains le considèrent évident, en en déduisant que l’Entendement infini est constitué de la « somme » des entendements humains. Pour ma part (et je ne suis pas le seul) je le trouve abscons, outre de considérer la conclusion précédente comme aberrante (évidemment aberrante, même, ceci étant surdéterminé par le texte de Spinoza) vis-à-vis de sa hiérarchie ontologique clairement exprimée par ailleurs (et logiquement beaucoup plus tôt dans l’Ethique), etc.

Le fil ayant conduit à l’ouverture du présent est ici.

- Passage concerné en traduction Pautrat :

Spinoza a écrit :E5P40 : Plus chaque chose a de perfection, plus elle agit et moins elle pâtit, et inversement, plus elle agit, plus elle est parfaite.

DÉMONSTRATION

Plus chaque chose est parfaite, plus elle a de réalité (par la Défin. 6 p. 2), et par conséquent (par la Prop. 3 p. 3 avec son Scol.) plus elle agit et moins elle pâtit ; laquelle démonstration, du reste, procède de la même manière en sens inverse, d'où il suit qu'une chose, inversement, est d'autant plus parfaite qu'elle agit plus. CQFD.

COROLLAIRE

De là suit que la part de l'Esprit qui subsiste, quelle que soit sa grandeur, est plus parfaite que l'autre. Car la part éternelle de l'Esprit (par les Prop. 23 et 29 de cette p.) est l'intellect, par lequel seul nous sommes dits agir (par la Prop. 3 p. 3) ; et celle dont nous avons montré qu'elle périt est l'imagination elle-même (par la Prop. 21 de cette p.), par laquelle seule nous sommes dits pâtir (par la Prop. 3 p. 3 et la Défin. génér. des Aff.), et par suite (par la Prop. précéd.) celle-là, quelle que soit sa grandeur, est plus parfaite que celle-ci. CQFD.

SCOLIE

Telles sont les choses que je m'étais proposé de montrer à propos de l'Esprit en tant qu'on le considère sans relation à l'existence du Corps ; d'où il appert, ainsi que de la Prop. 21 p. 1 et d'autres, que notre Esprit, en tant qu'il comprend, est une manière de penser éternelle, qui est déterminée par une autre manière de penser éternelle, et celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l'infini ; en sorte qu'elles constituent toutes ensemble l'intellect éternel et infini de Dieu.

- J’ai mis la proposition entière à laquelle ce scholie apparaît attaché, mais le texte tend à indiquer qu’il couvre tout ce qui concerne « l'Esprit en tant qu'on le considère sans relation à l'existence du Corps », ce qui démarre avec E5P21… (le « d’où il appert » porterait donc déjà sur 20 propositions, plus les entités associées…) Mais on peut ne retenir que les propositions concluant les principales étapes de la chaîne démonstrative : E5P31 – la connaissance du troisième genre est éternelle –, avec E5P40C en complément, et E5P36 – l’Amour intellectuel de Dieu est la béatitude. Comme le second point n’est pas l’objet du scolie, il reste essentiellement E5P31 complété de E5P40C.

La seule proposition explicitement citée est en dehors :

Spinoza a écrit :E1P21 : Tout ce qui suit de la nature absolue d’un attribut de Dieu a dû exister toujours et être infini, autrement dit est, par cet attribut, éternel et infini.

Il fait peu de doute que E1P21 est citée pour justifier l’introduction de l'intellect éternel et infini de Dieu dans le propos du scholie.

Note 1 : ceci implique l’identité de « l'intellect éternel et infini de Dieu » et de « l’idée de Dieu », le premier étant cité dans le scholie, et la seconde en tant qu’exemple dans E1P21 (qui vaut affirmation de son existence) …

Note 2 : E2P11C introduit déjà cela, mais toutes idées confondues dans un premier temps, et en avance de phase s’agissant de la connaissance adéquate dans un deuxième (d’où l’avertissement qui suit immédiatement.) E2P43S aussi, sur cette base et la seule connaissance adéquate.

- La chose qui manque manifestement dans ces propositions citées c’est la régression à l’infini contenue dans ce scholie.

Et ces régressions à l’infini (qui peut être un infini dénombrable – et peut d’ailleurs vouloir dire « une quantité incommensurable », sans plus de précision –, à ne pas confondre avec un infini continu – et donc indénombrable ; il y a aussi du fini continu et donc indénombrable) font précisément aussi partie des passages difficiles de l’Éthique en général…

Des extraits associés sont ici, et une tentative de discussion .

Après réexamen, on peut ne retenir dans ce cadre que E2P7S (au sujet du cercle, mais c’est si bref qu’à la limite d’être éliminé pour cette seule raison ; toutefois la proposition même est très souvent utilisée en combinaison de E2P9 ; il y est associé « idée d’une chose antérieure de sa nature à l’objet de l’idée »), E2P9 (peu explicite, appuyée sur E1P28 mais assez bizarrement, sans doute du fait que le parallélisme entre corps déformables et idées associées n’est pas si évident qu’on pourrait le croire a priori…) et E2L7S (qu’on retrouve aussi dans la problématique des supposés « modes infinis médiats » via le facies totius universi de la lettre 64… mis en rapport par des commentateurs avec E1P21, déjà citée, et sa suivante.)

Spinoza a écrit :E2P7S : … l'être formel de l'idée du cercle ne peut se percevoir que par une autre manière de penser, comme cause prochaine, et celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l'infini…

E2P9 : L'idée d'une chose singulière existant en acte a pour cause Dieu, non en tant qu'il est infini, mais en tant qu'on le considère affecté par une autre idée de chose singulière existant en acte, idée dont également Dieu est cause, en tant qu'il est affecté par une autre troisième, et ainsi à l'infini.

DÉMONSTRATION

L'idée d'une chose singulière existant en acte est une manière de penser singulière, et distincte des autres (par le Coroll. et le Scol. Prop. 8 de cette p.), et par suite (par la Prop. 6 de cette p.) elle a pour cause Dieu, en tant seulement qu'il est chose pensante. Et non pas (par la Prop. 28 p. 1) en tant qu'il est chose absolument pensante, mais en tant qu'on le considère affecté par une autre manière de penser, et de celle-ci également Dieu est cause, en tant qu'il est affecté d'une autre, et ainsi à l'infini. Or l'ordre et l'enchaînement des idées (par la Prop. 7 de cette p.) est le même que l'ordre et l'enchaînement des causes ; donc de toute idée singulière c'est une autre idée, autrement dit Dieu, en tant qu'on le considère affecté par une autre idée, qui est cause, et également de celle-ci, en tant qu'il est affecté par une autre, et ainsi à l'infini. CQFD.

E2L7S : Par là donc nous voyons de quelle façon un Individu composé peut être affecté de bien des manières tout en conservant néanmoins sa nature. Et jusqu'ici nous avons conçu un Individu composé seulement de corps qui ne se distinguent entre eux que par le mouvement et le repos, la vitesse et la lenteur, c'est-à-dire qui est composé des corps les plus simples. Que si maintenant nous en concevons un autre, composé de plusieurs Individus de nature différente, nous trouverons qu'il peut être affecté de plusieurs autres manières tout en conservant néanmoins sa nature. Car, puisque chacune de ses parties est composée de plusieurs corps, elles pourront donc (par le Lemme précéd.) chacune se mouvoir tantôt plus lentement tantôt plus rapidement, et par conséquent communiquer aux autres leur mouvement plus vite ou plus lentement, sans changement de nature. Que si en outre nous concevons un troisième genre d'Individus, composé de ces seconds Individus, nous trouverons qu'il peut être affecté de bien d'autres manières sans changement de sa forme. Et, si nous continuons encore ainsi à l'infini, nous concevrons facilement que la nature tout entière est un seul Individu, dont les parties, c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de manières sans que change l'Individu tout entier. Et cela, si l'intention avait été de traiter du corps ex professo, j'aurais dû l'expliquer et le démontrer de façon plus prolixe. Mais, je l'ai déjà dit, c'est autre chose que je veux, et, si j'en fais mention ici, c'est uniquement parce que, de là, je peux facilement déduire ce que je me suis proposé de démontrer.

On peut enfin émettre l’hypothèse que l’infini en question pourrait être la séquence poussée ad infinitum des déductions de la Raison.

Pour finir cette mise en bouche, je vais préciser en quoi – outre, comme dit au début, que la « conclusion » que l’Entendement infini de Dieu est « constitué » des différents entendements humains est radicalement démentie par le texte même de Spinoza par ailleurs – le texte ne me semble pas évident du tout :

- L'emploi de « notre esprit, en tant qu'il comprend » montre qu'il s'agit au départ des seules idées adéquates dans l'âme humaine.

- Il n’y a alors pas « plusieurs » esprits humains en tant qu’ils comprennent, mais un seul, commun à tous les hommes : la Raison au sens large.

- Rien ne dit que « l’autre manière de penser éternelle qui détermine notre esprit en tant qu’il comprend » appartient à notre esprit (et ainsi de suite a fortiori.) Au contraire, le fait de dire « notre esprit », pris dans sa globalité – et non « une idée adéquate », par exemple – tend à indiquer nettement que cette "autre manière" qui le détermine est plus ou autre chose que lui-même...
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Messagepar Shub-Niggurath » 09 mars 2012, 20:13

Ce qui me parait digne d'être noté dans ce scolie, c'est l'engendrement des intellects les uns par les autres (déterminé par), de la même manière que les corps dans l'étendue sont engendrés les uns par les autres. On arrive ainsi à une sorte de famille d'esprits, déterminés les uns par les autres, de la même manière que dans le monde biologique, ou dans l'attribut étendu, les corps constituent des familles.
Un esprit qui aura donc lu et compris l'Ethique pourra dit être le fils spirituel de Spinoza, lui-même étant le fils spirituels d'autres penseurs, et en particulier du Christ, qui est dit être le Philosophe par excellence par Spinoza lui-même. Car dans ce scolie, ce que Spinoza cherche à démontrer avant tout, c'est l'éternité de nos intellects, de même que le Christ cherchait à faire admettre à ses disciples, ceux qui suivaient son enseignement, qu'ils étaient sauvés, c'est-à-dire que la vie éternelle leur était conférée par lui.

"je dis qu'il n'est pas du tout nécessaire, pour faire son salut, de connaître le Christ selon la chair; mais il en est tout autrement du Fils éternel de Dieu, c'est-à-dire de la sagesse éternelle de Dieu qui s'est manifestée en toutes choses, surtout dans l'esprit humain, et plus particulièrement en Jésus-Christ. Nul, en effet, ne peut parvenir à l'état de Béatitude sans cette sagesse, puisqu'elle enseigne seule ce qui est vrai ou faux, bien ou mal. Et parce que cette sagesse, comme je l'ai dit, se manifesta le plus par Jésus-Christ, ses disciples l'ont prêchée comme leur ayant été révélée par Dieu, et ils ont pu tirer de cet esprit du Christ une plus grande gloire que les autres."
Lettre 73

Par "fils éternel de Dieu" et par "sagesse éternelle de Dieu" il faut bien évidemment entendre l'intellect éternel et infini de Dieu, et il est clair dans cette lettre que cet intellect se manifeste dans les esprits humains, et non en Dieu en tant qu'il est infini, et qu'il s'est, pour Spinoza, exprimé de manière particulièrement évidente dans l'esprit de Jésus-Christ.

La Raison, pour Spinoza, n'est pas un mode qui existerait indépendamment des esprits qui la constituent. Elle s'exprime seulement dans les esprits humains, ou dans tous les modes qu'on voudra de l'attribut pensant, et non en Dieu en tant qu'il est infini. Mais elle s'exprime de la manière la plus puissante et la plus forte, pour ce que nous connaissons de la Nature, dans les esprits humains.

Le salut dont parle Spinoza est bien un salut individuel, Dieu n'ayant que faire d'être sauvé, puisqu'il existe nécessairement. C'est donc de la sagesse humaine dont nous devons nous servir afin de faire notre salut, que l'on trouve cette sagesse dans les écrits de Salomon, de Jésus-Christ, ou de Spinoza. Et cette sagesse éternelle de Dieu qui se manifeste seulement dans les esprits humains, et par eux, est seule à même de nous déterminer à la béatitude et au salut.

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Messagepar sescho » 10 mars 2012, 11:56

A Shub-Niggurath :

Ce n'est pas à proprement parler le sujet du fil (qui s'attache à traduire une fraction du texte de Spinoza par le texte de Spinoza même), mais je vais quand-même faire un commentaire.

Je suis grosso modo d'accord avec ce que vous dites à la fin, mais pour le reste, il y a dans votre propos, me semble-t-il, beaucoup trop de conditionnement par un sentiment de séparation, autrement dit par une conception des choses en relation à un temps ou un lieu déterminé selon E5P29S, pour bien comprendre ce que dit Spinoza (ou ce que dit - par parabole qui plus est - Jésus de Nazareth, Saint Paul, ...)

Spinoza a écrit :E5P29S : Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières, selon que nous les concevons soit en tant qu'elles existent en relation à un temps et à un lieu précis, soit en tant qu'elles sont contenues en Dieu, et suivent de la nécessité de la nature divine. Et celles qui sont conçues de cette deuxième manière comme vraies, autrement dit réelles, nous les concevons sous l'aspect de l’éternité, et leurs idées enveloppent l’essence éternelle et infinie de Dieu, comme nous l’avons montré par la Proposition 45 de la deuxième partie, dont on verra également le Scolie.


- "Déterminé" ne veut pas dire "engendré" ; le premier terme se réfère à la causalité immanente, le second à la causalité transitive (qui est largement imaginaire, elle - et c'est pourquoi en passant discuter de causalité sans faire cette distinction est insensé.)

J'ai encore un doute sur ce point, mais l'usage direct sur les corps de E1P28 (en particulier : si un corps ne reste pas en mouvement uniforme, c'est qu'un autre l'a poussé) tend à laisser penser que - bizarrement quelque part, donc - Spinoza introduit là "la causalité transitive." Toutefois, lorsque E1P28 est appliquée (c'est ce qu'il dit) aux pensées dans E2P9 (il y revient dans E2P31Dm aussi), l'usage de cette dernière (avec en complément E2P7 qui dit que l'ordre et la connexion sont les mêmes dans tous les attributs, ce qui achève de décrire le parallélisme) montre que la cause en question est "englobante", agencée comme des poupées russes, mais plus ou moins en continu - et ceci n'est bien évidemment pas sans rappeler E2L7S.

Il ne faut pas oublier cependant ce que nous avons dit sur la "relativité" de la finitude et donc de la notion de corps : dans la continuité de l’Étendue - qui, elle, est principielle et ne souffre pas de discussion -, quand un corps est déformé il y a automatiquement déformation d'un - ou plusieurs, puisque c'est assez arbitraire - corps connexes. Lorsque l'on isole le corps par abstraction, on peut dire que les corps extérieurs agissent sur lui, mais du point de vue fondamental il n'y a pas vraiment de corps, mais l'expression du Mouvement dans l’Étendue, et de l'interdépendance générale qui va avec.

Une phase de démonstration qu'on retrouve à plusieurs reprises dans la séquence E2P19-E2P31 est : "... l’idée où connaissance de X est (par la Proposition 9, partie 2) en Dieu en tant qu'on considère Dieu affecté par l’idée d’une autre chose, laquelle (par la Proposition 7, partie 2) est, de nature, antérieure à X lui-même ..."

Note : "antérieure" ne se réfère pas au temps mais à l'ordre ontologique, ce qu'indique le "de nature".

E2P30Dm reprend la logique d'ensemble :

Spinoza a écrit :E2P30Dm : La durée de notre corps ne dépend pas de son essence (par l'Axiome 1 de cette p.), ni non plus de la nature absolue de Dieu (par la Prop. 21 p. 1). Mais (par la Proposition 28 p. 1) il est déterminé à exister et à opérer par telles causes, qui elles aussi sont déterminées par d'autres à exister et à opérer de façon précise et déterminée, et celles-ci à leur tour par d'autres, et ainsi à l'infini. Donc la durée de notre Corps dépend de l'ordre commun de la nature et de l'état des choses. Quant à la façon dont les choses ont été constituées, la connaissance adéquate de cette chose est en Dieu en tant qu'il a les idées de toutes, et non en tant qu'il a seulement l'idée du Corps humain (par le Coroll. Prop. 9 de cette p.), et donc la connaissance de la durée de notre Corps est tout à fait inadéquate en Dieu en tant qu'on le considère seulement constituer la nature de l'Esprit humain, c'est-à-dire (par le Coroll. Prop. 11 de cette p.), cette connaissance est dans notre Esprit tout à fait inadéquate. CQFD.

E2P31Dm : En effet, chaque chose singulière, tout comme le Corps humain, doit être déterminée par une autre chose singulière à exister et à opérer de façon précise et déterminée ; et celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l'infini (par la Prop. 28 p. 1). Et comme nous avons démontré dans la Proposition précédente, à partir de cette propriété commune des choses singulières, que nous n'avons de la durée de notre Corps qu'une connaissance tout à fait inadéquate ; il faudra donc conclure de même à propos de la durée des choses singulières, à savoir, que nous n'en pouvons avoir qu'une connaissance tout à fait inadéquate. CQFD.

- Par ailleurs j'ai beaucoup lu sur la Spiritualité (qui est une, même sous divers dehors apparemment très différents) : croyez-moi, la rarissime vision intuitive, vécue, de la vérité, de Dieu, l'Eveil, la Réalisation, est très différente de la vision commune, quoique restant "dans le monde" (mais "n'étant pas de ce monde"). Le sentiment de séparation avec quoi que ce soit a disparu, etc.

Il ne faut pas confondre essence et existence dans les "choses créées." Le Christ est l'Homme réalisé en essence propre, l'Oint du Seigneur, tel qu'il est dans la nature de la Nature, ou dans l'Entendement infini de Dieu (L'Esprit Saint apparaît redondant, mais on peut considérer qu'il unit Dieu au Christ.) Il peut s'incarner purement (exceptionnellement), comme par exemple dans Jésus de Nazareth (mais encore faut-il bien comprendre ce qu'il a dit en paraboles, ce qui est loin d'être évident ; voir Paul Diel ou Arnaud Desjardins.) Ces Maîtres peuvent en amener d'autres (très peu, encore une fois) à la Réalisation. Mais les lois de la Nature qui font le Christ sont éternelles, et donc non liées à une incarnation ou une autre (si ce n'est que tout ce que la Nature peut faire se trouvera en acte à un moment ou un autre.) Et il y a eu dans l'histoire plusieurs cas avérés de Réalisation spontanée.

Il se manifeste dans des humains non pas parce qu'il faut une incarnation, mais parce qu'il s'agit de l'Homme (pure évidence de base), qui n'est qu'une partie de la Nature éternelle ou de l'Entendement infini de Dieu. L'enjeu éthique, lui, se pose évidemment et par conséquent à tous les individus humains.
Modifié en dernier par sescho le 22 mars 2012, 20:29, modifié 1 fois.
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Messagepar Shub-Niggurath » 10 mars 2012, 13:57

Pour tenter de clarifier le débat, il me parait utile de rappeler l'ordre ontologique chez Spinoza, qui à mon avis peut se décrire en cinq degrés, comme ceci :

1 : Dieu, autrement un être absolument infini, autrement dit une substance, cause de soi. (définitions 1, 3 et 6 de la partie 1 de l'Ethique)

2 : Les attributs infinis, autrement dit la substance qualifiée, tous également causes d'eux-mêmes. (proposition 10 partie 1)

3 : Les modes infinis immédiats, c'est-à-dire dans l'attribut pensant l'idée de Dieu et l'intellect éternel et infini de Dieu, causés immédiatement par Dieu. (proposition 21 partie 1)

4 : Les modes infinis médiats, c'est-à-dire par exemple la figure du tout de l'Univers, "qui demeure toujours le même, bien qu'il varie selon une infinité de modes". (lettre 64 et proposition 22 partie 1) Ils sont causés par les modes infinis immédiats.

5 : L'infinité des modes finis, c'est-à-dire les choses singulières dont l'existence est déterminée. (définition 2 partie 1 et définition 7 partie 2, et proposition 28 partie 1) Ils sont causés les uns par les autres.

A chacun de ces degrés, sauf au dernier (axiome 1 partie 2), appartient l'éternité, autrement dit l'existence nécessaire (définition 8 partie 1).
Si nous contemplons seulement les deux premiers degrés de l'échelle ontologique, nous nous plaçons en quelque sorte au point de vue de Dieu, antérieurement à l'existence des modes. Cependant nous ne pouvons le faire que parce que notre esprit, en tant qu'il comprend cela, est une partie du degré 3, c'est-à-dire de l'intellect éternel et infini de Dieu. Il nous faut donc bien admettre que l'homme est une réalité composée de différentes parties, à savoir qu'il appartient simultanément aux troisième, quatrième et cinquième degrés de l'échelle ontologique. A savoir que par son corps, il est un des infinis modes finis de l'attribut étendu, par son esprit en tant qu'il imagine les choses, un des infinis modes finis de l'attribut pensant, et par son intellect, en tant qu'il conçoit les choses réellement, une partie de l'intellect éternel et infini (par le corollaire de la proposition 11 partie 2).

Mais il faut bien noter ceci, c'est que le cinquième degré de l'Être, celui par lequel les corps sont produits les uns par les autres et les esprits déterminés les uns par les autres, existe tout autant que les quatre premiers. Il n'y a aucun moyen, pour un mode fini, de devenir infini, et ce quel que soit le degré de "réalisation" ou de béatitude qu'il pourrait obtenir.

Je pense que la composition infinie de Dieu commence donc au moins dés le troisième degré de l'ordre ontologique, et non au cinquième seulement. L'intellect de Dieu est certes produit immédiatement par lui, mais en tant qu'il correspond à chacun des modes, qui sont une infinité. Autrement dit l'intellect de Dieu ou l'idée de Dieu, si on admet que c'est la même chose, est une chose infiniment composée et non une idée simple. Et d'ailleurs la composition infinie commence même dés le second degré, car il est évident pour Spinoza que la substance s'exprime en une infinité d'attributs. Il n'y a pas une infinité de substances, il n'y en a qu'une, mais elle est elle-même infiniment composée.

Par suite, puisque nous sommes composés non seulement d'un esprit et d'un corps, mais aussi d'un intellect, il me paraît légitime d'en déduire, ce que fait Spinoza, que l'intellect éternel et infini de Dieu est composé d'une infinité de parties ou de modes (scolie de la proposition 40 partie 5). Il existe donc des modes finis et éternels, et c'est de cette vérité que découle le salut de l'homme.

Pour ce qui est de Jésus-Christ, je dirais avec Spinoza qu'il était un homme comme les autres, c'est-à-dire que par son corps il appartenait au cinquième degré de l'ordre ontologique, mais que par son intellect, il se distinguait des autres hommes en tant seulement que son intellect était plus puissant. Grâce à cela, il avait conscience de son l'éternité, et c'est ce message qu'il demanda à ses disciples de répandre, ce qu'il firent en écrivant les évangiles, autrement dit la "bonne nouvelle".

Je précise qu'il ne faut pas concevoir ces degrés comme des émanations qui partiraient de l'essence infiniment parfaite de Dieu et qui se dégraderait en perdant de sa perfection en descendant jusqu'au cinquième degré. Il faut au contraire, comme dit Deleuze, concevoir tous ces degrés comme coexistant sur un seul et même plan d'immanence, qui est celui de la substance elle-même. Par suite le mode infini immédiat ne fait qu'un avec l'ensemble infini des modes finis, et c'est pourquoi Spinoza peut affirmer que ce mode est composé d'une infinité de modes qui sont les intellects humains. De même la substance ne fait qu'un avec ses attributs, elle est composée d'une infinité de puissances différentes, puissance d'être étendue, puissance de penser, etc. etc.

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Messagepar Henrique » 10 mars 2012, 15:22

Spinoza a écrit :Notre Esprit, en tant qu'il comprend, est une manière de penser éternelle, qui est déterminée par une autre manière de penser éternelle, et celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l'infini ; en sorte qu'elles constituent toutes ensemble l'intellect éternel et infini de Dieu


Toute la question me semble être ici ce qu'il faut entendre par "autre manière de penser éternelle". Rien ne dit que cela doive être les entendements humains.

C'est ce que supposent Misrahi et ceux qui tirent le spinozisme vers un athéisme selon lequel ce serait l'homme l'être suprême, pour faire ainsi du spinozisme un humanisme théorique (et pas seulement pratique) : au fond, Dieu en tant qu'être pensant et non pas simplement comme étendu, ce ne sont que les hommes pensant la nature comme nécessaire et s'éduquant mutuellement.

Je ne m’appesantirai pas sur la confusion possible ici entre attribut et mode infini, je ferai simplement remarquer que si l'entendement infini se limitait à la totalité des entendements humains, il serait bien limité. D'abord, rares sont les hommes qui pensent consciemment la nature comme nécessité ; ensuite l'espèce humaine, autant que les individus qui la compose, est limitée, (E4P3 et 4), même en l'envisageant rationnellement et donc éternellement.

Ce qui fait que l'esprit est une manière éternelle de penser ou un mode éternel de l'attribut pensant, c'est d'abord certes que je peux comprendre le lien d'expression entre l'étendue et les choses et donc que je suis un entendement, mais c'est aussi inséparablement parce que j'ai des choses à comprendre comme éternelles. Ainsi, les autres modes éternels de la pensée par lesquels je peux être un entendement éternel, ce sont non pas uniquement les autres entendements humains mais toutes les idées des choses en tant que modes de penser éternels qui à ce titre sont en Dieu, c'est-à-dire dans la nature et non exclusivement dans l'homme. Et puisqu'on parle ici uniquement du rapport éternel entre des idées, celle de mon corps comme celle d'autres corps, on est bien hors du rapport de ces idées avec les corps dans la durée.

Par exemple, quand je perçois intuitivement un chat comme puissance de la nature de s'étendre, c'est l'idée de ce chat que je perçois autrement dit son esprit comme idée d'un corps (que le chat perçoit aussi quoique de façon plus obscure). Dans le troisième genre de connaissance, je ne perçois pas le chat isolément, comme imagination ou modification de mon corps, je le perçois adéquatement comme puissance d'exister de la nature. C'est donc l'idée du chat, comme mode éternel de la nature qui est en Dieu et pas seulement dans l'homme, qui fait que je peux comprendre quelque chose et en être conscient.

Par ailleurs, l'idée que je peux avoir de mon corps, sans relation avec ce corps même, je la dois à l'idée que je peux avoir d'un grand nombre d'autres corps dont mon corps dépend : une idée s'explique alors par d'autres idées et non par des relations causales au corps. Ces autres idées, considérées comme images des corps ne sont pas éternelles, mais comme expressions du pouvoir de penser de la substance sont éternelles et elles dépendent à leur tour d'autres idées éternelles. Et cette pensée des essences éternelles comme choses singulières est ainsi une communication directe, une empathie des esprits dans ce qu'ils ont d'éternels.

Comme toutes ces idées sont liées les unes aux autres à l'infini (l'idée éternelle du chat, qui est en Dieu comme expression de la puissance de penser, se rapporte à l'idée, qui est en Dieu etc., de la souris qu'il mange, qui se rapporte à l'idée du fromage, qui se rapporte à l'idée des éléments matériels issus de l'explosion d'étoiles et ainsi de suite à l'infini), elles forment ensemble une totalité d'idées éternelles.

L'ensemble de toutes ces idées ou esprits des choses, comme modes de la puissance infinie de penser de Dieu, forment donc l'entendement éternel et infini de Dieu. Ici l'entendement infini n'est pas formé médiatement à partir de la somme des entendements finis des quelques hommes qui existent dans la nature, fussent-ils des milliards de milliards, mais il est en Dieu la pensée immédiate et simultanée de la totalité infinie des choses existantes dans l'éternité.

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Messagepar hokousai » 10 mars 2012, 16:28

cher Henrique

J 'ai essayé de résumer( pas de simplifier )

1)
C'est donc l'idée du chat, comme mode éternel de la nature qui est en Dieu et pas seulement dans l'homme, qui fait que je peux comprendre quelque chose et en être conscient.

Dieu à l'idée du chat (ou du cercle ).

2)
Ces autres idées, considérées comme images des corps ne sont pas éternelles, mais comme expressions du pouvoir de penser de la substance sont éternelles et elles dépendent à leur tour d'autres idées éternelles.

Les autres idées ( des chats réels qui mangent ) ne sont pas éternelles ( pas comme l'idée de chat ) mais éternelles en tant <b>qu' expressions</b> éternelles .

3) Vous mettez en relation les deux par:
Et cette pensée des essences éternelles comme choses singulières est ainsi une communication directe, une empathie des esprits dans ce qu'ils ont d'éternels.

et vous dites : " elles forment ensemble une totalité d'idées éternelles. "
et "L'ensemble de toutes ces idées ou esprits des choses, comme modes de la puissance infinie de penser de Dieu, forment donc<b> l'entendement éternel et infini de Dieu" </b>
..........................................

En fait c'est tout ce qu'on pense quand on se le dit . Je me dis" mon chat mange ", il y a dedans l"idée de l'essence du chat et son expression singulière ...les deux , unies.

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Messagepar hokousai » 10 mars 2012, 16:49

Et puis j' ajoute que de mon point de vue Dieu ( chez Spinoza ) n'a pas l'idée de chat en général.

Car vous écrivez :<b>"C'est donc l'idée du chat, comme mode éternel de la nature qui est en Dieu "</b> Est -ce que l'idée du chat comme mode éternel de la nature est différente de l'idée du chat ( tout court ).

L'idée du chat comme mode éternel existe-t-elle ou pas?
Je pense que pour Spinoza elle n'existe pas sans les chats.
Si les chats existent, alors elle existe cette idée du chat comme mode éternel .
Mais je crains d'entre apercevoir que là Dieu pense comme l' homme. C' est à dire par idée générale de chat à l'occasion des chats réels existants.
Projection hasardeuse en Dieu de notre manière de comprendre le monde.

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Messagepar Shub-Niggurath » 10 mars 2012, 19:55

Henrique a écrit :Je ne m’appesantirai pas sur la confusion possible ici entre attribut et mode infini, je ferai simplement remarquer que si l'entendement infini se limitait à la totalité des entendements humains, il serait bien limité. D'abord, rares sont les hommes qui pensent consciemment la nature comme nécessité ; ensuite l'espèce humaine, autant que les individus qui la compose, est limitée, (E4P3 et 4), même en l'envisageant rationnellement et donc éternellement.


Je crois que ce problème vient de ce que nous ne connaissons dans la Nature, comme être doués d'intelligence, que les êtres humains. Mais rien n'interdit de penser, comme le faisait Giordano Bruno, et aussi certainement Spinoza, qu'il existe en réalité dans la Nature une infinité de mondes, qui abritent la vie, et donc qu'il existe en plus des êtres humains une infinité d'autres êtres dotés comme nous le sommes d'un intellect. Si nous envisageons cette possibilité, alors toutes les contradictions s'évanouissent. Et il serait bien étonnant, une fois posé l'infinité de la Nature, qu'il n'existe dans cette Nature comme êtres doués d'intelligence que les êtres humains. Ce serait l'effet d'une vision bien limitée, donc inadéquate, de la Nature.

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Messagepar Henrique » 11 mars 2012, 01:54

hokousai a écrit :
Ces autres idées, considérées comme images des corps ne sont pas éternelles, mais comme expressions du pouvoir de penser de la substance sont éternelles et elles dépendent à leur tour d'autres idées éternelles.

Les autres idées ( des chats réels qui mangent ) ne sont pas éternelles ( pas comme l'idée de chat ) mais éternelles en tant <b>qu' expressions</b> éternelles .


Les modifications du corps que sont les images, et dont nous avons l'idée dans le premier genre de connaissance, l'imagination, ne sont pas des idées éternelles dans le sens où le corps est modifié en permanence (mais elles le sont cependant si on les considère comme réalités formelles dont Dieu a aussi l'idée). A ce titre, elles sont beaucoup moins réelles que l'idée intuitive du chat qui ne se réduit plus à une image déconnectée de la conscience de vous-même, de Dieu et des choses ["ne se réduit plus" signifie donc que l'image n'est pas ici exclue de la pensée vraie mais au contraire inclue et cependant dépassée dans ce qu'elle a de partiel]. Par la connexion que vous faites entre votre corps, l'objet perçu et la totalité de la nature (je ne vais pas reprendre les propositions d’Éthique II que vous connaissez), vous avez une idée adéquate.

3) Vous mettez en relation les deux par:
Et cette pensée des essences éternelles comme choses singulières est ainsi une communication directe, une empathie des esprits dans ce qu'ils ont d'éternels.

et vous dites : " elles forment ensemble une totalité d'idées éternelles. "
et "L'ensemble de toutes ces idées ou esprits des choses, comme modes de la puissance infinie de penser de Dieu, forment donc<b> l'entendement éternel et infini de Dieu" </b>


L'idée adéquate que je peux former d'un chat est en effet l'idée même qui est en Dieu de ce chat : cf. E2P34 et c'est cette idée qui est vraie, c'est-à-dire conforme à ce dont elle est l'idée, la chose réelle.

En fait c'est tout ce qu'on pense quand on se le dit . Je me dis" mon chat mange ", il y a dedans l"idée de l'essence du chat et son expression singulière ...les deux , unies.

Je ne crois pas. Si vous avez simplement conscience de l'image du chat mangeant, vous n'avez pas forcément la conscience concrète que le chat exprime nécessairement l'étendue de Dieu.

Et puis j' ajoute que de mon point de vue Dieu ( chez Spinoza ) n'a pas l'idée de chat en général.

Je suis d'accord. Il y a dans la nature, à travers l'entendement infini une idée intuitive du chat comme chose singulière mais en même temps qu'il y a l'idée intuitive de la totalité infinie des choses singulières qui rendent son existence possible.

Car vous écrivez :"C'est donc l'idée du chat, comme mode éternel de la nature qui est en Dieu " Est -ce que l'idée du chat comme mode éternel de la nature est différente de l'idée du chat ( tout court ).


Je ne peux pas vous dire, ne sachant pas ce que vous entendez par "tout court". L'idée selon le troisième genre de connaissance du chat qui est la même dans mon entendement que dans celle de l'entendement infini, et qui consiste dans l'intuition concrète que ce chat exprime la puissance de s'étendre de Dieu n'est pas fondamentalement différente de l'idée selon le premier genre de connaissance et que le second genre me permet de préciser, l'idée du troisième genre est simplement complète, non mutilée (sans qu'il faille pour autant qu'elle soit parfaitement précise et déterminée : je n'ai pas besoin de savoir quels corps ont rendu possible l'existence du chat, selon quelle proportion précise par rapport à l'ensemble de l'univers pour savoir et ressentir que le chat existe comme expression de la puissance infinie de s'étendre de la nature.

L'idée du chat comme mode éternel existe-t-elle ou pas?

Oui, dans mon entendement de la même façon que dans l'entendement infini.

Je pense que pour Spinoza elle n'existe pas sans les chats.
Si les chats existent, alors elle existe cette idée du chat comme mode éternel .


En effet.

Mais je crains d'entre apercevoir que là Dieu pense comme l' homme. C' est à dire par idée générale de chat à l'occasion des chats réels existants.

Non, il pense l'idée du chat comme réalité singulière, comme nous le faisons aussi non à partir de choses matérielles mais à partir des idées des choses qui en rendent la perception possible, à commencer pour nous par celle de notre corps, alors que pour Dieu c'est immédiatement et simultanément qu'il pense la totalité infinie des choses singulières, à partir (et non à l'occasion) de l'idée même de tous ces corps. Les corps ne produisent pas les idées. Ce sont des idées qui produisent des idées. Dieu a éternellement l'idée du papa chat et de la maman chat, en même temps donc qu'il a celle de l'enfant chat et de tous les corps, en dehors de ceux de ses géniteurs, qui rendent son existence possible.

Shubb-Niggurath a écrit :Je crois que ce problème vient de ce que nous ne connaissons dans la Nature, comme être doués d'intelligence, que les êtres humains. Mais rien n'interdit de penser, comme le faisait Giordano Bruno, et aussi certainement Spinoza, qu'il existe en réalité dans la Nature une infinité de mondes, qui abritent la vie, et donc qu'il existe en plus des êtres humains une infinité d'autres êtres dotés comme nous le sommes d'un intellect. Si nous envisageons cette possibilité, alors toutes les contradictions s'évanouissent.


Rien n'interdit de penser en effet qu'il existe d'autres intelligences sur d'autres planètes. Mais je ne pense pas que Spinoza recoure dans E5P40S à l'idée d'intelligences extra-terrestres quand il parle des "modes éternels du penser" qui déterminent notre entendement, en tant que mode éternel du penser à penser, c'est-à-dire à exister comme mode du penser, sachant que notre entendement justement est loin d'avoir une connaissance adéquate de telles entités.

La solution que je propose a non seulement l'avantage de ne pas recourir à la science fiction mais elle est encore beaucoup plus complète. Je dis que ces "autres modes éternels du penser" sont les esprits de toutes les choses qui nous entourent, autrement dit les idées de leurs corps que Dieu forme immédiatement et éternellement et qui peut être en nous comme elle est en Dieu. Cela permet de comprendre que l'entendement infini de Dieu ne saurait être le produit ou la somme des entendements humains, fussent-ils une infinité, comment il existe encore pour tout ce qui échappe à la connaissance humaine (par exemple ce qu'il y a exactement comme corps à quelques mètres sous la surface gazeuse de la planète Jupiter ou encore chacun des corps plus ou moins complexes qui existaient avant que l'homme n'apparaisse sur Terre) et comment il pourrait exister quand bien même il n'y aurait aucun être humain dans l'univers.

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Messagepar Shub-Niggurath » 11 mars 2012, 09:37

Je ne suis pas d'accord pour penser que toutes les idées qui sont dans la Nature sont éternelles, il me semble au contraire que les idées sont des modes dont l'existence est finie et déterminée. Il y a une durée des idées qui n'est pas infinie, et c'est ce qui explique l'oubli. De même que les corps dans l'étendue sont des modes qui existent en relation à certain temps et un certain lieu, leurs idées également sont liées à une certaine durée déterminée. Ce n'est qu'en tant que l'homme conçoit l'essence de son corps sous l'aspect de l'éternité que son idée est éternelle. Aussi je ne vois pas en quoi le fait de concevoir un chat sous l'aspect de l'éternité ferait de ce même chat un mode éternel de la pensée. Ce n'est qu'en tant que l'homme conçoit son essence comme contenue en Dieu, en ayant en même temps que l'idée de son essence l'idée de l'essence éternelle et infinie de Dieu, et en concevant celle-ci comme une partie de celle-là, qu'il est éternel. Or je doute fort que le chat ait une idée de Dieu. Il ne peut donc concevoir son essence sous l'aspect de l'éternité, et son idée, ou son esprit, périt entièrement en même temps que son corps. Il y a une différence entre les esprits humains et les esprits animaux, en ce que ces esprits sont moins puissants que les esprits humains, et qu'ils n'ont pas la capacité de comprendre la nature de Dieu. Aucun chat n'a jamais démontré l'existence de Dieu... L'existence du chat, pas plus que l'existence de l'homme, n'est nécessaire, par l'axiome 1 partie 2, et donc l'idée de tel ou tel chat, pas plus que l'idée de tel ou tel homme, n'est éternelle. Vous semblez confondre l'éternité avec l'instantanéité, et dire que toute idée existante est éternelle, alors qu'elle n'est qu'un mode transitoire et impermanent. Ce n'est qu'en tant que l'homme a l'idée de Dieu, adéquatement, comme d'une puissance dont l'existence est nécessaire, qu'il est une partie de l'intellect éternel et infini de Dieu. D'autre part Spinoza affirme bien que l'intellect éternel et infini de Dieu n'est pas autre chose que l'ensemble des intellects réellement existants dans la Nature, puisqu'à la nature de Dieu n'appartiennent ni intellect ni volonté (scolie proposition 17 partie 1). Il y a une différence entre l'existence nécessaire de Dieu, dont l'homme est, par son intellect, une partie, et l'existence non-nécessaire des modes qui sont en Dieu. L'idée du chat n'est pas éternelle, alors que celle de l'homme peut l'être. Il n'y a pas à s'inquiéter du salut des chats, alors que pour Spinoza il s'agit bien de faire notre salut, individuellement. Si toutes les idées étaient éternelles, il n'y aurait aucunement à s'inquiéter de faire notre salut. Or c'est bien là le sens de tout cet ouvrage qui s'appelle l'Ethique, et qui consiste à tenter de nous faire comprendre en quoi et comment l'homme peut faire son salut.
L'idée qui correspond à tel ou tel corps est vouée à la destruction et à l'oubli, de même que le corps correspondant.


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