Pourquoi ne connaissons nous que 2 attributs ?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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bardamu
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Messagepar bardamu » 01 mars 2005, 18:56

Salut à tous,
sur le sujet de l'infini, G. Louïse fait une analyse qui me semble pertinente : http://glouise.club.fr/VES.htm

Extrait :
Et Spinoza insistera sur cette infinité dans la démonstration 16/I : cum autem natura divina infinita absolute attributa habeat (per definitionem sextam), puisque la nature divine a des attributs en nombre infini dans l'absolu (par la définition 6)… Voilà que le nombre des attributs n'est pas seulement infini, il est infini dans l'absolu. Revoir la définition 6/I.

On comprend alors qu'infinitis attributis ne signifie peut-être pas "une infinité d'attributs" (article indéfini) mais "l'infinité des attributs" (article défini). Par exemple, dans l'intervalle ]0,1[ de l'ensemble R des nombres réels, il existe une infinité de réels mais il ne s'agit que d'une infinité car il existe aussi une infinité de nombres réels qui ne sont pas dans cet intervalle. En revanche dans R tout entier il y a non pas seulement "une infinité de réels" mais "l'infinité des nombres réels" sans aucune exception.

La substance unique ne consiste donc pas en "une infinité d'attributs" mais bien en "l'infinité des attributs" (sans aucune exception), ce que Spinoza voulait déjà nous signifier dans la démonstration 14/I où il précise qu'aucun attribut ne peut être nié de la substance unique dans la mesure où chacun d’entre eux exprime in suo genere une certaine existence ou manière d’être, une certaine réalité, une certaine perfection"


A noter que je ne l'ai pas évoqué pour la traduction en cours mais on pourrait effectivement s'interroger sur ce qui est préférable entre "une infinité d'attributs" ou "l'infinité des attributs".

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Messagepar hokousai » 01 mars 2005, 22:30

"L infinité des attribut " est restrictif (et ambiguë ) . Cette expression ne signifie pas (en français ) " une infinité d' attribut " mais ce qu’il en est de l’infinité de chaque attribut . Ainsi traduire par l’infinité des attributs pourrait laisser à penser qu’il ne puisse en exister que deux ( ou plus )mais pas nécésairement un nombre infini .

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Messagepar Miam » 02 mars 2005, 11:24

Je n'imaginais pas que cette traduction aurait déjà pu être validée par quelqu'un mais tant mieux. J'avançais cela comme ça pour trouver une porte de sortie au problème. Du reste, ce n'est pas tant au niveau de la relation entre la substance et les attributs que se pose le plus le problème pour moi, mais au niveau de l'attribut lui-même. Spinoza a-t-il bien distingué la continuité de l'attribut avec l'éventuelle quantité dicrète dévolue au mode lorsqu'il dit que l'âme est une partie de l'entendement infini ? Et quel est le rôle de l'entendement fini dans cette affaire ? Mais bon comme j'ai attrapé la crève en dégelant ma voiture par - 10° lundi matin, je ne suis pas en état de creuser la question pour l'instant... Alors à + tous le monde : je vais me remettre au lit.

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Messagepar Miam » 09 mars 2005, 11:16

Je voulais seulement prévenir Sollozzo. Je me suis fais porter pâle la semaine dernière et j'en ai profité pour tenter de répondre précisément à cette question. Comme pour finir j'ai écrit dix pages de texte, il a fallu en faire un article ("Les conditions de la connaissance objective chez S"). Cet article demeure pourtant une réponse à Sollozzo.

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Bruno et l'infini

Messagepar Henrique » 09 mars 2005, 14:21

Par association d'idées seulement, mais cela peut être éclairant, je signale l'émission encore en ligne des Vendredis de la philosophie consacrée à G. Bruno, le héros et l'infini :
émission du 4 mars (en ligne jusqu'au 11 :-()

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Eusebius
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Pour en revenir à la première partie du sujet.

Messagepar Eusebius » 08 juin 2008, 15:55

Trois petites choses pour débuter. Premièrement, ceci est mon premier message. Deuxièmement, ma question n'a pas d'autre but que d'éclaircir une difficulté qui s'est posée à moi lors de la lecture des ouvrages de Spinoza. Et, troisièmement, je tiens à m'excuser par avance si l'on a déjà répondu, implicitement ou explicitement, à ma question.
Cela étant dit, voici la difficulté. Spinoza affirme : a) que la substance a une infinité d'attributs, b) que le parallélisme entre l'esprit et le corps, qui sont deux modes de deux attributs, s'explique par le fait que l'Etendue et la Pensée expriment la même substance et c) que les hommes ne connaissent que ces deux attributs.
Or, selon a et b, tous les attributs doivent être corrélés par le parallélisme, dans la mesure où ils expriment tous la même substance - quoique différemment.
Mais, dès lors, un certain mode de la substance doit nécessairement apparaître simultanément dans tous les attributs et toutes ces apparitions doivent être "corrélées" en vertu du parallélisme.
D'où il semble s'ensuivre que l'esprit et le corps d'un certain individu, qui est un mode de la substance, ne sont que deux des apparitions en nombre infini de ce mode dans tous les attributs. Et comme l'esprit est uni au corps en vertu du parallélisme des attributs, alors l'esprit et le corps doivent être eux-mêmes unis à toutes les autres apparitions.
Enfin, à moins de supposer que les attributs de la Pensée et de l'Etendue soient singulièrement unis, il faut bien supposer que, selon les postulats de Spinoza, il devrait exister une connaissance par l'âme non seulement du corps mais de toutes les autres apparitions - ce qui risque d'entrer en conflit avec la finitude de l'esprit humain, ce qui est vrai, mais ce qui, au fond, ne fait que déplacer la difficulté.
Il semble donc que a et b entrent en contradiction avec c : si a et b sont vrais, alors l'esprit humain devrait être unis à toutes les autres apparitions, mais cela est nié par c - et l'expérience, il est vrai. Si l'on choisit d'avancer l'argument de la finitude de l'esprit humain, alors il faut accepter de nier l'infinité des attributs de la substance et donc nier l'essence de la substance spinoziste.
J'espère avoir été suffisamment clair - ce qui n'est pas du tout certain dans la mesure où je n'ai pas l'habitude de laisser des messages dans les forums. Et je souhaite que l'un d'entre vous répondre à cette difficulté.
Merci.

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Messagepar sescho » 08 juin 2008, 18:49

Lettre 65 de Tschirnhaus à Spinoza :

Je viens vous demander la démonstration de ce principe, que l’esprit humain ne peut comprendre d’autres attributs de Dieu que l’étendue et la pensée. Ce n’est pas que je ne voie très-clairement la chose, mais il me semble qu’on pourrait tirer une conclusion toute contraire du Scholie de la Propos. 7, part. 2 de l’Éthique ; et cela vient sans doute de ce que je n’en ai pas suffisamment entendu le vrai sens. J’ai pris le parti de vous exposer comment j’ai tiré cette conclusion, mais non sans vous prier instamment, là où je ne pénétrerai pas votre pensée véritable, de venir à mon secours avec votre obligeance accoutumée.

J’arrive au fait. Je vois bien, par le Scholie cité plus haut, qu’il n’y a qu’un seul monde ; mais il résulte aussi de ce Scholie que ce monde unique et partant chaque chose particulière sont exprimés d’une infinité de façons. D’où il suit que la modification qui constitue mon âme et celle qui constitue mon corps, bien qu’elles ne soient qu’une seule et même modification, sont exprimées d’une infinité de façons, par un mode de la pensée, par un mode de l’étendue, par un mode d’un autre attribut de Dieu que je ne connais pas, et ainsi à l’infini, puisque Dieu a une infinité d’attributs et que l’ordre et la connexion des modifications de ces attributs sont les mêmes dans chacun d’eux. Or voici la question qui se présente : Pourquoi l’âme, qui représente une certaine modification, laquelle n’est pas seulement exprimée dans l’étendue, mais d’une infinité d’autres façons, pourquoi, dis-je, l’âme ne perçoit-elle que l’expression de cette modification dans l’étendue, c’est-à-dire le corps humain, et pourquoi n’en perçoit-elle pas l’expression dans d’autres attributs de Dieu ? Mais le défaut de temps ne me permet pas d’insister plus longuement sur cette difficulté, qui s’évanouira peut-être tout à fait par de nouvelles méditations.

Lettre 66 de Spinoza en réponse à la précédente :

…. Pour répondre à votre objection, il me suffit de dire qu’il est impossible, bien que chaque chose particulière soit exprimée d’une infinité de façons dans l’entendement de Dieu, que toutes ces idées en nombre infini qui l’y représentent ne constituent qu’une seule et même âme, savoir, l’âme de cette chose particulière : elles doivent constituer une infinité d’âmes ; et il n’y a point à cela de difficulté, puisque chacune de ces idées en nombre infini n’a aucune connexion avec les autres, ainsi que je l’ai expliqué dans le Scholie déjà cité de la Propos. VII, p. 2, et qu’on le peut déduire d’ailleurs de la Propos. X, p. 2. Veuillez faire quelque attention à ces passages, et je crois que toute objection disparaîtra ....


Cordialement


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Une réponse à Sescho.

Messagepar Eusebius » 10 juin 2008, 01:12

Tout d'abord merci beaucoup d'avoir pris le temps de lire ma question et d'y avoir répondu. Et j'espère ne pas paraître ennuyeux en poursuivant sur la question.
Car la réponse de Spinoza me paraît curieuse. Elle consiste, si je l'ai bien comprise, à expliquer qu'il existe bien en effet une infinité d'expressions dans les attributs d'un même mode de la substance mais que chacune de ces expressions est corrélée à une idée distincte dans l'entendement divin et que, comme l'âme humaine n'est que l'une de ces idées, l'idée du mode mode de l'Etendue, elle ne connaît pas les autres "âmes".
Ce qui est curieux dans cette réponse concerne le statut de l'attribut spirituel. En aucune manière, en tant qu'attribut, la Pensée ne peut se distinguer d'un quelconque autre attribut. Il n'est pas, par exemple, plus "fondamental" ni plus "proche de la subsance". Il doit donc s'ensuivre que ce qui vaut pour lui, vaut aussi pour tous les autres.
Mais si tel est le cas et si la Pensée contient effectivement une idée différente pour les modes de tous les attributs exprimant un mode de la substance, alors l'Etendue doit aussi contenir un corps différent pour ces modes. D'où il doit s'ensuivre qu'il existe une infinité de corps identique au mien.
Bien évidemment, il ne peut s'agir ici d'une identité numérique, sans quoi la réponse de Spinoza serait sans valeur. Il serait possible d'objecter que tous ces corps sont différents essentiellement ou qualitativement. Leur identité ne proviendrait alors que de leur lien avec le mode de la substance. Mais il y aurait alors une contradiction car un même mode, avec une même essence, serait exprimer par des corps et des idées essentiellement distincts ?
On pourra remarquer que ces dernières objections auraient pu être adressées directement à la réponse de Spinoza, sans être précédées d'un long discours. En effet, quel sens y a-t-il à dire qu'il peut exister plusieurs idées d'un même mode de la substance ? Se peut-il que deux corps distincts soient la même chose - en tant que tels, et non en tant que corps, par exemple ?
J'espère encore ne pas vous importuner.

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Messagepar Louisa » 10 juin 2008, 01:29

Eusebius a écrit :En effet, quel sens y a-t-il à dire qu'il peut exister plusieurs idées d'un même mode de la substance ?


Bonjour Eusebius,

à mon sens il n'y a pas, chez Spinoza, plusieures idées d'un même mode. Il y a plusieurs modes qui expriment une seule et même chose (res) particulière, et chaque mode (modus) appartient à un autre attribut. Chaque mode se conçoit dès lors par une autre idée, mais toutes ces idées ne sont que des modifications de l'attribut de la Pensée ayant le mode qui exprime cette chose dans tel ou tel attribut comme objet.

Voir E1P25 cor.: "Les choses particulières ne sont rien que des affections des attributs de Dieu, autrement dit des manières par lesquelles les attributs de Dieu s'expriment de manière précise et déterminée".

"Res particulares nihil sunt, nisi Dei attributorum affectiones, sive modi, quibus Dei attributa certo, & determinato modo exprimuntur."

Ainsi tout être humain (chose) est-il constitué par un mode qui exprime une affection précise de l'attribut de la Pensée (son Esprit singulier) et un autre mode qui exprime une affection précise de l'attribut de l'Etendue (son Corps singulier).

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Re: Une réponse à Sescho.

Messagepar sescho » 13 juin 2008, 20:06

Eusebius a écrit :Tout d'abord merci beaucoup d'avoir pris le temps de lire ma question et d'y avoir répondu. Et j'espère ne pas paraître ennuyeux en poursuivant sur la question.

Nullement. Le forum est dédié à cela. Et c'est avec plaisir.

Eusebius a écrit :Car la réponse de Spinoza me paraît curieuse. Elle consiste, si je l'ai bien comprise, à expliquer qu'il existe bien en effet une infinité d'expressions dans les attributs d'un même mode de la substance mais que chacune de ces expressions est corrélée à une idée distincte dans l'entendement divin et que, comme l'âme humaine n'est que l'une de ces idées, l'idée du mode mode de l'Etendue, elle ne connaît pas les autres "âmes".

Spinoza ne dit pas qu'il s'agit du même Entendement (humain) et pour moi il ne peut y avoir une "corrélation" d'une idée avec le mode correspondant d'un attribut spécifique et pas les autres : dans chaque attribut les modes sont les mêmes, si ce n'est la nature de l'attribut en question, laquelle cependant ne fait aucune différence en Dieu (ce qui tend à écarter l'objection que Dieu aurait alors plusieurs entendements.)

Sur le fond, je pense que la présentation de Spinoza est discutable, qu'il n'y a en fait qu'un attribut (et donc pas d'attribut : seulement la substance) et que c'est parce que Spinoza en a placé deux qu'il a été conduit à en placer une infinité, le chiffre de 2 ne convenant pas à la nature infinie de Dieu (ensemble infini mais qui reste dénombrable tel que présenté, néanmoins.) Car le reste des attributs que nous ne connaissons pas n'apporte rien de plus.

Mais j'ai constaté que l'esprit très puissant de Spinoza ne se déplace jamais sans de solides raisons ; autrement dit, il n'y a probablement pas d'alternative plus féconde, quoiqu'on en dise. Si ce sont bien nos limites indépassables qui nous font voir (de manière intuitive, pas par connaissance vague par ouï-dire) deux dimensions irréductiblement distinctes de l'existence et non une, il n'y a pas d'au-delà. Et chez Spinoza ceci ne pervertit en aucune manière la suite (peut-être, éventuellement quelques alourdissements passagers, c'est tout.)

Cordialement

Serge
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