Connaissance du 3ème genre et recherche scientifique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Connaissance du 3ème genre et recherche scientifique

Messagepar recherche » 05 avr. 2013, 18:04

Bonjour,

Pensez-vous qu'il soit judicieux de rapprocher connaissance du 3ème genre et certaines visées (peut-être idéalisées) de la recherche scientifique ?

Merci

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Vanleers
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Messagepar Vanleers » 06 avr. 2013, 16:31

Bonjour

Votre question m’intéresse.

1) Partons de la recherche scientifique. Que vise-t-elle ?
Je suis d’accord avec la conception de Karl Popper que l’on peut décrire, par exemple, en citant Renée Bouveresse (Karl Popper ou le rationalisme scientifique Vrin 1998 p. 71) :

« La tâche de la science est fondamentalement explicative. Quand peut-on dire qu’un événement est expliqué ? Quand il est déductible d’une loi universelle, à laquelle on conjoint certaines conditions de départ que Popper appelle « conditions initiales » : la mort d’un rat peut être expliquée si l’on conjoint la loi générale selon laquelle l’absorption de tel poison entraîne la mort pour le rat qui le mange, et le fait particulier que le rat a avalé précisément ce poison. »

Ajoutons, en suivant Popper, qu’une loi universelle est toujours une conjecture susceptible d’être remise en question par des faits nouveaux.

2) La connaissance du troisième genre est une connaissance de type métaphysique, c’est-à-dire qu’elle n’est ni vérifiable ni réfutable par l’expérience. Elle est donc totalement étrangère aux visées de la recherche scientifique.

Bien à vous

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Messagepar recherche » 06 avr. 2013, 23:40

Bonsoir,

Merci pour votre réponse.

Avec Spinoza, est-il vraiment judicieux de dissocier absolument la "métaphysique" d'une connaissance "physique" du monde ?
En d'autres termes, Spinoza ne vous semble-t-il envisager que la connaissance de l'une puisse mener à celle de l'autre ?

Merci

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Messagepar hokousai » 07 avr. 2013, 00:41

bonsoir recherche

prop 28 /5

Cette proposition est évidente d'elle-même ; car tout ce que nous concevons clairement et distinctement, nous le concevons ou par soi ou par autre chose qui est conçu par soi : en d'autres termes, les idées qui sont en nous claires et distinctes ou qui se rapportent à la connaissance du troisième genre (voy. le Schol. 2 de la propos. 40, part. 2) ne peuvent résulter des idées mutilées et confuses, lesquelles (par le même Schol.) se rapportent à la connaissance du premier genre, mais bien des idées adéquates, c'est-à-dire (par le même Schol.) de la connaissance du second et du troisième genre. Ainsi donc (par la Déf. 1 des passions) le désir de connaître les choses d'une connaissance du troisième genre ne peut naître de la connaissance du premier genre, mais il peut naître de celle du second. C. Q. F. D.

amicalement

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Messagepar recherche » 07 avr. 2013, 00:50

Merci Hokousai !

Pensez-vous donc fondé de nuancer la position plus haut exprimée par Vanleers ?

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Messagepar hokousai » 07 avr. 2013, 01:31

à recherche

je dirais qu' au moins elle (conn. du 3eme genre) est vérifiable par l’expérience.

""mais il peut naître de celle du second. C. Q. F. D."""
donc ça doit pouvoir aider.

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Messagepar Vanleers » 07 avr. 2013, 10:28

A recherche

A mon point de vue, l’ontologie de Spinoza est métaphysique au sens de Karl Popper, c’est-à-dire non falsifiable (non réfutable empiriquement). Elle se présente d’abord comme une théorie à examiner, et, comme l’écrit cet auteur :

« Si l’on considère à présent une théorie comme la solution que l’on se propose d’apporter à un ensemble de problèmes, cette théorie se prête alors immédiatement à la discussion critique, quand bien même elle serait non empirique et irréfutable. Car nous pouvons désormais poser des questions comme celles-ci : est-ce que la théorie résout effectivement le problème ? Le résout-elle mieux que ne font d’autres théories ? S’est-elle, éventuellement, contentée de déplacer celui-ci ? Est-elle simple ? Est-elle féconde ? » (Conjectures et réfutations p. 296)

Je considère comme acquis depuis longtemps que cette ontologie est rationnelle au sens qu’un examen rationnel critique en révèle toute la pertinence, cohérence et fécondité.

A Hokousai

Etre falsifiable, c’est-à-dire réfutable par l’expérience, caractérise la scientificité d’une proposition, d’une connaissance si vous voulez.
Citez-moi, je vous prie, une connaissance du troisième genre qui serait falsifiable.

Bien à vous

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Messagepar Vanleers » 07 avr. 2013, 12:05

A recherche et Hokousai

En complément à mon précédent message, je donne ci-après un extrait de 100 mots sur l’Ethique de Spinoza de R. Misrahi (article connaissance pp. 103-105).
Je trouve ce texte remarquable par sa clarté : il définit la connaissance du troisième genre, sa place et son importance dans l’Ethique.
Les sciences, connaissances à la fois empiriques et rationnelles, sont, à mes yeux, à cheval sur les connaissances du premier et du second genre.

Bien à vous

Cette Science intuitive « procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses » (E II 40 sc. 2). Cette connaissance du troisième genre n’est donc pas la saisie mystique d’une réalité hors monde qui serait Dieu ; elle est, plus simplement et plus humainement, la saisie d’un rapport, cette saisie étant intuitive : la Science intuitive est la saisie intellectuelle (et immédiate) du rapport entre un attribut et l’essence d’une chose, c’est-à-dire entre un attribut infini de la Nature et un mode singulier de cet attribut.
On le voit, la connaissance du troisième genre n’est ni une mystique ni un mystère ; elle est l’appréhension intellectuelle immédiate du lien entre les réalités singulières et l’aspect spécifique de la Nature infinie qui les fonde, qu’il s’agisse respectivement ou des choses ou des idées.
Que la Science intuitive ne soit pas une « connaissance » mystique n’empêche pas qu’elle ait dans l’Ethique une place et un rôle privilégiés.
En effet, c’est vers ce genre de connaissance que toute l’Ethique conduit son lecteur. Cette Science intuitive est en effet la saisie de l’immanence, la pensée évidente de l’insertion des réalités singulières et limitées dans l’un des aspects infinis de la Nature infinie. Elle implique donc la libération par rapport à tous les mythes de transcendance et de libre arbitre. Si la Science intuitive libère l’esprit de l’imagination et de la servitude, c’est que cette Science, ce Savoir, est d’abord issu du deuxième genre de la connaissance et non du premier (E V 28). La connaissance empirique ne peut produire que l’imagination illusoire et la fausseté des idées tronquées ; seule la connaissance rationnelle peut engendrer un système d’idées adéquates relatives aux structures de l’Etre (substance, attributs, modes, en Ethique I) et c’est seulement à partir de cette connaissance rationnelle de l’unité de l’Etre (la Nature) que peut émerger la saisie intuitive du lien entre les choses singulières et la Nature infinie.
A partir de là, la saisie du monde en sera comme transmutée et vivifiée.
« De ce troisième genre de connaissance naît la plus haute satisfaction de l’esprit qui puisse être donnée » (E V 27). C’est de cette Science intuitive en effet que naît l’Amour intellectuel de Dieu et, par conséquent, la béatitude et la liberté, et c’est d’elle que naît donc le sentiment d’éternité.
On le voit, toute la sagesse spinoziste est le fruit de cette Science intuitive, puisqu’elle seule nous convainc « de l’intérieur » de l’unité du monde et nous conduit à la plus haute joie : « Ainsi, plus on est capable de ce genre de connaissance, mieux on a conscience de soi-même et de Dieu, c’est-à-dire plus on est parfait et heureux » (E V 31 sc.)

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Messagepar hokousai » 07 avr. 2013, 19:26

à Vanleers


Etre falsifiable, c’est-à-dire réfutable par l’expérience, caractérise la scientificité d’une proposition, d’une connaissance si vous voulez.
Citez-moi, je vous prie, une connaissance du troisième genre qui serait falsifiable.


Je n'ai pas écrit "falsifiable" mais "vérifiable".
je ne vois pas de plus les parties 2 , 3 ,4 de l' Ethique comme essentiellement métaphysiques.

Bien sûr que ce n'est pas de la science expérimentale, mais ni Montaigne ni La Rochefoucauld ou Nietzsche n'en sont et ce ne sont pas des métaphysiciens non plus.

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Messagepar Miam » 07 avr. 2013, 21:16

Peut-on chez Spinoza identifier le falsifiable (ou le réfutable) et l'expérimental, voire l'empirique, comme le fait Popper ?

Il faut observer que Popper parle moins de science que d'énoncé scientifique falsifiable.

Le deuxième genre de connaissance est assimilé à la science telle que nous la connaissons aujourd'hui parce qu'il permet l'énonciation d'idées claires et distinctes (éventuellement accompagnées d'auxiliaires de l'imagination) qui relèvent de la Raison et suivent les idées adéquates de base que sont les notions communes. En revanche, les notions communes ne sont pas par elles-mêmes directement énonçables. Elles constituent l'expérimentation elle même en tant que production et saisie directe (sans inférence) de l'infini immanent. En cela elles ne sont pas falsifiables, elles se prouvent elles-mêmes, quoiqu'elles demeurent expérimentales.

Le troisième genre de connaissance est du même type que les notions communes du deuxième genre de connaissance. Toutefois, contrairement à ce dernier, il est constitué uniquement de notions communes qui sont mises en ordre à partir de l'idée de Dieu et suivant l'être formel de l'étendue, c'est à dire comme une production continue, tandis que les notions communes du deuxième genre, quoiqu'elles saisissent également l'infinité de l'essence immanente, demeurent relativement partielles de sorte que l'on puisse en inférer des idées claires et distinctes (tout aussi adéquates) et des énoncés de la Raison. Dans cette mesure, le troisième genre de connaissance est infalsifiable, il n'est pas de l'ordre de l'énoncé, mais il demeure tout aussi expérimental que le deuxième.

Quant à la connaissance empirique, au sens de Locke, elle relèverait plutôt du premier genre de connaissance spinozien.


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