Relativité galiléenne

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Relativité galiléenne

Messagepar Miam » 20 mars 2005, 14:33

Question : Spinoza a-t-il intégré la relativité galiléenne et, si oui, dans quelle mesure ?

La relativité galiléenne :

Son importance vient de son affirmation de référentiels équivalents dont les grandeurs sont proportionnelles. Les lois de la mécaniques ne diffèrent pas dans ces référentiels. Par contre les lois de la mécanique dans un mouvement circulaire diffèrent de leur expression au repos par l’apparition de la force centrifuge.
Exemples d’équivalences : les référentiels décalés dans l’espace (homogène et isotrope). L’indifférence au mouvement uniforme est décrit par Galilée (voyageur dans la cale d’un bateau). Il supprime derechef l’idée d’un mouvement et d’un repos absolu. Il s’agit bien là d’une théorisation de l’espace et du temps : dans le mouvement naturellement accéléré, la variable indépendante considérée n’est plus l’espace, comme avant Galilée, mais le temps. Le principe d’inertie est la conséquence immédiate de cette relativité (et non pas sa source) : un corps au repos dans un référentiel est en mouvement uniforme du point de vue d’un référentiel équivalent de sorte que les deux états de mouvement doivent répondre à une même caractéristique : l’absence de force (pas d’accélération). C’est que « le repos est un mouvement partagé ». Enfin les « transformations de Galilée » expriment les coordonnées spatio-temporelles d’un événement en repérant le lieu et l’instant dans deux référentiels en mouvement relatif uniforme.

La fausse relativité cartésienne

Descartes est bien le premier à avoir formulé le principe d’inertie. Pourtant il n’intègre pas la relativité galiléenne dont elle résulte. La relativité cartésienne est une fausse relativité dans la mesure où elle ne se rapporte pas à un référentiel arbitraire, mais aux seuls « corps contigus » que l’on considère au repos. Du reste, la notion d’une étendue sans vide contredit le principe d’inertie et conduit à l’inexactitude des règles du choc. Le mouvement et le repos sont deux « états » contraires. La force n’est encore qu’une tendance au mouvement et non le produit de la masse et de l’accélération (ce qu’elle sera à partir de Leibniz). Il y aura donc, face à la quantité de mouvement, une « quantité » de repos et tous deux constitueront cette « force » que les corps se communiquent selon les lois du choc. La masse est confondue avec le volume. Enfin, il y a de nombreux désaccords entre Descartes et Gallilée (en particulier sur la pesanteur et la rotation terrestre).

Huygens

Contrairement à Descartes, Huygens fait un usage systématique du principe de relativité dans sa propre théorie du choc élastique : il repère le mouvement par rapport à des corps ou des observateurs choisis arbitrairement et ajoutés au système étudié.
Par ailleurs Huygens formule ses propres règles du chocs en conformité approximative avec l’expérience en calculant les vitesses relatives avant et après le choc à proportion d’une grandeur dépendant des seules masses corporelles.
Enfin on peut déceler une certaine influence des pendules composés de Huygens sur la théorie de la connaissance spinoziste (la notion commune comme l’idée d’une composition de rapports de mouvement et de repos).

Position de Spinoza

Dans les PPD, Spinoza reprend la physique de Descartes, non pas en son nom propre, mais au nom de Descartes, bien qu’il l’expose à sa manière et suivant un autre ordre sans oublier des remarques et scolies très personnels.
On peut immédiatement noter deux grosses différences : 1° Spinoza ne dit jamais que le mouvement est un mode du corps ; 2° Il s’oppose explicitement à la conception cartésienne d’un temps composé d’instants indivisibles. Pourtant, et c’est étonnant, le schéma tourbillonnaire cartésien sert de base à l’illustration des deux cercles non concentriques de la Lettre 12 (et dans ce cas chaque distance est un degré de vitesse).

Spinoza semble avoir accepté les règles cartésiennes du choc jusqu’en 1665. A cette date il s’oppose à la sixième règle, sans doute après avoir considéré l’élasticité des corps. Il habite à présent à Voorburg où il fréquente Christian Huygens. Mais il s’oppose également à Huygens.

Je reproduis ici un fragment de la Lettre 30 à Oldenburg, qui n’apparaît pas encore chez Appuhn (original dans le tome II de la correspondance de Oldenburg, Wisconsin Press, 1066, pp. 549 et 557) :

« Quant au « Traité du Mouvement » sur lequel vous m’interrogez, il est vain, je crois, de l’attendre. Il y a longtemps qu’il (Huygens ndr) a commencé a se vanter d’avoir découvert par le calcul les lois du mouvement et de la nature tout à fait différentes de celles qu’avaient données Descartes ; celles de Descartes, disait-il, étaient presque toutes fausses. Et cependant, jusqu’à maintenant, il n’en a rien fait voir. Je sais pourtant qu’il y a un an environ, il m’a dit que presque toutes les découvertes qu’il avait faites par le seul calcul au sujet du mouvement avaient depuis été vérifiées par l’expérience en Angleterre ; ce que j’ai peine à croire. A mon avis, pour ce qui concerne la 6e loi cartésienne du mouvement, aussi bien lui que Dezscartes se trompent »

Y a-t-il une physique spinozienne ?

Outre la correspondance , on trouve des énoncés physiques en trois endroits différents :
Les PPD, qui parlent de la quantité de mouvement, de la quantité de repos, du mouvement et du repos, mais non du rapport (ou proportion) de mouvement et de repos.

La notion de rapport de mouvement et de repos en tant que « ce qui distingue » les modes et font que ceux-ci sont « ainsi », « ceci » ou « cela » apparaît dans les notes à la préface de la deuxième partie du CT.

Dans la Lettre 32 à Oldenburg (1665 – l’histoire du ver dans le sang), l’univers étant un individu unique, la conservation du rapport de mouvement et de repos se fait à l’échelle de la nature entière.

Enfin dans l’Ethique, l’essence actuelle du mode étendu est un certain rapport de mouvement et de repos. I 15s semble suivre la physique cartésienne.Toutefois dans les Lemmes et définitions qui suivent II 13, Spinoza ne précise pas comment les corps se communiquent leur mouvement.

Selon Matheron, il ne s’agit plus alors d’un rapport de mouvement et de repos mais « d’une relation exprimable en termes de mouvement et de repos que les parties composantes de l’individu ont entre elles : ce qui peut s’appliquer à n’importe quelle relation entre corps, y compris à des relations non-mathématiques » (Physique et ontologie chez Spinoza, Cahiers Spinozan n¨6.).

Selon Guéroult (Spinoza, II), malgré la facilité qui nous les font apparaître comme des particules, les corps très simples qu’allègue Spinoza juste après II 13 sont les pendules simples de Huygens. Les lemmes 4 à 7 décriraient alors des types d’invariance analogues aux modes de régulation pendulaire.

Daniel Parrochia, quant à lui, voit dans la pensée spinozienne une continuité de la conception cartésienne des PPD à celle, pendulaire, de l’Ethique, via la conjonction des tourbillons cartésiens et des cycloïdes de Huygens – conjonction qui conduit à une sorte de mécanique des fluides.

Si l’on veut se faire une idée de l’éventuelle évolution de la pensée spinoziste en matière de physique, le principal moyen sera je pense la lecture des lettres 6, 12, 13, 14, 29, 30, 31, 32, 33, 41, 58, 64, 73, 75, 80, 81, 82, 83.

Spinoza est-il relativiste ?

On ne répondra pas aujourd’hui. Notons que les transformations de Galilée n’ont jamais été formulées explicitement à l’époque de Spinoza. En revanche, on trouve la notion d’ une véritable relativité avant Galilée. L’infinitisation de l’univers, suite à Copernic et à la pensée renaissante, permet la relativisation des concepts physiques. On explore mentalement tous les déplacements possibles dans un espace infini et l’on découvre alors qu’il existe des systèmes divers avec des centres de références relatifs. Tel est le cas dans le « De immenso » de Bruno dont l’influence sur Spinoza est patente.

Il est certain que les cartésiens ne se rendent pas (plus ?) compte de l’importance du principe de relativité. Celui-ci n’est entendu que comme l’effet de la considération des seules quantités mathématisables alors qu’à la Renaissance, il coexistait avec une physique demeurée qualitative. Aussi l’idée de relativité n’est-elle alors rien moins que claire, et l’on peut considérer les règles mécaniques des Principes comme une simple esquisse pour concilier un modèle physique encore aristotélicien avec des concepts modernes.
Aussi ne peut-on à ce stade qu’accepter la possibilité d’une véritable appréhension de la relativité chez Spinoza, étant donné les influences de Huygens et de Bruno, et ce malgré ou via (selon Parrochia) la mécanique cartésienne. Pour illustrer la question : si le scolie de la proposition 15 de l’Ethique I continue à affirmer l’absence de vide, les dernières lettres de Spinoza n’en contestent pas moins la conception cartésienne de l’étendue comme une masse matérielle au repos.

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Messagepar Miam » 25 mars 2005, 14:56

:cry: Bon. A première vue, cela n'intéresse personne. Ou attend-t-on quelque chose de moins prudent ? Bardamu est-il parti en vacances ?

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Messagepar bardamu » 26 mars 2005, 15:20

Miam a écrit :(...) Bardamu est-il parti en vacances ?

C'est plutôt le contraire, je bosse...
J'essaierais de répondre demain ou après-demain.

Ceci dit, concernant la physique, je cherche "Calcul algébrique de l'arc-en-ciel" et "Calcul des chances", textes de Spinoza qui ont été publiés dans les Cahiers Spinoza de l'AAS ( http://perso.wanadoo.fr/fabrice.audie/caspi.htm ) mais dont je ne sais si on peut les trouver dans une édition du commerce. Quelqu'un connait ?

P.S. : Quelques sources sur la physique de Spinoza :
http://www.ens-lsh.fr/labo/cerphi/theses/vamp.htm
http://www.ens-lsh.fr/labo/cerphi/theses/israel.htm
http://methodos.revues.org/document114.html

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Messagepar Miam » 28 mars 2005, 11:19

Quant à moi, dans une semaine je pars un mois au Perou :D . J'essaierai d'exposer auparavant les remarques programmatiques dont mon texte précédent constitue pour ainsi dire le squelette.
Je peux trouver le Cahier Spinoza n° 5 (je l'ai eu en main il y a deux ans) et t'envoyer la copie du Traité qui y est inclus, soit par lettre, soit directement sur le site si je trouve un scanner disponible. Je tenterai de faire tout cela avant de partir.
Merci beaucoup pour la documentation. A+

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Messagepar bardamu » 28 mars 2005, 23:27

Miam a écrit :Quant à moi, dans une semaine je pars un mois au Perou :D . J'essaierai d'exposer auparavant les remarques programmatiques dont mon texte précédent constitue pour ainsi dire le squelette.
Je peux trouver le Cahier Spinoza n° 5 (je l'ai eu en main il y a deux ans) et t'envoyer la copie du Traité qui y est inclus, soit par lettre, soit directement sur le site si je trouve un scanner disponible. Je tenterai de faire tout cela avant de partir.
Merci beaucoup pour la documentation. A+

Salut,
pour les Cahiers, FabriceZ m'avait déjà fait la proposition de me passer une copie mais comme il m'a appris que l'édition n'était sans doute plus disponible, j'ai pris contact avec l'Association des Amis de Spinoza pour avoir l'autorisation de publier les textes sur le site. Sauvons le patrimoine spinoziste !
La demande d'autorisation est en cours et la personne contactée (M. Audie) m'a donné quelques infos : M.J. Petry a donné des versions allemande et anglaise de ces traités (Philosophische Bibliothek; 350, 1982 pour la première et International archives of the history of ideas; 108, 1985 pour la deuxième); mais De Vet a montré en 1986 que ces traités n'étaient pas de Spinoza. ( http://www.cerphi.net/bbs/alpha/devet.htm )
Dommage...
Ceci dit, les apocryphes font partie de la légende. Fabrice et M. Audie me proposaient de m'envoyer les textes en photocopie mais si tu peux les scanner...

Concernant la relativité galiléenne

A mon avis Descartes comme Spinoza sont fondamentalement dans un cadre relativiste. En fait, en considérant que le mouvement primordial est rectiligne et uniforme plutôt que circulaire, le monde comme sphères finies a été remplacé par un plan infini et sans centre. Les coordonnées cartésiennes se placent avec une origine arbitraire et le mouvement y est forcément relatif.

Par contre, je ne crois pas que cette problématique soit celle de Spinoza.
Je ne vois pas trop ce qui conduit Guéroult a assimiler les corps simples aux pendules de Huygens et j'ai plutôt l'impression que les modèles phénoménologiques de Spinoza vont de l'optique (corps simples ?) à la dynamique des fluides (corps composés?) en passant par une sorte de biologie des membranes (cf les échanges avec Boyle sur le salpètre et, par la même occasion, une intéressante analyse de Macherey : http://www.univ-lille3.fr/set/machereybiblio65.html ).

Pour ce qui est des connaissances de Spinoza en cinématique ou dynamique, je ne sais pas trop comment on peut les analyser. En refusant une matière au repos, il me semble considérer que toute matière est en mouvement, qu'il y a un dynamisme propre à la substance étendue correspondant peut-être au conatus, mais ce n'est pas clairement exposé.

Il y a néanmoins dans la lettre 41 un passage qui me semble intéressant :
"Il est certain que si l'eau contenue dans le tube G confère dans le premier instant à l'eau du tube M un degré de vitesse, dans le deuxième instant, si elle conserve la même force, elle lui communiquera quatre degrés de vitesse, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'eau contenue dans le long tube M ait exactement autant de force que par sa pesanteur l'eau contenue dans le tube G peut lui en communiquer."

on a :
en t=1, v = 1
en t=2, v = 4
Cela ressemble à un fonction du temps proportionnelle au carré : v = k * t * t
Si on considère que la "force" est la cause de l'accélération, c'est-à-dire d'une augmentation de vitesse, on pourrait avoir une sorte de définition newtonienne : F = m a, F la force, m la masse, a l'accélération.
Mais dans la définition contemporaine de la vitesse, on a : v = a * t
Le facteur en t au carré correspond à une distance : x = v * t = a * t * t

Est-ce qu'un degré de vitesse serait une distance parcourue ? Bizarre...
Je n'ai peut-être rien compris à ce qu'il veut dire, mais là je ne vois pas trop comment il arrive à ce résultat (en dehors du fait que je crois qu'il a tout faux puisque c'est moins le poids de l'eau qui conditionne la vitesse que la pression atmosphérique 1kg/cm2).

Est-ce que tu vois des passages où on peut relier vitesse, position, force, accélération ?

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Messagepar bardamu » 28 mars 2005, 23:33

Dernières nouvelles pour Miam : les textes ne pourront pas être publiés sur le site pour des raisons juridiques, les mêmes qui font que l'AAS ne les publie pas sur son site. Re-dommage...
Vu que ce ne sont pas des textes de Spinoza et qu'ils ne sont pas publiables, si tu as l'occasion de les scanner cela m'intéresse de les voir mais il n'y a pas d'urgence.

a+

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Messagepar Miam » 29 mars 2005, 16:27

Bardamu écrit : "A mon avis Descartes comme Spinoza sont fondamentalement dans un cadre relativiste. En fait, en considérant que le mouvement primordial est rectiligne et uniforme plutôt que circulaire, le monde comme sphères finies a été remplacé par un plan infini et sans centre. Les coordonnées cartésiennes se placent avec une origine arbitraire et le mouvement y est forcément relatif."

Je pense que cela ne suffit pas pour appréhender la richesse de la théorie de la relativité. Contrairement à Descartes, Galilée n'a pas saisi la relativité à partir de l'inertie mais bien l'inverse. Aussi bien n'y a-t-il point de mouvement fondamental rectiligne chez Galilée. Pour lui, le "mouvement naturel", c'est la gravité. Et c'est l'examen de la gravité, cad d'un mouvement uniformément accéléré, qui permet l'étude de trajectoires curvilignes. Quant aux sphères aristotéliciennes, elles étaient déjà contestées depuis Copernic.

Je reprends ici le début de ma réflexion. Peut-être pourra-t-elle aussi servir de réponse aux autres questions que tu te poses.

Lorsque l’on compare les PPD aux Principes, ce qui frappe au premier abord, c’est le caractère foncièrement anticartésien du scolie de la proposition II 6 des PPD. A l’instar de la Lettre 12, ce scolie affirme contre Zénon la continuité du temps. Or, pour Descartes, le temps est discontinu. « Création continuée » veut dire que Dieu crée à chaque instant. L’instant est un atome temporel, un néant de durée. Le temps est coextensif au cogito. C’est dans la mesure où la création est instantanée que l’être réside dans le temps. Certes, les choses durent. Mais la durée n’est qu’un « mode ou une façon dont nous considérons cette chose en tant qu’elle continue d’être » (Principes I, 55). De même le temps intellectuel du regard méditatif suppose bien une durée, mais c’est dans l’instant que l’on juge et cet instant témoigne de l’infinité de notre volonté ressemblante à Dieu.

Il est vrai que dans la deuxième partie des Principes, les usages de « au même instant » ne permettent pas de conclure à la discontinuité du temps. Mais celle-ci apparaît plus clairement,
outre dans l’appendice aux deuxièmes Réponses (axiome 2) et Le Monde VII, 44 – 45, également dans les Principes I 21 et III 63.

Spinoza ne met jamais cette opposition en lumière. Bien au contraire : à l’instar de Descartes, il use de l’expression « au même instant » (PPD II 8). Mais cet usage est précédé du scolie dont il est question, où le terme « instant » est précisément redéfini en fonction de la continuité. Mieux encore, on pourrait penser que Spinoza réclame la caution de Descartes pour ce même scolie qui pourtant contredit la notion cartésienne :

« Outre ces deux arguments, on rapporte de Zénon un autre argument qui se peut lire avec sa réfutation dans Descartes »

Toutefois il s’agit là de l’argument d’Achille et la tortue (Lettre à Clerselier juin-juillet 1648). Et il concerne moins la divisibilité du temps que celle de l’espace. De plus, les PPD I omettent la proposition 21 des Principes I. Ce n’est là qu’un exemple des redoutables subversions que Spinoza fait subir au texte cartésien.

Je pars de l’idée de temps pour la raison suivante :

La relativité galiléenne n’est pleinement intégrée que si l’on prend en considération la variable temporelle. Montrer l’équivalence de référentiels, c’est remarquer que les lois de la physique en général ne diffèrent pas dans un bateau en mouvement uniforme ou à quai. Ce n’est pas seulement observer la chute rectiligne verticale d’un corps sur le bateau en mouvement (ce que tous le monde savait déjà du reste). C’est également montrer que les oiseaux ne volent pas plus ou moins vite en un sens ou en un autre dans la cale du bateau. En revanche, le mouvement cartésien n’a qu’un rapport fort lâche avec le temps. Les Principes II 13 usent du même exemple naval, mais ils n’allèguent que l’absence de changement de lieu par rapport au bateau. De même, en II 25, le mouvement est défini comme le « transport d’une partie de la matière ou d’un corps du voisinage de ceux qui le touchent immédiatement, et que nous considérons comme en repos, dans le voisinage de quelques autres ». Descartes géométrise (surtout, on le verra, dans Le Monde). Il restreint le mouvement à la trajectoire. Ce qui posera problème dans la considération des vitesses.

Si Descartes « rate » la relativité, il demeure pourtant le premier à avoir formulé le principe d’inertie. Galilée à l’inverse ne parvient pas à formuler ce principe qui découle pourtant de la relativité bien comprise. Pour quelles raisons ? Paradoxalement, c’est la considération de la création instantanée qui amène Descartes à formuler le principe d’inertie. Selon toute rigueur le corps considéré dans l’instant est sans mouvement comme c’est le cas pour Zénon. Il ne peut être dit en mouvement que si l’on considère que Dieu, à l’instant suivant, le crée en un autre lieu. Comme on l’a vu plus haut, c’est donc la distance entre ces lieux temporellement contigus qui fait office de vitesse. Le mouvement ne se fait certes pas dans l’instant mais c’est dans l’instant que le corps est déterminé « vers un certain côté » (Le Monde VII 45). Or considérer un corps en un certain instant et en un certain lieu comme affecté d’un mouvement « déterminé » vers un certain côté, c’est bien sûr le considérer comme animé d’un mouvement rectiligne (ne fût-ce, comme le remarque Koyré, parce que pour le Descartes mathématicien l’équation d’une droite est d’un degré inférieur à celle d’une courbe). Comme Dieu est constant et immuable, de même que Dieu conserve dans toute la matière une certaine quantité de mouvement, l’ « état » que conserve le corps sera un mouvement rectiligne et uniforme. On verra plus loin dans quelle mesure, à la fin des PPD II, Spinoza contestera les notions cartésiennes de « vitesse » et de « détermination » qui conduisent ce raisonnement.

C’est donc pour de mauvaises raisons que Descartes parvient à formuler le principe d’inertie. Galilée en revanche ne peut énoncer le principe d’inertie parce qu’il ne conçoit pas de corps sans gravité. Il reste donc attaché à une certaine circularité du mouvement inertiel et ne considère le mouvement rectiligne uniforme que dans le cas d’un corps sur un plan horizontal ou par approximation d’une très petite portion de mouvement circulaire. Par contre la compréhension de « l’étroite affinité entre le temps et le mouvement » (Discorsi, 1638) dont témoigne la gravité permet à Galilée l’énonciation de ses trois théorèmes sur le mouvement uniformément accéléré. Dans le mouvement uniformément accéléré en effet, la seule variable indépendante c’est le temps. Le premier théorème permet d’établir une correspondance entre le mouvement uniforme et le mouvement uniformément accéléré selon « la moitié du plus grand et dernier degré de vitesse atteint au cours du mouvement uniformément accéléré » et suppose une continuité des degrés de vitesse. Le deuxième théorème établit un rapport entre n’importe quelle distance parcourue et le carré des temps. Le troisième théorème envisage un mobile sur un plan incliné et permet de comparer les trajectoires obliques et verticales. Il constitue une extension de la théorie de la chute des graves qui permet l’étude de trajectoires curvilignes décrites par des corps pesants. C’est ce que reprendra Christian Huygens dans son étude sur l’isochronisme des chutes dans la cycloïde (Horologium Oscillatorum, 1673).

Cycloïde : Lieu géométrique d’un point P d’un cercle de rayon R roulant sans glisser sur une droite D. On produit ainsi une courbe tautochnone brachystochrone et isochrone. Elle admet une infinité de points de rebroussement situés sur D et peut être définie par les équations :
x = R(t – sin t) et y = R (1 – cos t). L’aire d’une arche = 3πR² et sa longueur = 8R. Descartes considère la cycloïde à partir de la "roulette" (comme ici) de Roberval (correspondance avec Mersenne). Mais il s'agit chez lui d'un simple calcul des aires et il demeure aveugle à toute application en physique.

Comme on le verra éventuellement plus loin avec précision, il s’avère que Descartes demeure hermétique aux résultats galiléens sur la chute des graves et, d’une manière générale, évite de considérer « la mesure de la vitesse » (Lettre à Debeaune du 30 av. 1639). Or il n’en va pas de même chez Spinoza.

En gros et pour commencer, en comparant les PPD d'une part, les Principes et Le Monde d'autre part :

Les anneaux cartésiens se rapportent géométriquement à l’exemple des cercles non concentriques de la Lettre XII. Et, partant à la mécanique des fluides mais aussi aux cycloïdes de Huygens.
De là une nouvelle considération de la vitesse délaissée par Descartes au profit de la forme (surtout dans Le monde). Quantité (quantitas) plutôt que grandeur (magnitudo)
Atténuation de l’opposition mouvement-repos.
Considération de degrés dans la détermination, assimilée à la vitesse. La vitesse est alors une grandeur vectorielle.
Par contre, la « force de vitesse » n’est autre que la « force d’agir » cartésienne que les Principes assimilent aux paramètres de vitesse considérée comme une grandeur scalaire et de détermination « de face »..
Distinction de la vitesse (détermination) et de la force.
Cela pour les fluides. Mais S ne le dit qu’à la fin. Or, et c’est étonnant, pour Descartes, les conditions d’un corps massif dans un fluide sont les mêmes que dans le vide : « Je crois bien que dans le vide, s’il était possible, la moindre force pourrait mouvoir les plus grands corps aussi bien que les plus petits, mais non de même vitesse. » (13 nov. 1639 à Mersenne)
N'y a-t-il pas une considération de l’accélération dans le scolie du corollaire de PPD II 22 ?

Je n'ai pas encore examiné attentivement l'expérience des tuyaux de la Lettre 41. Mais comme tu dis cela ressemble à un mouvement accéléré à l'instar du troisième théorème galiléen. Cela corrobe mon impression de l'importance accordée par Spinoza à la vitesse (tandis que Descartes la rabat sur la distance) en fonction d'un temps continu. Et je pense aussi que, via la contestation de la notion cartésienne de force, cela conduit Spinoza à considérer l'accélération, voire à anticiper la définition Leibnizienne de la force.

Merci beaucoup pour le texte de Macherey.

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Messagepar Miam » 30 mars 2005, 14:09

Pour revenir à nos tuyauteries, il paraît clair que dans la Lettre 41, Spinoza allègue une accélération. Par contre je ne comprends pas comment il arrive à une proportion de « degré de vitesse » de 1 à 4 d’un « premier instant » à un « second instant ». C’est là plus qu’une simple formulation cartésienne. L’affirmation que « l’eau contenue dans le tube G confère dans un premier instant à l’eau du tube M un degré de vitesse, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’eau contenue dans le long tube M ait exactement autant de force que, par sa pesanteur, l’eau contenue dans le tube G peut lui en communiquer » a un contenu cartésien. Spinoza accepte bien une accélération due à la pesanteur, mais celle-ci s’arrête « au bout d’un cours laps de temps » en vertu des lois cartésiennes de communication des quantités de mouvement. Toutefois il y a bien un écart très important avec la mécanique cartésienne.

Voici la Lettre du 27 août 1639 de Descartes à Mersenne à qui depuis octobre 1638, le premier confie ses observations relatives à la lecture des Discorsi de Galilée (et il faut voir les diverses concessions de Descartes depuis octobre 38, car à cette date il refuse à peu près tout de Galilée.) :

« Je tiens votre expérience, que l’eau qui sort d’un tuyau de neuf pieds de hauteur, doit sortir presque trois fois plus vite que celle qui sort d’un tuyau d’un pied, très véritable, en y ajoutant toutefois presque à cause de l’air, et de l’opinion que j’ai de la nature de sa pesanteur, suivant laquelle, lorsque le mouvement d’un corps qui descend à cause de sa pesanteur est parvenu à un certain degré de vitesse, il ne s’augmente plus du tout. »

L’écart est évident : c’est que l’appareillage de Descartes est tout entier vertical tandis que celui de Spinoza se compose d’éléments verticaux et horizontaux. Dès lors, si la Lettre 41 possède bien un contenu cartésien, elle diffère cependant de l’opinion de Descartes; puisque l’accélération dans le tube vertical doit selon Spinoza se transformer en mouvement uniforme dans le tuyau horizontal M, quelque soit la longueur de celui-ci, « au bout d’un cours laps de temps ». C’est sans doute pourquoi Spinoza parle ici d’une communication de la « force en vertu de la pesanteur » et non de la communication d’une « force d’agir » ou « quantité de mouvement » que Descartes oppose à la pesanteur, elle-même assimilée à la masse inertielle ou « force de repos ». Ce sont les notions cartésiennes de force et partant de vitesse et de détermination que Spinoza conteste ici, et comme de coutume sans en avoir l’air. Cela montre encore, je pense, en quoi Spinoza est plus proche de Galilée que ne l’est Descartes.

J’ajoure ici quelques citations visant à montrer l’écart entre Descartes et Galilée :

Lettre à Mersenne du 15 oct. 1638 :

« que sa figure et sa pesanteur sont plus grandes »
« il se trompe de dire que la pesanteur d’un corps résiste davantage à la vitesse de son mouvement que sa grosseur »
« Il suppose que la vitesse des poids qui descendent s’augmente toujours également, ce que j’ai autrefois cru comme lui ; mais je crois maintenant savoir par démonstration qu’il n’est pas vrai »
« car il fait une conclusion de ce dont je fais un principe, et il parle du temps ou de la vitesse au lieu que je parle de l’espace, ce qui est une très grande erreur ainsi que je l’ai expliqué dans mes précédentes »
« Ce que dit Galilée que les corps qui descendent passent par tous les degrés de vitesse, je ne crois pas qu’il arrive ainsi ordinairement »
« sophisme » « paralogisme »

Lettre à Huygens de déc. 1638 :

« Je ne reconnais aucune inertie ou tardiveté naturelle »
« Et parce que, si deux corps inégaux reçoivent autant de mouvement l’un que l’autre, cette pareille quantité de mouvement ne donne pas tant de vitesse au plus grand qu’au plus petit, on peut dire en ce sens que plus le corps contient de matière, plus il a d’inertie naturelle ; à quoi on peut ajouter qu’un corps qui est grand peut mieux transférer son mouvement aux autres corps qu’un petit, et qu’il peut moins être mû par eux. De façon qu’il y a une sorte d’inertie qui dépend de la quantité de matière et une autre qui dépend de l’étendue de ses superficies (…) D’où vous pouvez voir qu’il y a beaucoup de choses à considérer, avant qu ‘on puisse rien déterminer touchant la vitesse, et c’est ce qui m’en a toujours détourné. »
etc… du même acabit parmi d’autres bien moins nuancées.

Je voudrais montrer comment, par sa subversion de la physique cartésienne selon laquelle l’étendue est une matière divisible (je dis bien : « divisible »), Spinoza se rapproche de Galilée et de Huygens. Veux-tu que je te communique l’analogie effectuée par Guéroult entre la physiques des « corps très simples » qui suit E II 13 et les pendules de Huygens ?

Enfin pour revenir à PPD 27 scolie (après le corollaire), on n’y trouve certes pas d’accélération (j’avais mal lu l’énoncé qui, il est vrai, n’est pas très clair, et ne pouvais corroborer cette mauvaise lecture sans alléguer hypothétiquement une accélération aussi implicite qu’ absurde. La difficulté est que l’on part toujours ici de prémisses fausses de sorte que la conclusion est susceptible de nous paraître absurde). Le cas présenté par ce scolie est absent chez Descartes. Spinoza y tente d’appliquer les règles cartésiennes lorsque les déterminations ne sont pas opposées (sans doute par analogie avec la réflexion en optique). Or, cela demeure impossible sans contester les notions cartésiennes et, en particulier (voir la fin de PPD II concernant les fluides et se référant à ce scolie) la notion de vitesse comme grandeur scalaire et non dans son aspect vectoriel. Dès lors il y a une marge entre les corollaires des propositions 26 et 27 puisque dans le premier la détermination est rapportée à la « force de mouvement » et, partant, à la vitesse comme grandeur scalaire, tandis que dans le second elle dépend de la seule vitesse dans son aspect vectoriel. Dans le scolie cette distinction semble disparaître. Spinoza, même s’il allègue la vitesse, n’en reste pas moins à la considération de « degrés de mouvement ». Mais elle réapparaît à partir de la proposition 33 dans la mécanique des fluides où, semble-t-il, la vitesse devient un paramètre indépendant (v. par exemple le scolie de la proposition 35) dans la mesure où la force peut être « aussi petite qu’on voudra ». Je remarque donc que dans les PPD la vitesse acquiert une importance supplémentaire et absente chez Descartes, en particulier dans la mécanique des fluides. Ne serait-ce pas cette importance accordée à la vitesse en 1663 qui permettra d’alléguer une accélération dans la Lettre 41 (cad en 1669, après la rencontre avec Huygens en 1665), et ce d’autant plus que l’on se trouve alors dans un milieu fluide analogue au vide selon Descartes lui-même ?

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FabriceZ
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Messagepar FabriceZ » 31 mars 2005, 10:03

Pour ouvrir à nouveau la parenthèse sur les revues spinozistes, j’aurais voulu savoir si vous pouvez m’indiquer comment obtenir le Bulletin de l’Association des Amis de Spinoza. Je ne parle pas des Cahiers Spinoza, ni de la Bibliographie Spinoziste, mais du Bulletin qui est cité dans la bibliographie du livre de Moreau L'experience et l'éternité et aussi dans la bibliographie de ce site. Je suis membre de l'AAS mais je ne reçois que la Bibliographie.

Fabrice
bene agere et lætari (EIV73 scholium)


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