Éthique: de Dieu

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 27 avr. 2003, 19:16

Si à la suite d’une parole blessante de ma compagne, je boude et que j’obtiens alors d’elle une réaction de malaise, un sentiment désagréable d’être traitée comme si elle n’existait pas et l’attention et les actes qui suivent cet état affectif, contentant mon désir de la punir ; si je boude donc, l’absence de son proféré de ma part ne signifie pas absence complète. Si j’obtiens cet effet, c’est que je me suis comporté de façon inattendue, déconcertante en la traitant subitement comme un vague fantôme alors que je n’agis pas de la sorte habituellement. Mais je ne fais pas rien, ma puissance de la mettre mal à l'aise ne vient pas de je ne sais quelle virtualité, située entre le rien et le quelque chose, elle vient du contraste entre la force de l’habitude et un acte déroutant. La bouderie n’est pas qu’absence de parole, sinon elle ne serait rien et n’aurait réellement aucun effet, elle est l’affirmation de ma solitude, une conscience de ma présence coupée de l’autre, certes moins puissante en réalité qu’une présence ouverte à celle de l’autre, mais présence tout de même, présence non pas simplement d’un ‘silence’ défini comme absence de parole, mais présence d’un corps qui affirme sa solitude. Si vous voulez suggérer qu’un effet réel peut venir d’une absence totale, autrement dit d’un néant absolu, montrez le par un exemple précis.

La puissance de Dieu ne se définit pas comme l’accomplissement d’une volonté : Spinoza oppose en effet la [i]potestas[/i], le pouvoir du tyran ou du monarque à la [i]potentia[/i], la puissance de Dieu qui est pleinement positive. En effet, un être qui conçoit des possibles dans son entendement et les réalise ensuite par sa volonté en ayant choisi les meilleurs est un être qui hésite, un être dans lequel entre une grande part de négation (à commencer par les possibles inaccomplis). Un être fini qui sait douter dans une certaine mesure est un être qui peut être plus grandement affecté, donc plus puissant qu’un autre être fini qui ne sait pas faire la différence entre l’absence de doute et l’impossibilité de douter. Mais faire entrer dans l’essence d’un être absolument infini une telle négativité en lui supposant une volonté est proprement absurde, puisque cela revient à supposer un être absolument infini et fini à la fois dans son essence même.

La puissance de Dieu, en tant qu’elle est absolument infinie, est actualisée de toute éternité. Ce qui signifie qu’il n’y a pas [i]sub specie aeternitatis[/i] d’avant, de pendant et d’après : ce qui était hier, ce qui sera demain, du point de vue de la durée, existe toujours et déjà du point de vue de l’éternité. Aussi, concevoir Dieu sur le modèle du monarque qui laisse par exemple la contestation s’installer et est dès lors responsable des séditions qui s’ensuivent est inadéquat : tout ce qui est, est en Dieu alors que tout ce qui est dans un royaume n’est pas forcément dans le roi. Une sédition, pour poursuivre l’exemple, n’est pas le fait du roi, son éventuel laisser faire n’est pas ici la cause effective de la sédition, mais c’est la contestation de sa légitimité qui en l’occurrence n’émane pas de lui. Il n’y a donc pas à proprement parler, du point de vue de l’infini comme du fini, de puissance qui émane d’un ‘non acte’ quelconque.

En disant ‘toute omnipotence est limitée au possible’, je suppose que vous voulez dire ‘limitée au cohérent, au non absurde’… mais le terme de limitation n’est lui-même guère cohérent ici : il n’y a de limitation réelle et donc de finitude que par la présence concrète d’une réalité extérieure qui borne effectivement l’être limité. Dire que Dieu ne peut pas se modifier en un cercle carré, ce n’est pas lui conférer une limitation et donc une impuissance, car ne pas pouvoir être un néant, c’est précisément pouvoir être réellement, positivement.

Le possible étant seulement l’être cohérent, non contradictoire, il ne peut donc être considéré absolument comme pouvant ne pas être et ne jamais être ou avoir été, un milieu entre l’être et le non être. Du point de vue de la totalité de ce qui existe, il est impossible par exemple que je ne tape pas actuellement sur mon clavier. Me dire que ‘j’aurais pu’ faire autre chose n’est ‘non contradictoire’ qu’à condition de faire abstraction des causes qui m’ont effectivement amenées à cette activité, ce qui est penser une fiction et non une réalité. C’est sortir du cadre concret de l’existence, mais c’est contradictoire en fait du point de vue des causes réelles de mon existence. Tenir compte des causes qui m’ont amenées à cette activité, c’est donc voir que le non-contradictoire est en même temps le nécessaire.

Si on définit le possible comme ce qui absolument pourrait être [b]ou[/b] ne pas être, rien de tel n’existe. Si on le définit simplement comme ce qui [b]peut[/b] être, parce que non contradictoire, alors le possible est ce que Spinoza appelle la puissance, l’affirmation de son essence produisant son existence et ses expressions pour Dieu, ou produisant ses actions pour l’homme libre. Une telle puissance n’a de sens que si elle est pleinement réalisée. Admettre un ‘potentiel’, qui préexisterait à sa réalisation, c’est imaginer au lieu de raisonner. Dire d’un élève au piano qu’il est un ‘Mozart en puissance’, qui ne sera ‘Mozart en acte’ que s’il travaille bien, ce n’est [b]rien d’autre[/b] qu’ignorer ce qui se passera effectivement. Ce que notre jeune élève peut faire actuellement est tout ce qu’il peut faire actuellement. Imaginer ce qu’il pourra ‘peut-être’ devenir ne repose que sur l’abstraction à l’égard des causes externes et internes déterminant effectivement son existence et que nous ignorons. En admettant que nous puissions connaître, par un entendement infini, toutes ces causes, et qu’effectivement nous voyions qu’il deviendra le futur Mozart, alors du point de vue de la raison, càd du point de vue de l’éternité, et non plus du point de vue limité à une connaissance partielle d’un instant T, nous verrions qu’il est déjà et de toute éternité ce qu’il doit devenir.

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Geopolis
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Messagepar Geopolis » 27 avr. 2003, 21:21

D'accord.

Est-ce que le Dieu/Nature de Spinoza est conscient ? Possède-t-il une volonté ?

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Messagepar Henrique » 28 avr. 2003, 02:18

[quote]
Est-ce que le Dieu/Nature de Spinoza est conscient ? Possède-t-il une volonté ?
[/quote]

Dieu possède une conscience et une volonté à travers les expressions finies de l'attribut Pensée que sont nos mentaux entre autres et également à travers son mode infini qu'est l'entendement infini. Mais tout cela relève de la nature naturée : [url=http://www.spinozaetnous.org/ethiq/ethiq1.htm#p31]E1P31[/url] et non de la nature naturante qui en l'occurrence est la pensée et dont les modes peuvent être l'entendement (qui suppose la conscience) mais aussi, le désir ou l'amour, autres modes de la pensée.

L'entendement est la compréhension immédiate des relations qui unit un corps à l'étendue comme affirmation dynamique de la puissance divine 'en plusieurs dimensions'. L'entendement infini est cette forme de pensée adéquate mais pour l'infinité des corps existants. L'idée d'un corps implique l'idée de son idée, càd la conscience. Dieu est donc conscient de la totalité de ce qui existe en tant qu'il est modifié en entendement infini.

Mais cette conscience ne précède pas l'existence effective des êtres qu'elle vise, elle coïncide avec elle. La nature naturante produit spontanément une infinité d'essences et d'existences en dehors de toute finalité (la substance étant infinie). Elle produit aussi immédiatement la conscience de cette infinie production et l'affirmation de cette affirmation qu'est la production, autrement dit la volonté infinie de tout ce qui se produit.

La volonté est la propriété d'une idée, elle n'est pas une puissance d'affirmer qui préexisterait aux idées qu'elle affirme, car il n'y a pas d'affirmation sans affirmation de quelque chose. Elle n'est donc rien d'autre que l'affirmation de soi qu'enveloppe une idée donnée - et pour un mental fini, la négation de ce qui le nie.

C'est pourquoi '[i]La volonté et l'entendement sont une seule et même chose.[/i]' ([url=http://www.spinozaetnous.org/ethiq/ethiq2.htm#P49]E2P49[/url], corollaire).

- Est-ce que vous posez ces questions avec toujours la question des preuves de l'existence de Dieu en tête, ou comme cela, sans ordre précis, pour le plaisir :wink: ?

Amicalement,
Henrique[size=50][ Edité par Henrique Le 28 April 2003 ][/size]

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Messagepar YvesMichaud » 28 avr. 2003, 07:13

Bonsoir,
Puisque vous parlez de l'attribut Pensée, les sciences neurologiques affirment que la pensée est une sécrétion du cerveau, et que les états mentaux sont une classe d'états physiques. Enfin, bref, il devient moins évident de faire de la pensée un attribut distinct. Qu'en dites-vous?

Cordialement,

_________________
Louanges à l'ontologie existentielle de Saint-Thomas!

[size=50][ Edité par YvesMichaud Le <br>28 April 2003 ][/size][size=50][ Edité par YvesMichaud Le 28 April 2003 ][/size]

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Messagepar Henrique » 28 avr. 2003, 18:50

[quote]
Les sciences neurologiques affirment que la pensée est une sécrétion du cerveau, et que les états mentaux sont une classe d'états physiques. Enfin, bref, il devient moins évident de faire de la pensée un attribut distinct. Qu'en dites-vous?
[/quote]

J'en dis que quand bien même on aurait trouvé dans mon cerveau le neurone du cercle, synaptiquement connecté à celui du segment de droite dont une extrémité est en mouvement et l'autre immobile, ce neurone ne serait pas un cercle. Et si le cercle a une étendue, une circonférence, l'idée de ce cercle n'a quant à elle aucune circonférence.

Jean Pierre Changeux, notre neuro-phyisicien de service en France est spinoziste : cf. [url=http://www.ccic-cerisy.asso.fr/spinoza02.html#Chantal%20JAQUET%20:%20Le%20rôle%20actuel%20de%20la%20théorie]Le rôle actuel de la théorie spinoziste de l'union du corps et de l'esprit [/url] et [url=http://www.cerphi.net/theses/jaquet.htm]Trois expressions de la puissance d’agir[/url]. Voir aussi [url=http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/2841742393/171-9810558-1848210]Quel avenir pour Spinoza ? Enquête sur les spinozismes à venir[/url] qui contient un article sur ce sujet.

Amicalement,
Henrique

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Messagepar Geopolis » 28 avr. 2003, 19:24

J'essaie bien de cerner le Dieu de Spinoza.

Donc, si tout être conscient venait à disparaître, la conscience disparaîtrait de Dieu.

Et pourquoi Spinoza nomme-t-il Dieu ce que nous appelons l'Univers, ou la somme de tout ce qui exista/existe/existera ?

***

Le Dieu de Spinoza pense parce qu'il est composé de parties pensantes...

Qu'est-ce que la conscience d'une famille ? D'un village ? D'un peuple ? D'une culture, d'un Etat... ?

***

Amusant, Yves Michaud.

J'ai une conscience, mais est-ce la conscience sécrétée par une partie de mon corps ou de chaque partie de mon corps ?

Telle cellule de ma peau ne pense peut-être pas, mais ne participe-t-elle pas de ma pensée en envoyant nombre de messagers chimiques dans son environnement, et ces messagers ne sont-ils pas cause d'une forme de [i]conscience[/i] locale, laquelle finit par être intégrée par mon cerveau et synthétisée sous forme de pensée ?

A l'instar du Dieu/Nature de Spinoza, ne suis-je conscient que parce que mes parties élémentaires pensent ?

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Messagepar Henrique » 29 avr. 2003, 13:38

[quote]
Donc, si tout être conscient venait à disparaître, la conscience disparaîtrait de Dieu.
[/quote]

Les modes, finis et infinis, de la substance constituée par une infinité d'attributs ne sont pas séparables de celle-ci. Si tous les modes disparaissaient, la substance elle-même disparaîtrait mais c'est impossible car pour cela il faudrait qu'une substance plus grande existe extérieurement et la détruise, or nous parlons d'une substance absolument infinie.

Admettons cependant par hypothèse que tout mode disparaisse, la substance produirait à nouveau immédiatement une infinité de choses infiniment modifiées : [url=http://www.spinozaetnous.org/ethiq/ethiq1.htm#p16]E1P16[/url], y compris la conscience.

Ce qui vous semble vous chagriner chez Spinoza est que la conscience ne soit qu'un mode et non un attribut de Dieu. En effet la conscience est idée d'uine idée, donc façon de penser et non la pensée en soi. L'attribut, l'essence de Dieu, c'est la pensée, aussi bien que l'étendue. De même que l'on ne peut séparer les corps de l'étendue, on ne peut séparer les consciences de la pensée.

[quote]
Et pourquoi Spinoza nomme-t-il Dieu ce que nous appelons l'Univers, ou la somme de tout ce qui exista/existe/existera ?
[/quote]

Ce que nous appelons l'Univers, c'est ce que Spinoza appelle la nature naturée. Dieu est la nature naturante, non pas la somme des modes finis et infinis, mais ce qui en constitue l'essence dynamique.

[quote]
Le Dieu de Spinoza pense parce qu'il est composé de parties pensantes...
[/quote]
Non, Dieu [b]est[/b] la pensée par laquelle chacune de ses modifications pense. La pensée, attribut de Dieu, demeure logiquement et ontologiquement (mais pas chronologiquement, il y a à cet égard coïncidence) antérieure à ses affections.

[quote]
Qu'est-ce que la conscience d'une famille ? D'un village ? D'un peuple ? D'une culture, d'un Etat... ?
[/quote]
C'est l'idée de l'idée du corps familial, culturel ou politique, s'il y a effectivement corps individuel : 'Lorsqu'un certain nombre de corps de même grandeur ou de grandeur différente sont ainsi pressés qu'ils s'appuient les uns sur les autres, ou lorsque, se mouvant d'ailleurs avec des degrés semblables ou divers de rapidité, ils se communiquent leurs mouvements suivant des rapports déterminés, nous disons qu'entre de tels corps il y a union réciproque, et qu'ils constituent dans leur ensemble un seul corps, un individu, qui, par cette union même, se distingue de tous les autres.' (Ethique II, définition de l'individu après la prop. 13).

Cordialement,
Henrique


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