Sfez: la communication expressive ou la dissidence Spinoza

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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cess
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Sfez: la communication expressive ou la dissidence Spinoza

Messagepar cess » 14 déc. 2013, 14:33

Bonjour

çà commence avec un simple Que-sais-je de Lucien Sfez "La communication".....la lecture est rapide et machinale et, soudainement, un sourire "béat" s'affiche : à la moitié du livre, Spinoza est largement cité ;confortant d'abord un sentiment primaire et indaignablement puéril du type:" Sacré Baruch , t'es trop fort, ta superbe synthèse dynamique de l'homme intégré au Tout en inspire encore d'autres!!"

L'analyse de Sfez est toutefois assez nette, peut-être trop ?...et dans un souci de critique constructive ; je soumets la distinction qu'il opère concernant les théories de la communication voir-même Descartes-Spinoza et SURTOUT SA LECTURE DE SPINOZA ET SON IMPACT SUR LES THEORIES DE LA COMMUNICATION à la finesse de vos jugements:


1) la communication représentative (CR):

.Elle concerne Les théorie classiques de la représentation et de la communication
La métaphore de la machine cartésienne (ce sont ces mots?)communicative que nous sommes est prégnante...Le monde à représenter de manière objective et celui effectivement représenté sont séparés par un médiateur:on a en tête les schémas fonctionnalistes de Wiener avec l'observation d'un sujet émetteur qui envoie à un sujet récepteur. Leur relation: une boule de billard dont les effets sont calculables .
L'idée de causalité linéaire est évoquée. La réalité objective et universelle est extérieure au sujet qui la représente, position dualiste. La représentation est la seule manière de garantir la réalité du sujet et la réalité de la nature: elle assure leur coïncidence.

2) la communication expressive:

Ici, la métaphore de l'organisme domine. Elle se nomme Creatura , concept de Gregory Bateson
L'ombre "d'un jeune loup dissident Spinoza" (je reprends les termes de Sfez) plane sur L'école de Palo Alto.
je cite intégralement:

"la représentation échoue ici dans sa tâche à transmettre le mouvement cause à effet.Pour Spinoza , causes et effets ne sont pas éloignés par une cascade de délégations car les effets de la nécessité de Dieu ne sont pas inférieurs dans leurs manifestations à la cause qui les a produits. La cause est immanente aux signes, elle leur est intérieure. ainsi les idées expriment la Nature et ne la représentent pas. Le monde intellectuel est celui par lequel nous communiquons entre nous, pour peu que nous sachions que nos idées ont en commun d'appartenir à Dieu, non comme des parties séparées , mutilées de son Etre-Nature, mais comme expression totale de sa totalité.....""

Pour Sfez Palo Alto sans jamais le dire explicitement, se nourrit du spinozisme...
Et voici ce qu'il identifie comme effets et changements du spinozisme sur l'ancien paradigme de la communication représentative (CR).

" a) a commencé par un changement de régime sensoriel. avec la CR, nous sommes dans le registre du visible. L'image occupe la première place et la machine est conçue selon l'iconique. Avec l'expression, , nous voici du côté de l'audible: il ne peut y avoir d'expression audiovisuelle de l'autoférence, de ce qui s'enveloppe soi-même.La visibilité ne dépend pas de l'image formée que nous percevrions mais du simple choc de l'onde lumineuse, abstraite de toute forme définie. Je perçois ma voix sans recours à un instrument pour la capter. Ce que je ne peux faire avec le regard. Je ne peux me voir qu'à l'aide d'un objet réfléchissant: miroir, eau,reflet...La différence n'est pas minime, car l'ouïe instaure un rapport au temps qui est de l'ordre de la simultanéité, et non de la séquence. Passage de l'image claire et distincte à l'écoute flottante.


b) le temps se replie. Il devient circulaire. Il n'y a plus de d"écoulement linéaire.Pas de commencement (l'expédition boule de billard) ni de fin (la réception à l'extérieur). de fait, l'organisme, cette totalité centrée sur elle-même ne peut-être instrumentalisée pour des fins extérieures.

c) le vouloir est ici identique au pouvoir. en place et lieu d'un sujet qui peut parce qu'il veut, nous avons un organisme qui est supposé vouloir uniquement parce qu'il peut.En place de l'impétus cartésien , nous avons le conatus spinoziste.Si sujet il y a , c'est un élément qui traduit le tout, plié au-dedans de la structure organique totale. Il participe au tout et communique avec le tout, à condition de bien se situer dans ce tout., d'énoncer ce qui peut favoriser les bonnes rencontres, en évitant les mauvaises et ce par un Amour intellectuel de Dieu.

d) Ce que la partie a de commun avec le tout est ce par quoi elle communique. Il y a analogie de structure entre son organisme propre et le grand animal qu'est le cosmos. D'où l'adéquation de nos idées non pas par un objet sectoriel , mais aux liaisons et aux compositions par quoi nous entrons en contact avec d'autres individus et avec le corps du monde : (il cite Ethique II, prop 38: L'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses"

Ainsi posé, c'est toute la réflexion organiciste qui se met en place: "la réalité" que la représentation met en face de l'homme comme un objet est ici"construite" dans le rapport interne des idées entre elle (connexion) Auscultons l'organisme, il donnera le monde, la réalité de la réalité" comme aussi bien la complexité que l'auto-référence. La réalité extérieures du sujet a disparu ici: lui est substitué un individu capable de favoriser ses bonnes rencontres avec le monde.

Voici donc bonne lecture

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Messagepar hokousai » 15 déc. 2013, 12:16

J'avais beaucoup aimé de Sfez "la politique symbolique" mais ça remonte à loin. Idem de Gregory Bateson.
idem de l'école de palo Alto .
et puis à un moment j 'ai du partir dans un autre direction ( phénoménologique ) mais pas forcément en contradiction .

(une certaine compréhension de Descartes tououirs donné comme repoussoir me gêne un peu ...après avoir lu lis Michel Henry je ne vois plus Descartes ainsi )

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Messagepar Vanleers » 16 déc. 2013, 08:49

A cess

Comment définiriez-vous, en pratique, une éthique de la communication spinoziste ?

Serait-il essentiellement question de « communication expressive » ?

Déjà dans le TRE (§ 13-14), Spinoza fixe un objectif primordial à la communication :

« Quelle est cette nature ? nous montrerons en son lieu qu’elle est assurément la connaissance de l’union qu’a l’esprit avec toute la Nature. Voici donc la fin vers laquelle je tends, à savoir acquérir une telle nature et m’efforcer que beaucoup l’acquièrent avec moi ; […] »

Cette fin est reprise dans l’Ethique (Cf. IV 37, par exemple).

Comment la poursuite de cette fin se traduit-elle, concrètement, par un certain style de communication ?

Ce qui rejoint la question, également très concrète et pratique, posée sur un autre fil : « Comment l’homme libre vient-il en aide à l’ignorant ? » que l’on pourrait reformuler, en partie, par « Comment l’homme libre communique-t-il avec l’ignorant ? »

Bien à vous

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Messagepar cess » 16 déc. 2013, 17:40

A Vanleers

Je tatônne, je tatônne..

il me semble que les paradigmes de communication expressive et et communication représentative (sans tenir compte du troisième type de com identifié par Sfez qui est celui de la com confondante) s'entremêlent savamment dans nos quotidiens....

S'il s'agit de différencier les deux: il me semble que nous basculons de l'un à l'autre à partir d'un élément central: le sentiment d'appartenance commun à quelque chose.. c'est ce par quoi ils ont en commun qui fait que les individus communiquent...

Alors comment définirai-je une éthique d'une communication spinoziste?

1)D'abord par ce sentiment d'appartenance commun justement :
Par ordre décroissant, ce quelque chose auquel les individus auraient le sentiment d'appartenir peut-être Dieu, l'univers, l'humanité tout entière...
ici je situe le Sage .
L'ignorant s'identifiera essentiellement à un peuple,une culture, une communauté, une famille ...Je crains qu'un sentiment d'appartenance puisse être aussi imputé à une entreprise (mais là , il n'est pas naturel, il est crée à des fins productivistes, le concept de culture d'entreprise est un concept très bizarre...si je m'en réfère à Luc Boltanski et Eve Chiapello dans le Nouvel Esprit du Capitalisme))


2) L'analogie: Mais ces autres degrés identitaires s s'expriment aussi chez le Sage qui peut peut-être alors par analogie (Sfez me met "une puce intuitive à l'oreille" avec ce terme, ) comprendre...au sens littéral faire siens les affects d'autrui...dans la mesure du possible...
l'analogie: une association, une ressemblance...on cherche ce qu'on a commun avec quelqu'un
Peut-être vais-je trop vite ..je n'ai plus le livre mais je crois selon les neurosciences actuelles que l'intelligence intuitive est inhérente au raisonnement analogique..Développer son intuition serait alors utile au sage.(SVP que quelqu'un me reprenne si je m'égare)


3) à la conquête de son intériorité: Sentiment, analogie ces termes sont du registre ou n'ont de sens qu'au regard de l'intériorité...il serait dès lors salutaire pour le sage qu'il pratique le connais-toi toi-même...afin d'aiguiser sa compréhension ou sa puissance d'agir ...plus grande est la connaissance du corps, d'autant plus grande est la compréhension de l'esprit?

4) vouloir comprendre l'autre: ...acte de générosité....il s'agit pour le sage de s'exercer à " voir tout en dieu "...mais le désir de comprendre l'autre est corellé avec le 3) car le sage spinoziste veut parce qu'il peut...

5) pour finir , mais il faut encore que je creuse cette question...le symbole est par excellence le langage universel...le sage aurait-il intérêt à les observer??

Voici pour l'instant...

Bien à vous
Modifié en dernier par cess le 16 déc. 2013, 20:05, modifié 6 fois.

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Messagepar cess » 16 déc. 2013, 18:16

Et puis juste une interrogation quand Sfez mentionne un changement de registre sensoriel...la CR s'inscrit uniquement dans le visible....avec la CE on passe à l'audible....

Compte tenu de ce que je viens d'écrire plus haut notamment sur l'intériorité..., n'y aurait-il pas , outre l'ouïe, les 5 sens au complet mobilisés par la communication expressive?

Bien à vous..

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Messagepar hokousai » 16 déc. 2013, 22:19

Chers amis spinozistes je vous invite à jeter un coup d 'oeil sur cette thèse de Markus Aenishänslin

en cherchant le texte en partie consultable

books.google.com/books?isbn=3764325089

taper sur Google
Wittgenstein Spinoza le livre est en première page



Le Tractatus de Wittgenstein et l Éthique de Spinoza
Étude de Comparaison Structurale
d' Aenishänslin Markus
attention objet étrange

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Messagepar Vanleers » 17 déc. 2013, 10:18

A cess

1) Au point 2 de votre post, l’analogie dont vous parlez, n’est-ce pas l’empathie ?

2) Dans toute communication, n’y a-t-il pas exercice d’un pouvoir ?
L’homme libre qui communique quelque chose à l’ignorant n’exerce-t-il pas un pouvoir sur l’ignorant ?

On dira que l’homme libre exerce sa puissance (potentia) mais non un pouvoir (potestas) sur l’autre. Mais n’est-ce pas une illusion ? Car, en communiquant, l’homme libre exerce bien un pouvoir sur l’autre mais tout en désirant que la puissance de cet autre s’accroisse. Alors que l’esclave (au sens de Deleuze : tyran, esclave, prêtre) a besoin d’attrister l’autre afin de s’affirmer.

Les deux modes de communication que vous citez (représentative et expressive) sont-ils neutres vis-à-vis de ces questions de pouvoir ?
Ou, au contraire, l’esclave utilisera-t-il de préférence la communication représentative et l’homme libre la communication expressive ? Cette dernière est-elle accessible à l'esclave?

3) J’aurai peut-être d’autres choses à dire après lecture du Que sais-je ? de Sfez.

Bien à vous

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Messagepar cess » 17 déc. 2013, 13:23

a Vanleers

Juste sur la question du pouvoir...


j'entends par pouvoir sur quelqu'un: exercice légal ou ou simple influence sur quelqu'un qui n'a d'autre choix conscient ou inconscient que d'admettre ou de subir l'autorité de ce pouvoir.

Si l'homme libre exerce un pouvoir ou effet sur l'ignorant, ce-dernier n'est-il pas toujours pas dépendant de sa propre nature?
Mais peut être entendez-vous par pouvoir une composition-combinaison de rapports positive qui peut augmenter la puissance d'agir de l'ignorant?
Si oui, l'homme libre peut-il savoir à l'avance quel sera l'ordre de ce rapport positif ou négatif?...
je me souviens de la communication-relation de Spinoza face à Blyenberg.

ces points probablement bien imparfaits que j'ai cité plus haut sont pour une communication que pourrait seulement s'efforcer de mettre en place l'homme libre (pour moi l'homme libre st celui qui connait l'amour intellectuel de Dieu..) pour comprendre , établir une relation avec l'ignorant tant est que la nature de celui-ci veuille bien s'accorder avec celle de l'homme libre)
(les instants ou il est libre lui-même encore une fois)

bien à vous

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Messagepar cess » 17 déc. 2013, 14:02

à la relecture des mes propos, je crois que je suis prise en tenaille entre l'illusion de notre libre-arbitre et la Vertu qui est la béatitude elle-même

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Messagepar Vanleers » 17 déc. 2013, 14:42

A cess

L’homme libre n’est pas omniscient et ne connaît pas, à l’avance, si ce qu’il communique à l’ignorant augmentera ou non la puissance de ce dernier.

Ce qu’on peut dire, c’est qu’il est généreux, c’est-à-dire qu’il a le désir par lequel il s’efforce, sous la seule dictée de la raison, d’aider l’ignorant (E III 59 sc.).

Ce désir devrait-il le conduire à privilégier la communication expressive par rapport à la communication représentative ?

Autrement dit, utilisée par l’homme libre, la communication expressive est-elle plus à même d’aider l’ignorant ?

Ce qui revient à la question que je posais déjà : y a-t-il un style de communication propre à l’homme libre selon Spinoza (qui privilégierait la communication expressive par rapport à la représentative, par exemple) ?

Bien à vous


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