Comment l'homme libre vient-il en aide à l'ignorant ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar QueSaitOn » 05 nov. 2013, 21:24

Les ignorants qui produisent une oeuvre artistique sont déjà proche d'une forme d'intuition du Dieu-Nature.

Par contre, l'affaire est autrement plus ardue lorsque l'ignorant est un raciste ou un supérieur hiérarchique.

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Messagepar Vanleers » 06 nov. 2013, 14:28

A QueSaitOn

Vous écrivez :

« Les ignorants qui produisent une œuvre artistique sont déjà proches d'une forme d'intuition du Dieu-Nature. »

Je trouve que votre remarque est juste et je voudrais prolonger la réflexion à partir de ces moines qui chantent l’« Agni Parthene ».

Ils chantent à la perfection et, ajouterais-je, ils chantent la perfection puisqu’il s’agit d’un hymne à la perfection de la Vierge, mère de Jésus et je dirais : d’un hymne à la perfection tout court, ce qui sera développé plus loin.

Ceci nous ramène à Spinoza et à la définition 6 de la partie II de l’Ethique :
« Par réalité et perfection, j’entends la même chose »

Cette définition a une occurrence remarquable dans la proposition 35 de la partie V, comme le rappelle Pierre Macherey dans son commentaire :

« […] la démonstration de la proposition 35 explique que Dieu, parce qu’il est absolument infini, « jouit d’une infinie perfection, et ceci avec l’accompagnement de l’idée de lui-même », c’est-à-dire qu’il fait l’épreuve sur lui-même de l’identité de la réalité et de la perfection, ce qui est proprement la définition de l’amour intellectuel de Dieu […] »

La proposition suivante (E V 36) démontrera que l’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu est une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même.

Or l’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu naît de la connaissance du troisième genre (corollaire d’E V 32), connaissance qui nous délecte, dit la proposition elle-même.

Je résume en disant que la connaissance du troisième genre relève plus du chant d’allégresse, de la louange de la perfection de Dieu-Nature que de la connaissance mathématique.

Ce qui nous ramène aux moines et à l’« Agni Parthene ».

Ce sont des ignorants ! Leur connaissance est du premier genre, mutilée et confuse, ce que l’on peut voir, par exemple, en lisant les premières paroles de l’hymne (Wikipédia) :

« Ô Vierge Pure, Souveraine, Immaculée et Mère de Dieu,
Réjouis-Toi, Épouse inépousée. »

Et pourtant, à travers ces paroles, que l’on peut sans doute oublier dans leur détail (en écoutant la version russe, par exemple, surtout si on ne connaît pas le russe), cet hymne ne relève-t-il pas de la connaissance du troisième genre au sens d’un chant d’allégresse à la perfection du réel ?

Est-ce possible, alors que Spinoza démontre que :
« L’effort ou désir de connaître les choses par le troisième genre de connaissance ne peut naître du premier genre, mais il le peut assurément du deuxième. » (E V 28)

A cet égard, citons Henrique qui écrit :

« « […] beaucoup, à la suite de Deleuze, et son interprétation de la prop. 28 de la part. V, pensent qu'il faut que le second genre de connaissance soit accompli pour pouvoir passer au troisième. C'est oublier que ce troisième genre évoqué dans la prop. 47 de la part. 2 [« L’esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu »] concerne explicitement tous les hommes et donc pas seulement ceux qui sont passés par l'Ethique. »
http://www.spinozaetnous.org/ftopic-130 ... sc-10.html

Je ferai l’hypothèse (à discuter) que, tout attentifs à chanter à la perfection, ces moines se libèrent du poids de leurs idées inadéquates liées aux paroles qu’ils chantent et atteignent l'intuition du réel dans sa perfection.
Et, par là même, ils élèvent l’auditeur à entrer, lui aussi, dans cette connaissance intuitive.

Et nous pourrions en dire autant de tout créateur d’une œuvre d’art lorsque celle-ci est célébration du réel, que ce créateur soit un « ignorant » ou pas.

Bien à vous

PS
Quid de :
« Par contre, l'affaire est autrement plus ardue lorsque l'ignorant est un raciste ou un supérieur hiérarchique. » ?

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Messagepar QueSaitOn » 06 nov. 2013, 22:36

Bonjour,

Je suis tout à fait d'accord qu'il y a là une ambiguité de l'Ethique concernant le lien entre la possibilité d'accès pour le commun des mortels à l'intuition du Dieu-Nature. Puisque tous, nous:

sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels


Il serait intéressant ensuite de faire la distinction entre l'acte lui même et l'individu. Un acte peut il être adéquat et relever même de la connaissance du trosième genre alors que l'acteur lui même en est fort loin. Nous entrons ici dans la définition de l'humain par la praxis et c'est toute une tradition philosophique (notamment marxienne) qui peut être conviée.

Concernant l'affect inadéquat que constitue par exemple, le racisme, l'Ethique peut nous donner quelques pistes, même si le problème est vaste et lié à des contextes socio-économiques qui le favorisent, et donc l'étude et la mise à jour de ces déterminismes.

La "guérison" du raciste viendrait en théorie de la capacité à prendre conscience que l'objet de sa haine est sans lien direct avec le ressentiment qu'il éprouve. Et qui peut être le fruit de rencontres fortuites:

Par cela seul qu'au moment où notre âme était affectée de joie ou de tristesse nous avons vu un certain objet, qui n'est point du reste la cause efficiente de ces passions, nous pouvons aimer cet objet ou le prendre en haine (E III)


(Ajout) En réalité, il s'avère que les fixations irrationnelles, inadéquates du raciste ne sont pas le fruit du hasard, mais de la puissance de causes extérieures. Sur cet aspect, il est intéressant de noter que Spinoza associe la notion de désirabilité d'un objet à sa fonction positive ou bonne et non pas négative:

Le désir, c'est l'appétit avec conscience de lui-même. Il résulte de tout cela que ce qui fonde l'effort, le vouloir, l'appétit, le désir, ce n'est pas qu'on ait jugé qu'une chose est bonne ; mais, au contraire, on juge qu'une chose est bonne par cela même qu'on y tend par l'effort, le vouloir, l'appétit le désir." (E III, prop. 9).


Autrement dit l'affect de haine par exemple, serait déjà lié aux puissances extérieures qui sont constituées ici par des schèmas mentaux tout prêts, des "cases" qui désignent l'objet de vindict (l'autre) à la société.

Il semble que pour Spinoza, le désir de "haine" n'entre pas dans la catégorie de la singularité du désir, contrairement à l'appétit que nous ressentons pour une chose "bonne".

La haine raciste est bien le produit d'unepuissance extérieure, c'est à dire de schémas de prêt-à-penser, alors que le travail de libération relève de la singularité du désir. En d'autres termes, l'homme libre pense par lui même, alors que l'aliéné (ici le raciste) pense en fonction de schèmes pré-établis.

Cependant, le racisme est un affect typique qui entre dans les schémas de pensée spinoziste consistant à montrer que:

La force d'une passion ou d'une affection peut surpasser les autres actions ou la puissance de l'homme, de façon que cette affection s'attache obstinément à lui. (E IV)


Le problème est que la raison au sens restreint du terme est impuissante face à cela, seul un affect plus fort peut changer le racisme en sentiment autre:

Une passion ne peut être empêchée ou détruite que par une passion contraire et plus forte


Mais il ressort que le racisme est le produit de l'imitation ou mimétisme des affects, fondant par là une communauté, ou plutôt un sentiment communautaire contre l'Autre (parce qu'il y a rarement une communauté auto-désignée comme telle de racistes, le racisme est un sentiment d'appartenance sur le mode d'un ensemble "d'individus sériels" et passifs, qui pour la plupart du temps s'ignorent les uns les autres, mais pour lesquels l'Autre tient lieu de "point de fuite" unificateur).

L'imitation des passions a donc pour corollaire l'identification sur le mode négatif à cet ensemble d'individus qui se caractérisent face aux "autres", ceux-qui--ne-sont-pas-comme-nous. Bien entendu, l'étude du mécanisme de propagation de ces affects est une tâche que les historiens sont loin d'avoir épuisée.

C'est ici que le combat contre le racisme ne peut réellement être efficace que par la conjonction des puissances d'hommes libres, à travers l'union de leurs affects.


(Ajout) La question du racisme est également un sujet d'actualité de l'Ethique (et du Traité Politique ?) en ce sens qu'elle renvoie à la question du CORPS. Curieusement, le racisme européen par exemple, lié à la colonisation, qui a pris sa source au sein de sociétés essentiellement religieuses d'où dominait le principe de séparation de l'âme et du corps, renvoie à l'âme de l'Autre comme émanation de son corps. Il y a un curieux mélange dans le racisme entre un matérialisme à l'envers (l'âme de l'autre comme idée de son corps, mais le corps comme rapport premier) avec un idéalisme chrétien et religieux ethnocentrique. A l'envers, le racisme nous indique le retour au corps. On pourrait se demander d'ailleurs dans quelle mesure les luttes antiracistes ont fait revenir le corps au premier plan.

Bien que cela ne soit pas si simple, car postuler l'égalité entre "groupes" humains ("groupes" est à prendre avec des pincettes car cela peut renvoyer à une construction sociale c'est à dire inadéquate, un imaginaire sans conscience de son illusion) revient aussi à postuler que les âmes sont égales. L'antiracisme, comme la loi, parle t-il d'abord de l'égalité des âmes, non celles des corps (hypothèse) ?

L'âme de l'Autre comme émanation de son corps "inférieur" renvoie bien entendu aussi bien à la detestation du corps chez les chrétiens qu'à l'idée de supériorité de l'Occident (dans le cas du colonialisme). Mais aussi au corps en tant qu'outil de travail du système colonial. Cette distinction se retrouve d'ailleurs dans une certaine forme de "racisme" ou distinction de classe qui passe par le corps et sa représentation (le corps du riche vs le corps du pauvre, le corps social etc.). On le constate, le spinozisme a des choses à nous dire là dessus.

Il découle aussi de ce qui précède que le postulat spinoziste de l'égale puissance des corps est un outil potentiel de lutte contre les affects racistes.


Bien à vous,
Modifié en dernier par QueSaitOn le 07 nov. 2013, 18:30, modifié 4 fois.

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Messagepar Vanleers » 07 nov. 2013, 15:21

A QueSaitOn

1) Vous citez E V 23 sc. :
« Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels »

Mais Spinoza ajoute immédiatement :
« Car l’esprit ne sent pas moins les choses qu’il conçoit en comprenant, que celles qu’il a en mémoire. En effet les yeux de l’esprit, par lesquels il voit et observe les choses, ce sont les démonstrations mêmes »

L’ignorant, c’est-à-dire, ici, celui qui ignore les démonstrations, pourra-t-il néanmoins sentir et expérimenter qu’il est éternel ?

2) Reprenons la proposition E II 47 :
« L’esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu »

Il semble qu’il n’y ait là aucune restriction : la proposition concerne tout homme, libre ou ignorant.

Toutefois, nous lisons, dans le scolie :
« Quant au fait que les hommes n’ont pas une connaissance de Dieu aussi claire que des notions communes, cela vient de ce qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme les corps, et qu’ils ont joint le nom de Dieu aux images des choses qu’ils ont l’habitude de voir ; […] »

Spinoza met en question l’imagination, sans toutefois la rejeter.

C’est ce qu’il faisait déjà dans le scolie d’E II 17 :
« Car si l’esprit, pendant qu’il imagine avoir en sa présence des choses non existantes, en même temps savait qu’en vérité ces choses n’existent pas, il est sûr qu’il attribuerait cette puissance d’imaginer à une vertu et non à un vice de sa nature ; surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa seule nature, c’est-à-dire (par la déf. 7 part. I) si cette faculté qu’a l’esprit d’imaginer était libre. »

L’homme libre et l’ignorant imaginent tout autant mais, à la différence de l’ignorant, l’homme libre n’ignore pas le caractère fictionnel de ce qu’il imagine, qu’il considère alors comme un support de la pensée ou de l’action. Un échafaudage ou un modèle, si vous voulez, comme celui que signale Spinoza dans la Préface de la partie IV de l’Ethique (« modèle de la nature humaine que nous avons en vue »)

Dans ces conditions, ce qui a été imaginé, et qui, à ce titre, relève de la connaissance du premier genre, peut constituer un tremplin vers une connaissance du troisième genre.
Ceci s’applique à l’œuvre d’art (un chant, par exemple, comme celui dont il a été question dans des posts précédents).

3) Je ne réponds pas tout de suite à vos considérations sur le racisme.
Ne conviendrait-il pas que vous ouvriez un nouveau fil sur ce sujet ?

Bien à vous

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Messagepar Vanleers » 08 nov. 2013, 10:36

A QueSaitOn

Vous procédez à une analyse du raciste et du racisme en vous appuyant sur l’Ethique.
Je me contenterai d’ajouter qu’il peut être utile de se rappeler ce que dit Spinoza dans le scolie d’E IV 73, dont je cite le passage suivant, lorsqu’il écrit que l’homme fort :

« considère avant tout que tout suit de la nécessité de la nature divine, et par suite, que tout ce qu’il juge pénible et mauvais, ainsi que tout ce qui lui semble impie, horrible, injuste et malhonnête, naît de ce qu’il conçoit les choses de manière troublée, mutilée et confuse ; et c’est pourquoi il s’efforce avant tout de concevoir les choses telles qu’elles sont en soi, et d’écarter les obstacles à la connaissance vraie, comme sont la Haine, la Colère, l’Envie, la Moquerie, l’Orgueil et autres choses du même genre que nous avons relevées dans ce qui précède […] »

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Messagepar Vanleers » 09 nov. 2013, 16:02

A QueSaitOn

Quelques mots encore à propos du racisme.

En France, notamment, les propos et actes racistes sont punis par la loi.

Selon Spinoza, tout citoyen est tenu de respecter les lois de la Cité (TP III 5).
Il précise même qu’« un homme conduit par la raison doit faire parfois, sur ordre de la Cité, ce qu’il sait être contraire à la raison » (TP III 6)

Un homme libre ne pourra qu’approuver les lois de la Cité qui punissent l’auteur d’actes ou de propos racistes, bien qu’il sache que cet individu est excusable et a agi nécessairement (« Qui devient enragé par la morsure d’un chien, doit être excusé à la vérité et cependant on a le droit de l’étrangler. » - Lettre 78 à Oldenburg).
Il sait en effet que les ignorants ne troublent pas l’ordre de la nature mais le suivent (TP II 6).
Par contre, des individus comme celui précité troublent l’ordre de la Cité et celle-ci les sanctionne légitimement.

Par ailleurs, dans le Traité Politique, Spinoza écrit aussi :

« […] j’appelle un homme « libre » sans réserve dans la mesure où il est conduit par la raison, parce que dans cette mesure même il est déterminé à agir, quoique nécessairement, par des causes qui peuvent être comprises adéquatement à partir de sa nature seule. La liberté en effet […] ne supprime pas mais suppose au contraire la nécessité de l’action. » (TP II 11)

L’homme libre comme l’ignorant sont déterminés à agir nécessairement mais la différence entre eux, c’est que l’action de l’homme libre peut s’expliquer clairement et distinctement par sa nature seule, ce qui n’est pas le cas pour l’ignorant.

L’homme libre a le désir d’aider l’ignorant (cf. la définition de la générosité – E III 59 sc.) et on peut préciser : de l’aider à être un homme libre.
Etre un homme libre, selon Spinoza, c’est être un homme conduit par la raison.
Il appartient à l’homme libre d’inventer et de mettre en œuvre les moyens susceptibles, dans chaque cas particulier, d’aider l’ignorant (par exemple, le raciste) à se laisser conduire par la raison.

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Messagepar QueSaitOn » 09 nov. 2013, 18:44

Vanleers a écrit :Il appartient à l’homme libre d’inventer et de mettre en œuvre les moyens susceptibles, dans chaque cas particulier, d’aider l’ignorant (par exemple, le raciste) à se laisser conduire par la raison.


Tout le problème est là précisément, parce que la loi ne peut suffire: elle n'est pas "parfaite" même dans une démocratie, et la loi ne peut décréter la Raison commune.

La "solution" si elle est possible passera nécessairement par une lutte Affect plus forts contre Affects de haine (pas individus contre indidivus, mais Affects les déterminant).

L'amour contre la haine ici n'y peut suffire. D'ailleurs je ne crois pas à cette vision par trop idéaliste de Spinoza, d'opposer l'amour à la haine. Ou alors, quelque chose m'a probablement échappé.

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Messagepar Vanleers » 10 nov. 2013, 10:28

A QueSaitOn

L’homme libre sait qu’il vit dans une société composée en majorité d’ignorants.
Celui que Spinoza appelle, dans le Traité Politique, le Souverain, le sait aussi et son art de gouverner est d’employer au mieux menaces et récompenses, les seules choses qui ont de l’effet sur les ignorants.

L’homme libre devrait-il, lui aussi, utiliser récompenses et menaces pour venir en aide à l’ignorant ?
C’est à voir.

En tout cas, un homme libre qui a affaire à un individu qui tient des propos racistes devrait lui dire que ce n’est pas à lui, homme libre, d’entendre de tels propos mais aux tribunaux, au cas où il s’aviserait de les rendre publics.

Le meilleur moyen, pour l’homme libre, de venir en aide à un tel individu, c’est, à mon avis, de lui tourner les talons et, éventuellement et si on le peut, de déposer une plainte si les propos racistes sont tenus publiquement.

Bien entendu, s’il ne s’agit pas seulement de propos mais d’actes racistes, le dépôt d’une plainte s’impose davantage.

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Messagepar Miam » 10 nov. 2013, 13:20

Van Leers, votre conclusion qui promeut l’évitement ou le recours juridique face à un raciste m’étonne beaucoup et me semble fort désespérante. Est-ce à dire que l’on ne peut rien pour aider l’ignorant ? Car enfin : le raciste est un ignorant comme un autre. Ou alors il vous faut montrer en quoi le raciste compose un genre de connaissance encore en deçà de l’ignorance, mais ce genre n’existe pas chez Spinoza.

Par ailleurs, la proposition II 47 : « Tout mental humain a l’idée adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu » concerne tous les genres de connaissance, y compris le premier. Elle concerne donc aussi l’ignorant, donc le raciste. Cela ne peut vous étonner puisque, comme tout attribut de Dieu exprime et constitue Son essence, toute perception d’un attribut s’avère être d’office la connaissance adéquate de l’essence de Dieu. Or, tout mental humain perçoit au moins un attribut de Dieu (par exemple l’étendue). Il n’y a donc rien de surprenant à ce que tout mental humain, y compris celui du raciste, ait l’idée adéquate de l’essence de Dieu (cela même qu’énonce bien la proposition 47).

L’idée adéquate de l’essence de Dieu est acquise dès que l’on sait que l’étendue ou la pensée, en tant qu’attributs de Dieu, sont infinis et éternels, c'est-à-dire dès le premier genre de connaissance. Cela vaut également bien sûr aussi pour le second genre de connaissance qui concerne, non la connaissance de cette essence, mais sa constitution selon l’ordre des idées dans le mental (II 11 et scolie par exemple). Et cela vaut encore a fortiori évidemment pour le troisième genre de connaissance, qui ne revient sur la connaissance de l’essence que comme un point de départ absolu et nécessaire. Ce à quoi Spinoza nous exhorte alors d’arriver en permanence (je dis bien : en permanence), ce n’est pas à l’idée de l’essence de Dieu mais à l’idée de Dieu tout court, c'est-à-dire à l’idée de Dieu en tant qu’étant absolument infini, et non plus seulement à l’idée de son essence infinie. (j’y reviendrai si cela s’avère nécessaire)

Bref : tout ignorant, y compris le raciste, a l’idée adéquate de l’essence infinie de Dieu. Il y a toujours au moins une notion commune sur laquelle il est loisible de s'appuyer. On ne peut donc simplement exclure cet ignorant ou s'en détourner. Le sage qui se détourne simplement du raciste ou l’envoie devant les tribunaux me semble bien faiblard tandis que sa sagesse s’avère, en fin de compte, totalement incapable d’aider l’ignorant.

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Messagepar hokousai » 10 nov. 2013, 14:09

Il me semble que ici que "homme libre" pourrait être réduit à l'homme libre de préjugés racistes ( et non pas en rester à l'Homme libre avec un grand H ).
Donc déroger à ce statut auto fondé d' Homme libre qui en l'occurrence ne sert que de drapé.

Le racisme est un cas singulier de commerce sociétal. Donc je réduis l'idée de liberté de l' homme libre à ce cas particulier.
Comment se comporter quand on est exempté des préjugés racistes face à une homme qui en a ?
C' est pas théorique comme question.

Ou bien je tourne les talons en m' en remettant aux bons soins d' un souverain bien inspiré
Ou bien individuellement je prends mes responsabilités et je fais quelque chose de singulier.
Réponse naturelle à un commerce singulier... me semble- t- il .


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