Deleuze et Spinoza

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Deleuze et Spinoza

Messagepar Picrate » 05 mars 2012, 22:28

Bonjour,
je me permets d'initier un fil.
je viens de finir «l'Éthique» . C'est magistral.
Une question que je me pose : "Spinoza en la personne de Deleuze aurait-il son prolongement au XXème siècle ?"
Une autre : "Serait-ce que Deleuze existait déjà au XVIIème siècle ?"

Bien à vous,
et merci

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Messagepar cess » 06 mars 2012, 11:07

Bonjour,

un simple premier jet à cette question

J'imagine que Gilles Deleuze se sentait proche de Spinoza: je le revois répondre à Claire Parnet dans l'Abécédaire , lettre C, le mot coeur et lui qui met sa main sur le sien en s'exclamant :"Spinoza!!!"


A travers ces deux livres , il développe une interprétation très vivante de l'Ethique,très dynamique....C'était aussi son style (cette sensibilité nerveuse, ce côté passionné et entier)...
Il avait aussi perçu et çà j'en ai eu la confirmation grâce à ce forum (merci à toi augustindercrois) l'importante influence de la mystique juive dans son oeuvre.....


Est-il cependant le prolongement de Spinoza??? il faut reprendre ces concepts un par un....


a bientôt

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Messagepar Lemarinel » 06 mars 2012, 21:08

Si vous demandez si Deleuze est la réincarnation de spinoza, je vous répondrai que non, car je n'y crois pas. Mais si vous demandez si Deleuze était spinoziste en quelque manière, je vous répondrai que oui. Mais on pourrait tout aussi bien dire que Deleuze était bergsonien (cf ses 2 livres sur le cinéma et ses concepts virtuel / actuel) ou nietzschéen (quant à la volonté de puissance qui, rappelle-t-il, doit être comprise non comme volonté de domination mais comme "puissance de la volonté").
En fait, ce qui intéresse Deleuze chez spinoza ou nietzsche, c'est leur affirmation de la vie, ce qui lui a fait parler d'une "identité nietzsche / spinoza". C'est la notion de "puissance d'être et d'agir" de spinoza et celle de "volonté de puissance" chez nietzsche. C'est le caractère d'affirmation inhérent à la notion de puissance chez l'un et l'autre.

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Messagepar Picrate » 08 mars 2012, 16:36

Pour la réincarnation, non bien sûr.
D'ailleurs dans L'Éthique on peut lire quelque chose comme "l'Esprit ne dure pas plus que le Corps".
Reprendre les concepts un par un ... Chez Deleuze - dans l'Anti-Oedipe - le concept de "machine désirante" est central et il me semble dans la droite suite du "Désir" de Spinoza en tant qu'Essence de l'homme, ceci sur fond de "plan d'immanence" qui ressemble à la "Substance".

Je ne connais pas bien Nietzsche.

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Messagepar Shub-Niggurath » 08 mars 2012, 16:56

Picrate a écrit :Pour la réincarnation, non bien sûr.
D'ailleurs dans L'Éthique on peut lire quelque chose comme "l'Esprit ne dure pas plus que le Corps".
Reprendre les concepts un par un ... Chez Deleuze - dans l'Anti-Oedipe - le concept de "machine désirante" est central et il me semble dans la droite suite du "Désir" de Spinoza en tant qu'Essence de l'homme, ceci sur fond de "plan d'immanence" qui ressemble à la "Substance".


"Et pourtant nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels"
Dit Spinoza dans le scolie de la proposition 23 partie 5...

Concernant Deleuze, Je crois sa pensée assez éloignée de celle de Spinoza, en ce que la philosophie de Deleuze se veut un matérialisme (il l'affirme à de nombreuses reprises), tandis que pour Spinoza, l'Esprit, et notamment l'attribut pensant, existe simultanément à tous les autres attributs, dont la matière, ou l'étendue, n'est qu'un parmi une infinité d'autres. Pour ce qui est du Désir, c'est en effet un concept central à ces deux philosophies, mais on trouve aussi chez Deleuze le concept de Devenir, qui est absent de la philosophie de Spinoza, lequel aurait plutôt tendance à penser les choses sous l'aspect de l'éternité, et non sous l'aspect du devenir. Les plus belles pages de Deleuze concernent d'ailleurs cet aspect du devenir humain, devenir révolutionnaire en particulier, mais aussi devenir animal, devenir imperceptible, etc. Non pas que Spinoza nie le changement ("nous vivons dans un perpétuel changement"), mais pour lui le changement doit être tout entier tendu vers un modèle idéal, qui est celui de l'homme libre, tandis que chez Deleuze le changement prends toutes sortes de formes diverses ("devenir femme de l'homme, devenir homme des femmes" par exemple).

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Messagepar Lemarinel » 09 mars 2012, 21:49

Je suis d'accord avec vous, Shub-Niggurath. Tout ce que vous dites me semble juste. Néanmoins, si Spinoza a tant intéressé Deleuze (2 livres écrits sur le philosophe), c'est parce que celui-ci s'est retrouvé dans celui-là. Dans quoi, me direz-vous ? Dans sa philosophie de l'immanence. Dans Qu'est-ce que la philosophie ?, Deleuze conçoit la philosophie comme une création de concept sur un plan d'immanence. Or ce plan d'immanence, il en parle aussi à propos de Spinoza. Ce qui intéresse Deleuze chez Spinoza, c'est sa théorie de l'immanence ou, si l'on préfère de l'univocité, théorie qu'on trouve aussi chez Duns Scot, de l'aveu même de Deleuze qui le cite expressément. C'est là ce qu'on pourrait appeler l'identité Spinoza / Duns Scot.

Deleuze, comme je l'ai écrit plus haut, se reconnait aussi dans l'affirmation de la vie et du désir (c'est, je l'ai dit, ce qu'il a appelé l'identité Spinoza / Nietzsche).

Comme vous, je ne suis pas sûr que Spinoza se reconnaitrait comme matérialiste, au contraire de Deleuze qui partage les vues de la "psychiatrie matérialiste " (Anti-Oedipe) et se définit aussi comme un empiriste transcendantal (à partir de ses lectures de spinoza et de kant).

Cela doit nous rappeler qu'il faut se méfier de toutes les étiquettes qu'on a pu coller à Spinoza : athée, panthéiste, matérialiste, moniste, etc. En fait, ces étiquettes disent souvent plus sur nous-mêmes et nos projections que sur l'auteur lui-même qui est très baroque et déroutant.

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Messagepar Picrate » 11 mars 2012, 15:40

Shub-Niggurath a écrit :Concernant Deleuze, Je crois sa pensée assez éloignée de celle de Spinoza, en ce que la philosophie de Deleuze se veut un matérialisme (il l'affirme à de nombreuses reprises), tandis que pour Spinoza, l'Esprit, et notamment l'attribut pensant, existe simultanément à tous les autres attributs, dont la matière, ou l'étendue, n'est qu'un parmi une infinité d'autres.


Je ne suis pas convaicu.
Notamment par le scolie de la proposition 2 de la partie III.
Notamment en ce que Spinoza parmi l'infinité des attributs de la substance n'en retient que deux qui concernent l'homme, à savoir : l'Esprit et l'Étendue.

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Messagepar Lemarinel » 11 mars 2012, 16:09

à Picrate,

Spinoza n'est pas matérialiste à proprement parler, pas plus qu'il n'est idéaliste, il est plutôt immanentiste. Il n'est pas matérialiste car il ne dit pas que tout est matière, certains rapports échappant à la matière car étant conçus sous l'attribut Pensée, "sub specie aternitatis".
Il n'est pas idéaliste strictement non plus, car il définit l'esprit comme idée du corps, cd. comme quelquechose qui a une vie propre et autonome, mais qui évolue cependant en parallèle de la vie du corps. L'esprit n'est donc pas une âme au sens spiritualiste, car il a une base matérielle par rapport auquel il évolue : le corps.

Je vous invite à lire ou à écouter "Spinoza selon le coeur", série de 3 entretiens entre Enthoven et Misrahi diffusés en leur temps sur France Culture et sortis dans le commerce (je les ai personnellement empruntés à la bibliothèque municipale de ma commune). Misrahi explique bien que le mens spinoziste doit être traduit par esprit dans l'optique du parallélisme psychophysique et non par âme comme le fait pourtant lamentablement le traducteur Appuhn.

Chez Spinoza, nous explique Misrahi (j'ai vérifié), si le terme mens est fréquent (cf. le titre de Eth.II), celui d'âme est rare, sauf pour les expressions toutes faites comme celle de fluctuatio animi. Appuhn, au passage, confond affectus et affectio, termes qui ne semblent pas équivalents sous la plume de Spinoza. Bref, Appuhn est un bien mauvais traducteur, et je comprends que tant de traductions aient vu le jour ces dernières années (celle de Misrahi, Pautrat...).

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Messagepar Picrate » 11 mars 2012, 19:34

Lemarinel a écrit : Deleuze qui partage les vues de la "psychiatrie matérialiste " (Anti-Oedipe) et se définit aussi comme un empiriste transcendantal (à partir de ses lectures de spinoza et de kant).

Oh !
Deleuze transcendantal ? Où ça ?
De plus, nulle part dans l'Anti-Oedipe il n'est question de "psychiatrie matérialiste" ou autre d'ailleurs...
Je cite Deleuze : "Kant me fait chier" ... et pas Spinoza...

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Messagepar Picrate » 11 mars 2012, 20:03

Lemarinel a écrit :Chez Spinoza, nous explique Misrahi (j'ai vérifié), si le terme mens est fréquent (cf. le titre de Eth.II), celui d'âme est rare, sauf pour les expressions toutes faites comme celle de fluctuatio animi. Appuhn, au passage, confond affectus et affectio


Oui,
Cher Lemarinel , ceci est bien noté.


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